Li Ann ou Le Tropique des Chimères, roman tragi-comique de Patryck Froissart, par Serge Cabrol (22/02/2021)

Serge Cabrol dans le magazine Encres Vagabondes (lien)

Patryck FROISSART


Li Ann ou le Tropique des chimères

Pour profiter d’un peu de légèreté et d’humour en ces temps de morosité, voici un roman drôle et coquin, cocktail exotique de vaudeville et de chronique mélodramatique, qui se déroule « dans un décor tropical, dans le cadre insulaire de l'archipel français des Allobroges, à quatorze mille six cents kilomètres de la métropole, que nombre de citoyens de l'hexagone peu portés sur la géographie situent par erreur dans les Antilles mais que les initiés savent placer sur le globe à l'exact antipode des Caraïbes. » Inutile de chercher dans l’atlas.

Le livre s’ouvre sur la date du 5 avril où une cinquantaine de personnes assistent à des obsèques.
Au fil du livre cette date reviendra de temps à autre et nous en saurons alors plus sur l’identité de la personne décédée et les conditions de son décès.

Ce roman est intéressant par une construction en forme de spirale. Chaque protagoniste, y compris un narrateur, prend la parole à son tour pour relater et compléter le déroulement des événements. On suit ainsi cette histoire à partir de différents points de vue.

Le personnage principal est le proviseur d’un lycée français hors de métropole, dans une île qui produit de la canne à sucre et où culmine un « Piton de la Torchère ».
Jean Martin dit Le Borain vivrait serein et épanoui s’il n’était sans cesse soumis à des désirs qu’il peine à maîtriser. « Autant j'ai toujours su mener mon personnel masculin à la baguette, autant je me suis constamment aplati en frétillant de la braguette devant mes auxiliaires féminines. »

Quatre ans plus tôt, déjà, sa braguette – ou plutôt ce qu’elle protège – l’a amené à changer de vie. Il était alors marié avec « Tsaàzzoult, ma bien-aimée, la radieuse Amazighe qui m'avait épousé alors que j'accomplissais mon service militaire au titre de la coopération culturelle dans le royaume paradisiaque du Tajeldit. Notre vie conjugale se déroulait sous un ciel que n'assombrissait jamais le moindre nuage quand Michelle, professeure de lettres dans l'établissement, a commencé ses manœuvres d'approche. » Toujours incapable de résister, le proviseur a été surpris par sa belle Tsaàzzoult pendant l’une des torrides séances hebdomadaires avec Michelle.  L’épouse ulcérée est partie sur le champ et la professeure de lettres s’est installée avec ses deux filles sur le territoire déserté.

Quatre ans plus tard, la situation est bien partie pour se reproduire avec Jacqueline Adrian, l’assistante de direction, prête à jouer de tous ses atouts pour assiéger une forteresse si mal défendue. « Mon plan n'était pas sorcier. Les romans foisonnent qui en mettent de tels en scène. L'ensorceler sans plus tarder, l'appâter, le maléficier à hautes doses, l'hypnotiser, et me le faire mien, me le faire chien à me manger dans la main, devenir, quoi, la matrone du patron. Je me l'épouserais ! Je me l'étais juré. »

Mais un grain de sable vient enrayer la belle mécanique de Michelle, un joli grain de sable nommé Li Ann, vingt-trois ans, faussement candide, bien décidée à échapper à son quotidien chez sa mère, subissant la mauvaise humeur permanente d’un frère proxénète parfois violent.

N’ayant pu obtenir un poste budgétaire supplémentaire, le proviseur a réussi à négocier l’octroi d’un Contrat Emploi Jeune. Les dossiers ne manquent pas mais en les feuilletant, une photo attire son regard. Li Ann Chen Wong. C’est elle qu’il convoque pour un entretien d’embauche dès le lendemain.
Cette première entrevue n’est que le début d’une longue histoire parce que la jeune femme a vraiment très envie de changer de vie. « Je lui ai fait mon sourire de grande fille un peu nunuche, et ça l’a mis mal à l’aise. Ça marche toujours ! » Et un peu plus tard : « J'ai éprouvé le besoin inopportun, ou au contraire fort bien venu, de croiser et décroiser mes jambes […] J'ai bien vu qu'aussitôt ses joues se sont empourprées, que ses pupilles se sont dilatées, et que sa pomme d'Adam a été saisie d'un va-et-vient de yo-yo. J'ai regretté fugitivement, dans une bouffée de pudeur rétroactive, mon double mouvement de cuisse, et puis je me suis dit que je m'en fichais, même si un léger trouble m'est venu à la pensée qu'il avait dû voir ma culotte blanche parsemée de petits cœurs roses. Enfin, quand je me suis rendu compte que mon jeu de jambes l'avait plongé dans une évidente confusion, j'ai oublié ma propre gêne et, contente de l'effet produit, j'ai même failli récidiver. »
Il n’en fallait pas plus pour troubler l’esprit volage du fragile proviseur.

Si l’on ajoute à cela, les rivalités des proviseurs adjoints dans la gestion des personnels, la répartition des classes ou la préparation des emplois du temps, on obtient un cocktail très détonnant dont tout le monde ne sortira pas indemne ni même vivant.

Suspense et rebondissements, grandes colères et scènes torrides, séduction et jalousie, machiavélisme et fausse pudeur, les chapitres s’enchaînent avec vivacité, dans une alternance de points de vue, vers une fin dont on sait dès les premières pages qu’elle ne sera pas heureuse pour tous.
En cette période où les déplacements sont rationnés, voici une occasion inespérée de passer quelques heures sur une île lointaine où le soleil n’est pas le seul à faire monter la température ambiante. La rentrée est chaude au lycée polyvalent Antonin Artaud de l’archipel français des Allobroges et ce n’est que le début…

Serge Cabrol 
(25/01/21)

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01:06 Écrit par Patryck Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |