AutoGRObiaphie, Pierre Dupuis (31/05/2022)
AutoGRObiaphie, Pierre Dupuis
AutoGRObiaphie, Editions Racine et Icare, juillet 2013, 130 pages, 9,90 €
Ecrivain(s): Pierre Dupuis
L’auteur est-il obèse ? Il l’écrit, tout en déclarant immédiatement qu’il n’en fait jamais mention dans ses écrits…
Je ne parle jamais de mon obésité dans mes nouvelles, pourtant elle est là, partout, larvée, prête à jaillir.
En souffre-t-il ? Il le dit aussi, une fois pour toutes, en avant-propos. Point final ?
C’est ma blessure.
Et voici qu’elle s’expose, cette obésité, qu’elle s’impose, qu’elle explose dans le titre, en gros et en gras.
« autoGRObiaphie »
Ce titre calligramme, au ventre de quoi on ne peut pas ne pas remarquer une énorme boursouflure lexicale, annonce et reflète le caractère original du contenu du livre, où alternent pêle-mêle beaux textes de facture poétique, réflexions sur la création littéraire, considérations sur le genre particulier de la nouvelle, méditation débridée sur l’imagination, affirmations sur la jouissance que procure l’acte d’écriture…
On comprend vite que l’écriture, pour Pierre Dupuis, est une opération de vidage de crâne, d’oubli de soi, comme peut l’être pour le narrateur la marche automatique dans le mouvement mécanique du tapis de course, la drague virtuelle en une navigation sans cap défini sur les sites de rencontre d’internet, l’abandon de soi dans le cours violent d’aventures imaginaires, dans l’espace révolu des rencontres amoureuses du passé, dans les brumes nauséeuses d’un cauchemardesque réveil post-opératoire, dans la mise en scène d’un assassinat « dont l’auteur est l’auteur » ou dans la fiction d’une opération de police dont il est, en tant que tireur d’élite, le héros, dans une introspection à rebrousse-temps sur son complexe de « gros nul » et ses échecs sentimentaux, dans un voyage en un monde parallèle où les créatures humaines sont considérées comme des êtres immondes, puants, qu’on enferme dans des enclos et sur lesquels on se livre à diverses expériences, ou dans un futur apocalyptique où règnent l’anarchie et la loi sauvage du plus fort, dans des trips divers et variés et dans de fulgurantes échappées éthyliques, dans l’exacerbation des degrés de décibels d’une boite de nuit, dans l’écoute sous casque, déconnecté du réel, de grands titres du hard rock, dans les bras de hasard d’une prostituée ou dans les draps adultérins d’une partenaire d’une nuit rencontrée sur une piste de danse, dans la peau d’un personnage qui ne ressent plus aucune douleur physique et qui torture ses victimes pour tenter de retrouver en leurs yeux le souvenir de l’expression de la douleur, dans un retour à Amsterdam où on peut fumer un joint en se laissant charrier par les résurgences d’un initial et inoubliable amour, dans une incursion nostalgique dans le cercle des compositeurs de musiques de films, dans l’étrange lévitation de son esprit hors de son enveloppe charnelle :
JE SUIS MORT…
JE SUIS…
JE…
…
Le désir est sous-jacent, latent, lancinant de se fuir, d’échapper à son image, de se dissocier de ce corps qu’on n’aime pas…
Pierre Dupuis va-t-il jusqu’à se nier même comme auteur en train d’écrire le livre ? Le fait est que l’écrivain, las de se voir encore et toujours dans le miroir de ce qu’il raconte, fait finir un de ses chapitres par une autre voix, par une auteure amie, Leila Rogon, ou insère ailleurs un épisode narré par une seconde amie, écrivaine elle aussi, Carine Roucan, fondatrice des Editions Associatives Racine et Icare, rencontre étonnante dans le fil du récit entre un auteur et l’éditrice du livre qu’il est en train de composer.
La tonalité générale est amère. De temps en temps, pourtant, brille un bel éclair d’optimisme, que le lecteur devra retenir :
« Le chemin sera long, mais je trouverai un autre bonheur ».
Patryck Froissart
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20:28 Écrit par Patryck Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | |