Fragiles serments, Molly Keane (31/05/2022)

Fragiles serments, Molly Keane

Ecrit par Patryck Froissart 09.10.13 dans La Une LivresLes LivresCritiquesIles britanniquesRomanLa Table Ronde

Fragiles serments (Full house), Juin 2013, traduit de l’irlandais par Cécile Arnaud (première édition : 1935), 375 pages, 8,70 €

Ecrivain(s): Molly Keane Edition: La Table Ronde

Fragiles serments, Molly Keane

 

Le roman a pour décor la vaste maison campagnarde de Silverue où vit une famille de grands bourgeois ruraux anglo-irlandais, en vase quasiment clos hormis les rares journées où se reçoivent tour à tour, à l’occasion de sortes de kermesses bucoliques se déroulant dans les jardins qui font leur fierté jalouse, les propriétaires de la région.

La narration est un délice.

L’art de la délicatesse dont fait preuve Molly Keane dans la dénonciation, par petites touches, des tares, du snobisme, des hypocrisies de ce petit monde, place l’auteure un peu dans le même registre que son contemporain Proust. La narration, apparemment innocente, extrêmement pointilleuse des faits et gestes quotidiens de cette société conservatrice, bornée, figée dans le passé, est ponctuée d’épines, de fines flèches acérées, dont les pointes distillent un poison doucement mais efficacement destructeur.

La bâtisse est du style de celles qu’on retrouve chez Poe, chez les sœurs Bronté. Il en émane un relent de décadence, de folie, de décalage par rapport à la réalité.

Silverue, à la beauté étroite et abrupte, aux yeux méchants tournés vers l’intérieur…

Sur Silverue règne Lady Bird, Olivia, la mère, qui, après avoir pendant des années cultivé les amants, se consacre passionnément à l’harmonie florale de son jardin tout en dirigeant despotiquement la maisonnée :

– Julian, son mari, jadis copieusement cocufié, désormais faible et aimant, passionné de héraldique, d’élevage de vaches, de pêche, et de chasse au renard

– Sheena, sa fille, rebelle, amoureuse du jeune voisin Rupert

– Mark, son plus jeune fils, enfant gâté

– John, son fils aîné qui, au moment où commence le récit, rentre d’un séjour non dit dans un hôpital psychiatrique

– Miss Parker, la gouvernante de Mark, barbue, houspillée, méprisée, mal aimée et malheureuse, ridicule et pitoyable

Durant la presque totalité de la période inscrite au roman, une invitée, Eliza, considérée comme une amie de la famille, depuis toujours amoureuse platonique de Julian, partage l’intimité de la famille, devient la maîtresse de John, est le témoin des petites intrigues mesquines, ou, parfois, sordides, dont celle, centrale, qui vise à empêcher Sheena d’épouser Rupert.

Car chez ces gens-là, l’amour qu’éprouvent l’un pour l’autre Sheena et Rupert dérange. Les ragots, les insinuations, les médisances, les jalousies en auront-ils raison ?

« Elle t’a dit que ton arrière-grand-père était fou à lier, que mon grand-père s’était jeté dans le Rhin, que John avait été perturbé récemment, et que si tu m’aimais un tout petit peu, tu ne m’épouserais pas.

– C’est vrai tout ce qu’elle raconte, je le sais. A propos du mauvais sang et de la folie, et du fait que si nous avions un enfant, il aurait de grandes chances de naître foué.

Etroitesse d’esprit, médiocrité, basses méchancetés sont les marques de la plupart des personnages de ce cercle qui se referme implacablement sur ceux qui aspirent à s’en échapper.

Car de chez ces gens-là, on ne s’en va pas, Monsieur, on ne s’en va pas, aurait conclu Brel…

L’auteure, qui elle-même en fit les frais, nous le fait magistralement comprendre.

 

Patryck Froissart

 

 

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