Trois années-lumière, Andrea Canobbio (10/06/2022)

Trois années-lumière, Andrea Canobbio

Ecrit par Patryck Froissart 30.05.15 dans La Une LivresLes LivresCritiquesItalieRomanGallimard

Trois années-lumière (Tre anni luce), janvier 2015, traduit de l’italien par Vincent Raynaud, 429 pages, 26,50 €

Ecrivain(s): Andrea Canobbio Edition: Gallimard

Trois années-lumière, Andrea Canobbio

 

Cécilia, Sylvia, Viberti.

Deux femmes, un homme.

Deux sœurs, un amant.

Deux rivales, un amoureux transi et pusillanime.

Un, deux, trois !

Situation triangulaire classique en littérature, traitée de façon singulièrement intéressante par Andrea Canobbio.

Viberti est médecin, interne dans l’hôpital où Cecilia est elle-même médecin urgentiste. Ils ne se connaissent pas, jusqu’au jour où Viberti s’intéresse au cas clinique d’un jeune garçon anorexique, Mattia, qu’il découvre dans un service de l’hôpital où il passe par hasard.

Viberti, divorcé, sans enfant, n’a jamais quitté l’immeuble où il est né, et dans lequel résident, à des étages différents, sa mère Marta d’une part, son ex-épouse Giulia, remariée, d’autre part. Tous vivent en bonne entente et se rencontrent régulièrement chez la mère, qui présente des symptômes évolutifs de la maladie d’Alzheimer.

Viberti, un homme timide, renfermé, aux horizons restreints, tombe follement amoureux de Cecilia, pour l’amour de qui il sort quelque peu de sa coquille.

Cecilia, divorcée, élève avec une angoisse constante son fils Mattia, et avec une apparente indifférence sa fille Michela. Elle est régulièrement secondée par son ex-mari dans sa conduite de l’éducation de leurs enfants, rendue difficile par l’anorexie chronique de Mattia et le sentiment, qui se développe chez Michela et qui ronge la jeune fille, de n’être pas aimée par sa mère qu’elle accuse de reporter sur Mattia tout son amour maternel.

Sylvia, célibataire, femme libre, entretient de bonnes relations avec sa sœur et ressent beaucoup d’affection pour sa nièce Michela qui voit en elle la confidente idéale à qui elle finit par faire part de sa souffrance de se sentir délaissée.

Cecilia ne parvient pas à définir, ni a fortiori à exprimer, la nature précise des sentiments qu’elle éprouve pour Viberti. Leur relation traîne en longueur, sans fait marquant qui puisse lui donner un sens décisif, bien que, de temps en temps, de façon totalement inattendue et surprenante pour son amoureux terne, une brusque et violente pulsion sexuelle de la part de la jeune femme la pousse à provoquer une union charnelle ponctuelle, sans lendemain.

L’intrigue, longtemps binaire, se triangularise le jour que, dans le café où ces deux personnages à la relation compliquée se rencontrent quotidiennement depuis des années, Cecilia est par hasard accompagnée par sa sœur, que Viberti ne connaissait pas.

Immédiatement Sylvia et Viberti deviennent amants et entament une liaison qui sera aussi passionnelle qu’éphémère et finalement décevante.

La particularité du roman réside dans le fait qu’il se divise en trois parties, intitulées successivement « Un », « Deux », « Trois » (le triangle est ainsi explicitement inscrit dans la structure du texte), chaque partie étant spécifiquement fondée sur la vision interne et la psychologie intime de l’un des trois personnages, à partir du point de vue omniscient du narrateur dans le champ duquel évoluent toutefois parallèlement les autres personnages avec des éléments de leur propre histoire.

Le chapitre Un introduit ainsi le lecteur plus particulièrement dans l’existence quotidienne et dans la vie intérieure de Cecilia, Deux étant davantage consacré à Viberti et Trois à Sylvia. Le procédé permet au lecteur de vivre et de revivre un certain nombre de fragments narratifs du point de vue, successivement, de chacun des trois.

Les relations sont complexes entre ces trois personnages principaux d’une part, entre chacun d’eux et leur propre entourage familial et amical d’autre part. L’observation des caractères est minutieuse, pointilliste, intimiste, et, pour le moins, passionnante.

Le contexte historique et social, contemporain du temps de l’écriture, vu par les yeux critiques des personnages et du narrateur, est réaliste et détaillé, quasi balzacien, fondé sur les questions récurrentes qui animent notre société : la relation entre les parents et les enfants et celle qui se (re)-crée de gré ou de force entre ex-époux, l’incidence du divorce des parents sur le développement des enfants, la psychologie des adolescents, le célibat, les liens inter-générationnels, la maladie d’Alzheimer, la place des personnes âgées, les questions sexuelles…

La thématique de fond, portant sur la problématique de la communication interpersonnelle dans notre monde, amène le lecteur, a posteriori, à s’interroger sur le sens du titre du roman : les trois personnages, tout en se rencontrant et, accessoirement, tout en s’aimant épisodiquement, ne restent-ils pas, en définitive, comme les hommes et les femmes de nos sociétés de plus en plus enfermés dans leurs individualités, à des années-lumière les uns des autres ?

 

Patryck Froissart

 

 

18:15 Écrit par Patryck Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |