Shérazade était toquée, Mona Fajal (10/06/2022)

Shérazade était toquée, Mona Fajal

Ecrit par Patryck Froissart 03.07.15 dans La Une LivresLes LivresCritiquesArtsRécits

Shérazade était toquée, Les Itinéraires Editions Gourmandes, avril 2015, 264 pages, 26,90 €

Ecrivain(s): Mona Fajal

Shérazade était toquée, Mona Fajal

 

Quelle merveilleuse idée !

Quelle belle initiative que de réunir en un même livre 10 villes, 10 histoires dont chacune se déroule dans chacune de ces villes, et 10 recettes qui sont chacune en relation avec chacune de ces villes où se passe chacune de ces histoires… Résumer ainsi la trame de l’ouvrage suffirait déjà presque à provoquer le début d’un tournis de mille et une sensations !

Alors, si on ajoute que ce kaléidoscope a pour décors naturels, pour saveurs traditionnelles, pour assaisonnement culturel toute la richesse et la magie de ce pays incomparable qu’est le Maroc, on fait forcément entrer le lecteur avant même qu’il ait soulevé, déjà tout alléché, le couvercle du livre, dans mille et un enchantements, d’où le titre du livre, qui en soi est d’emblée porteur d’un savant et savoureux tajine sémantique d’images et de références intertextuelles épicées d’un humour subtil.

Ce beau livre (car en plus il est beau, aussi beau que peut l’être l’aspect d’un couscous du bled décoré de ses légumes, pois chiches et raisins secs, aussi beau que peut l’être le tajine le plus quotidien, dont l’esthétique visuelle est, toujours, tout aussi soignée et réussie chez le pauvre et chez le riche, chez le citadin et chez le jbali, préparé dans la cuisine ultramoderne du bourgeois et sur le kanoun rustique du fellah), ce beau livre ne peut qu’attiser, que raviver s’il en était besoin l’amour indéfectible que porte en son cœur immanquablement celui ou celle qui connaît le Maroc hospitalier et convivial, et ne peut que faire naître, chez ceux qui ne le connaîtraient pas, la salivation, l’envie, le goût, la gourmandise de partir en découvrir au plus vite l’immense variété des souks, des mets, et des mille et un ingrédients culturels.

L’auteure a su ouvrir largement l’éventail des genres narratifs, du conte merveilleux au récit réaliste. Les textes ici crépitent de plats qui mijotent sur le brasero.

L’auteure a su également couvrir, d’un bord à l’autre, sa palette des cités présentées en nous faisant voyager de la plus grande, de la plus occidentalisée, Casablanca, à la moins connue mais non la moins culturellement intense, Sfassif, en passant par la plus visitée, par la plus prisée des opérateurs touristiques internationaux, Marrakech. Les villes ici bouillonnent et exhalent les mille et une odeurs de leurs rues, de leurs quartiers, de leurs souks et de leurs étals.

L’auteure a su aussi opérer un choix représentatif de la grande cuisine marocaine en invitant son lecteur à déguster tout autant l’humble et néanmoins succulent baghrir des petits déjeuners ou des goûters traditionnels qu’à savourer la délicieuse pastilla aux pigeons des repas festifs. On est forcé d’imaginer que la sélection n’a pas dû être facile, quand on sait que dix recettes extraites du fonds culinaire du pays ne représentent qu’un infime échantillon de l’incommensurable variété des plats marocains qui constituent la plus riche et la plus goûteuse des cuisines du monde.

Les plats ici fument et fleurent leurs mille et uns parfums.

Si Shérazade était toquée, Mona Fajal porte elle-même haut la toque. Il faut préciser qu’elle ne se contente pas d’une cuisine littéraire qui, en elle-même, met irrésistiblement l’eau à la bouche ! En effet, Mona Fajal vit ce qu’elle écrit et le fait partager autrement non plus seulement visuellement par le canal de la langue écrite et des photos, mais aussi par celui de la langue physique, organique, gustativement et olfactivement, dans le restaurant où elle réinvente sans cesse chaque recette et fait vivre à ses visiteurs ses histoires de tajines, de couscous et d’autres pastillas.

Le lecteur qui parcourt l’ouvrage en sort tout aussi toqué que paraît l’être Shérazade dans l’un des sens du titre : il en sort en effet tout toqué du Maroc, s’il ne l’était déjà.

On parle souvent banalement, dans le texte d’une critique littéraire ordinaire, de « savourer » tel roman, de « déguster » telle histoire, de « goûter » tel style… Ces verbes retrouvent tout leur sens dans ce livre qui met ensemble et simultanément en éveil imaginatif les sens du goût avec ceux de l’odorat, de l’ouïe, et même du toucher au contact du luxueux papier glacé de chacune des pages qu’on tourne…

A lire sans modération, surtout !

 

Patryck Froissart

 

 

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