Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart) (21/12/2022)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 31.03.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Roman

Paula ou personne, Patrick Lapeyre, janvier 2022, 411 pages, 22 €

Edition: Folio (Gallimard)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

 

Paula ou personne est une histoire d’amour.

A priori, ce thème n’a rien d’original.

Jean Cosmo et Paula se rencontrent parmi les nombreux invités d’un mariage. Jean prend d’abord Paula pour sa sœur Alicia, un « amour d’enfance » datant d’une époque où les deux familles étaient voisines.

Jean est postier, préposé au tri de nuit, depuis qu’il a abandonné ses études de lettres. Paula est l’épouse d’un riche Allemand, souvent absent de Paris pour des raisons professionnelles. Jean est athée, anarchiste, chevelu. Paula est croyante, catholique, elle enseigne l’allemand dans une institution privée et donne par ailleurs des cours de catéchèse pour meubler sa solitude et l’ennui qui pèse sur une vie conjugale uniforme et un environnement social sans relief.

Les deux personnages sympathisent, se revoient de temps en temps, puis plus régulièrement, ici et là dans Paris. Promenades en les rues, dans les parcs, rendez-vous dans tel café, dans tel salon de thé, dans tel restaurant. Le rythme est paisible. L’intrigue se noue, lentement, camarade, amicale, faite de conversations de plus en plus confiantes, d’échanges de plus en plus intimes, de tentatives de reconstitution des souvenirs d’enfance, du vécu commun des années collège et lycée, sur le parcours respectif des protagonistes depuis qu’ils se sont perdus de vue, sur les goûts et les couleurs de chacun dans la vie quotidienne actuelle.

L’auteur retient le cours du temps, maîtrise la transformation progressive de l’amitié en affection, puis en une liaison amoureuse qui reste platonique jusqu’au jour où, l’attraction physique croissant, Jean manifestant, timidement mais récurremment, son envie d’une fusion plus charnelle, Paula lui révèle qu’elle possède près de son lieu de travail un studio qu’elle occupe périodiquement lorsque son époux est en déplacement.

Ils deviennent amants, se voient de plus en plus souvent, en ce nid caché et, bientôt, lors de courts séjours en province en divers endroits, à l’insu de tous.

La majeure partie du texte est faite, entre les scènes d’amour charnel écrites avec une relative retenue, de dialogues dans lesquels s’insèrent des échanges philosophico-politiques centrés de plus en plus souvent, à mesure que la liaison évolue, singulièrement sur la pensée d’Heidegger, sur sa posture (ou son imposture) historique, sur la mesure de son implication face à la montée puis à l’installation institutionnelle du nazisme.

Parallèlement, s’intercalent des épisodes de la vie professionnelle du postier. L’auteur anime de manière réaliste des réunions syndicales agitées au cours desquelles s’expriment les contradictions militantes, les relations hiérarchiques, les compromissions entre direction et certains syndicalistes, l’ensemble étant vu et vécu avec une distanciation affirmée par Jean qui, tout en ayant mais en taisant son opinion,  le considère comme une sorte de comédie dénuée de sens, comme sont pour lui sans grande importance les convocations dans le bureau d’une directrice autoritariste qui n’apprécie guère sa désinvolture, comme sont aussi pour lui sans grand intérêt les rares moments de convivialité qu’il accepte de partager hors de son lieu de travail avec quelques collègues dont on découvre le mal de vivre spécifique, comme lui sont encore indifférentes les lestes avances d’une collègue de travail mythomane, voire nymphomane.

Ces situations étoffent le caractère de Cosmo, qui apparaît de plus en plus comme un personnage désabusé, ne croyant à rien, ne désirant rien, ne s’engageant en rien sauf, et c’est ce qui crée la tension romanesque, en cette relation unique avec Paula, Paula ou personne, relation dont il pressent toutefois très tôt le devenir.

Quant à Paula, son portrait se précise également tout au long des conversations du couple à propos d’Heidegger, à propos du manque d’ambition qu’elle reproche, quelque peu maternellement, à son amant, à propos de ce qu’elle lui dévoile de sa vie maritale, et à propos du dilemme qui la travaille de plus en plus crucialement, reposant sur la contradiction entre d’un côté sa morale catholique, la bienséance civile fondée sur son statut de femme mariée, la fidélité et la loyauté qu’elle estime devoir à un mari qui l’aime et qui lui offre le confort matériel dont elle a besoin, et de l’autre côté l’amour qu’elle éprouve sincèrement pour Jean et les séances récurrentes de galipettes sexuelles lors de leurs cinq-à-sept parisiens puis d’escapades de quelques jours en des lieux de plus en plus éloignés qu’elle choisit elle-même et dont elle assure la programmation.

Deux personnages somme toute attachants, aux portraits intimes bien brossés par un narrateur omniscient, une atmosphère qui évolue lentement de l’amitié à l’amour puis à la passion dévorante puis, la liaison ayant atteint son pic amoureux, qui se fait douce-amère et se dégrade avec un retour progressif à une sorte de lucidité face à ce qui est vu comme étant la réalité, et, que le lecteur le déplore ou s’en satisfasse, à la norme et aux convenances que véhicule foncièrement Paula.

Ce qui amènera assurément le lecteur à une mise en parallèle avec des romans qui lui sont familiers, en particulier des œuvres du XIXe siècle, bien que les contextes narratifs socio-culturels soient différents et que les gestes d’amour soient ici bien plus explicites.

 

Patryck Froissart

 

Patrick Lapeyre, né en juin 1949 à Paris, est auteur de huit romans, tous publiés aux Éditions POL. L’Homme-sœur a obtenu le Prix du Livre Inter, en 2004. La vie est brève et le désir sans fin a obtenu le prix Femina en 2010.

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A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

16:59 Écrit par Patryck Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |