31/05/2022
Le bar du caïman noir, Denis Humbert
Le bar du caïman noir, Denis Humbert
Le bar du caïman noir, juin 2013, 280 pages, 19 €
Ecrivain(s): Denis Humbert Edition: Presses de la Cité
« Regina », voilà un bien beau nom pour un hameau sordide, perdu au bord du fleuve, quelque part en Guyane.
« Une église, une mairie-école et quelques cases créoles… », et l’épicerie Gomès devant laquelle des hommes venus des alentours se retrouvent chaque matin, boivent et échangent les nouvelles.
Plus loin, à l’écart de tout, le bar du Caïman noir, autre nœud de rencontres, louche, interlope celui-là, lieu de plaisirs tristes, où, le soir surtout, ça danse, ça se soûle, ça se bat parfois, où quelques amérindiennes en voie d’acculturation viennent monnayer leurs charmes, où se croisent orpailleurs clandestins, fonctionnaires métropolitains impatients d’être affectés ailleurs, aventuriers au passé trouble, épaves au passé occulte qui ont choisi d’échouer dans ce trou vaseux pour se faire oublier.
Voilà pour le décor, baignant dans la moiteur, la pluie, la boue et le mal être.
Les personnages ?
Le docteur Cherpentier, l’idéaliste, qui a fui la société du profit et sa famille bourgeoise de métropole.« Lorsqu’il est arrivé au dispensaire de Saint-Georges, il avait encore des illusions. Il pensait que les mondes lointains et laissés pour compte avaient besoin de lui… ».
Frantz, le métis, que révolte la misère, matérielle et morale, et le fatalisme dans lesquels sont plongés et maintenus ses frères amérindiens par les colonisateurs cupides.
« Cela le rend fou de voir ses oncles et ses cousins prostrés des journées entières… Plus aucune étincelle dans leurs yeux… A les en croire, c’était écrit depuis le premier jour où le premier blanc apporta avec lui les maladies, la frénésie de la conquête et le goût fiévreux pour le métal jaune… ».
Hoffman, ancien homme d’affaires, qui a fui la justice, a changé de vie et se terre là sous le nom de Thomas Lefebvre, après avoir racheté Le Caïman Noir.
« Dans sa vie antérieure il ne se promenait pas pieds nus et le bide à l’air, seulement vêtu d’un short bleu orné de grandes fleurs blanches… Dans sa vie antérieure il portait des costumes sur mesure, laine d’Ecosse l’hiver et alpaga l’été… ».
Sofia, la clandestine, la prostituée brésilienne, qui rêve de trouver le filon qui lui permettra de rechercher sa petite sœur et de lui offrir une vie digne :
« Aujourd’hui, elle pense à la petite, comme elle y pense tous les jours. Elle fera tout pour qu’elle ne finisse pas comme elle, elle en a fait le serment ».
Loin de là, en France métropolitaine, Alia, la beurette, universitaire, chercheuse passionnée sur « le parasitisme chez l’insecte », et son ami Simon, l’informaticien, vivent leur propre roman, jusqu’au jour où Alia annonce son projet de poursuivre ses recherches in situ, dans la jungle guyanaise.
L’auteur anime tour à tour chacun de ces personnages, autour de qui gravitent des rôles secondaires. La majeure partie de l’action a pour décor la forêt et ses pièges. En arrière-scène, les bandes mafieuses des orpailleurs sont omniprésentes.
L’intrigue est savamment bâtie sur un suspens chronologique, chaque titre de chapitre marquant un repère temporel par rapport à un évènement, pressenti comme dramatique, dont le déroulement n’est dévoilé qu’à la fin du livre, et qui aura des conséquences tragiques pour chacun :
Chapitre 1 : Le lendemain du jour où c’est arrivé
Chapitre 2 : Un an avant le jour où c’est arrivé
et cetera.
Le dépaysement et l’attente du dénouement ne peuvent manquer d’accaparer l’intérêt du lecteur, entraîné, comme le sont les pirogues dans le courant de ce fleuve qui charrie toutes les boues, dans le flot trouble de ce sombre roman.
Patryck Froissart
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16:25 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | |
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