09/12/2022

La mangeuse de guêpes, Anita Nair (par Patryck Froissart)

La mangeuse de guêpes, Anita Nair (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 29.05.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesAlbin MichelRoman

La mangeuse de guêpes (Eating wasps), Anita Nair, février 2020, trad. anglais (Inde) Patricia Barbe-Girault, 343 pages, 20,90 €

Edition: Albin Michel

La mangeuse de guêpes, Anita Nair (par Patryck Froissart)

 

« C’est mon petit doigt qui me l’a dit ! »

La romancière Anita Nair connaît-elle cette expression bien française ? La formule possède-t-elle son équivalent en Inde ?

Quoi qu’il en soit, voilà un roman dont la narratrice est, singulièrement, la phalange d’un doigt, précieusement recueillie, après le suicide de sa « propriétaire » et son incinération, par l’amant dont le lâche comportement a, au premier chef parmi d’autres raisons, conduit la jeune femme, Sreelakshmi, professeure, écrivaine, à se donner la mort à la date précise du 25 octobre 1965.

Cinquante ans plus tard, dans un sombre recoin d’un hôtel du Kerala portant l’enseigne Near the Nila parce que situé au bord de la rivière du même nom, l’os est retrouvé au fond d’une vieille armoire pourrissante, par Urvashi, une femme harcelée venue s’y réfugier.

Le petit doigt qui parle entame dans le cadre de l’hôtel un itinéraire cursif et narratif, passant de main en main, ramassé, abandonné, manipulé, rejeté, repris, de façon aléatoire, successive et éphémère, par des femmes, employées de l’hôtel ou hôtesses de passage, dont il raconte entre chaque transmission les histoires personnelles et le parcours particulier qui les a amenées à vivre, à travailler ou à effectuer un séjour en ce lieu à la fois clos, isolé et fréquenté.

Tout au cours de son circuit, l’os ainsi touché, pris et laissé ici et là au hasard des déambulations de ces femmes, tourne et circule et peut se retrouver à nouveau dans la main, la poche, la vision ou la simple proximité de celle dont il avait commencé à retracer le destin en un récit interrompu par le déplacement imprévisible, soit de ladite protagoniste, soit du minuscule narrateur à qui ni l’une ni l’autre n’accorde d’attention et qui peut être ramassé sur une table, balancé ici, déposé négligemment là.

Les histoires individuelles s’entre-tricotent donc l’une après l’autre et l’une en l’autre en pans plus ou moins longs. Ce procédé narratif d’entrecroisements et de ruptures en cascade n’est pas totalement original mais est ici maîtrisé et structuré de façon telle qu’il contraint le lecteur à une saine gymnastique de mémorisation et de réorganisation des séquences tout en entretenant son désir de connaître la suite, voire la fin, de chacune des vies mouvementées, souvent tragiques dont la trame lui est ainsi déroulée.

L’histoire cadre, celle de Sreelakshmi, à qui a appartenu la phalange, est la seule à être écrite à la première personne. Par « la parole de l’os », c’est la destinée dramatique d’une femme indienne qui est racontée, une enseignante qui refuse l’un après l’autre au grand dam de sa mère les multiples mariages arrangés par sa famille, qui revendique son indépendance en décidant d’habiter seule et qui provoque la colère des conservateurs et des traditionnalistes en se mettant à publier des romans réalistes mettant en évidence et en question le machisme social de rigueur qui n’admet qu’une femme écrive que si elle se cantonne aux contes pour enfants.

Parallèlement à l’histoire d’Urvashi traquée par un amant avec qui elle a eu une liaison passagère et qui n’accepte pas qu’elle ait mis fin à l’aventure, se déroule celle de Najma, dont la vie, la vocation professionnelle et la chair ont été saccagées par un homme qui s’est vengé sur elle d’une façon atroce pour le simple fait que sa demande en mariage n’a pas été agréée, et qui en est réduite à faire le ménage à l’hôtel Near the Nila tout en mûrissant et préparant en compagnie du lecteur sa propre vengeance.

L’âme errante de Sreelakshmi rapporte aussi :

– la sombre, trouble, et horrifiante relation de deux autres pensionnaires, Thomasina et Molly, deux sœurs dont l’une prétend être devenue volontairement aveugle lorsqu’elle a cru découvrir que l’autre avait une relation amoureuse avec son mari. Le récit est équivoque à un point tel que le lecteur se demande laquelle des deux est folle, et quel est le fin mot de l’histoire ;

– la triste, émouvante, misérable histoire de Maya, « mère courage », et de son fils Naveen, handicapé mental et physique, dont la situation soulève la question de l’euthanasie ;

– celle de Liliana, qui, piégée lors d’un séjour en Italie sur les réseaux sociaux qui l’ont surnommée Bouche de Salope, tente en vain de retrouver l’anonymat et d’échapper à l’opprobre en revenant se perdre dans son Kerala natal, qui fuit éperdument l’image faite ainsi d’elle et qui ne retrouve sa fierté et le courage de renaître socialement que par une décision inattendue et absolument paradoxale.

D’autres existences encore se croisent ainsi au bord de la Nila, d’autres tranches de vie sont évoquées par l’âme de Sreelakshmi qui est condamnée à errer entre le monde des vivants et celui des morts tant que ses restes n’auront pas été réunis dans leur intégralité.

Le petit doigt aura sans nul doute, avant que se produise cette recomposition, bien d’autres histoires à raconter.

Mais il faut bien savoir finir un livre ! Les récits s’arrêtent au moment où le propriétaire de l’hôtel, poursuivant son programme de restauration des lieux, vend l’armoire antique où la phalange a été redéposée par l’un des protagonistes.

Retrouvera-t-on cet os narrateur dans un autre ouvrage d’Anita Nair ?

Toutes les histoires ici narrées ont un point commun : Anita Nair y met en lumière le douloureux, insupportable état de la condition féminine qui, dans un pays contradictoirement partagé entre modernité technique galopante et poids des traditions, des conventions, des préjugés, semble ne pas devoir significativement évoluer. Cette contradiction, cette fatalité, cette calamité, l’auteure les vit, les exprime par la relation dramatique des obstacles qui se dressent au travers du chemin de son double : le personnage de Sreelakshmi.

Un roman passionnant, remarquablement servi par l’élégance de sa traduction.

 

Patryck Froissart

 

Originaire du sud de l’Inde, Anita Nair passe son enfance à Madras. Elle voyage ensuite en Angleterre et aux États-Unis avant de s’installer à Bangalore. Depuis Compartiment pour dames, traduit en 29 langues, elle s’est imposée comme un des auteurs phares de la littérature indienne.

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Noces de sang, Federico García Lorca (par Patryck Froissart)

Noces de sang, Federico García Lorca (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 04.06.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesEspagneFolio (Gallimard)Théâtre

Noces de sang (Bodas de sangre), février 2020 trad. espagnol Albert Bensoussan, 264 pages, 8 €

Ecrivain(s): Federico Garcia Lorca Edition: Folio (Gallimard)

Noces de sang, Federico García Lorca (par Patryck Froissart)

 

Cette œuvre a déjà été tellement commentée, analysée, disséquée, critiquée, étudiée, annotée, glosée en long, en large, en diagonale, qu’il serait fort présomptueux d’essayer d’en rajouter en espérant en dire ce qui n’a pas déjà été écrit. On se contentera de rappeler l’intrigue. Elle est simple. Elle se déroule dans la campagne, quelque part en Andalousie.

Il y a le fiancé et la fiancée (ils n’ont pas d’autre nom dans la pièce). Le fiancé est le cadet des deux fils de « la mère ». L’aîné et le père ont été tués lors de querelles claniques par des membres de la famille Felix.

On assiste à la rencontre entre la mère (veuve) du fiancé et le père (veuf) de la fiancée, rencontre qui a pour objet la présentation de la fiancée, l’échange de consentements et les arrangements du mariage à venir. On note le rôle important que joue la servante, qui semble tenir lieu de mère à la fiancée.

On a appris que la fiancée a failli épouser, quelque temps avant, Leonardo, un membre du clan des Felix. L’union n’a pu se faire à cause du manque de biens de Leonardo, qui, depuis, s’est marié avec la propre cousine de la fiancée mais qui vient régulièrement rôder à cheval, la nuit, aux alentours de la maison de ladite fiancée.

On est convié par la suite à assister aux noces, auxquelles sont invités Leonardo et son épouse, qui est de la famille.

Advient ce qui devait fatalement arriver : vers la fin des festivités, la fiancée s’enfuit avec Leonardo, qu’elle n’a jamais cessé d’aimer et qui est toujours passionnément épris d’elle.

Scandale, forcément scandale !

Une chasse au couple immoral s’organise.

Le spectateur lecteur est témoin de l’ultime scène, ayant pour décor le fond des bois, entre les amants maudits.

Et à nouveau le sang coule, inexorablement, et le dénouement endeuille les deux familles ennemies : le fiancé et Leonardo s’entre-tuent à coups de lames. La tension dramatique est palpable dès le début, dès la première scène : le futur fiancé se préparant à partir aux champs en tenant en main un couteau avec lequel il va tailler ses ceps, la mère, saisie à la fois par le souvenir douloureux des meurtres de son mari et de son fils et par une angoisse prémonitoire à la vue de l’instrument, le supplie de rester à la maison.

Cette tension s’amplifie ensuite jusqu’au dénouement, nourrie par les fragments narratifs du passé et par les événements du présent dévoilés graduellement au lecteur dans le flux des dialogues. Parallèlement croît la tension poétique du langage, depuis le quasi-prosaïsme de la scène première, qui détaille les travaux agricoles communs auxquels se prépare le fiancé, jusqu’aux scènes de plus en plus empreintes d’étrangeté, voire de fantastique, qui se déroulent dans l’obscurité de la forêt, avec l’entrée en scène théâtrale de la Lune, de la Mort déguisée en mendiante, de bûcherons ténébreux.

Les dialogues de plus en plus délirants et désespérés des amants, le monologue de la Lune, les répliques implacables de la Mort, sont d’une poésie envoûtante, d’un lyrisme poignant, d’une impressivité irrésistible.

 

La Fiancée :

Ces mains, qui sont à toi,

Mais qui en te voyant voudraient

Briser les branches bleues

Et le murmure de tes veines.

Je t’aime ! Je t’aime ! Ecarte-toi !

Si je pouvais te tuer,

Je te mettrais dans un linceul

Aux tranchants de violettes.

Ah, quelle plainte, quel feu

Me montent à la tête !

 

Une lecture de pure et pleine jouissance.

 

Patryck Froissart

 

Federico Garcia Lorca est un poète et dramaturge espagnol, également prosateur, peintre, pianiste et compositeur, né le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros près de grenade et exécuté sommairement le 19 août 1936 entre Viznar et Alfacar par les milices franquistes.

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A propos de l'écrivain

Federico Garcia Lorca

Federico Garcia Lorca

 

Federico García Lorca est un poète et dramaturge espagnol, également peintre, pianiste et compositeur, né le 5 juin 1898 à Fuente Vaquerosprès de Grenade et mort le 19 août 1936 à Víznar. Il est l'un des membres de la génération de 27.

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Eden Zone, Christine Spianti (par Patryck Froissart)

Eden Zone, Christine Spianti (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 11.06.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanEditions Maurice Nadeau

Eden Zone, Christine Spianti, 157 pages, 14,94 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Eden Zone, Christine Spianti (par Patryck Froissart)

 

Voici une histoire courante, ou cursive, au sens littéral de ces deux termes, à savoir une histoire qui court, une histoire rapide, non pas un récit résultant d’une écriture banale, sans relief, précipitée, superficielle, facile, mais un texte qui entraîne le lecteur dans une course haletante, trépidante, dans la cavale sur les chapeaux de roues de Lora, dite Lora Logic en référence à la célèbre chanteuse de punk et saxophoniste du même nom, Lora l’errante qui aspire elle-même la narratrice dans le sillage de son parcours effréné.

Tout commence à Paris, une nuit. La narratrice, une jeune femme dont on apprendra plus tard que, surendettée et ne parvenant plus à rembourser un gros emprunt, elle s’est retrouvée à la rue, marche au hasard quand, soudain, devant elle :

« On voyait qu’elle. Y’avait qu’elle, ça aide. Il fait bien nuit, la ville est déserte et cette fille, au plein milieu du chemin, prend toute la lumière. Moi juste sortie du parking souterrain, toute droite sur le trottoir ».

Alors, après, ça court, ça court et ça rit, car Lora court et rit, quelles que soient les circonstances.

Les deux filles, agressées, traquées, tantôt par la police, tantôt par des voyous eux aussi en errance, tantôt par le tout-puissant lobby du crédit, ne s’arrêteront plus, sauf en une courte parenthèse, dans le cadre kafkaïen de laquelle, contraintes par la société de crédit de travailler, sans salaire jusqu’à remboursement de leur dette, dans Eden Zone, une entreprise cauchemardesque et concentrationnaire de ventes par téléphone, elles sèmeront la pagaille et d’où elles s’échapperont après avoir « neutralisé » le Simpson, leur gardien.

Leur trajectoire délirante est racontée dans une langue rock, rauque, au rythme et au style complétement dingues, portée par une expression punk qui court, elle aussi, aussi vite et de façon aussi erratique que les deux héroïnes, lesquelles ramassent et emportent au hasard de leur cavalcade des personnages tout aussi décalés, marginaux, débridés, hallucinés et hallucinants, qui les abandonnent ou qu’elles laissent tomber ici et là, comme autant de fantômes apparaissant et disparaissant dans le flux impétueux d’un rêve à cascades.

Les phrases sont syncopées, tronquées, partielles, sciemment agrammaticales. Le langage, censé être emprunté à un idiome populaire, est en réalité la langue originale de l’auteure, un français réinventé à chaque ligne, d’une richesse, d’une expressivité, d’une poésie et d’une puissance antisociale, mieux, antisociétale, absolument époustouflantes.

Bref, ça se termine en Grèce, au bord de la mer, après un transit au milieu des réfugiés de toutes origines.

« Je cours plus vite que tout, et je tourne en continuant de marcher en arrière : Lora devant moi en sneakers gazelle, cahin-caha sur le sable et les galets, tordant ses chevilles, à se dessaper sans s’arrêter de marcher, et le visage diaprait sous le pull, jeté derrière elle, et le tee-shirt.

– Ah, si les mecs étaient là !…

Juste en équilibre, arrêtée, pour défaire les gazelle (sic) et le fut’. Sur son petit sein gauche le tatouage de jeune panthère. Son ventre solide, le piercing au nombril. Elle se colle devant la mer et murmure :

– C’est des larmes, t’as vu toutes ces larmes… ».

Ces dernières phrases semblent marquer l’arrêt, l’aboutissement de ce « cauchemar psychomoteur ».

Lora et son ombre ont-elles atteint le point de non-retour ?

« Elle court à la flotte en criant. Je vais pour la suivre, elle jaillit de l’eau, se hisse debout sur un rocher, toute blanche et le ventre battant sur son souffle rapide, son rire monte de la mer, Lora Logic, sous étoiles fixes ».

Tableau rappelant la naissance de Vénus : faut-il y voir la vraie naissance, enfin, de Lora ?

 

Patryck Froissart

 

Christine Spianti, née en 1961, a publié son premier roman, Comme ils vivent, chez Maurice Nadeau, en 1998. Eden Zone, chez Maurice Nadeau également, est son second roman.

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau

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Les 3 noms d’Esther, Isabelle Fiemeyer (par Patryck Froissart)

Les 3 noms d’Esther, Isabelle Fiemeyer (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 27.08.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanEditions Maurice Nadeau

Les 3 noms d’Esther, Isabelle Fiemeyer, 120 pages, 16 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Les 3 noms d’Esther, Isabelle Fiemeyer (par Patryck Froissart)

Le long monologue post mortem, dégoulinant de souffrance et de haine de soi, des autres et du monde, émis par une jeune femme qui raconte à la première personne son douloureux parcours existentiel depuis sa naissance non désirée par sa mère jusqu’à son internement en asile d’aliénés à la demande expresse de sa famille. Dépassant le classique dédoublement de personnalité, Gudrun, la narratrice, se « détriple » en Blandine d’une part, en Esther d’autre part.

Gudrun, Esther, Blandine sont les trois prénoms reçus à la naissance, trois noms que la narratrice va incarner à tour de rôle, littéralement, chacune jouant son propre rôle singulier dans le cours chaotique d’une existence tri-personnelle, et dans la profusion en apparence incohérente d’un poignant discours narratif.

Les parents de Gudrun Kortekamp et de son frère Friedrich, propriétaires terriens allemands, au lendemain de la première guerre mondiale quittent leur pays par crainte de l’instauration du socialisme avec l’espoir de trouver meilleure fortune aux Etats-Unis où ils rachètent des terres. Lorsque le nazisme s’installe au pouvoir, enthousiasmés par la perspective du triomphe universel du troisième Reich millénaire, ils rentrent, reprennent leur ancienne propriété, et manifestent ouvertement leur adhésion à la montée totalitaire et génocidaire du pangermanisme.

Avant et pendant l’exode initial sont mort-nées deux filles alors que les Kortekamp espéraient un fils, puis est venu enfin en Amérique l’enfant mâle tant désiré, Friedrich, sur qui repose la pesante certitude de la perpétuation du nom et du domaine. Gudrun naît deux années plus tard, alors qu’on souhaitait avoir un deuxième garçon.

La réimplantation des Kortekamp en Allemagne est vécue douloureusement par les deux enfants, qui, nés américains, ne parlant pas l’allemand, ressentent comme un déracinement cette installation forcée dans un pays où ils se considèrent et sont considérés comme étrangers. Est-ce cette blessure d’un exil les rendant « différents » de leur entourage qui génère entre le frère et la sœur, renfermés dans leur bulle d’étrangeté, une intimité et des sentiments dépassant les limites conventionnelles de l’affection fraternelle ?

Le jeu narratif situe subtilement Esther par rapport à Gudrun tantôt comme personne extérieure, comme personnage de récit mis à distance par l’usage de la troisième personne, tantôt comme interlocutrice directe, comme si le monologue était interrompu, sans avertissement, par un soudain dialogue in praesentia avec l’emploi de la deuxième personne (tu, toi). Ces passages récurrents du récit au faux dialogue, toujours impromptus, abrupts, dans le flux continu de ce qui reste néanmoins un soliloque, expriment de façon saisissante la dépersonnalisation, dans laquelle vient s’interposer, toujours inopinément, la tierce Blandine, en personnage pivot ou en figure d’opposition.

Le procédé littéraire est par ailleurs repris de manière similaire, par brusques changements de personne verbale, lorsque la narratrice à tel endroit s’adresse directement à Friedrich, à la mère, et au père, et à tel autre les met en distanciation et les « raconte ». Cette effusion ininterrompue de la parole narrative, caractéristique de certaines pathologies mentales, rendue sciemment, magistralement par Isabelle Fiemeyer, correspond bien à ce qu’en dit Emmanuel Mounier dans son Traité du caractère (Le Seuil, 1946) : On a bien nommé « fuite des idées » cette diversion perpétuelle du flux psychique, et logorrhée l’écoulement désordonné et entrecoupé des paroles qui l’accompagnent.

La symbolique des trois prénoms est intéressante. Blandine la martyre chrétienne que ses juges ont arrêtée sous accusation initiale d’inceste, Esther, la Juive, la déportée à Babylone, l’astre qui brille dans la nuit, Gudrun, la sorcellerie au service du combat, avec la connotation jaillissant de la proximité phonique du français « goudron » : les trois noms évoquent la lutte générale de la lumière contre les ténèbres enveloppant la période trouble du nazisme et de la Shoah, sous le signe particulier d’une malédiction familiale se transmettant de génération en génération et se traduisant par la récurrence de la mort violente du fils aîné en pleine adolescence.

Ce qui, en définitive, ressort le plus est l’exécration que porte Esther-Blandine-Gudrun à ses géniteurs, et, à travers eux, à cette catégorie d’Allemands complices consentants, qu’ils fussent passifs ou acteurs de l’horrible entreprise criminelle hitlérienne, se présentant comme bons parents, bons citoyens, bons patriotes, et bons chrétiens :

« Chrétiens, parlons-en, vous qui n’avez jamais rien compris à l’amour vrai, à la compassion vraie, vous qui avez permis tout ce désastre, qui nous avez appelées Esther et Blandine, Blandine et Esther, sororités affreuses, comme si les deux noms étaient interchangeables, mais de qui vous moquez-vous, Esther pour vous sauver tous, Blandine pour en mourir, toutes les deux victimes, toutes les deux prêtes à souffrir, et c’est ça que vous vouliez, notre souffrance pour conjurer le sort, pour votre salut à tous, Esther la Juive et Blandine la Catholique, comme s’il n’y avait plus de différence, alors que vous vomissiez les Juifs comme tant d’autres catholiques, mais je vous vomis plus encore ».

Bouleversant, absolument.

 

Patryck Froissart

 

Née en 1964, journaliste, critique pendant treize ans pour le magazine LIRE, Isabelle Fiemeyer est l’auteur d’une biographie de Coco Chanel intitulée Coco Chanel, un parfum de mystère (Pavot, 1999), de Marcel Griaule, citoyen dogon (Actes Sud, 2004) et d’un roman, Les trois noms d’Esther (Maurice Nadeau, 2008).

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Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen (par Patryck Froissart)

Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart le 03.09.20 dans La Une CEDLes ChroniquesLes Livres

Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen, éd. Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles, 19 juin 2020, Ill. Jean-Pierre Delapré, 300 pages, 25 €

Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen (par Patryck Froissart)

Le troisième volume des Ecrits de Nature d’Alexis Gloaguen vient de reparaître, republié par les Editions Maurice Nadeau-Les Lettres Nouvelles. Nous voilà mis en présence d’une œuvre singulière, celle d’un auteur découvert et promu en son temps par Maurice Nadeau, dont le fils, Gilles, actuel directeur de cette riche maison d’édition indépendante, a entrepris fort opportunément la réédition, une œuvre qu’on pourrait qualifier, par son écriture, son genre et sa thématique, de littérairement inclassable, mais à propos de laquelle il ne serait pas totalement farfelu d’inventer le terme contraire de « polyclassable ».

Et corollairement, de son contenu, par l’intérêt qu’il doit éveiller dès les premières pages chez tout lecteur, chez toute lectrice à l’esprit normalement épris de découverte, par ce qu’il peut lui apporter d’enrichissement, on dira légitimement qu’il est polyvalent.

Dans ce tiers livre, l’auteur emmène ses lecteurs dans les régions froides, a priori peu hospitalières, de l’Atlantique Nord, précisément à Saint-Pierre et Miquelon, à Terre-Neuve et dans le Labrador.

Alexis Gloaguen est un grand voyageur, observateur infatigable et éperdument amoureux de la nature devant laquelle il est en perpétuel émerveillement, dont il tente, mû par une curiosité insatiable, de percer les moindres secrets, d’analyser les plus occultes fonctions et les fonctionnements les plus discrets.

Alexis Gloaguen est un homme de savoir, un biologiste, un naturaliste, un géologue pourvu d’une somme impressionnante de connaissances, qu’il aime, c’est évident, partager tout en essayant de communiquer la grandeur, la beauté, la majesté de ce qu’il voit, de ce qu’il observe, de ce qu’il scrute, de ce qu’il découvre : oiseaux, mammifères, animaux marins, flore, paysages, formations minérales, atmosphères naturelles, spectacles diurnes et nocturnes du soleil, de la lune, des étoiles.

Les lichens se développent en auréoles. Les plus jeunes sont des disques pleins, les plus anciens se propagent en couronnes et laissent en leur milieu une agora retournée au roc. La densité des tissus est toujours nette sur les pourtours : là poussent de petits grappins allant se coller sur la pierre. Leur galaxie fuit son propre centre et se désarticule en arcs, restes d’un empire vert ou couleur de soleil.

Ainsi certaines villes se dépeuplent au cœur et répandent leurs quartiers vers la périphérie.

Ainsi une œuvre s’étend-elle par les marges, par ce qui n’a pas encore été dit et que la vie suggère. On évite de réitérer les images et les idées déjà frappées...

Alexis Gloaguen est un peintre et un poète, qui sait voir, qui déchiffre, qui lit, qui exprime, qui transcrit, avec force et talent, la poésie intrinsèque des éléments, sur les pages et sur les lignes de laquelle il a le pouvoir magique de distinguer et de suivre les signes et de saisir les expressions comme d’’un texte écrit sur un livre qui s’ouvre et s’offre à qui accepte d’en être le lecteur ou la lectrice.

Alexis Gloaguen n’est pas seulement poète. Son discours se fait volontiers métapoétique lorsqu’il réfléchit sur les limites de l’expressivité et sur la nature de la création et du langage poétique face à l’infinie et éternelle inventivité de la poésie de la nature.

Mais que peuvent les mots devant le modèle d’une vague ? Surtout lorsqu’elle se meut sur la profondeur et propose à l’air libre des millions de facettes sans écume ?

Cette fluidité est métaphore de tout ce qui clignote de visible ou de ressenti. Elle est écrin du mystère, évoquant les lieux impalpables d’où éclot le choc de la réalité, là où l’on n’attendait rien.

Alexis Gloaguen est un conteur, qui devient volontiers historien lorsqu’il se prend à raconter telle anecdote, tel fait du passé se rattachant à tel lieu qu’il visite, à tel vestige qui accroche son regard, à tel ou telle représentant(e) qu’il rencontre d’une ethnie locale, et qui se fait anthropologue/sociologue averti lorsqu’il nous livre ses réflexions sur l’acculturation, sur les mouvements migratoires, sur les processus d’assimilation, voire de brutale ou de lente extermination des peuples autochtones.

Si Alexis Gloaguen est homme à se fondre, corps et âme, dans les milieux naturels les plus divers, jusqu’à s’y sentir comme en étant une part élémentaire, il n’est pas pour autant de tempérament à se déconnecter du monde des hommes, de son actualité, de son évolution, de ses déviances. Alexis Gloaguen, philosophe s’il en est, est en effet à la fois un penseur qui s’interroge sans répit sur le sens du monde, de l’être et des choses et un analyste critique acéré de la façon dont l’humanité traite la planète, l’agresse, la corrompt, la détruit. L’admiration et l’amour qu’il éprouve pour les merveilles de la Terre et pour l’ordre universel, micro et macroscopique, font forcément de lui un écologiste foncier.

Dans la brume nous voilà, dormants du miracle, à respirer l’un près de l’autre et rêver de la complémentarité des mondes.

La qualité littéraire de ce beau livre à la couverture délicieusement cartonnée, si douce au toucher, est rehaussée, comme une pièce d’orfèvrerie en or massif peut l’être par un lumineux piquetage de pierres précieuses, par un balisage impressionnant d’illustrations réalisées d’après nature spécialement pour ces textes qu’elles accompagnent de bout en bout, par le talentueux peintre, dessinateur, artiste animalier qu’est Jean-Pierre Delapré.

Un livre qu’on caresse de la main, qu’on garde à portée de l’œil, dans lequel on embarque et réembarque, qu’on lit une première fois d’une traite, emporté, transporté, puis dans lequel on replonge, au petit bonheur, en feuilletant et en effeuillant comme le fait l’auteur le livre de l’univers en partie ici condensé.

 

 

Patryck Froissart

 

 

Alexis Gloaguen, né en 1950 à Plovan (Finistère), passe une grande partie de son enfance en Nouvelle-Calédonie (dans les îles Loyauté) où lui vient le goût de la nature primitive. En 1992, il part avec sa famille à Saint-Pierre-et-Miquelon pour lancer le Francoforum, nouvel institut de langue française tourné vers le Canada et les États-Unis. C’est ce séjour qui lui inspire les textes constituant ce tome 3 des Écrits de nature.

 

Jean-Pierre Delapré, artiste et photographe animalier chevronné, ses photos, ses aquarelles, ses pastels et ses dessins sont réalisés en pleine nature.

 
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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Régression, Fabrice Papillon (par Patryck Froissart)

Régression, Fabrice Papillon (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 07.05.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanBelfond

Régression, Fabrice Papillon, octobre 2019, 455 pages, 20,90 €

Edition: Belfond

Régression, Fabrice Papillon (par Patryck Froissart)

 

C’est pure coïncidence évidemment si ce gros roman qui met en scène une forme originale de possible fin du monde, publié en octobre 2019, m’a été envoyé par l’éditeur peu avant le déclenchement de la pandémie due au Covid-19.

Rien à voir donc avec la triste actualité, simple hasard éditorial.

Toujours est-il que l’ambiance générale inquiétante de ce printemps 2020 résonne étrangement à la lecture de ce récit d’apocalypse dont l’avant-dernier épisode est daté… le 25 février 2020, soit 4 ou 5 mois après la publication du livre. Bon ! N’allons pas croire à la prémonition ! Mais la concomitance devait être signalée.

L’histoire commence en 36483 avant notre ère avec le meurtre, au fond d’une caverne, des derniers représentants d’une espèce humaine particulière par une horde d’hommes d’une autre espèce, devenue dominante.

Après ce premier et bref épisode s’opère un gigantesque saut dans le temps avec l’arrivée de la capitaine de gendarmerie Vannina Aquaviva, le 7 février 2020, sur le théâtre d’un crime barbare dans un site escarpé de la côte corse.

C’est le départ d’une enquête policière haletante, sur fond de rivalité entre gendarmerie et divers services de police et des Renseignements Généraux, jalonnée de mille et un rebondissements qui entretiennent habilement la mise en haleine, et qui conduit les enquêteurs, en nombre croissant, aux quatre coins de l’Europe et de l’Eurasie, selon une mystérieuse cartographie cardinale, sur les pistes entrecroisées de tueurs au physique, à la force et à l’intelligence surhumains.

L’intrigue qui se déroule sur trois semaines de ce fatal mois de février 2020 est entrecoupée de brutales ruptures chronologiques au cours desquelles on assiste aux dernières heures de Socrate s’entretenant en secret avec Platon, à une rencontre entre Rabelais et Olaus Magnus, à une scène surprenante entre Nietzsche, sa sœur Élisabeth et son amante Lou, à une cérémonie initiatique nazie organisée par Himmler, à une conversation inédite entre Jésus et Jean juste avant la crucifixion, et cetera.

Quel est le lien entre ces personnages, ces époques, ces situations ?

Au hasard des circonstances narratives et des multiples coups de théâtre, certains protagonistes et éléments adjuvants font émerger le postulat de la transmission d’une part plus ou moins importante du patrimoine génétique de l’homme de Neandertal et de l’homme de Denisova jusqu’à nos jours par les maillons successifs d’une chaîne générationnelle comportant un nombre indéterminé d’individus tout au long de centaines de milliers d’années.

Parallèlement à cette circulation biologique héréditaire existerait un réseau vertical de communication secrète, initiatique, de génération en génération, entre les descendants présumés, porteurs de cette spécificité génétique, des derniers néandertaliens massacrés par l’homo sapiens.

Ces héritiers attendraient, depuis la nuit des temps, le moment où ils seraient redevenus assez nombreux, et suffisamment présents dans les hautes sphères sociales, pour prendre leur revanche, sachant que ces temps idéaux verraient simultanément l’homo sapiens subir les effets d’une mutation brutale qui le ferait régresser (d’où le titre) à un stade pré-sapiens.

Ces hypothèses intra-diégétiques se retrouveront-elles, se recouperont-elles, seront-elles décisives dans l’enquête que mènent, avec maintes péripéties, Vannina et les autres services d’investigation ?

Le flou, le trouble et le doute sont magistralement entretenus.

Le dernier chapitre, l’épilogue, sur rupture elliptique, décrit brièvement ce qu’est devenue l’humanité seize ans plus tard, en 2036.

L’intrication des investigations policières, des scènes sanglantes dont Vannina et ses partenaires sont témoins et, pour certains, victimes, des situations intertextuelles et inter-historiques que théâtralise l’auteur qui exploite talentueusement son éblouissante érudition historique, scientifique et littéraire tout en faisant montre de sa maîtrise confondante du suspense narratif, aboutit à un roman époustouflant, propice à déconfiner efficacement l’esprit des lecteurs.

 

 

Patryck Froissart

 

 

Journaliste scientifique, producteur de nombreux documentaires, Fabrice Papillon est l’auteur de huit ouvrages de vulgarisation scientifique, avec d’éminents savants dont Axel Kahn. Pour son premier roman, Le Dernier Hyver (Belfond, 2017), il a reçu le prix du Meilleur Polar 2018 des lecteurs de Points.

 

 

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist (par Patryck Froissart)

Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 02.04.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPays nordiquesRomanCambourakis

Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist, février 2020, trad. (collective) suédois, Elena Balzamo, 127 pages, 16 €

Edition: Cambourakis

Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist (par Patryck Froissart)

Savoir qu’ils n’auront jamais lu tous les livres, même quand la chair sera devenue triste, chagrine incessamment celles et ceux que possède la passion de la lecture. Ce qui adoucit l’amertume de cette angoisse permanente est la découverte aléatoire de merveilles littéraires et la certitude de tomber ici et là, au hasard des promenades solitaires dans la jungle des textes parus et à paraître, sur un trésor dont ils ignoraient l’existence.

Je n’avais, je l’avoue sans honte, jamais entendu parler de Carl Jonas Love Almqvist… C’est donc sans a priori, bien qu’ayant été séduit par la beauté de la jeune femme dont le portrait figure en couverture, que j’ai entrepris la lecture de Sara ou l’émancipation.

Albert, sergent suédois, dès le départ du bateau sur lequel il a embarqué au départ de Stockholm, est attiré par le comportement singulier d’une jeune femme dont il apprendra rapidement qu’elle se nomme Sara Videbeck et qu’elle voyage seule, installée sur le pont avant avec ses bagages, ce qui, au début du XIXe siècle dans le pays au protestantisme puritain qu’est alors la Suède, est inhabituel et peu conforme à la norme sociétale.

Au fil de l’eau, au milieu des mille et une banalités qui animent, agitent, régulent la coexistence temporaire de ce microcosme que constitue l’ensemble des passagers et des membres d’équipage, se déroule la première phase d’une relation faite d’approches (de la part du sergent), d’échanges de politesses, de sourires courtois suivis de dérobades (de la part de Sara). Les réactions contradictoires et les variations d’humeur de Sara à son endroit déconcertent le jeune militaire.

C’est alors que surgit une bottine des plus élégantes, qui, pschitt ! écrasa le mégot […]. Levant les yeux de la bottine, le sergent reconnut la passagère en rose. Leurs regards se croisèrent. Il quitta prestement son perchoir et s’avança vers elle avec une courtoise révérence :

« Merci, belle jeune fille ! Mon cigare n’était certes pas digne d’être touché par ce joli pied, mais… »

Pour toute réponse, elle prit un air froid et distant, lui tourna le dos et s’éloigna.

« Eh bien, au diable ! »

Un déclic amoureux se produit lors d’une escale à l’occasion de quoi Sara accepte inopinément l’invitation du jeune sergent à lui faire visiter la petite ville bucolique de Strängnäs. Là commence la deuxième phase du roman.

Merci de m’y avoir emmenée, ça m’a bien plu, glissa-t-elle de sa plus jolie voix en lui touchant la main d’un geste qui ressemblait presque à une caresse.

Tout au long du reste de la navigation, puis du périple qu’ils effectuent ensuite ensemble en chariot, se noue alors une relation toute en douceur, avec néanmoins encore des reculades, des désaccords, voire des rebuffades de la part d’une jeune personne qui tient à montrer et à démontrer par ses actes et ses paroles qu’elle est un spécimen rare mais irrévocable de femme libre quant à sa vision morale des rapports qui doivent régler l’existence d’un couple et quant à ses principes bien établis, gravés dans le marbre de la feuille de route sur laquelle elle a défini ce que sera son mode de vie, de femme indépendante ayant décidé de reprendre seule le commerce de verrerie de son défunt père.

Au sergent qui s’éprend de plus en plus d’elle et qui lui demande, puis la supplie, de l’épouser, la belle et fière Sara, étape après étape, à mesure que défilent les paysages finement dépeints au passage et que se succèdent les aléas liés à l’état des routes, à l’inconfort des carioles successives, à la façon de conduire du cocher, développe, au fil des dialogues, un argumentaire implacable sur les avantages d’une union libre en un plaidoyer terriblement audacieux pour l’époque et le contexte moral, qu’elle oppose brillamment aux propres arguments de son amant en faveur du mariage conventionnel.

Arrivera-t-elle à convaincre un sergent à la vision a priori rigide de contrevenir aux règles morales et sociales ?

Le plus extraordinaire était que cette liberté totale qu’elle lui offrait, loin de le pousser à partir, rendait la jeune femme mille fois plus aimable et attrayante à ses yeux…

Le rythme narratif est lent, la lenteur des différents transports utilisés étant en synergie avec le lent développement des transports amoureux qui unissent de plus en plus étroitement le sergent et sa compagne. Parallèlement, les petits accidents et les ordinaires incidents qui jalonnent l’itinéraire lacustre puis terrestre du couple accompagnent, parfois en une remarquable synchronie, les brefs désaccords et les fâcheries légères qui ponctuent la trajectoire sentimentale des voyageurs, tandis qu’à l’inverse la sérénité de tel ou tel épisode à la faveur de la traversée de cadres naturels paisibles et de haltes en des endroits emplis de quiétude coïncide avec de douces heures de tendre communion.

Le récit est du plus pur et du plus beau romantisme, ce qui n’exclut nullement l’expression, en filigrane, de l’observation critique d’une société guindée dans des principes moraux que Sara défie et entend bien outrepasser.

Aucune réserve : on est dans la grande littérature, celle qui éveille des réminiscences, qui renvoie des échos, vagues ou précis, de ces grandes œuvres qui s’incrustent dans notre mémoire. Ainsi, en vrac et de façon non exhaustive : les dialogues entre Félix et Henriette dans Le Lys dans la vallée, des résonances de situations vécues dans Le Rouge et le Noir, des traces d’Atala, un passage des Souffrances du jeune Werther, des retours diffus de La nouvelle Héloïse, une impression d’atmosphère à La Princesse de Clèves

Le tout est magnifiquement servi par la traduction effectuée dans le cadre d’un séminaire de traduction littéraire dirigé par Elena Balzamo assistée par dix-sept autres traducteurs…

Que dire d’autre ?

Rien.

 

Patryck Froissart

 

Carl Jonas Love Almqvist (1793-1866) a fait ses études à l’université d’Uppsala avant de rejoindre un groupe d’amis rousseauistes, qui décident de mener une vie de paysans dans une ferme. Après l’échec de l’entreprise, il revient à Stockholm, y dirige une école, travaille comme journaliste à partir des années 1830, et surtout écrit. Accusé de tentative de meurtre, il s’enfuit aux États-Unis et ne revient en Europe qu’en 1865. Auteur d’une œuvre abondante et variée (dont Le Joyau de la reineLe Palais, et surtout Sara ou l’émancipation), C. J. L. Almqvist est considéré comme le plus grand écrivain romantique de son pays.

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Et de l’arbre de nos vies la sève perle encore, Caroline Barth (par Patryck Froissart)

Et de l’arbre de nos vies la sève perle encore, Caroline Barth (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 25.03.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRoman

Et de l’arbre de nos vies la sève perle encore, Caroline Barth, Editions Librinova, juin 2019, 276 pages, 17,90 €

Et de l’arbre de nos vies la sève perle encore, Caroline Barth (par Patryck Froissart)

 

Trois narratrices qui s’expriment chacune à la première personne.

Trois histoires qui s’enchevêtrent.

Trois existences qui s’entrelacent, indissociables l’une des deux autres.

Trois femmes qui se racontent et qui mettent en scène, chacune à son tour, les deux autres.

Trois visions de la vie, et de l’évolution des mœurs, des conditions et des règles sociales sur trois générations.

Trois lieux principaux : Paris, Saint-Jean-de-Luz, La Saline-Les-Bains (Réunion), avec des sautes dans le temps et dans l’espace à Madagascar, à Abidjan, à Dakar…

Et un unique thème central, un sujet qui surgit et devient très vite la préoccupation première de chacune : le cancer qui frappe l’une des trois protagonistes que sont Alexandra, Ambre et leur mère, Anne.

Les premières lignes du roman sont celles du choc déclencheur : Alexandra apprend, le 22 février 2002, à La Réunion, qu’elle est atteinte d’un cancer du sein.

Il y a eu un avant. Et un après.

Avant, ma vie suivait son cours. Le fleuve n’était pas toujours tranquille, les méandres étaient parfois douloureux, mais il était riche en limons. Je me sentais jeune, jolie, légère.

Puis il y a eu ce temps T, quand la tête de fouine en blouse blanche, assise en face de moi, a retenu sa respiration, le visage crispé.

A partir de cette rupture constituant la situation initiale, le lecteur est amené à partager l’existence, les actes, les pensées, les sentiments d’Alexandra, de sa sœur et de sa mère, tout au cours de l’évolution de la maladie depuis l’annonce dramatique.

La tension dramatique est talentueusement entretenue par l’auteure dans la succession des interventions narratives, généralement courtes, de chacune des trois femmes, structure qui confère au récit un rythme tenant le lecteur en attente.

Le fil conducteur du courant continu qui relie le texte au lecteur, à savoir la progression délétère du crabe, est soutenu, étayé, enveloppé, contenu, contextualisé non seulement par l’actualité alternative des narratrices dont la vie quotidienne, sociale, familiale, sentimentale se poursuit, cadencée par les accélérations, les pauses, les apparentes rémissions, mais encore par l’évocation des périodes révolues de petits et grands bonheurs, de malheurs, d’accidents et par les souvenirs qui refont surface des années vécues dans l’atmosphère coloniale de la Grande Île où résidaient Anne et son mari jusqu’à l’indépendance.

L’alternance de la prise de parole, tout en entretenant une partielle mais bienvenue dédramatisation, permet de cerner progressivement les caractères respectifs des trois personnages par leur comportement en général, par la révélation de leur adhésion aux valeurs morales ou de leur transgression, par le récit de leurs aventures sentimentales et de leur vie sexuelle, par l’expression personnelle de leur vision des thèses socio-idéologiques, de l’éthique médico-légale relative par exemple à l’euthanasie, et des théories scientifiques, par la nature et les modifications de leurs relations avec leur entourage (conjoint, amis, amants, enfants), par les commentaires que chacune énonce régulièrement à propos des deux autres, à propos de l’actualité, à propos de la maladie et de son évolution, par l’expressivité des réactions de souffrance, de colère, de révolte…

Caroline Barth a l’art d’atténuer la gravité du sujet central et le poids de certains épisodes dramatiques parallèles, contemporains ou non de la maladie, par le choix de la légèreté mesurée d’un discours marqué ponctuellement de la modernité d’une expression délibérément non académique.

Une sacrée dose d’émotion, somme toute !

 

Patryck Froissart

 

Née à Madagascar, Caroline Barth a vécu une grande partie de sa vie à l’étranger, où elle a alterné avec bonheur journalisme et communication. Depuis dix ans, elle s’est spécialisée dans le développement durable à l’île Maurice. Écrire a toujours été pour elle une respiration, un besoin vital, afin d’interroger le monde dans ses évolutions, de raconter les autres et leurs différences, de décrire la vie dans toute sa richesse et sa complexité. Déjà auteure de deux livres, Quand l’ordre règne (avec Richard Vargas, éd. Mango) et Ile Maurice Passions, elle explore dans ce premier roman les liens qui nous relient les uns aux autres, au-delà de l’absence et du temps.

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Autobiographie du mal, Pavel Vilikovský (par Patryck Froissart)

Autobiographie du mal, Pavel Vilikovský (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 19.03.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPays de l'EstRomanEditions Maurice Nadeau

Autobiographie du mal, Pavel Vilikovský, février 2019, trad. slovaque, Peter Brabenec, 193 pages, 21 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Autobiographie du mal, Pavel Vilikovský (par Patryck Froissart)

 

Ce roman à l’atmosphère pesante met en scène les mécanismes machiavéliques de la manipulation de l’individu par les services secrets d’une police politique implacablement organisée et efficace au point non seulement d’anticiper les réactions des personnes qu’elle manœuvre et utilise de gré ou de force au service d’un pouvoir totalitaire, mais encore de les amener à agir, plus ou moins consciemment, contre leur propre morale, contre leur propre idéologie, contre leur propre nature.

L’action se situe en Tchécoslovaquie sous le régime communiste installé en 1948, à une époque et dans des circonstances historiques que l’auteur, Pavel Vilikovsky, grand écrivain slovaque décédé tout récemment, le 10 février 2020, a personnellement vécues.

Le personnage principal, Dusan, un transfuge, opposant au régime, rattrapé et ramené au pays par la police politique, est soumis à un chantage qui l’oblige, sous un nom qui n’est pas le sien, à savoir Jozef Karsten, à espionner pour le compte du pouvoir ses anciennes relations en échange de la libération de son épouse et de ses enfants et de l’autorisation qui pourrait leur être octroyée d’émigrer à l’ouest.

Rien de nouveau, ni à l’est ni à l’ouest, en cette intrigue qui aurait pu (et qui peut toujours, hélas) se dérouler dans tout pays où sévirait telle ou telle Stasi ou Gestapo.

La force du roman tient à la personne – à la personnalité ? – du personnage, à son évolution psychologique, à la progression de son identification, qui s’opère, jour après jour, avec le pseudo Karsten dont le vrai Dusan se construit l’image de l’espion servile qu’un mystérieux agent secret du régime, Halek, veut qu’il devienne. Dans le même temps, il reste en son for intérieur le protestataire critique du régime, ce qui permet à l’auteur d’exprimer sa propre vision, absolument et définitivement négative, de l’histoire de la Tchécoslovaquie communiste dans l’immédiate après-guerre. Le lecteur vit intensément toutes les phases de ce dédoublement, de cette « tempête sous un crâne », par le procédé littéraire de la focalisation zéro.

L’histoire se fout de nous, se dit Karsten et cette pensée lui procura une sensation de liberté, ou était-ce l’effet de la soupe chaude dans son ventre ? Il se rendait compte qu’il était en train d’enfreindre les règles convenues, ou peut-être que non puisque Halek lui-même lui avait suggéré de prendre quelque repas chaud en chemin […]. De toute façon, pourquoi Halek serait-il seul à édicter des règles ?

La force du roman tient également à la relation subtile, malsaine, insidieuse, qui se noue entre l’agent Halek et le pseudo Karsten, ce dernier ne pouvant savoir à quel degré le premier tire toutes les ficelles du pantin qu’il ne sait pas être devenu. C’est dans le maillage diffus et confus de cette relation que le lecteur est invité à essayer de comprendre quelles sont les motivations, et quels sont les objectifs de la police politique, dans la manipulation qu’elle opère sur celui qui est soumis au chantage le plus odieux : obéir, en échange de la sécurité de ses proches. C’est dans le cheminement aveugle, privé de sens, du personnage dans le labyrinthe (très kafkaïen) qu’il est tenu de parcourir que le lecteur se voit contraint lui aussi de poursuivre sa lecture dans un suspense narratif magistralement entretenu.

La force du roman tient encore, fondamentalement, à la mise en scène de ce jeu tordu, commun à toutes les milices chiennes de garde des systèmes totalitaires, dont le meneur lui-même retors est le seul à connaître et à maîtriser les règles qu’il a unilatéralement fixées, qui n’ont pour finalités que la défense et la pérennité du régime. A ce jeu-là, tout acte que le manipulé croit encore pouvoir faire en douce contre le manipulateur n’est-il pas déjà inscrit dans le scénario dudit manipulateur ?

« Vous vouliez du Karsten, eh bien vous en aurez ! » se disait Karsten, qui croyait ainsi faire de la résistance, alors qu’en fait il ne faisait qu’accomplir le dessein de Halek…

Le lecteur, quant à lui, se laissera-t-il prendre au jeu ?

 

 

 

Patryck Froissart

 

 

 

Né en 1941, mort le 10 février 2020, éditeur et traducteur de littérature américaine, Pavel Vilikovský est probablement l’écrivain slovaque le plus connu aujourd’hui hors de son pays. Il est considéré comme un remarquable auteur de nouvelles et de romans courts, notamment en Pologne, en Hongrie ou en République Tchèque, où il est régulièrement traduit. Également traduite (mais plus ponctuellement) en français, en anglais et en allemand, son œuvre est marquée par la chute du mur de Berlin, les soubresauts politiques centre-européens de la fin du XXe siècle et le rôle de l’écrivain et de la littérature.

 

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Crève, mon amour, Ariana Harwicz (par Patryck Froissart)

Crève, mon amour, Ariana Harwicz (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 11.03.20 dans La Une LivresLes LivresCritiquesAmérique LatineRomanSeuil

Crève, mon amour, Ariana Harwicz, janvier 2020, trad. espagnol (Argentine), Isabelle Gugnon, 203 pages, 18 €

Edition: Seuil

Crève, mon amour, Ariana Harwicz (par Patryck Froissart)

 

Ce roman singulier, le premier d’Ariana Harwicz traduit en français, est du genre à tout le moins dérangeant.

Car la narratrice est folle.

Lire/dé-lire… c’est ici.

Ecriture à la première personne : le lecteur partage et vit intensément la vision/les visions, les pensées, les désirs, la souffrance, les pulsions, les révoltes de la narratrice.

Celle-ci, appelons-la N*, en situation initiale, vient d’avoir un enfant. Si on arrive à débrouiller les fils du récit, on imagine que N* vit dans une grande maison en pleine campagne, les parents de son mari y étant très présents et demeurant dans une maison proche.

Son fils semble être pour N* un corps étranger, importun, contraignant, dont la charge, le soin, l’attention, l’affection qu’elle lui doit, tantôt lui paraissent récurremment insupportables, non voulus, non acceptés, tantôt se traduisent par une exorbitance obsessionnelle, tantôt par une prise de distance qui fait d’elle une étrangère assistant de l’extérieur à une scène qu’elle commente, comme dans cet épisode cruel où, de dehors, spectatrice, elle suit par la fenêtre ce qui se passe dans le salon :

C’était couru d’avance, le bébé marche à quatre pattes vers la cheminée et dans quelques secondes il aura besoin d’une trousse de secours. Je parie que le père ne va pas bouger […]. Le bébé met les mains dans les braises […]. Il lui applique du Thiomersol sur la plante des pieds et la paume des mains. Son sang ressemble à de l’écume. C’est un extra-terrestre. Un petit enfant rouge révolutionnaire. Je n’entre pas car je suis une marginale.

Marginale… C’est bien ainsi que la qualifie l’entourage. N* est l’Etrangère. N* est à la marge, à la frontière, elle louvoie en cette frange étroite, fluctuante, instable, qui se situe entre la normalité et l’anormal.

N* passe incessamment, abruptement, du désir au dégoût, de l’attirance au rejet, du vouloir d’amour passion à l’envie de tuer, d’Eros à Thanatos, ce qu’illustre parfaitement le titre du roman. Dans sa relation déséquilibrée avec un époux qui paraît lunaire, décalé, alternent ainsi des phases ponctuelles d’intenses poussées de sensualité érotique avec des stades de répulsion physique, et, paroxystiquement, des envies quasi-meurtrières.

J’étais à quelques pas d’eux, cachée dans les broussailles. Je les épiais. Comment une femme faible et malade comme moi qui rêve d’avoir un couteau à la main pouvait être la mère et la femme de ces deux individus. Qu’allais-je faire ? Je me suis cachée en m’enfonçant plus profondément dans la terre. Je ne les tuerai pas. J’ai laissé tomber le couteau.

N* transgresse régulièrement la norme sociale des lieux. Quittant à la moindre occasion, de jour ou de nuit, l’espace domestique pesant, banalisé, quadrillé, défini, organisé, artificiel, démoralisant, de la maison familiale où se succèdent rituellement les obligations et les devoirs, où tout se fait sous le regard critique d’autrui, elle s’enfonce dans celui, buissonnier, sauvage, naturel, informel des bois environnants où, libre, nue, désentravée, a-moralisée, épousant l’humus, elle peut donner libre cours à son imagination, à ses rêveries erratiques, à son monologue intérieur, ou plutôt au dialogue débridé qu’elle poursuit sans répit avec elle-même.

C’est au cours de ces escapades, tantôt violemment vécues, tantôt puissamment imaginaires, que naît et croît en N* le désir poignant de cette autre transgression : celle de la rencontre clandestine, lubrique, avec un inconnu du voisinage qui passe le matin et repasse le soir à moto devant chez elle, et dont les apparitions nocturnes de rôdeur faunesque se font de plus en plus rapprochées, en une sorte de ronde centripète, dans le même temps que croît la tentation, jusqu’à ce qu’advienne – réalisée ou fantasmée ? – l’étreinte sauvage ardemment convoitée.

Parfois, au point de déstabiliser brutalement le lecteur, N* se transfère en cet amant fantôme pensant à elle. L’effet de miroir est stupéfiant, car c’est alors ce personnage qui se livre à un monologue extravagant…

Maintenant je parle comme lui. Etant lui, je pense à elle et ma bouche s’assèche.

[…]

Cette sécheresse dans la bouche m’assaille quand de retour chez moi je dois passer devant son portail et la voir, confondue avec les fleurs […]. Elle au milieu des épines. Elle, une vision hallucinée et orange et moi, un renard fou sur la bande d’arrêt d’urgence.

Crève, mon amour, roman hallucinant, ne décrit pas la folie, ne raconte pas l’histoire chronologiquement structurée d’un personnage glissant jour après jour dans la démence. Non, Crève, mon amour, roman lancinant, est le délire, dans lequel est embarqué le lecteur irrésistiblement happé par le réalisme d’une expression crue jusqu’à l’obscène, par la puissance de la fonction poétique et par le caractère fantastique du discours, par le tourbillon empathique créé par ce dialogue intérieur dépourvu de pudeur d’une narratrice psychopathe.

On peut y retrouver du Maupassant, du Poe, du Lautréamont, peut-être, mais, essentiellement, c’est du Harwicz… une auteure qui entre en littérature par la grande porte.

Le texte est magnifiquement servi par la traduction d’Isabelle Gugnon.

 

Patryck Froissart

 

Ariana Harwicz est née à Buenos Aires en 1977. Après des études de cinéma et de dramaturgie en Argentine puis de littérature comparée à la Sorbonne, elle choisit définitivement la France comme pays d’adoption, et réside aujourd’hui près de Sancerre. Elle est l’auteure de pièces de théâtre et de quatre romans qui l’ont révélée dans le monde entier comme le nouveau prodige de la jeune littérature argentine. Traduit dans une quinzaine de langues, adapté avec succès au théâtre dans de nombreux pays et sélectionné pour l’International Booker Prize en 2018, Crève, mon amour est son premier roman publié en France.

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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