29/05/2022

Ches poriaux du gardin au gratin

Bon!

T'as pus foncque à daller querr' les poriaux, et j' vas t'in faire préparer aujord'hui à l' mod' d' m' mémère Augusta.

Pindint 20 mn, te cuis à l'iau boulante et salée 1 kg d' poriaux equ' t'as néttiés et findus in deux par el' mitan.

Eun' fos cuits, te z'é laiche réchuer jusqu'à c'qu'i seuch'nt bin égoutés.

Là, te prinds eun' pinte ed' bière blonde, t'in bos eun' mitan, pis l'aut' mitan, te l'mets à cauffer !

Dins eun' cass'trole, te fait fond' 50 gr ed' burre, te saupoud's là d'dins 40 gr ed' fareine, te toulles pour point qu' cha attaque ech' fond, et te laiches cuire 2 à 3 mn.

Achteure, accoute me bin sinon te vas cor' dire equ' t'as point compris... Te balles ed' dins : l' demi pinte ed' bière (cheull' equ' t'as point bue et qu't'as fait cauffer), un monet d'poif', eune' ziqu' ed' sé, te rajoutes 180 gr ed' gruyère copé in fine lamelles, et te laiches mitoner pindant 5 mn.

Bon, ach'teure', ch'est l' momint ed' déflaquer tes porieaux dins l' fond d'un plat in terre equ' t'as point eu les troulles ed' bin graicher au burre.

T'arcoeuv's tes poriaux aveuc et' sauce equ' t'as préparée et te laiches gratiner au four pindant 10 mn.

Te sers cha tout caud et te verras qu' ch' est gramint meilleux qu' del' soup' à caillaux !

Relevé dins l' minger à l' bière de José Ambre

08:47 Écrit par Patryck Froissart dans Chez les Chtis | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Les bienheureux, de Patryck Froissart Préface de Marc Durin-Valois

LES BIENHEUREUX


Patryck Froissart

PREFACE de MARC DURIN-VALOIS

 

couverture redimensionnée.jpgEcrire des nouvelles est un art compliqué. L’histoire de ce genre littéraire est néanmoins ponctuée de splendeurs. Mais à vouloir faire court, on longe un précipice, celui de la caricature. Une des explications de la bouderie actuelle du public pour le genre tient au fait que certains écrivains ont pensé que produire une série de dix nouvelles sur quinze pages était plus aisé que de développer un roman sur cent cinquante. Un peu comme si le cent mètres exigeait moins d’efforts que la course de fond au motif que la distance était plus courte. D’où des tentatives qui ont lassé des lecteurs souvent bien disposés mais égarés dans des machins littéraires peu convaincants. Car la nouvelle a ceci de particulier qu’elle est l’art de l’inachevé. Chacune de ses séquences, je dirai même chacune de ses phrases, doit ouvrir sur un espace littéraire qui n’existe pas, qui n’est jamais écrit mais qui se dessine en filigrane dans l’esprit du liseur. L’exercice est d’autant plus subtil que ce champ –en quelque sorte l’ombre portée du texte- ne s’approche pas à travers un vocabulaire flou, indécis. Ce serait trop facile. C’est la précision du propos, la finesse de la trame qui libère cet espace. La nouvelle est donc le départ de quelque chose, jamais un aboutissement. Sa dernière phrase ne referme pas un texte, elle l’ouvre en indiquant une orientation pour errer dans un imaginaire qu’elle fait émerger à travers le fil invisible qui traverse le recueil. Car c’est là l’autre difficulté de la chose : une nouvelle ne se suffit pas à elle-même. Elle tisse des liens secrets, suscite des résonances puissantes avec les autres récits du même opus. En ce sens, non seulement elle ne duplique pas la construction littéraire sur des formats courts mais elle l’inverse et la refaçonne. Dans « Les bienheureux », Patryck Froissart nous en livre une démonstration foisonnante. Les femmes y dévorent les hommes avec un sourire doux, amusé et sensuel. Toutes dialoguent entre elles, d’une histoire à l’autre, dans un dialogue qui n’est jamais écrit, ou même évoqué. Au gré des lecteurs, l’une ou l’autre image de ces diaboliques s’imposera plus fortement. Mais celles des deux filles malicieuses du garagiste envoyant les automobilistes ad patres, de la sublime domestique Indranee posant son pied sur le dos d’un cadre français fasciné, ou encore celle, lancinante de Stéphanie, vampirisant le talent d’un écrivain en lui offrant en échange ses seins à lécher, n’ont pas fini de nous hanter.

Marc Durin-Valois

 

Marc Durin-Valois figure parmi les romanciers inscrits dans une littérature française ouverte sur le monde et notamment les États-Unis et l'Afrique où l’auteur a passé sa jeunesse.
Il est notamment l'auteur de "l'Empire des solitudes" (JC Lattes), Prix de la Rochefoucauld, de "Chamelle" (JC Lattes), Prix National des Bibliothèques et Prix de la Francophonie, porté au cinéma par la réalisatrice Marion Hansel, et de "La dernière nuit de Claude Eatherly" (Ed Plon), paru lors de la dernière rentrée littéraire.

 

08:45 Écrit par Patryck Froissart dans Critiques de mes livres | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

La première chose qu’on regarde, Grégoire Delacourt

La première chose qu’on regarde, Grégoire Delacourt

Ecrit par Patryck Froissart 17.05.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsJean-Claude Lattès

La première chose qu'on regarde, mars 2013, 264 pages, 17 €

Ecrivain(s): Grégoire Delacourt Edition: Jean-Claude Lattès

La première chose qu’on regarde, Grégoire Delacourt

 

« Arthur Dreyfuss aimait les gros seins ». C’est par cette phrase déclarative et définitive que commence le roman, présentation on ne peut plus directe du personnage principal et du trait essentiel de son caractère.

Son attirance, depuis toujours, pour cette partie de l’anatomie féminine, « la première chose qu’on regarde », n’empêche pas Arthur de mener une scolarité normale, et de devenir bon mécanicien chez le garagiste Payen, après une enfance marquée par de terribles épreuves : la mort de sa sœur Noiya dévorée par le chien du voisin, l’absence de son père parti quelque temps après dans la forêt pour n’en plus jamais revenir, et la dégénérescence éthylique de sa mère jamais remise de la mort atroce de Noiya et de la disparition consécutive de son mari.

« Arthur Dreyfuss aimait les gros seins ».

Le sachant, on imagine dans quel état le met l’apparition, un soir, alors qu’il ouvre la porte de son humble maison à laquelle on a toqué, de Scarlett Johansson, la célèbre star « qui rapporta le titre de plus belle poitrine d’Hollywood, décerné par la chaîne américaine Access Hollywood (pour les curieux et les amateurs, Salma Hayek arriva en deuxième position, Halle Berry en troisième, Jessica Simpson en quatrième et Jennifer Love Hewitt en cinquième)… ».

Commence alors une prenante et surprenante histoire, un tendre et émouvant délire, une sorte de dérive fusionnelle, une espèce de fugue amoureuse, une fantaisie aussi passionnelle que touchante, souvent ingénue et poétique, sur fond de références filmographiques hollywoodiennes de ces vingt dernières années et d’extraits de poèmes de Jean Follain, dont Arthur a trouvé un recueil oublié au garage par une cliente.

La romance toutefois est hérissée, ici et là, de piques sur le monde épineux du cinéma, sur les jalousies latentes qui y règnent entre les stars, l’hypocrisie de leur entourage, le harcèlement des paparazzis. Ce monde-là est une jungle.

Les dialogues entre Arthur et son idole sont tantôt touchants, lorsque le narrateur rapporte les déclarations candides, voire naïves, que s’adressent les deux personnages qui s’enclosent dans leur bulle amoureuse, tantôt bouleversants, quand les protagonistes se racontent les épisodes douloureux de leurs passé de misère.

L’auteur crée le suspens, entretient le flou, mêle rêve, illusion, réalité, joue sur les ressemblances, installe la supercherie, superpose les sosies, met du cinéma, de la poésie et de la sensualité, introduit et enchevêtre songe et mensonge dans la vie d’Arthur et de sa compagne inespérée.

Emmené dans ce méli-mélo astucieusement construit, le lecteur ne s’ennuie guère.

« Le mensonge fait son nid partout », commente le narrateur.

Oui, mais le mensonge peut créer le bonheur.

Question : le bonheur, quel que soit l’événement qui le fonde, est-il durable ?

Grégoire Delacourt donne sa réponse, à la fin de ce livre étonnant et détonnant.

 

Patryck Froissart

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On s'embrasse pas ? Michel Monnereau

On s'embrasse pas ? Michel Monnereau

Ecrit par Patryck Froissart 22.04.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRomanJ'ai lu (Flammarion)

On s’embrasse pas ?, février 2013, 191 pages, 5 €

Ecrivain(s): Michel Monnereau Edition: J'ai lu (Flammarion)

On s'embrasse pas ? Michel Monnereau

 

Familles, je vous hais !

Le cri de Gide ne peut pas ne pas venir à l’esprit de qui pénètre en cet âpre roman !

Le narrateur, Bernard, revient dans la maison natale, dans un hameau de la France profonde, où, adolescent, il étouffait, d’où il est parti, quinze ans plus tôt, pour respirer, pour changer d’air, quasiment sans adieu, sans se retourner, laissant derrière lui désemparés puis désespérés son père, sa mère, et sa sœur.

Bernard revient après avoir roulé, sans but, dans l’esprit du mouvement hippie, sans s’être jamais arrêté nulle part, en ayant évité toute dérogation à la règle qu’il s’était fixée de n’accepter aucune contrainte, en ayant repoussé toute compromission avec le contrat travail-consommation du système capitaliste, « refusant d’être l’écureuil captif qui fait tourner l’économie ».

Bernard revient, comme il est parti, sur un coup de tête : « Ça m’a pris par quarante-huit degrés cinquante-deux de longitude et deux degrés vingt de latitude, vers minuit »…

Bernard revient dans le village morne où personne ne l’attend plus, où il retrouve d’abord sa sœur Fabienne qui l’accueille avec des reproches et une annonce : « Papa est mort », puis sa mère, terriblement vieillie, qui lui demande : « Pourquoi es-tu revenu ? », et qui l’accuse d’avoir tué son père : « Il est mort de t’attendre ».

Pris dans les mailles des souvenirs, dans la poix des regrets, et dans la pesanteur des reproches, replongé dans le quotidien étriqué qu’il partage péniblement avec une famille qui compte désormais un beau-frère, un beauf, un vrai, et deux nièces, Bernard déprime.

Seule sa nièce Chantal, une adolescente délurée fascinée par l’aventurier qu’il est à ses yeux, dissipe durant quelques jours par la fraîcheur de son jeune corps et par le soleil de son regard la morosité des lieux, jusqu’au moment où, sur le point de céder à la tentation de l’inceste, Bernard la rembarre et se replie dans la solitude de la chambre de son adolescence avec ses bières, ses cigarettes et ses livres.

On eût préféré qu’il ne revînt pas. On lui reproche d’être là, alors que le père n’y est plus. On lui en veut de s’incruster, comme un parasite. Mais on craint qu’il ne reparte, comme quinze ans plus tôt. Que diraient les gens ? Les relations sont tendues, les échanges verbaux sont vifs, acerbes, lourds de sous-entendus.

Et voici que la mère meurt, et que Fabienne prononce un nouvel acte d’accusation : « Sans toi, maman n’aurait pas eu cette attaque ».

Bernard s’isole dans la maison natale, dont il a tacitement hérité, désormais vide de toute présence humaine, mais pleine d’objets, témoins poussiéreux du passé. Chacune des rares rencontres avec sa parentèle, qui vit sa vie terne dans la maison voisine, est l’occasion de nouvelles disputes, de nouvelles accusations (la responsabilité de la fugue de Chantal, partie comme lui un matin sans un mot, lui est bien sûr imputée) jusqu’au jour où, ayant acquis la certitude que le choix qu’il a fait quinze ans plus tôt a été le bon, il ouvre la porte et s’en va droit devant sans la refermer.

La boucle est bouclée.

La narration à la première personne est intimiste, crue, terriblement amère bien qu’empreinte d’humour. On rit, mais on rit jaune. Le regard que porte Bernard sur le monde, sur les événements qui l’agitent, sur la famille, sur soi-même est sans concession. La seule façon de supporter la société est de la fuir, la seule possibilité de s’accommoder de l’existence des autres est de mettre fin à tout commencement d’attachement.

On pourrait conclure, en écho au cri de Gide cité ci-dessus, avec celui de Sartre : L’enfer, c’est les autres !

 

Patryck Froissart

 

 

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Lila, Goethe

Lila, Goethe

Ecrit par Patryck Froissart 03.04.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsLangue allemandeThéâtre

Lila, La Cause des Livres (2013), Edition bilingue (allemand/français), trad. de l’allemand Annemarie Neffgen, préface Maud Duval, postface Pierre Bourdariat, 123 p. 16 €

Ecrivain(s): Goethe

Lila, Goethe

 

Lila apprend par une lettre anonyme la mort de son mari le baron Sternthal. Elle tombe sans connaissance pour se réveiller folle, état qui empire lorsqu’on lui annonce que la nouvelle était dénuée de vérité et qu’elle voit réapparaître le baron. Elle le prend pour un spectre, assimile tous les membres de sa famille à des fantômes, et fuit dans les bois où elle erre en peine et en rond, épouvantée par toute tentative d’approche de la part de sa parentèle, plongée dans les ténèbres de nulle part (en donnant à son personnage le nom de Lila, Goethe savait probablement que ce mot, en arabe, désigne la nuit).

Pendant dix semaines se succèdent au château des charlatans qui lui appliquent sans succès les traitements courants à la fin du 18ème siècle (saignées, lavements, et autres thérapies bien plus douloureuses).

« Je frémis quand je pense aux cures que l’on a essayées sur elle, et je tremble à la pensée des autres cruautés qu’on voulait lui infliger avec mon accord », se lamente le baron, alors qu’on vient lui présenter un nouveau guérisseur, le médecin Verazio.

Mais voilà que Verazio, après avoir écouté avec attention les origines et les manifestations de la démence de Lila, propose un traitement inouï, consistant à entrer dans le délire de la jeune femme, mode thérapeutique qui, à l’époque de Goethe, anticipe d’un siècle Freud et ce qui deviendra par la suite la psychanalyse et, plus particulièrement, le psychodrame !

Tous les habitants du château, sous la férule de l’homme de science devenu dramaturge et metteur en scène, se déguisent et rejoignent Lila dans les bois où ils lui sont présentés par Verazio ayant endossé pour sa part le costume et le rôle de mage, comme des esprits bienveillants.

Alors commence une étrange sarabande avec chants, musiques et danses, dans cette atmosphère fantasmagorique qu’on retrouve de façon récurrente dans les pièces de Goethe.

le théâtre dans le théâtre

le rêve, l’illusion, le jeu, et la réalité qui s’entrelacent et se confondent

l’usage du masque trompeur pour démasquer la tromperie originelle

la puissance cathartique du verbe sur le public, et sa fonction d’auto-thérapie sur l’auteur lui-même

l’abolition, ou la transgression de la frontière entre l’ici et l’au-delà

l’amour qui vainc la maladie et la mort

une intrigue amoureuse qui vient s’intriquer dans la trame principale…

une telle richesse dans une pièce aussi courte (quatre actes brefs) procure au lecteur le vertige que seules provoquent les grandes œuvres et l’oblige à s’incliner devant l’éclatante évidence du génie.

Cerise sur le gâteau : cette édition comporte en préface une présentation érudite de la genèse de Lila, signée de Maud Duval, agrégée d’allemand, docteur en études germaniques, et offre en postface une intéressante réflexion de Pierre Bourdariat, psychanalyste et psychodramatiste, à propos de la relation qu’on est en droit d’établir entre cette œuvre de Goethe et les travaux du Docteur Jacob Levy Moreno (1892-1974) et de ses disciples contemporains sur la fonction thérapeutique du psychodrame.

 

Patryck Froissart

 

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Libre livre, Jean Pérol

Libre livre, Jean Pérol

Ecrit par Patryck Froissart 21.03.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésieGallimard

Libre livre, 2012, 157 pages, 18 €

Ecrivain(s): Jean Pérol Edition: Gallimard

Libre livre, Jean Pérol

 

Le titre dit : Liber ! Livre ! Liberté !

Tout livre délivre, on le sait, et l’étymologie est là, si besoin est, pour le confirmer.

Ce livre est, entre tant d’autres, œuvre de liberté.

Ecrire que toute poésie est liberté, que tout poète est homme libre, relève du sens commun.

Mais Jean Pérol s’affranchit de tout.

Il transgresse les règles prosodiques traditionnelles. Oui, c’est vrai, bien d’autres, depuis longtemps, l’ont fait. Lui n’est pas de parti pris : régulièrement il y revient, quand ça lui chante, et ses vers sont alors dignes des grands classiques, et ils nous chantent, tout autant que ceux qu’il ne vêt pas du costume académique.

« plus rien dans l’ombre un peu qui tente

rien dans les yeux qui ne te mente

la Seine joue de ses traîtrises

où la mort frappe par surprise »

 

Jean Pérol se joue de la typographie linéaire. D’accord, Apollinaire a ouvert, il y a un siècle, ce champ-là ! Mais Pérol ajoute, au milieu de ses lignes, de l’espace, du blanc, de la respiration. Et ces brefs silences font sens, et ces vides sont denses.

 

« tout la soupire cette fin

lents soleils blancs   neiges qui tombent

et grises et rousses sur les monts

les feuilles mortes   les colombes »

 

Jean Pérol contrevient avec, on le sent, une profonde jouissance, à l’unicité conventionnelle du registre de langue. Evidemment, les surréalistes, et, en son genre, notre Brassens, ont brisé ces barrières avec bonheur.

 

« à chacun son morceau

son bout de vie et salut

à chacun son cadeau

puis de l’avoir dans le cul »

 

Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que le titre de chaque poème se trouve, subversivement, au-dessous du texte, constitué par les deux ou trois derniers mots de la dernière ligne. Mais, quand même… renversant !

Ainsi Jean Pérol passe les bornes, celles de la composition, celles du langage, et celles de la vie, aussi !

On l’aura immédiatement remarqué dans les strophes citées : la mort est partout. C’est que Jean Pérol est déjà au-delà d’ici, au-delà de ça !

Des chaînes de l’être il s’est déjà désentravé.

Finalement, ce qui enchante (au sens ancien du terme), dans son écriture, c’est son désenchantement, permanent, à propos de tout, y compris de ce qui a été sa raison de vivre, la poésie :

 

« je pense pourtant de plus en plus avec un autre

que toute l’écriture est de la cochonnerie »

 

Quelle belle désespérance !

Des textes plus formellement prosaïques mais non moins essentiellement poétiques forment le dernier tiers du livre, et cristallisent, dans un discours fluide, les obsessions du poète.

 

« Plus d’un l’affirme : j’ai un petit quelque-chose à dire, j’ai. Les dieux s’occupent de moi, ils m’ont repéré. Bien sûr, orgueil venu des cellules obscures. Mais tout de même, pourquoi tant d’assurance et de mauvaise foi ? Et puis un jour devant soi, une bonne fois, on perçoit tous ses mots en poussière, et l’on n’a plus le même air ».

 

Qui osera dire que la poésie est moribonde, et qu’elle ne se lit plus ?

 

Patryck Froissart, Flic en Flac, 9 mars 2013

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Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

Ecrit par Patryck Froissart 05.03.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsEssaisPascal Galodé éditeurs

Memento du Franc-Maçon, 2012, 590 p. 25 €

Ecrivain(s): Guy Chassagnard Edition: Pascal Galodé éditeurs

Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

 

Le titre de cet imposant ouvrage de 590 pages pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un livre destiné aux seuls initiés, d’une sorte de catéchisme maçonnique qui ne serait pour les profanes qu’un texte occulte de plus sur les prétendus « mystères » de la franc-maçonnerie.

Il n’en est rien.

Le tour de force de Guy Chassagnard est d’avoir élaboré un document « tout public » sans tomber dans la vulgarisation sensationnelle de textes d’auteurs se vantant d’informer le lecteur, qu’ils présupposent naïf, sur la franc-maçonnerie tout en feignant d’en savoir beaucoup plus que ce qu’ils veulent ou peuvent en dire, et s’acharnant à envelopper d’une atmosphère d’occultisme des éléments qui ne sont secrets que de polichinelle.

La lecture de ce mémento sera sans aucun doute utile aux profanes qui ont la saine curiosité de s’informer sur les objectifs de la franc-maçonnerie, qui ont l’envie sans a priori de mieux connaître cette association d’hommes de bonnes mœurs, et qui souhaitent se défaire des préjugés, des clichés, de l’image volontairement fausse qu’en donnent régulièrement les médias.

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique et progressive […] a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » (Article premier de la Constitution de 1877 du Grand Orient de France).

En feuilletant ce livre, ils auront l’opportunité d’apprendre de la franc-maçonnerie, de son histoire, de ses origines attestées ou mythiques, de ses rites, de ses rituels, de ses ornements, de son lexique, et, surtout, de ses principes fondamentaux… tout ce qu’il est possible d’en dévoiler sans contrevenir aux règlements maçonniques de nécessaire confidentialité. La gageure est noble : faire de la lumière sur ce qui est présenté généralement, et abusivement, comme hermétique, et qui a été ridiculement mis jadis à l’index par l’Eglise Catholique (bulles de Clément XII et de Benoît XIV en 1738 et 1751).

Pour autant la lecture de ce mémento ne sera pas inutile aux initiés. La présentation et l’explication, simples, sans ambages, des éléments fondamentaux, des (très nombreux) points communs et des différences (foncièrement, pour la plupart, insignifiantes) entre les rituels du degré d’Apprenti de chacun des trois grands rites pratiqués par les obédiences françaises (Le Rite français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Ecossais Rectifié) sont en effet d’une telle rigueur, témoignent d’une telle volonté de clarté, et sont formulées avec tellement de précision et de références que tout Franc-Maçon, quels que soient ses degrés, grades et qualités, pourrait (devrait) faire de ce volume son « dictionnaire » des fonctions, des offices, des symboles, des expressions, des multiples éléments de langage qui lui sont familiers mais dont il ne maîtrise pas toujours le sens profond, et devrait le garder, en guise d’outil, à portée de main sur sa table de chevet ou dans un coin du bureau sur lequel il trace ses planches.

Le lecteur, initié ou profane, ne peut manquer d’être intéressé par exemple par l’article sur le Nombre d’Or, connu et utilisé dès l’Antiquité par les bâtisseurs de temples, par l’éclairage porté sur la démarche d’initiation, par le sens symbolique des objets présents dans les ateliers au premier degré, par les statuts préfigurant, entre autres écrits, ceux de la Franc-Maçonnerie, inscrits dans la Legge del Paradiso promulguée à Bologne en 1256, loi qui supprime le servage et libère les esclaves six siècles avant la France !

L’organisation du livre autorise une lecture intermittente, non linéaire. Après une intéressante entrée générale dans l’histoire et la situation actuelle de la franc-maçonnerie française, viennent trois gros chapitres consacrés successivement au Rite Français, au Rite Ecossais Ancien et Accepté, et au Rite Ecossais Rectifié. Une bibliographie choisie puis un index alphabétique lexical précis complètent cet ouvrage qu’on peut mettre, sans réserve, entre toutes les mains et qui, il faut le souligner, n’a aucun objectif, ni affirmé, ni subliminal, de prosélytisme…

 

Patryck Froissart

 
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Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

Ecrit par Patryck Froissart 01.03.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPays arabesRomanSeuil

Mauvaises passes (Wuqûf mutakarrir), traduit de l’arabe égyptien par Emmanuel Varlet, Seuil, format kindle février 2013, 176 pages

Ecrivain(s): Mohamed Al-Azab Edition: Seuil

Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

 

Nous est familier, dans le roman, l’usage de la troisième personne, qui instaure, entre le personnage « IL » et le narrateur, la distance maximale.

Nous sommes habitués, également, à l’emploi du JE, qui abolit cette distance pour donner l’illusion que le narrateur et le héros sont une seule et même personne.

Mohamed Al-Azab, pour ce roman court et dense, a fait le choix d’une autre perspective, beaucoup moins courante : le narrateur s’adresse au personnage principal en utilisant le TU.

Certes nous connaissons des exemples de romans à la deuxième personne (La Modification, de Michel Butor, ou Un homme qui dort, de George Pérec, pour ne citer que ceux-là). Dans ces exemples, le narrateur s’adresse au lecteur, et l’institue, de gré et de force, héros du récit.

Ce n’est pas le cas dans Mauvaises passes. La technique mise en œuvre ici conduit à une situation étrange en laquelle on a l’impression que le personnage se parle à lui-même, en miroir, se raconte sa vie comme s’il ne la connaissait pas. Il semble que le narrateur et le héros ne forment qu’un seul être qui se dédouble dans la mise en scène en un témoin et un acteur, le témoin étant le JE implicite qui désigne son double, l’acteur, par la deuxième personne, TU.

Le récit étant écrit, à l’exception de quelques extrusions dans un passé proche, entièrement au présent, la simultanéité entre la narration et l’action renforce encore la sensation de l’absence totale de distance entre les deux composantes.

L’intrigue a pour lieu symbolique une garçonnière, en ville, où se transplante Mohamed Ibrahim, un jeune égyptien que la concurrence d’une grande enseigne vient de contraindre à fermer sa petite entreprise de jeux électroniques. Toute sa famille quitte un matin la ville provinciale de Madinet El Salam (la Ville de la Paix : on comprend la portée symbolique du toponyme), y compris la cousine et fiancée du jeune homme, venue du douar de Aïn Shams (La Source de Lumière : autre toponyme évocateur), pour aider à son installation dans « sa chambre de célibataire », et manifeste son incompréhension, voire sa réprobation :

La chambre ne leur plaira pas du tout. Ta mère restera interdite devant la vulgarité des femmes assises devant l’immeuble. Ses yeux lanceront des éclairs. Sur le moment, elle se gardera de tout commentaire, mais éclatera au cours du repas : « Quel être sensé abandonnerait la maison de ses parents pour s’installer dans un cloaque pareil ?!! »

Ce paragraphe condense toute la thématique, la problématique, la dramatique du roman : le jeune homme, au prétexte que retrouver du travail et recréer une entreprise sera plus facile en ville, a foncièrement envie de vivre sa vie, celle qu’il n’a pu vivre jusqu’alors à cause des contraintes sociales et morales, et rêve de faire de la chambre, avec la complicité de son camarade Moneim, l’endroit où il pourra assouvir sa soif de rencontres amoureuses sans tabou (d’où le titre français) et surmonter ainsi la frustration qu’il partage avec des milliers d’hommes et de femmes de sa génération dans un pays sur lequel pèse de plus en plus la lourde chape morale des interdits religieux, en particulier sexuels.

C’est un roman d’initiation, un roman exprimant une violente volonté de rupture générationnelle, un roman qui clame un besoin crucial d’émancipation, de révolution, et… de printemps ! La relation avec ce qui se passe en Egypte depuis deux ans est évidente.

Par le tutoiement, l’écrivain s’adresse, sans aucun doute, à tous les jeunes Egyptiens, réunis dans un TU collectif.

Cette jeunesse s’en sortira-t-elle ?

Mauvaises passes est d’une certaine façon un roman militant, même si son dénouement n’incite pas vraiment à l’optimisme…

 

Patryck Froissart

 
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Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

Ecrit par Patryck Froissart 21.02.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPays nordiquesRomanGrasset

Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers, traduit du suédois par Philippe Bouquet, 2012, 491 p. 22 €

Ecrivain(s): Björn Larsson Edition: Grasset

Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

 

Il y a ordinairement autant de distance entre le roman policier et la poésie qu’entre le jeune Werther et Hercule Poirot… bien qu’il existe des lecteurs prisant tout autant chacun de ces deux genres.

Björn Larsson a osé réunir dans un même livre poésie, crime, enquête policière, réflexions sur la poésie…

Le héros : Jan Y Nilsson est un poète, un vrai, de ceux pour qui l’écriture poétique est « une vocation à laquelle on [voue] son existence, sans considération de modes ni de tendances ».

Et voici qu’il se met, le traître, sur commande de son éditeur, à écrire… un roman policier !

Et voilà qu’il se permet de mourir quelques heures à peine avant d’apprendre par ce même éditeur que son roman sera un best-seller et lui rapportera des millions d’euros par contrats signés sur épreuves avant même qu’en soit écrit le dernier chapitre…

Jan Y Nilsson, poète doublement assassiné, littérairement d’abord, puisque ses livres ne se sont pas vendus de son vivant, puis physiquement, ce qui constitue le crime fondateur du roman policier (il est vrai qu’assassiner des poètes est une des préoccupations préférées de certains régimes), est certes le héros du roman mais le personnage principal en est un policier amateur et lui-même auteur (en secret) de poésie, Barck, et tous les rôles secondaires évoluent dans cet univers déplorablement restreint des amoureux ou des éditeurs d’ouvrages poétiques et forment le cercle dramatiquement réduit des lecteurs de Jan Y Nilson.

Le résultat de cette combinaison a priori monstrueuse est que le lecteur se retrouve avec deux livres en un.

Le premier pourrait s’intituler : « Qu’est-ce que la poésie ? », question à quoi le narrateur répond, en porte-parole des dernières pensées du héros qu’il va faire tuer, en exécuteur testamentaire du personnage dont il est en train de mettre en mots la mise à mort : « Tout ce qui était connu, banal, routinier et prévisible était l’ennemi de la poésie… ».

Car, corollairement, le narrateur nous introduit dans la pensée, entre autres, du policier Barck qui, tout en menant l’enquête, développe sa propre conception de ce que doit être, par nature, le poète, et livre sa vision de la fonction de la poésie : « On ne devenait pas poète […], on l’était de corps, d’esprit, et d’âme ».

Barck « entendait que la littérature était faite pour contrarier la réalité, les préjugés, les idées préconçues, les généralisations, les stéréotypes ; qu’elle devait gêner, surprendre, irriter, susciter la polémique et la révolte… ».

Le deuxième pourrait avoir pour titre : « Qui a tué Jan Y Nilsson et pourquoi est-il mort ? ».

Exprime-t-il une volonté de l’auteur de tourner en dérision le genre du roman policier ?

Björn Larsson met ainsi en scène une demi-douzaine de protagonistes, plus ou moins suspects, plus ou moins impliqués dans la recherche de la vérité, tantôt considérés comme possibles auteurs du meurtre, tantôt ayant le statut d’adjuvants pour l’inspecteur Barck, chacun exposant, par le truchement du dialogue ou de l’introspection narrative, sa perception personnelle du genre poétique et de la place du poète dans la société contemporaine.

En effet, toute l’intrigue se situe à notre époque, en phase chronique avec des événements dont certains ont été médiatisés quelques mois à peine avant la parution du livre, sur toile de fond d’un contexte politique européen et mondial ultralibéral et ultrafinancier qu’analyse, critique, et dénonce ouvertement et lucidement l’auteur, ce qui représente une raison de plus pour se lancer sans plus attendre dans la lecture de cet intelligent roman aux multiples facettes.

 

Patryck Froissart

 
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08:29 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |