02/06/2022

Une illusion passagère, Dermot Bolger

Une illusion passagère, Dermot Bolger

Ecrit par Patryck Froissart 22.10.13 dans La Une LivresLa rentrée littéraireLes LivresCritiquesJoelle LosfeldIles britanniquesRoman

Une illusion passagère (The Fall of Ireland), traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas, août 2013, 133 pages, 15,90 €

Ecrivain(s): Dermot Bolger Edition: Joelle Losfeld

Une illusion passagère, Dermot Bolger

Quand Martin, haut fonctionnaire irlandais, accompagnant en Chine pour la célébration de la fête de Saint-Patrick le sous-secrétaire d’état au cabinet de qui il est attaché, se retrouve seul dans son hôtel, à Pékin, où l’a laissé son patron pour un jour ou deux, il loue, après avoir longuement tergiversé, les services d’une masseuse.

L’aventure est banalement triviale.

Les hôtels chinois, constate le narrateur, intègrent très naturellement ces prestations, dûment tarifées, dans l’éventail des offices disponibles.

Tout naturellement, Martin s’attend, avec une sourde excitation, à ce que l’officiante lui propose le massage spécial. Et en effet la jeune femme qui le rejoint dans sa chambre lui soumet, après une onctueuse friction qui lui procure un délicieux moment de plaisir, l’offre espérée.

Le récit aurait pu consister en une suite de tableaux érotiques, voire pornographiques, de ce qui se passe ordinairement en ces moments-là.

Certes les deux heures que passent ensemble l’attaché et la praticienne baignent dans une ambiance imprégnée de sensualité. Mais la scène est habilement rythmée par une alternance de séquences amicales, de surprenants moments de pudeur, d’échanges de propos intimes relatifs, en dépit de la barrière de la langue, à la sphère privée de chacun de ces partenaires d’un soir, de gestes de douceur inattendus, de brusques désenchantements quand arrive le temps de revenir à la triste réalité des questions triviales et crues touchant à la vénalité du tarif des prestations, de nouveaux élans d’affection, et de brefs instants de réel abandon :

« Elle s’apprêta à sortir. Mais une fois la porte ouverte, elle revint en courant le prendre dans ses bras. Elle l’embrassa vite, presque furtivement, sur la bouche, et il sut de façon certaine qu’elle n’avait plus rien à lui vendre ; c’était un cadeau d’adieu, un instant de dévoilement de ce qu’elle était vraiment ».

La question est sous-jacente de la possibilité d’une relation sincère, d’un franc partage, d’un authentique moment d’amour, et même, fugitivement, de l’éventualité pour elle et lui d’une union durable. La réponse est dans le titre du roman.

La grande originalité romanesque est l’inscription de cette scène de massage dans la rétrospection à laquelle se livre le quinquagénaire sur la vie, conjugale et familiale, qu’il a partagée jusqu’alors avec son épouse Rachel et leurs trois filles.

Dans le temps très court du récit (une soirée et une nuit d’hôtel), dans l’espace étroit et clos de la chambre louée, dans le cadre de l’action unique et resserrée que constitue le service particulier du massage, Martin revit les bons et mauvais moments de leur vie commune et s’interroge amèrement sur les causes qui ont provoqué la dissolution progressive des liens affectifs constituant initialement le groupe familial, jusqu’à la chambre à part imposée depuis longtemps par Rachel et l’indifférence manifeste actuelle des filles à l’égard de leur père.

Ainsi, à l’illusion passagère que fait naître chez un Martin solitaire et en manque d’amour la présence réconfortante de la jeune Chinoise s’oppose sa désillusion définitive, amèrement ressassée, quant à la permanence de l’édifice familial qu’il avait jadis souhaité construire.

Dermot Bolger amène avec talent le lecteur à se poser à nouveau la question fondamentale, récurrente dans l’univers romanesque : tout amour n’est-il qu’illusion ?

 

Patryck Froissart

 

 

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