02/06/2022

Le Bel Otage, Zayd Muti’Dammaj

Le Bel Otage, Zayd Muti’Dammaj

Ecrit par Patryck Froissart 10.01.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesContesPays arabesRomanZoe

Le Bel Otage (Al Rahina), traduit de l’arabe du Yémen par Nada Ghosn, 157 pages, 18 €

Ecrivain(s): Zayd Muti’Dammaj Edition: Zoe

Le Bel Otage, Zayd Muti’Dammaj

 

Au cours des années de troubles et d’agitation permanente qui préludent à l’assassinat, en 1948, de l’imam-roi Amir al-Mumenin al-Mutawakkil ‘Ala Allah Rab ul-Alamin, Imam Yahya ben al-Mansur Bi’llah Muhammad Hamideddin (sic), de nombreux fils de chefs rebelles ont été enlevés à leur famille et retenus comme otages dans les forteresses des gouvernorats.

Le héros de ce surprenant conte-roman est l’un de ces jeunes captifs. Après une période de forteresse, il est transféré au palais du gouverneur comme duwaydar, affecté au service particulier, aussi longtemps qu’il n’est pas devenu pubère, de la belle Sharifa Hafsa, la jeune sœur du gouverneur, divorcée, oisive, capricieuse, sensuelle, agitée de pulsions qu’elle ne parvient pas à brider.

L’otage, narrateur à la première personne, découvre peu à peu les règles arbitraires et archaïques d’une société de palais hypocrite, fermée sur elle-même, où les duwaydars, valets le jour, sont la nuit les jouets des femmes du sérail qui se les disputent.

Le jeune campagnard, fils de rebelle, accoutumé à vivre en liberté dans les vastes espaces ruraux, supporte mal sa détention et son asservissement en ces lieux enclos de hautes murailles, se révolte périodiquement contre la domination de la belle Sharifa et tente, vainement, de réprimer l’amour et l’attirance physique qu’il éprouve de façon croissante à l’endroit de sa maîtresse, à mesure qu’approche le moment où « il va devenir un homme ».

La forte tension dramatique qui sous-tend le chef-d’œuvre qu’est ce roman tient à cette situation paradoxale du jeune prisonnier, tiraillé entre d’une part la montée graduelle de l’envie de se débarrasser des chaînes physiques et psychologiques que lui impose Sharifa, et de se libérer du pouvoir tyrannique qu’elle exerce statutairement sur lui, et d’autre part le renforcement constant du désir de succomber à l’attrait de sa beauté et de répondre à ses avances de plus en plus pressantes et précises.

De l’extérieur arrivent des nouvelles diffuses, faisant état de troubles qui s’étendent de par le pays. Les révoltes sporadiques qui jalonnent la vie quotidienne et la lente maturation du jeune héros dans le microcosme palatal semblent refléter celles qui se développent au-dehors.

Zayd Muti’Dammaj dépeint ainsi de façon subtile, par petites touches, une société yéménite décadente vue par les yeux du narrateur, dont l’appréhension du monde, naïve et limitée au début du roman, prend de l’acuité alors que passent les mois, puis les années, et devient progressivement critique et contestataire, à contre-sens de la tradition d’obéissance aux maîtres que tentent de lui inculquer les vieux serviteurs :

« – Tu n’es pas bien ici ?

– En quelque sorte !

– Qu’est-ce que tu veux de plus ?

– Je veux sentir l’air pur… La liberté.

– Tu es l’otage de notre Maître l’Imam.

– Mais je ne suis pas un esclave… »

L’annonce de l’assassinat de l’imam-roi survient au moment où le duwaydar décide de s’affranchir de sa sujétion par une évasion dont il n’aurait pu imaginer l’éventualité quelques années plus tôt…

Y parviendra-t-il ?

 

Patryck Froissart

 

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