30/06/2022

Histoires d’amour dans l’Histoire des Arabes, choisies, traduites et annotées par Jean-Jacques Schmidt

Histoires d’amour dans l’Histoire des Arabes, choisies, traduites et annotées par Jean-Jacques Schmidt

Ecrit par Patryck Froissart 20.04.16 dans La Une LivresSindbad, Actes SudLes LivresCritiquesContesPays arabes

Histoires d’amour dans l’Histoire des Arabes, février 2016, 149 pages, 19 €

Ecrivain(s): Jean-Jacques Schmidt Edition: Sindbad, Actes Sud

Histoires d’amour dans l’Histoire des Arabes, choisies, traduites et annotées par Jean-Jacques Schmidt

Remercions et félicitons les éditions Actes Sud pour la publication de cet ouvrage dans lequel Jean-Jacques Schmidt a compilé une somme d’environ soixante-dix contes de longueur très variable.

Ouvrage de référence quand on sait que, ces dernières décennies, maintes thèses d’histoire littéraire ont fait de la littérature arabe une des sources essentielles du roman courtois et de la poésie courtoise qui ont fait florès en Occident du XIe au XIIIe siècle.

On connaît par ailleurs l’influence qu’a eue sur notre histoire littéraire le Livre des Mille et Une Nuits, surtout après la traduction qu’en a faite Antoine Galland au début du XVIIIe siècle, mais déjà beaucoup plus tôt, puisque dès le XIe siècle circulaient en Europe des variantes de certains des récits qui le constituent, transplantés ou greffés dans le corpus des contes des folklores locaux.

Les histoires d’amour ici collectées, rassemblées et classées par grandes périodes (successivement époque préislamique, débuts de l’islam, époque omeyyade, époque abbasside, époque andalouse) présentent, malgré les contextes historiques différents et l’emprise croissante de la religion, une remarquable identité thématique, narrative et dramatique.

Histoires d’amours récuremment interdites, les récits se terminent pour la plupart de façon tragique, par la mort de l’un des deux amoureux, l’inaccessibilité de l’être aimé provoquant une fatale mélancolie chez l’un des protagonistes, puis chez l’autre. Le premier des deux qui succombe est alors vite rejoint dans la tombe par le second.

Toutefois une fin heureuse peut se produire.

« Et c’est ainsi que, pendant des années, je vécus dans le bonheur […] avec celle qui avait été mon esclave musicienne… »

Tantôt l’amour naît brusquement, au hasard d’une rencontre, et croît rapidement en intensité jusqu’à devenir passion mortelle, tantôt il se développe naturellement dès l’enfance entre cousin et cousine. Le mariage entre cousins qui est, dans la réalité, un arrangement coutumier, est alors contrarié par des inférences socio-économiques lorsque l’un des amoureux est contraint par la famille à faire le choix d’un parti plus intéressant par sa position sociale ou matérielle.

L’amour peut surgir aussi entre un homme et une femme que séparent initialement la condition, le statut, la religion, soit entre maître et esclave, entre musulman et chrétienne, l’amour pouvant être « plus fort que la religion ».

La licence poétique peut exprimer une licence hédoniste affirmée :

« Que de fois nous avons bu d’un vin vieux venu de Babylone

Bercés par le son du roseau et les accents du luth… »

L’un des amants est souvent poète, parfois les deux le sont. La déclamation de poèmes est régulièrement le mode d’expression de la déclaration, et celui qui est le mieux à même de traduire la douleur de la séparation, le tourment du regret ou les délires du héros que la souffrance fait sombrer dans la folie.

Les noms de nombre de ces amants sont devenus légendaires dans l’imaginaire littéraire arabe, tout autant que nos Tristan et Yseut et Héloïse et Abélard.

Il en est ainsi de l’histoire de Urwâ et Afrâ, de celle de Jamil et Buthayna, entre autres, mais surtout de celle de Qays Ibn Al-Mullawah et de sa belle cousine Laylâ Al-Amiriyya, les Roméo et Juliette de la littérature arabe, histoire d’amour à la folie qui vaut à Qays le célèbre surnom de Majnoun Laylâ (le fou de Laylâ) et qui connaîtra d’innombrables versions, non seulement dans le monde arabe mais aussi en Perse, en Inde, en Asie Centrale et en Afrique du Nord… jusqu’à entrer dans le répertoire du rock avec Eric Clapton, qui s’est lui-même inspiré de ce drame pour composer sa chanson intitulée… Layla, dédiée à Pattie Boyd, la femme, inaccessible, de George Harrison !

Laylâ et Qays étant poètes, leur amour incurable s’exprime de façon lyrique.

« Sa blancheur est éclatante comme celle de la lune au cœur de la nuit. Elle est si belle qu’elle fait mourir les femmes d’envie… »

Il suffit de la moindre évocation de la femme aimée pour que Qays tombe en syncope :

« Quelqu’un a prononcé le nom d’une autre Layla que la mienne et, en l’entendant, c’est comme si ce nom avait fait s’envoler un oiseau de mon cœur… »

Rien ne peut rien contre ces amours-là :

« Elle a dit : C’est moi qui t’ai rendu fou ? J’ai répondu : L’amour est plus grand que la folie… Celui que l’amour un jour a pris jamais plus ne retrouve la raison ».

Cette anthologie savante témoigne d’une transversalité culturelle, voire d’une universalité de fait du thème de l’amour dans l’histoire littéraire orale et écrite.

Outre le charme intrinsèque de chacun des récits qui la composent, elle permet de faire une utile et nécessaire distinction entre d’une part la culture arabe traditionnelle dans laquelle la femme, respectée, aimée, honorée, adulée, a toute sa place, et d’autre part les déviances bestiales des déments intégristes contemporains de tout poil qui l’asservissent, la violentent, lui dénient toute humanité, la réifient, la violentent et la vendent.

 

Patryck Froissart

 

 

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