03/07/2022

La petite galère, Sacha Desprès

La petite galère, Sacha Desprès

Ecrit par Patryck Froissart 18.01.17 dans La Une LivresL'Âge d'HommeLes LivresCritiquesRoman

La petite galère, 195 pages, 16 €

Ecrivain(s): Sacha Desprès Edition: L'Âge d'Homme

La petite galère, Sacha Desprès

 

Laura, dite Lo, lycéenne, vit avec sa grande sœur Marie, dite La Jolie, depuis qu’à l’âge de treize ans elle a assisté en direct à la tragédie du suicide de leur mère, Caroline. Elle voit rarement son père, divorcé avant le drame.

Marie est une jeune femme de mœurs très libres, anti-conventionnelles, qui joue sans scrupule de son exceptionnelle beauté.

Marie.

La Jolie.

Cette fille, c’est Frida, Judith, Ophelia. Réunies dans un seul et même tableau. Une bande dessinée pour adultes. Une comptine pour enfants. La Dame Tartine de l’érotisme. Le Miel des poètes…

Entre les deux sœurs, l’union est fusionnelle. Elles partagent un secret dont la nature sera seulement suggérée par l’auteure. Elles sont complices. Laura admire Marie qui veut faire de Laura une seconde Marie…

Alors Marie amorce au bénéfice de sa sœur, en guise de cadeau d’anniversaire, une histoire d’amour qui se mue immédiatement en une liaison sexuellement torride entre la lycéenne et son professeur de français, Wilder.

L’intrigue illicite entre Wilder et Laura rappelle celle du film Noce blanche de Jean-Claude Brisseau (1989), avec des scènes dont la crudité narrative serait parfois comparable à celle du roman Histoire d’O.

Entre les épisodes érotiques, l’auteure intercale des retours sur la relation conjugale difficile, chaotique, qu’ont connue les parents des deux filles, sur la récurrence obsessionnelle, chez Laura, de la vision du cadavre de sa mère, sur les comportements névrotiques que le drame a provoqués dans son psychisme.

Rien qu’une fois, Laura échangerait bien ses délires nocturnes contre un sommeil de plomb. Une nuit de bonheur dans le noir. Simple, sans fièvre ni mémoire. Mais depuis trois ans, Caroline ressuscite dans les rêves de sa fille.

Un équilibre relatif s’établit dans la vie pourtant fort dissipée des deux sœurs jusqu’au jour où le rompt l’irruption d’un nouveau protagoniste, Jack, dans la chaîne des amants de Marie. L’insoumise, l’indépendante qui choisit ses partenaires tombe sous l’emprise de ce personnage veule, parasite, grossier, qui s’installe dans l’appartement et s’immisce dans la relation intime, secrète, complice, jusqu’alors exclusive du couple singulier que forment Marie et Laura.

Lo ne reconnaît pas sa grande sœur. Elle l’a déjà vue amoureuse, bien sûr, mais là c’est autre chose. Marie est happée par la logorrhée de l’affreux…

Tout au long du roman, l’auteure alterne les points de vue, adoptant le plus fréquemment celui de Laura, sans doute celui qui implique le plus fortement le lecteur.

C’est par les yeux de Laura qu’on découvre peu à peu le caractère destructeur de Jack.

La trajectoire romanesque est ici totalement à l’inverse de la romance rose à la Delly. On pressent, très tôt, que point n’y aura de fin heureuse. La tension tragique s’installe et croît de scène en scène.

Car Marie et Laura brûlent la mèche de leur bougie de vie par les deux bouts. Sexe, drogue, violence donnent le ton, sur une écriture rapide, heurtée, sans fioritures. C’est une lente descente aux enfers qui semble irréversible.

Les descriptions sont brèves, réduites au décor strictement nécessaire, dont les éléments participent, c’est étudié pour, à l’atmosphère générale.

Le commentaire, incisif, souvent implicite, sous-jacent, dans le corps du récit, ou exprimé par les personnages eux-mêmes, dans leurs pensées ou dans les dialogues, ou dans des séquences de conversations de comptoir, empreint d’un féminisme latent, constitue un réquisitoire virulent contre la société française contemporaine.

L’auteure met en évidence la désagrégation sociale des banlieues, la montée dans le pays d’un nationalisme haineux, le goût effréné pour l’événement de préférence morbide et remplacé du jour au lendemain par un événement nouveau, la fringale de consommation, la dérive d’individus sans idéal, la disparition de repères structurants…

Sur la planète France, on patauge. Les canards ont dévoré la miche et leurs petits ne se contentent pas des miettes. Ce que veut la jeunesse : des rêves à consommer sur place ; de l’émotion@immédiate.fr

Rien de tout cela n’est évidemment nouveau, mais les angles d’attaque, littérairement et lexicalement parlant, sont d’une impressivité brutalement efficace. Ainsi, dès que se termine une violente prise d’otages au lycée La Prairie, que fréquente Laura :

Une fois les caméras parties, chacun regagne son clapier. On allume les écrans. La Prairie passe à la télé. Très vite au royaume des fous la vie refait surface. Ses spectateurs retournent au supermarché vider les bacs à surgelés. Dès la semaine suivante, plus personne ne parle de…

Le sentiment général que « ça ne peut plus durer » est résumé par un monologue de Jack le velléitaire :

Si demain les banlieues s’embrasent, je serai de leur côté. S’il fallait couper des têtes, je saurai lesquelles. […] La violence, ce n’est pas la nôtre mais la leur. Putains de riches. Il faut que ça change.

Le lexique est branché moderne, sans excès. Les phrases courtes, parfois nominales, souvent proches de l’oralité, vont à l’essentiel.

Le dessein est d’accrocher, quitte à quasiment apostropher le lecteur, à qui on pourrait pour l’occasion permettre d’utiliser cette expression peu élégante : alors ça, ça m’interpelle !

Sacha Desprès, La petite galère, une révélation !

 

Patryck Froissart

 

 

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17:04 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

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