25/03/2024

L’appel de la louve, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

L’appel de la louve, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 12.10.23 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésieEditions du Cygne

L’appel de la louve, Murielle Compère-Demarcy, Editions Du Cygne, mars 2023, 58 pages, 10 €

Ecrivain(s): Murielle Compère-Demarcy Edition: Editions du Cygne

L’appel de la louve, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

 

Ouvrir tout recueil de Murielle Compère-Demarcy peut généralement s’assimiler à ouvrir imprudemment la porte, un jour, ou mieux, une nuit, sur un au-dehors, sur un autrement, sur un ailleurs autant distant qu’immédiat, souvent tempétueux, tourbillonnant, balayé de rafales et d’éclairs, en lequel on est impérativement aspiré et emporté, et irrésistiblement bouleversé, sans possibilité de retour vers le havre du quotidien, du domestique, du cocon où on se prélassait « sans savoir ».

C’est précisément ce qui attend le lecteur répondant à L’appel de la louve, ce nouvel opuscule publié aux Editions du Chant Du Cygne.

Le rythme est donné d’emblée par l’apparition du segment, « je cours, je cours », double occurrence verbale qui, récurremment, revient soutenir physiquement la quête haletante de la louve et scander le souffle poétique qui anime l’écriture.

Après quoi, après qui court la louve, « personnage » du recueil, qui parle, ou qui hurle, à la première personne ? Après un « vous » non autrement nommé, ce qui laisse « courir » l’imagination du lecteur.

 

Je cours, je cours

après vous

Louve, Louvoie,

Alpha dévorante de vous

 

Elle court, elle court, cette louve solitaire, qui a « quitté la meute », qui erre « au-delà » de la meute, qui, même lorsqu’il lui arrive de se sentir encagée, « hurle d’être toujours aussi sauvage ». Louve quoi qu’il en soit, où qu’elle en soit, qui court plus libre que l’air, qui court à travers temps, qui court à travers lieux, qui court à travers murs, indomptée, irréfrénable, comme, tiens ! la poésie, bon sang, mais c’est bien sûr…

 

La poésie se lève

marche

entre chez toi

ouvre une fenêtre

Bolide sans abîme

elle traverse

renverse

le jour sud-américain

 

Elle court, elle court, la lecture… Mais sa course n’est pas caracolade folâtre, n’est pas batifolage insouciant par le travers souriant d’une nature bucolique. Ici rien n’est calme, rien n’est luxe, rien n’est volupté. La louve est en souffrance. La louve est sinon revêche, du moins rebelle, est affamée de révolte, elle est cri, plainte, accusation. La lecture se mène à rebrousse-poil. Le décor est sombre, tourmenté. L’intime et le dehors se confondent :

 

Sortirons-nous vivants

des entrailles du monstre enfoui en nous ?

 

Elle court, elle court, l’écriture. Attention ! Le lexique est un champ de douleur, de violence, de feu. Il se fait séisme, saccage, déferlante, barbare, vacarme, faussaire, trahison, GENOCIDE, CRIME CONTRE L’HUMANITE, ravive les blessures, l’immonde de l’Histoire, la Shoah, effectue un saut amer dans l’actuel en dénonçant l’agression de l’Ukraine.

 

L’Ecrire exécute

d’une main de traitre

son massacre

sa course errante

Déroute

jusqu’à briser

les reins des étoiles

 

Il court, il court, le Verbe. Et dans sa course libertaire, inapprivoisable, le Verbe de Murielle est serpe, le Verbe tranche, massacre, fracasse, brûle, hurle, crache, mord, dévore. Et rencontre Supervielle à Montevideo, et croise le chemin tragique de poètes maudits, et les appelle solidairement à le rejoindre dans son dé-lire réfractaire, à l’illuminer de leur lucidité paradoxale.

 

Artaud Prevel Giauque Duprey

Crevez mon asphyxie

 

Créez mon vertige

Recréez

canne de saint Patrick nombril sapé

voix de saccage à réarticuler l’ire

la serpe du Langage

 

Elle court, elle court, Murielle Compère-Demarcy, de strophe en catastrophe, de recueil en recueil, suivie d’instinct, on l’espère, par une meute de lecteurs courant eux aussi, dans son erre poétique, entraînés dans son écriture dynamique, hier dans le fleuve impétueux de L’Ange du mascaret, aujourd’hui dans la trajectoire de la Louve, dans une course encore éprouvante, rendue ardente par la rage que soulève la vision d’un monde où l’homme est toujours un loup pour l’homme.

Cours, lecteur, lève-toi à l’Appel, cours avec la Louve, enfreins son manifeste : elle se veut solitaire, sois-lui donc solidaire !

 

Ni un numéro

ni la possession

d’aucun propriétaire

Rien à déclarer

Gueule de louve solo

Eruptive solaire

Enigmatique lunaire

Insurrectionnelle

En marge de la meute

(In)fréquentable et autonome

Gueule de louve solo

Réfractaire

LIBRE et libertaire

 

Patryck Froissart

 

Murielle Compère-Demarcy, publiant aussi sous le nom de MCDem, est une poétesse, nouvelliste et auteure de chroniques littéraires et d’articles critiques.

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15:22 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

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