29/05/2022

Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

Ecrit par Patryck Froissart 05.03.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsEssaisPascal Galodé éditeurs

Memento du Franc-Maçon, 2012, 590 p. 25 €

Ecrivain(s): Guy Chassagnard Edition: Pascal Galodé éditeurs

Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard

 

Le titre de cet imposant ouvrage de 590 pages pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un livre destiné aux seuls initiés, d’une sorte de catéchisme maçonnique qui ne serait pour les profanes qu’un texte occulte de plus sur les prétendus « mystères » de la franc-maçonnerie.

Il n’en est rien.

Le tour de force de Guy Chassagnard est d’avoir élaboré un document « tout public » sans tomber dans la vulgarisation sensationnelle de textes d’auteurs se vantant d’informer le lecteur, qu’ils présupposent naïf, sur la franc-maçonnerie tout en feignant d’en savoir beaucoup plus que ce qu’ils veulent ou peuvent en dire, et s’acharnant à envelopper d’une atmosphère d’occultisme des éléments qui ne sont secrets que de polichinelle.

La lecture de ce mémento sera sans aucun doute utile aux profanes qui ont la saine curiosité de s’informer sur les objectifs de la franc-maçonnerie, qui ont l’envie sans a priori de mieux connaître cette association d’hommes de bonnes mœurs, et qui souhaitent se défaire des préjugés, des clichés, de l’image volontairement fausse qu’en donnent régulièrement les médias.

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique et progressive […] a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » (Article premier de la Constitution de 1877 du Grand Orient de France).

En feuilletant ce livre, ils auront l’opportunité d’apprendre de la franc-maçonnerie, de son histoire, de ses origines attestées ou mythiques, de ses rites, de ses rituels, de ses ornements, de son lexique, et, surtout, de ses principes fondamentaux… tout ce qu’il est possible d’en dévoiler sans contrevenir aux règlements maçonniques de nécessaire confidentialité. La gageure est noble : faire de la lumière sur ce qui est présenté généralement, et abusivement, comme hermétique, et qui a été ridiculement mis jadis à l’index par l’Eglise Catholique (bulles de Clément XII et de Benoît XIV en 1738 et 1751).

Pour autant la lecture de ce mémento ne sera pas inutile aux initiés. La présentation et l’explication, simples, sans ambages, des éléments fondamentaux, des (très nombreux) points communs et des différences (foncièrement, pour la plupart, insignifiantes) entre les rituels du degré d’Apprenti de chacun des trois grands rites pratiqués par les obédiences françaises (Le Rite français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Ecossais Rectifié) sont en effet d’une telle rigueur, témoignent d’une telle volonté de clarté, et sont formulées avec tellement de précision et de références que tout Franc-Maçon, quels que soient ses degrés, grades et qualités, pourrait (devrait) faire de ce volume son « dictionnaire » des fonctions, des offices, des symboles, des expressions, des multiples éléments de langage qui lui sont familiers mais dont il ne maîtrise pas toujours le sens profond, et devrait le garder, en guise d’outil, à portée de main sur sa table de chevet ou dans un coin du bureau sur lequel il trace ses planches.

Le lecteur, initié ou profane, ne peut manquer d’être intéressé par exemple par l’article sur le Nombre d’Or, connu et utilisé dès l’Antiquité par les bâtisseurs de temples, par l’éclairage porté sur la démarche d’initiation, par le sens symbolique des objets présents dans les ateliers au premier degré, par les statuts préfigurant, entre autres écrits, ceux de la Franc-Maçonnerie, inscrits dans la Legge del Paradiso promulguée à Bologne en 1256, loi qui supprime le servage et libère les esclaves six siècles avant la France !

L’organisation du livre autorise une lecture intermittente, non linéaire. Après une intéressante entrée générale dans l’histoire et la situation actuelle de la franc-maçonnerie française, viennent trois gros chapitres consacrés successivement au Rite Français, au Rite Ecossais Ancien et Accepté, et au Rite Ecossais Rectifié. Une bibliographie choisie puis un index alphabétique lexical précis complètent cet ouvrage qu’on peut mettre, sans réserve, entre toutes les mains et qui, il faut le souligner, n’a aucun objectif, ni affirmé, ni subliminal, de prosélytisme…

 

Patryck Froissart

 
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Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

Ecrit par Patryck Froissart 01.03.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPays arabesRomanSeuil

Mauvaises passes (Wuqûf mutakarrir), traduit de l’arabe égyptien par Emmanuel Varlet, Seuil, format kindle février 2013, 176 pages

Ecrivain(s): Mohamed Al-Azab Edition: Seuil

Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab

 

Nous est familier, dans le roman, l’usage de la troisième personne, qui instaure, entre le personnage « IL » et le narrateur, la distance maximale.

Nous sommes habitués, également, à l’emploi du JE, qui abolit cette distance pour donner l’illusion que le narrateur et le héros sont une seule et même personne.

Mohamed Al-Azab, pour ce roman court et dense, a fait le choix d’une autre perspective, beaucoup moins courante : le narrateur s’adresse au personnage principal en utilisant le TU.

Certes nous connaissons des exemples de romans à la deuxième personne (La Modification, de Michel Butor, ou Un homme qui dort, de George Pérec, pour ne citer que ceux-là). Dans ces exemples, le narrateur s’adresse au lecteur, et l’institue, de gré et de force, héros du récit.

Ce n’est pas le cas dans Mauvaises passes. La technique mise en œuvre ici conduit à une situation étrange en laquelle on a l’impression que le personnage se parle à lui-même, en miroir, se raconte sa vie comme s’il ne la connaissait pas. Il semble que le narrateur et le héros ne forment qu’un seul être qui se dédouble dans la mise en scène en un témoin et un acteur, le témoin étant le JE implicite qui désigne son double, l’acteur, par la deuxième personne, TU.

Le récit étant écrit, à l’exception de quelques extrusions dans un passé proche, entièrement au présent, la simultanéité entre la narration et l’action renforce encore la sensation de l’absence totale de distance entre les deux composantes.

L’intrigue a pour lieu symbolique une garçonnière, en ville, où se transplante Mohamed Ibrahim, un jeune égyptien que la concurrence d’une grande enseigne vient de contraindre à fermer sa petite entreprise de jeux électroniques. Toute sa famille quitte un matin la ville provinciale de Madinet El Salam (la Ville de la Paix : on comprend la portée symbolique du toponyme), y compris la cousine et fiancée du jeune homme, venue du douar de Aïn Shams (La Source de Lumière : autre toponyme évocateur), pour aider à son installation dans « sa chambre de célibataire », et manifeste son incompréhension, voire sa réprobation :

La chambre ne leur plaira pas du tout. Ta mère restera interdite devant la vulgarité des femmes assises devant l’immeuble. Ses yeux lanceront des éclairs. Sur le moment, elle se gardera de tout commentaire, mais éclatera au cours du repas : « Quel être sensé abandonnerait la maison de ses parents pour s’installer dans un cloaque pareil ?!! »

Ce paragraphe condense toute la thématique, la problématique, la dramatique du roman : le jeune homme, au prétexte que retrouver du travail et recréer une entreprise sera plus facile en ville, a foncièrement envie de vivre sa vie, celle qu’il n’a pu vivre jusqu’alors à cause des contraintes sociales et morales, et rêve de faire de la chambre, avec la complicité de son camarade Moneim, l’endroit où il pourra assouvir sa soif de rencontres amoureuses sans tabou (d’où le titre français) et surmonter ainsi la frustration qu’il partage avec des milliers d’hommes et de femmes de sa génération dans un pays sur lequel pèse de plus en plus la lourde chape morale des interdits religieux, en particulier sexuels.

C’est un roman d’initiation, un roman exprimant une violente volonté de rupture générationnelle, un roman qui clame un besoin crucial d’émancipation, de révolution, et… de printemps ! La relation avec ce qui se passe en Egypte depuis deux ans est évidente.

Par le tutoiement, l’écrivain s’adresse, sans aucun doute, à tous les jeunes Egyptiens, réunis dans un TU collectif.

Cette jeunesse s’en sortira-t-elle ?

Mauvaises passes est d’une certaine façon un roman militant, même si son dénouement n’incite pas vraiment à l’optimisme…

 

Patryck Froissart

 
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Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

Ecrit par Patryck Froissart 21.02.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPays nordiquesRomanGrasset

Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers, traduit du suédois par Philippe Bouquet, 2012, 491 p. 22 €

Ecrivain(s): Björn Larsson Edition: Grasset

Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson

 

Il y a ordinairement autant de distance entre le roman policier et la poésie qu’entre le jeune Werther et Hercule Poirot… bien qu’il existe des lecteurs prisant tout autant chacun de ces deux genres.

Björn Larsson a osé réunir dans un même livre poésie, crime, enquête policière, réflexions sur la poésie…

Le héros : Jan Y Nilsson est un poète, un vrai, de ceux pour qui l’écriture poétique est « une vocation à laquelle on [voue] son existence, sans considération de modes ni de tendances ».

Et voici qu’il se met, le traître, sur commande de son éditeur, à écrire… un roman policier !

Et voilà qu’il se permet de mourir quelques heures à peine avant d’apprendre par ce même éditeur que son roman sera un best-seller et lui rapportera des millions d’euros par contrats signés sur épreuves avant même qu’en soit écrit le dernier chapitre…

Jan Y Nilsson, poète doublement assassiné, littérairement d’abord, puisque ses livres ne se sont pas vendus de son vivant, puis physiquement, ce qui constitue le crime fondateur du roman policier (il est vrai qu’assassiner des poètes est une des préoccupations préférées de certains régimes), est certes le héros du roman mais le personnage principal en est un policier amateur et lui-même auteur (en secret) de poésie, Barck, et tous les rôles secondaires évoluent dans cet univers déplorablement restreint des amoureux ou des éditeurs d’ouvrages poétiques et forment le cercle dramatiquement réduit des lecteurs de Jan Y Nilson.

Le résultat de cette combinaison a priori monstrueuse est que le lecteur se retrouve avec deux livres en un.

Le premier pourrait s’intituler : « Qu’est-ce que la poésie ? », question à quoi le narrateur répond, en porte-parole des dernières pensées du héros qu’il va faire tuer, en exécuteur testamentaire du personnage dont il est en train de mettre en mots la mise à mort : « Tout ce qui était connu, banal, routinier et prévisible était l’ennemi de la poésie… ».

Car, corollairement, le narrateur nous introduit dans la pensée, entre autres, du policier Barck qui, tout en menant l’enquête, développe sa propre conception de ce que doit être, par nature, le poète, et livre sa vision de la fonction de la poésie : « On ne devenait pas poète […], on l’était de corps, d’esprit, et d’âme ».

Barck « entendait que la littérature était faite pour contrarier la réalité, les préjugés, les idées préconçues, les généralisations, les stéréotypes ; qu’elle devait gêner, surprendre, irriter, susciter la polémique et la révolte… ».

Le deuxième pourrait avoir pour titre : « Qui a tué Jan Y Nilsson et pourquoi est-il mort ? ».

Exprime-t-il une volonté de l’auteur de tourner en dérision le genre du roman policier ?

Björn Larsson met ainsi en scène une demi-douzaine de protagonistes, plus ou moins suspects, plus ou moins impliqués dans la recherche de la vérité, tantôt considérés comme possibles auteurs du meurtre, tantôt ayant le statut d’adjuvants pour l’inspecteur Barck, chacun exposant, par le truchement du dialogue ou de l’introspection narrative, sa perception personnelle du genre poétique et de la place du poète dans la société contemporaine.

En effet, toute l’intrigue se situe à notre époque, en phase chronique avec des événements dont certains ont été médiatisés quelques mois à peine avant la parution du livre, sur toile de fond d’un contexte politique européen et mondial ultralibéral et ultrafinancier qu’analyse, critique, et dénonce ouvertement et lucidement l’auteur, ce qui représente une raison de plus pour se lancer sans plus attendre dans la lecture de cet intelligent roman aux multiples facettes.

 

Patryck Froissart

 
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28/05/2022

Homo erectus - Tonino Benacquista

Homo erectus, Tonino Benacquista

Ecrit par Patryck Froissart 13.11.12 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Roman

Homo erectus, Folio 2012, 305 pages

Ecrivain(s): Tonino Benacquista Edition: Folio (Gallimard)

Homo erectus, Tonino Benacquista

Chaque jeudi, à Paris, dans un endroit secret qui n’est jamais le même, des hommes racontent devant d’autres hommes la nature et l’évolution des rapports qu’ils entretiennent ou ont entretenus avec une ou plusieurs femmes, puis cette assemblée extraordinaire se sépare, sans un commentaire autorisé sur aucune des « confessions », sur l’annonce de l’adresse de la session suivante.

Ce pourrait être la scène d’un nouvel Heptaméron qui aurait pour règles singulières que les participants ne se connaissent pas, ne déclinent pas leur identité, ne cherchent pas à en savoir plus que ce qui est narré, ne se parlent pas, ne se rencontrent point hors de l’étrange atelier qu’ils cessent de fréquenter quand ils en ont envie.

Or dans Homo erectus, trois des personnages qui se sont trouvés un même soir en ce cercle mystérieux enfreignent ce règlement : tout en assistant épisodiquement aux soirées occultes, ils se retrouvent ponctuellement à la terrasse d’un café, confrontent le bilan négatif qu’ils se font de leur relation passée avec le deuxième sexe, puis en tirent leçon, chacun à sa façon, chacun avec la morale qu’il prend la décision d’adopter dorénavant, pour se tracer, délibérément, obstinément, une vie nouvelle fondée sur un changement radical de conduite vis-à-vis de la gent féminine.

Yves Lehaleur, poseur de double-vitrage, a divorcé cinq ans auparavant de sa femme Pauline qu’il aimait pourtant passionnément, après avoir appris qu’elle avait passé une nuit au lit avec un strip-teaseur. Il se présente comme « l’homme qui ne pardonne pas aux femmes ».

Denis Benitez, serveur en brasserie, tombeur, séducteur invétéré jusqu’à trente ans, ne réussit plus, brusquement, à attirer l’attention féminine. Il se définit comme « l’homme que les femmes fuient ».

Philippe Saint-Jean, philosophe médiatique, est en manque de Juliette, qui l’a quitté « à cause de ce qu’il était devenu : un type tout prêt à accepter, sans plus se poser de question, l’image du brillant intellectuel que d’aucuns lui renvoyaient ».

Quel comportement adoptera chacun d’eux à partir de cette rencontre ? Quel sens le maillage de leurs nouvelles façons de vivre donnera-t-il au roman ?

L’auteur de cet Homo erectus a-t-il pour volonté de tourner en impitoyable dérision l’illusion de la puissance virile et de la supériorité masculine ? On pourrait le penser à la lecture de chacun des récits que font à chaque assemblée secrète des intervenants anonymes de leur vie conjugale ou amoureuse : sauf exception, en effet, ces pauvres mâles jouent les victimes…

La collection systématique de prostituées que Lehaleur se donne pour dessein vindicatif de constituer avec obstination semaine après semaine ne traduit-elle pas une vision catégoriquement misogyne en laquelle chaque femme n’est considérée qu’en fonction de la nature du plaisir et du sentiment de domination qu’elle peut procurer à son partenaire ?

« Depuis qu’une femme avait bafoué le brave petit monsieur qu’il s’efforçait de devenir [pour elle], cent autres l’aidaient aujourd’hui à révéler un nouveau Lehaleur, insoupçonnable même dans ses rêves les plus permissifs ».

La liaison passionnée que noue Saint-Jean, le philosophe qui dénonce la vanité des vanités, avec un mannequin mondialement célèbre qui l’utilise comme faire-valoir intellectuel sous les feux des projecteurs dont elle ne peut se passer ne fait-elle pas de lui, a contrario de l’exemple précédent, et a contrario de ce que dénonce notre penseur dans ses écrits, l’homme-objet qu’on exhibe au gré des festivals, dans un tourbillon d’artifices, de luxe et de paillettes ?

« Tu es jeune, tu es belle, tu mènes une existence de rêve, mais tu représentes cette certaine idée de la décadence que j’essaie de formuler dans mon travail… »

La femme qui tombe un soir on ne sait d’où dans l’appartement de Denis, et qui squatte d’abord le canapé du salon puis le lit de la chambre à coucher, symbolise-t-elle l’insaisissable qui impose sa présence sans souffrir la moindre contestation mais qui dispose, à son seul gré, de l’heure qu’elle choisira pour sa disparition, aussi soudaine et immotivée qu’aura été son apparition ?

« Ils couchaient dans le même lit, partageaient leur pitance, échangeaient de bonne foi. Et pourtant, rien n’aidait Denis à percer l’éternel mystère d’une intruse qui comptait bien le rester, ni celui de son imminent départ ».

Homo erectus, dans le cours, qui s’entrecroise, de ces trois vies d’hommes, entre quoi s’interposent les récits des visiteurs du cercle, est un cocktail détonnant de fantaisie, d’humour, de drames, d’érotisme, de questions essentielles et existentielles.

En fin de lecture, on peut se dire que la femme n’y a pas le beau rôle. Mais l’intention de ce roman prenant est à la fois plus complexe et plus subtile.

 

Patryck Froissart

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Dictionnaire érotique de l'argot - Georges Lebouc

Dictionnaire érotique de l'argot, Georges Lebouc

Ecrit par Patryck Froissart 28.11.12 dans La Une LivresLes LivresRecensionsEssais

Dictionnaire érotique de l’argot, Editions Avant-propos, 2012, 16,95 €

Ecrivain(s): Georges Lebouc

Dictionnaire érotique de l'argot, Georges Lebouc

 

J’ai eu le pépin pour ce livre aux pages de papier glacé agréables au toucher qui m’a séduit a priori par la qualité de son édition, par son titre, et par l’illustration suggestive de sa couverture.

La marchandise est indiscutablement racoleuse : dans toute librairie où elle se met en vitrine, elle vous joue son pousse-au-vice sans que le libraire ait besoin de se transformer en barbillon et d’envoyer sa caissière, qu’il a évidemment recrutée pour son physique de corvette gironde ballottée de première, faire son persil comme une vulgaire ambulante sur le macadam du trottoir de sa boutique pour y lever les clilles.

Une fois qu’il a sorti ses carrés de soie, n’importe quel micheton peut l’embarquer, et l’enflure alors a toute liberté de se la farcir à domicile ou sur un banc public sans pour autant passer pour un Mozart de la fourrette.

Et si c’est une bombasse qui l’emballe, rien ne l’oblige à se l’envoyer à la maison tire-bouton : ce n’est pas parce qu’elle en prendra son fade dans le métro ou dans la salle d’attente de son gynéco qu’on la soupçonnera d’être de la garde nationale !

Bon ! Ainsi présenté, ce cadeau, car c’en est un, ne semble pas fait pour les caves. Je vous détrompe : tout lecteur, ou toute lectrice, atteindra un haut degré de jouissance linguistique à le mater, à le toucher, à le manipuler, et à l’effeuiller, pardon, à le feuilleter.

Pourquoi ne peut-on manquer d’avoir les foies chauds pour le bouquin de Lebouc ?

D’abord pour sa construction.

En effet, sur dix chapitres thématiques, l’auteur disserte, de manière à la fois savante et légère, sur les mots et expressions qu’il a recueillis au fil de ses recherches. A la fin de chaque thème, il propose de petits exercices amusants de traduction de textes argotiques qui rappellent au lecteur lettré la jouissance qui fut la sienne chaque fois que son professeur de lettres lui donnait à travailler une version latine.

Suivent, pour la récréation, des chansons de Bruant, de Maurice Chevalier, de Mistinguett…

L’amateur de linguistique retrouve ensuite une série d’explications sur la façon dont se forment la plupart des unités lexicales argotiques.

La dernière partie du livre offre un lexique argot-français puis un lexique français-argot. Enfin, une bibliographie détaillée oriente vers les ouvrages complémentaires utiles.

Ensuite pour les références à ces auteurs qui vous ont certainement donné un jour ou l’autre du pur bonheur : Alphonse Boudard, Prévert, Gainsbourg, Allais, San Antonio, Perret…

Mais aussi pour tout ce qu’on y apprend, si on n’est pas déjà un spécialiste averti de la chose.

N’est-il pas amusant, à défaut d’être utile, de savoir ce qu’est un frigidaire à baisette, une épuiseuse, un soissonnet, un dos d’azur ?

N’est-il pas intéressant d’apprendre ce qui se passe habituellement rue de l’Avant-Bras numéro 5 ?

Dans quel but peut-il être nécessaire ou suffisant d’envoyer manu militari quatre hommes et un caporal à la viande ?

Ne convient-il pas de connaître l’attitude à adopter lorsqu’on rencontre les directrices de la grande poste, de savoir quel est l’intérêt de faire un shampoing à Charles le Chauve, ou d’être informé sur les pratiques des Chevaliers de la Tasse ?

En vérité je vous le dis : voilà un livre à garder à portée de main…

 

Patryck Froissart

 

 

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12/05/2022

Le poète russe préfère les grands nègres, Edouard Limonov

Le poète russe préfère les grands nègres, Edouard Limonov

Ecrit par Patryck Froissart 14.12.12 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRécitsRussieFlammarion

Le poète russe préfère les grands nègres, traduit du russe Emmanuelle Davidov, 2012, 329 p. 20 €

Ecrivain(s): Edouard Limonov Edition: Flammarion

Le poète russe préfère les grands nègres, Edouard Limonov

 

La grande illusion…

Ce pourrait être un sous-titre pour ce roman âpre, violent, acide.

Mais c’est plutôt une immense désillusion que vit le poète russe Limonov, personnage éponyme de l’auteur.

Ecrivain contestataire dans la glorieuse Union des Républiques Socialistes Soviétiques, Limonov est « autorisé » à émigrer avec sa femme Elena aux Etats-Unis d’Amérique, la non moins glorieuse patrie des libertés, le pays porte-étendard du « Monde Libre ».

Il ne lui faut pas longtemps pour déchanter. Elena le quitte pour un homme au présent plus argenté et au futur matériellement plus confortable.

Le voilà, littéralement, anéanti :

Au fond, ici, en Amérique, je ne l’intéressais pas. […] elle m’avait dit au téléphone : « Tu n’es rien ».

Il échoue, aigri, dans un hôtel désaffecté, et survit au jour le jour avec les deux cent soixante-dix-huit dollars que lui alloue généreusement le gouvernement américain.

C’est là, au seizième et dernier étage, […] que je me tiens, à moitié nu. En général, je mange de la soupe aux choux […]. La soupe aux choux aigres est ma nourriture habituelle…

La descente aux enfers est rapide. Il faut dire que le poète se nourrit de sa propre déchéance, qu’il la rumine et qu’il s’en délecte.

Le récit de son errance, l’itinéraire de sa désespérance, l’expression très crue de sa souffrance, les innombrables portraits d’êtres, comme lui en perdition, qu’il rencontre jour après jour, fournissent au narrateur le cadre, les éléments et le prisme psychologique qui lui permettent de brosser de la société américaine telle qu’il la perçoit, au paroxysme de la guerre froide et du monde en général, un tableau socio-politique terriblement sombre et définitivement pessimiste.

A la chansonnette – Cigarettes, whisky et ptites pépées –, qu’entonnait gaiement, la tête emplie à la fois, contradictoirement, du rêve américain et d’idéaux révolutionnaires maoïstes marxistes trotskistes léninistes, la jeunesse des années 50/60, vient s’opposer un triptyque destructeur : « Mauvais joints, alcool à bon marché, misère sexuelle ».

Parce qu’il n’y a pas d’alternative, suggère l’auteur, pour quelqu’un qui n’est rien et qui n’a rien dans une société où ne compte que l’image qu’on peut donner de soi au travers de ce qu’on possède, où règne absolument l’individualisme, symbolisé par la phrase qui y est la plus fréquemment prononcée,« la plus meurtrière depuis le début de l’humanité » : “C’est ton problème !” ».

Que vaut dans ce milieu la vie d’un écrivain humaniste à qui toute publication est impossible ? Lorsqu’il écrit un texte exposant les tares de la société capitaliste, les journaux américains le taxent de bolchevisme et refusent de le publier, et les journaux soviétiques le censurent au motif que l’auteur est un transfuge, un traître au communisme, un agent double dont l’objectif est de ridiculiser la Pravda en l’amenant à diffuser de fausses informations sur le pays où il a choisi d’aller vivre après avoir déserté.

Le poète est d’autant plus amer qu’il était, paradoxalement, plus connu, plus lu lorsqu’il était contestataire dans son pays, soumis à une censure implacable qui ne permettait qu’une diffusion restreinte, sous le manteau, de ses œuvres…

Le constat est sans équivoque :

« Ce sont nos propres meneurs qui nous ont montés contre le monde soviétique, les Sakharov, les Soljénytsine […] et nous avons tous foncé comme des cons en Occident dès que l’occasion nous en était offerte… »

Maintenant, je vois que c’est le même bordel, ici et là-bas. Et en plus, ici, je pars perdant, puisque je suis écrivain russe et que j’écris en russe, et […] que je m’étais habitué à ma gloire clandestine […], de la Russie créatrice où un poète […] est d’une certaine manière une sorte de chef spirituel…

Renvoyant dos à dos capitalisme et communisme, assumant sa schizophrénie, rêvant d’un monde futur où l’amour s’imposera comme unique idéal, un monde où « personne ne pourra plus acheter une Elena parce qu’il n’y aura plus de quoi les payer, où il n’y aura plus d’avantages matériels des uns au détriment des autres »Limonov, sous le triple poids du désenchantement politique, de la déception amoureuse et de la perte de la certitude de devenir un grand écrivain, se dilue, se disperse, nie ce qu’il est, jusqu’à décider d’effacer, dans la volonté de se défaire du désir lancinant qu’il conserve d’Elena, sa propre personnalité sexuelle.

S’efforçant de se persuader qu’il est naturellement homosexuel, il vit sa première expérience, bouleversante, avec un noir sans domicile fixe, épisode qu’annonce clairement le titre du roman.

Les rencontres se succèdent, les partenaires des deux sexes défilent… mais l’amour n’est jamais au rendez-vous.

« J’ai aimé, je le vois maintenant, d’une manière inhabituelle, terriblement et passionnément, mais […] je voulais un amour réciproque. C’est mal de vouloir quelque chose en retour… »

Le lecteur n’a qu’à se laisser charrier dans des eaux troubles et tumultueuses, pour un voyage mouvementé, amèrement lucide.

 

Patryck Froissart

 
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Le pont des assassins, Arturo Perez-Reverte

Le pont des assassins, Arturo Perez-Reverte

Ecrit par Patryck Froissart 17.12.12 dans La Une LivresLes LivresRecensionsEspagneRomanSeuil

Le Pont des Assassins (El Puente de los asesinos), traduit de l’espagnol par François Maspero, octobre 2012, 349 p. 19,50 €

Ecrivain(s): Arturo Pérez-Reverte Edition: Seuil

Le pont des assassins, Arturo Perez-Reverte

 

Voilà qui ravira les amateurs des romans de cape et d’épée, et en particulier, ceux dont l’enfance a retenti des cliquetis d’épée et des éclats de mousquetons des Pardaillan, de Lagardère, ou de nos mondialement célèbres Trois Mousquetaires.

Tout comme celles de Pardaillan ou de d’Artagnan, les aventures du Capitaine Diego Alatriste y Tenerio, le mercenaire espagnol que nous retrouvons en ce volume, se déclinent en plusieurs tomes. Celui-ci en est le septième.

Partageant la vision, tantôt critique, tantôt dubitative, souvent admirative, toujours respectueuse que porte le narrateur, le jeune spadassin basque Iňigo Balboa, sur les faits, les dires et les gestes du Capitaine Alatriste, dont il est à la fois le serviteur, le disciple, l’assistant, le sbire et le compagnon dévoué, nous suivons jour après jour le récit d’un complot visant à renverser, pour le compte de l’Espagne, le doge de Venise, Giovanni Cornari, trop lié avec la France au goût de Philippe IV.

L’objectif une fois annoncé, le décor se met en place, le complot s’ourdit, la stratégie se dessine, les protagonistes se rencontrent, font connaissance, s’organisent.

L’intrigue avance lentement, l’auteur ayant le souci du détail historique, du cadre spatial, du contexte politique, dans le but d’inscrire la fiction narrative dans une réalité recréée qui dépayse le lecteur, le déporte loin du hic et nunc pour le situer ailleurs et autrefois.

Cette lenteur volontaire, bienvenue, de la narration événementielle donne l’impression de vivre en temps réel la préparation minutieuse du complot, permet de suivre d’heure en heure la progressive mise en scène du rôle que chacun devra tenir au jour dit, à l’heure fixée, conduit à appréhender la façon dont il est prévu que doit se dérouler le stratagème sur plusieurs sites au même moment.

Dans ce récit d’aventures très théâtralisé, Arturo Pérez-Reverte donne à ses principaux personnages un caractère, un tempérament, une essence psychologique qui les anime au sens étymologique du verbe : Alatriste et Iňigo ont une âme, ils ne sont pas que des bretteurs à la solde des grands d’Espagne, même si Alatriste s’affirme de prime abord comme un homme « qui se contentait de peu : un lit s’il en trouvait un, une femme dedans quand c’était possible, et une épée pour assurer sa subsistance ».

Alatriste n’est certes pas, par habitude, de ceux qui s’attachent à une femme. Pourtant sa liaison avec la courtisane Donna Livia Tagliapiera devient vite d’une autre nature que la passade.

Le fait que le Capitaine Alatriste se voie affecter comme compagnon d’action le sicaire Malatesta, son indéfectible ennemi qui porte bien son nom, est un élément important de tension psychologique : malgré la trêve forcée que chacun accepte d’observer, pendant la durée de l’opération, dans son dessein d’égorger l’autre à la première occasion, la méfiance réciproque est permanente ; les questions que se pose Alatriste sur la sincérité de l’estime que paraît soudain lui porter Malatesta et sur l’authenticité du désir que ce dernier semble nourrir d’enterrer entre eux définitivement la hache de guerre déclenchent de sourdes tempêtes sous le crâne de notre héros…

« Ils restèrent tous deux silencieux, se dévisageant… »

La Venise du XVIIe siècle est un autre personnage essentiel du roman. L’ambiance de la ville, louche, cosmopolite, grouillante d’espions, coupe-gorge où règnent la prostitution, l’assassinat, les luttes d’influence, l’avidité, le lucre et le stupre, est superbement exprimée tout au long du roman, et résumée en une phrase par le poète Quevedo, membre de la conspiration :

« Venise… Cette putain de la mer, dévergondée et hypocrite ».

 

Patryck Froissart

 
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J'ai fait l'amour avec la femme de Dieu, Serge Gonat

J'ai fait l'amour avec la femme de Dieu, Serge Gonat

Ecrit par Patryck Froissart 10.01.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRécitsRomanQuébecMyriapode

J’ai fait l’amour avec la femme de Dieu, octobre 2012, 204 p. 18 €

Ecrivain(s): Serge Gonat Edition: Myriapode

J'ai fait l'amour avec la femme de Dieu, Serge Gonat

 

 

Récit fantastique ? Ecriture poétique délirante ? Conte de la folie peu ordinaire ?

Il y a un peu de tout cela dans cette histoire déroutante.

Bernardo, pieux puceau, vit à Quérouville, une société hors du temps où les règles du Bien et du Mal sont édictées par le mystérieux chef spirituel manichéen de l’Armée De Salut, un certain Lazard, qui s’évertue à détourner ses ouailles du péché de luxure.

Le Mal, le sexe en l’occurrence, est incarné, clame ce saint homme, par Madame Gilbert, la tentatrice, qui, en incitant Bernardo à lui faire la lecture des Onze mille verges d’Apollinaire, œuvre indexée comme satanique par Monseigneur Lazard, a pour dessein de le dévoyer et de l’amener à perdre avec elle son pucelage et davantage.

Lisez-moi ceci, Bernardo. J’insiste. J’exige. Surtout pas de morale, de religion…

Le ton était ferme, le regard exprimait une détermination sans faille ni borne.

« Les Onze mille verges ! Madre de Dios ! Este un livro por los diablos ! » monologua-t-il.

 

Le combat s’engage entre les deux forces, qui tiraillent chacune vers soi le pauvre Bernardo à qui mieux-mieux.

Bernardo confesse ses séances avec la diablesse à un sbire de Lazard chargé de veiller sur lui en guise d’ange gardien, un certain Léo, un sourd-muet qui, « parlant » par le canal du souffle de sa bouche où il mâchonne à longueur de jour une herbe magique, exprime en catéchumène sa réprobation et fait la leçon à l’adolescent pour tenter de le ramener sur la voie de l’abstinence.

Bernardo succombera-t-il aux charmes de la succube au détriment de sa pureté angélique initiale ? Une première partie du roman est fondée sur ce douloureux dilemme :

« Persévérez ! Vous irez au septième ciel et vous renaîtrez de moi […] », lui promettait-elle.

Pendant ce temps, autour de lui, des voix, dont celles de Lazard et de Yago s’élevaient. Elles l’expédiaient en enfer…

L’intrigue est simple, le schéma narratif n’est pas nouveau, la thématique est universelle.

Toutefois ce livre est singulier. L’écriture, souvent poétique, en est, ici et là, débridée, fantasque, voire complètement folle. L’imaginaire s’emballe, le héros, à partir du moment où il tombe dans le piège que lui tend Madame Gilbert, ne fait pas que la pénétrer… au sens commun de l’acte. Il ne peut plus se détacher d’elle, il s’introduit en elle, progressivement et, paradoxe, régressivement, jusqu’à ce que s’opère une étrange symbiose à l’issue de quoi Bernardo se recrée, littéralement, sous la forme d’un spermatozoïde qui doit lutter au sein d’une multitude de « congénères » pour la conquête du Graal que représente l’ovule à féconder.

« Mon corps est un amas d’aventures à découvrir », confessait la dame.

Tout au long de ce voyage à rebours, Bernardo revit, « revoit » les phases successives de la conception de son propre être jusqu’à son expulsion sanguinolente de la matrice originelle. La récréation avec la divine pécheresse devient à proprement parler une re-création.

Mme Gilbert est à la fois la femme et la rivale de Dieu. Mais elle lui est supérieure. Pendant que Dieu-Lazard parle, moralise, théorise, légifère, sa Femme crée, enfante, produit, génère.

Ce livre doit se lire comme un hymne à la Femme, à la déesse mère de nos mythes antiques, à Astarté et à ses innombrables avatars…

 

Patryck Froissart

 
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Histoire de son serviteur, Edouard Limonov

Histoire de son serviteur, Edouard Limonov

Ecrit par Patryck Froissart 19.01.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRomanRussieFlammarion

Histoire de son serviteur, 2012, traduit du russe par Antoine Pingaud, 313 p. 20 €

Ecrivain(s): Edouard Limonov Edition: Flammarion

Histoire de son serviteur, Edouard Limonov

 

Coucou ! Revoilà Edouard !

Après Le poète russe préfère les grands nègres, dont on trouvera la présentation ici, il faut sans délai lire cette suite biographique du combat que livre Edouard Limonov pour se faire reconnaître comme écrivain.

Dans son premier roman, le poète libertaire russe, après avoir été autorisé à quitter l’Union Soviétique, végète aux Etats-Unis où, miséreux et anonyme, il noie dans la drogue, l’alcool et le sexe son désenchantement face à la réalité du rêve américain.

Ici Limonov, toujours à New York, occupe un emploi stable et respectable : il est majordome dans l’immense villa d’un milliardaire qu’il n’y voit que rarement.

Pour le narrateur, le point de vue est radicalement différent.

De spectateur passif, du balcon de sa chambre d’hôtel désaffecté, d’un monde où aucune place ne lui est accordée, Edouard passe au statut de membre actif de la société, a ses appartements (chambrette de service) et donc son adresse dans une demeure luxueuse des beaux quartiers.

Homme de ménage, cuisinier, factotum en sorte, il profite de la cave prestigieuse de son maître, reçoitses amis dans sa cuisine et ses maîtresses (toujours aussi nombreuses, et toujours aussi éphémères à une exception près) dans sa chambre, en l’absence du propriétaire.

On pourrait croire que cette relative aisance, que cette sécurité matérielle, que ce confort domestique auraient quelque peu apaisé ses rancœurs, l’auraient amené vers une insertion en douceur dans le melting-pot américain.

Lui-même, un temps, y croit. Mais il se trompe, et il détrompe vite le lecteur quant à sa capacité d’intégration à ce niveau de l’échelle sociale. S’il fait le maximum pour mériter son salaire, s’il fait bonne figure devant son maître, il ne supporte la servitude qu’en se répétant qu’elle est provisoire, et que le manuscrit Le poète russe préfère les grands nègres finira par être accepté par un des innombrables éditeurs à qui il l’envoie à tour de rôle.

« Je me postai à la fenêtre en songeant à ce fils de pute qui régnait sur nous… »

D’autres ont réussi pourtant. Limonov les envie et les méprise. Parmi eux, le danseur Lodyjnikov :

« Lodyjnikov est un snob. L’argent l’a rendu ainsi. […] Quand il a fui la Russie, il était jeune et sans le sou, comme nous tous. Aujourd’hui il valse avec les millions. […] Dans l’injuste, on ne fait pas plus grandiose… »

C’est que le personnage reste écartelé entre rejet et nostalgie du communisme égalitaire d’une part, et dégoût et attirance pour le libéralisme individualiste d’autre part. En conséquence, il « reste en dehors» :

« Margarita et Vladimir estimaient que la Russie était de la merde et que le reste du monde était un paradis […]. Pour moi, le monde entier était de la merde, y compris l’Amérique… »

C’est aussi que, simultanément, le poète, l’écrivain, persuadé de son génie, d’une part en veut à un système qui ne le reconnaît pas tout en couvrant de dollars des personnalités dépourvues de véritable talent, d’autre part ne rêve que d’être propulsé sur le devant de cette scène qu’il déteste. En conséquence, entre deux périodes de dépression, entre deux clameurs de haine, il ronge son frein :

« J’attendrai le temps qu’il faudra, je prendrai mon mal en patience. Mais, pour finir, j’aurai ma part, j’accomplirai ma grande œuvre… »

Phrases prémonitoires ! Car si les Etats-Unis ont ignoré son génie, la France l’a reconnu, à juste titre !

 

Patryck Froissart

 
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La chambre de Jacob, Virginia Woolf

La chambre de Jacob, Virginia Woolf

Ecrit par Patryck Froissart 04.02.13 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Iles britanniquesRoman

La chambre de Jacob, Trad de l'anglais et présenté par Adolphe Haberer, 363 p.

Ecrivain(s): Virginia Woolf Edition: Folio (Gallimard)

La chambre de Jacob, Virginia Woolf

 

Peut-on concevoir un roman sans histoire ?

C’est la question que pose cette œuvre de Virginia Woolf.

Il y a un personnage, Jacob, qu’on peut appeler principal, annoncé dans le titre, souvent absent dans le texte, et cependant omniprésent d’un bout à l’autre de la lecture.

Il y a un narrateur, ou une narratrice, qui sait tout de lui, mais qui n’en dit que ce qu’elle veut bien en dire.

Il y a un récit qui s’attache au personnage, qui ne fait surface que de façon épisodique, comme un sous-marin, sans que les épisodes s’en inscrivent dans une narration linéaire, logique, suivie.  Pour être plus précis, il y a des récits, des fragments de récits, où Jacob apparaît, pour un petit bout de chemin en compagnie du lecteur.

Il y a, emplissant les ellipses, les regards, multiples, croisés, celui de la narratrice et ceux  des nombreux personnages qu’on peut appeler secondaires, bien que personne, dans le fil haché du livre, ne soit, c’est immédiatement évident, secondaire. Et ces regards, ces visions balaient un paysage, une colline, une rue, une plage, une ville, un monument, et offrent autant de tableaux, de scènes villageoises, citadines, champêtres sur lesquelles, en surimpression, bougent, pensent, parlent, conversent des hommes, des femmes, dont on ne sait pas grand-chose, qui passent et repassent, eux aussi, par intermittences.

Il y a la pensée errante et les rêveries libres de la narratrice, dans les interstices de quoi se succèdent des séries hasardeuses de touches descriptives (ce « roman » a été qualifié d’œuvre impressionniste), des guirlandes de bribes de dialogues, des litanies de visions fugitives, des lambeaux d’histoire contemporaine et d’histoires individuelles, des parts congrues de commentaires extra et intra diégétiques.

Il y a la chambre, celle de Jacob, où le lecteur est invité, régulièrement, à pénétrer pour une brève visite, le temps d’un coup d’œil, cette chambre où il ne se passe rien, cette chambre tragiquement vide à la fin du livre, comme symbolique de la vacuité de l’existence, de l’inanité d’être, de l’inutilité même de l’écriture :

« Chaque visage, chaque boutique, fenêtre de chambre, débit de boissons et square obscur est une image fiévreusement tournée – en quête de quoi ? Il en va de même avec les livres. Que cherchons-nous dans ces millions de pages ? Tournant toujours les pages avec espoir – oh, voici la chambre de Jacob. »

Il y a les images récurrentes, les métaphores obsédantes, dirait Charles Mauron, en particulier le retour régulier de celle de la vague, si familière en l’univers imaginaire de Virginia Woolf, dont il faut avoir lu ce formidable roman intitulé précisément « Les vagues ».

Il y a cette autre obsession, celle de l’événement tragique, qui met fin à l’histoire, qui tue le personnage, le narrateur… et l’auteur : la mort rôde, elle est à l’affût, elle s’annonce par le grand fracas d’un arbre qui tombe dans le crépuscule, par « de lointains ébranlements dans l’air et des cavaliers fantômes qui galopent, qui s’arrêtent… », par « un bruit sourd, comme si un meuble lourd était tombé, inopinément, de lui-même… ».

Le récit, qui chavire régulièrement dans les plongées mélancoliques que fait l’auteure en les profondeurs de son propre Moi,  est ainsi ponctué de sombres présages :

« A cet instant trembla dans l’air une plainte frémissante, frissonnante, lugubre… »

Il y a, alors, la poésie, toute la poésie, et, finalement, rien que la poésie.

Là est le secret de la magie Woolf ! Ce « roman » cassé, brisé, rompu, fragmenté, ces personnages fugaces, passagers, insaisissables, ces récits éphémères, sans début, non finis, ces instantanés impromptus, ces dialogues décousus, effilochés, abruptement interrompus, cette écriture volontairement déstructurée, cette narration qui a été voulue sans queue ni tête, cette introspection qu’on sent douloureuse et libératoire,  constituent un magnifique voyage poétique dans un univers paradoxalement banal, quotidien, médiocre, bourgeois au sens le plus péjoratif du terme.

Quiconque s’embarque sur ces vagues n’a plus aucune envie de retourner au port…

Superbe, forcément superbe !

 

Patryck Froissart

 

 

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10:41 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |