18/07/2022

La Femme qui attendait, Andreï Makine

La Femme qui attendait, Andreï Makine

Ecrit par Patryck Froissart 16.03.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanPoints

La Femme qui attendait, 214 pages, 6,50 €

Ecrivain(s): Andreï Makine Edition: Points

La Femme qui attendait, Andreï Makine

 

Sur le bord de la mer Blanche, à Mirnoïé, un village fantôme sibérien où ne vivent que des enfants, des femmes et des vieillards, perdu entre un lac et une forêt, sous le brouillard et la neige, une femme, Véra, attend, depuis trente ans, le retour de l’homme qu’elle aime, parti au front dans les derniers jours de la deuxième guerre mondiale.

Le narrateur, journaliste écrivain chasseur collecteur de traditions folkloriques en voie de disparition, désabusé du régime soviétique et fatigué de jouer, dans le cercle d’artistes qu’il fréquente, « l’occidental de paille », arrive, avec l’idée d’y passer quelques jours, dans ce lieu désolé, isolé, et, comme pris par les glaces, y séjourne, plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, fasciné par l’étrangeté de l’endroit « gelé » dans l’espace et le temps, et par la beauté et le mystère de cette femme hors du commun dont, par déformation professionnelle, il cherche à connaître l’histoire et à mettre à nu la psychologie.

L’homme se fait voyeur, épie la femme, et, vite, convoite son corps, la considère, en tant que mâle, comme une proie à saisir, en tant que romancier, comme un personnage dont il faut changer le destin, et veut remplacer l’amant attendu fidèlement depuis trente ans.

Il croit être arrivé à ses fins lorsque Véra devient sa maîtresse. Il savoure secrètement la fierté du conquérant et s’en emplit du sentiment orgueilleux de la toute-puissance de l’écrivain et, le charme se rompant une fois que l’objet du désir est atteint, décide qu’il ne peut rester plus longtemps dans ce bout du monde, et qu’il a mieux à faire ailleurs, et qu’il est temps d’écrire le mot « fin ».

Il quitte Véra, lâchement.

Mais il part, avec la gênante impression, soudaine, que la réalité de l’histoire est autre. Et le lecteur se demande avec lui, quand finit le roman, s’il ne faut pas inverser les rôles : n’est-ce pas Véra qui attendait le prétendu prédateur, tapie dans son bled reculé ?

N’est-ce pas la femme qui est l’affût de l’homme qui passe, et qui le renvoie une fois son désir assouvi ?

L’ambiguïté est confirmée, a posteriori, par le titre, et par la découverte que fait le narrateur du véritable niveau intellectuel de Véra, bien supérieur au sien…

Un roman qui se boit comme du petit lait…

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Andreï Makine

Andreï Makine

 

Né à Krasnoïarsk (Sibérie), le 10 septembre 1957, Andreï Makine est un écrivain d’origine russe et de langue française. Dans les années 1980, il obtient un doctorat de l’Université d’État de Moscou après avoir déposé une thèse sur la littérature française contemporaine. Il collabore à la « Revue Littérature Contemporaine à l’étranger », et enseigne la philologie à l’Université de Novgorod. Au cours d’un voyage en France en 1987, il obtient l’asile politique, puis devient professeur de langue et de culture russes à Sciences Po et à l’École Normale Supérieure.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Dans l’Utérus du volcan, Andrea Genovese

Dans l’Utérus du volcan, Andrea Genovese

Ecrit par Patryck Froissart 23.03.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanEditions Maurice Nadeau

Dans l’Utérus du volcan, janvier 2018, 220 pages, 19 €

Ecrivain(s): Andrea Genovese Edition: Editions Maurice Nadeau

Dans l’Utérus du volcan, Andrea Genovese

 

Vanni, Sicilien d’origine établi à Lyon, est invité dans sa ville natale pour y recevoir le Grand Prix de Poésie Chrétienne qui lui a été décerné par le Parrain de la Mafia locale Lorenzo Ferella, lequel a créé ce prix, accompagné d’un chèque de dix millions de lires, en hommage à son père poète Gaetano Ferella, pour afficher le côté « respectable » et « cultivé » de son statut de notable.

Dès son arrivée, Vanni, qu’accompagne son épouse lyonnaise Louise, est pris à la fois dans la nasse de ses souvenirs d’enfance, dans la trame de ses relations avec sa famille et ses amis d’avant, et dans les mailles du réseau de Ferella, qui se débarrasse de sa splendide maîtresse Lillina dont il s’est lassé en l’envoyant au poète en guise de cadeau de bienvenue en supplément au prix de poésie. Dans le même temps, Roberto Meruli, un comparse du patron mafiosi, est chargé de sonder Vanni pour d’éventuelles « affaires » à monter dans la région lyonnaise.

Le récit baigne d’un bout à l’autre dans la trouble torpidité d’un été torride, d’un climat mafieux ponctué par une scène de torture d’une violence extrême suivie du meurtre d’un traître à la Cosa Nostra locale, et d’un chassé-croisé complexe, sensuel, et bientôt ouvertement sexuel, entre Vanni, Lillina, Louise et Roberto, aux pieds de l’Etna et face à sa menace perpétuelle de cataclysme.

L’auteur entremêle ces éléments narratifs au grand bonheur de tout lecteur qui aime se retrouver pris dans la magie des scènes d’attentes, des ressorts et des rebondissements comme un piroguier descendant un courant alternatif ponctué d’eaux troubles apparemment dormantes, de rapides bouillonnants et de chutes brutales.

Les personnages sont campés comme semblant ne pas maîtriser le cours des événements, comme si, de façon symbolique, l’auteur signifiait globalement que dans ce milieu clanique, les individus abandonnent avec fatalisme leur destinée au parrain et à ses sbires, acteurs tirant les ficelles des réseaux de pouvoir mafieux sous la coupe desquels tous les habitants tombent dès leur naissance.

La loi du plus fort est ici loi naturelle, comme l’exprime métaphoriquement le parrain Lorenzo dans le cours de ses pensées philosophiques en observant sur la mer le manège nocturne d’un pêcheur de poulpes :

Il imagina le poulpe en train de s’approcher du terminus de son voyage, et le bougre à l’affût, prêt à le harponner […] Embûches et guet-apens étaient les modes opératoires de la pêche. Depuis la nuit des temps […] Gare au petit poisson ! Il assurait la survie du gros…

Le récit est agrémenté d’interférences mythologiques et de références à une riche intertextualité littéraire, ce qui permet de tempérer le rythme des péripéties et qui confère à la narration une tonalité culturelle intéressante et, ponctuellement, une couleur poétique, parfois proche d’un certain lyrisme tragique qui accentue l’impression de sombreur ambiante.

La solitude, le désespoir du Cyclope, avec son œil unique, ivre et coléreux dans la nuit orageuse, illuminant la mer livide aux bateaux en détresse et leur cachant la côte abrupte, les écueils et les falaises, le décor de tous les naufrages.

La dramatique actualité migratoire s’impose lors d’un épisode particulièrement troublant du roman, à la limite entre rêve et réalité, lorsque Louise en déconfiture rencontre en pleine nuit sur la grève, accompagné d’un agneau, un jeune immigrant nu avec qui elle vit un moment décalé, et lorsque Lucio, un ami d’enfance de Vanni, pénètre dans la cabane d’une belle Somalienne qui se prostitue au cœur d’un bidonville peuplé de réfugiés.

Une certitude : on ne s’ennuie pas Dans l’Utérus du volcan

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Andrea Genovese

Andrea Genovese

 

Ecrivain italien, Andrea Genovese (Messine, 1937) vit en France depuis 1981. Il définit sa vie comme une Odyssée minime (titre de son premier recueil de poèmes), mais trois romans autobiographiques publiés en Italie nous en révèlent, de l’après-guerre mondiale aux années 1960, à peine une partie. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, d’art et de théâtre, il édite Belvédère, une revue en ligne entièrement écrite par lui, hors norme et sans tabous. Il a écrit en français des recueils de poèmes et des textes de théâtre joués à Lyon. Dans l’Utérus du volcan est son premier roman écrit directement en français.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Histoires diverses, Joaquim Maria Machado de Assis

Histoires diverses, Joaquim Maria Machado de Assis

Ecrit par Patryck Froissart 28.03.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesLangue portugaiseNouvellesClassiques Garnier

Histoires diverses, janvier 2018, trad., notes critiques, Saulo Neiva, 266 pages, 17 €

Ecrivain(s): Joaquim Maria Machado de Assis Edition: Classiques Garnier

Histoires diverses, Joaquim Maria Machado de Assis

 

C’est une rencontre surprenante et passionnante avec un grand écrivain probablement méconnu en France que la lecture de seize de ses nouvelles traduites en français par Saulo Neiva et publiées dans la collection des Classiques Jaunes (Textes du monde) chez Garnier.

La tonalité des « histoires » est extrêmement variée :

– fantastique, avec un dénouement horrible à la Edgar Poe : La cartomancienne

– irréelle, troublante, dans ce récit du domaine de la vision nocturne, fortement théâtrale, dont le narrateur spectateur ne distingue plus les limites entre rêve et réalité : Entre Saints

– passionnelle, torturée, fiévreuse, en cette histoire d’un amour plus ou moins refoulé entre belle bourgeoise mature à principes de vertu et jeune domestique conscient d’être un ver de terre épris d’une étoile (on se remémore les premiers émois de Madame de Rénal face à l’amour que lui exprime le jeune Julien Sorel) : Les bras

On aurait dit que le sommeil donnait à l’adolescence d’Ignacio une expression plus accentuée, presque féminine, presque puérile. Un enfant ! se dit-elle dans cette langue sans paroles que nous avons en nous. Et cette idée calma l’ardeur de son sang, dissipa en partie le trouble de ses sens […] Elle le regarda lentement, sans se lasser de le voir, la tête inclinée, le bras tombant […] Elle s’inclinait, lui prenait une autre fois les mains, croisait les bras sur sa poitrine, jusqu’à ce que, s’inclinant davantage encore, bien davantage, ses lèvres épanouies posèrent un baiser sur sa bouche.

Ici le rêve coïncida avec la réalité…

– tourmentée, dans la narration de la vie de ce compositeur, qui aspire à créer, sous le regard des portraits accrochés dans son salon des Mozart, Beethoven, Bach, Gluck, Schumann et autres, une œuvre magistrale qui passera à la postérité et qui ne « réussit » qu’à produire des polkas à succès qui le rendent à la fois populaire par leur audience et malheureux par la conscience qu’il a de leur caractère béotien et éphémère : Un homme célèbre

– douloureusement nostalgique, en ce dialogue entre deux amis au sujet d’une longue liaison amoureuse qu’eut l’un d’eux jadis avec une dame adulée, « belle, riche, élégante et du meilleur monde», qui ne répondit à ses demandes en mariage et à ses aveux d’amour fou que par l’offre d’une amitié fidèle jusqu’à un dénouement déchirant : Désirée de tous

– sur le même ton, l’aventure de ce Brésilien qui, de retour d’un long exil parisien, se lance à la recherche de Mariana, avec qui il a eu une liaison avant son départ du pays… Les retrouvailles ne seront pas conformes à ses rêves… : Mariana

– idem, ce récit dont la principale protagoniste revit, dans l’aventure amoureuse adultérine qui bouleverse la vie de sa nièce, la relation de même nature qu’elle a connue dans sa jeunesse : Dona Paula

– glaçante, tout au long de cette relation triangulaire entre deux amis, l’un médecin et l’autre passionné par l’étude et l’observation de la souffrance pathologique, et l’épouse du second de qui le premier est amoureux : La cause secrète

– musicale et facétieuse, dans le déroulement de ce « Trio en la mineur », variation sur le thème du mari, de l’amant et de l’épouse qui commence par un adagio cantabile, se poursuit par un allegro ma non troppo suivi d’un allegro appassionato, et se termine par un menuet cauchemardesque

– provocatrice, sur cette révision du mythe adamique exposée par un des invités, un juge, lors d’un dîner bourgeois devant des convives bien-pensants : Adam et Eve

– émouvante, en cette mise en scène au dénouement inattendu d’un colonel irascible, tyrannique, insupportable et de son garde-malade qu’il tourmente à plaisir : L’infirmier

– lamentable, pitoyable, dans l’expression des désillusions de ce diplomate célibataire, quadragénaire, velléitaire, qui se voit Dom Juan dans ses rêves mais dont les tentatives maladroites de séduction ont toujours échoué, comme échouera celle par le biais de laquelle il meurt d’envie d’épouser la jeune Joaninha : Le diplomate

– didactique, dans la leçon de ce Conte d’école sur la découverte initiatique de la délation et de la corruption

– moraliste, dans cette fable ayant pour personnages une aiguille et une bobine de fil : Un apologue

– prophétique, en ce dialogue d’apocalypse entre Prométhée et le dernier homme vivant, Ahasverus, sur la planète dévastée : Vivre !

– poétique et allégorique, tout au cours de cette quête, dans la tête d’un chanoine, du substantif et de l’adjectif qui se cherchent pour former le couple lexical idéal : Le chanoine, ou la métaphysique du style

 

Dès les premiers textes, assurément, on sait qu’on vient d’entrer dans l’univers d’un grand de la littérature. On pense à du Tieck, puis à du Maupassant, puis on sent qu’on n’est pas loin de Poe, avant de se dire que ce pourrait être du Zweig, ou du Balzac, mais très vite on comprend qu’il y a de tout cela et que c’est aussi autre chose et davantage : et on découvre le style singulier, le talent évident, l’imagination remarquable, le don d’observation admirable, et, par-dessus tout, la faculté rare de narrer le réel (et l’imaginaire) et d’en tirer du sens ou d’en faire jaillir un questionnement, bref, l’écriture prenante, puissante, étonnamment classique et moderne à la fois, d’un Joaquim Maria Machado de Assis qu’on ne connaissait guère.

Il convient de saluer le remarquable travail du traducteur Saulo Neiva : introduction au recueil, présentation de l’auteur et de ses œuvres, et notes d’accompagnement, en un ensemble érudit qui permet de bien saisir les textes dans leur contexte.

On lira avec intérêt en annexe insérée à la fin du livre un texte d’Adrien Delpech, autre traducteur de Machado de Assis, rédigé en préface d’une autre édition, dont on peut retenir ceci :

Machado de Assis eut le rare bonheur d’être connu jeune et de mourir vieux. La consécration de son nom était un de ces faits contre lesquels les jeunes générations ne se rebellent plus […]. Ce fut un précurseur ou plutôt un écrivain d’exception…

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Joaquim Maria Machado de Assis

Joaquim Maria Machado de Assis

 

Joaquim Maria Machado de Assis, romancier brésilien (1839-1908), auteur d’une œuvre romanesque abondante où le pessimisme côtoie l’humour, et qui est considéré comme l’un des grands maîtres de la littérature brésilienne.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Le Foyer des mères heureuses, Amulya Malladi

Le Foyer des mères heureuses, Amulya Malladi

Ecrit par Patryck Froissart 25.05.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesAsieMercure de FranceRoman

Le Foyer des mères heureuses, février 2018, trad. anglais (Inde) Josette Chicheportiche, 350 pages, 24,50 €

Ecrivain(s): Amulya Malladi Edition: Mercure de France

Le Foyer des mères heureuses, Amulya Malladi

 

Amulya Malladi traite en ce roman un sujet actuel qui donne lieu à de multiples réactions, d’opposition ou d’adhésion, et qui incite nos sociétés à une réflexion d’ordre scientifique, moral, religieux, éthique : celui des mères porteuses.

Après plusieurs fausses couches, Priya, une Américaine fille d’un couple mixte américano-indien, se résout à avoir un enfant par le procédé de la Gestation Pour Autrui. Elle réussit, au prix de maintes disputes et discussions, à rallier à sa décision son époux Madhu, informaticien indien qu’elle a connu pendant qu’il poursuivait sa formation universitaire aux Etats-Unis, où il s’est installé après ses études.

Le couple prend contact avec un organisme indien spécialisé, dont la directrice, le docteur Swati, accueille dans une clinique ad hoc de jeunes femmes indiennes nécessiteuses, recrutées pour porter par insémination les futurs enfants de couples occidentaux stériles.

Asha, jeune et pauvre villageoise en zone rurale indienne, se laisse convaincre par son mari Pratap, peintre en bâtiment habituellement au chômage, de devenir mère porteuse pour le compte de Priya et de Madhu, en contrepartie d’une somme qui leur permettrait de scolariser leur fils aîné Ashok dans une bonne école privée.

Le roman met en scène en alternance les deux couples, dans leur milieu respectif et dans leur vie quotidienne en Inde et en Amérique, depuis l’insémination et ensuite, durant les neuf mois de la grossesse d’Asha, avec des rétrospectives narratives dans le passé de chacun des protagonistes, propres à éclairer, ou à justifier le cheminement ayant conduit à la rencontre et, en dépit de la distance entre l’Inde et les Etats-Unis, au partage d’un parcours de vie entièrement centré sur la gestation de l’enfant à naître.

L’auteure, ayant fait le choix de la focalisation zéro pour la succession des événements et de l’interne pour la psychologie des deux principaux personnages que sont ici les deux mères, exprime au long du récit l’intimité des états d’âme, des doutes, des interrogations, des remords d’Asha et de Priya d’une part, et le jugement d’autre part que portent sur elles les personnages secondaires (familles, amis, relations).

Ainsi s’indigne la mère de Priya, Sushila, alias Sush, Indienne d’origine, bien intégrée dans la société américaine, militante pour la défense de la dignité des peuples de sa terre natale :

« Ma propre fille exploite mon peuple. Je ne peux accepter ça, Priyasha. Je ne pourrai jamais l’accepter. C’est une forme d’exploitation des pauvres, et tu devrais avoir honte de toi ».

Ainsi réagit initialement Madhu lorsque sa femme lui fait part de son projet :

« Non, Priya ! Il ne s’agit pas d’un sari fait main que tu achètes dans un magasin de commerce équitable. Il s’agit d’un enfant. Tu ne peux pas louer le ventre d’une femme ».

Ainsi se tourmente Asha au début de sa grossesse provoquée à la demande insistante de son époux :

« Pratap grommela dans son sommeil et changea de position […]. Il dormait à poings fermés, pensa Asha avec colère, tandis qu’elle, elle était enceinte d’un autre homme. Elle avait envie de le réveiller pour qu’il prenne conscience de l’acte atroce qu’elle était en train de commettre. Et par sa faute, qui plus est… ».

Et aussi :

« C’était mal de faire ça pour l’argent, et Asha s’en serait évidemment abstenue si leurs finances avaient été meilleures… »

Ainsi est prise de doute moral et de crainte religieuse Puttamma, la belle-mère d’Asha :

« Donner naissance au bébé de quelqu’un d’autre, le bébé d’un couple d’étrangers, quel effet cela lui ferait ? Le vivrait-elle comme une perversion puisque c’était aller contre la nature que de lui nier son droit à décider que telle ou telle personne est stérile ? Sa maternité serait-elle corrompue, son âme souillée ? »

Mais la question est pour cette dernière vite résolue, autant pour ce qui concerne Asha que pour ce qui est de son autre belle-fille, Kaveri :

« Puttamma avait poussé Asha et Kaveri à louer leur ventre : C’est pour la bonne cause, et c’est mieux que de vendre un rein, non ? »

Car le recours au prétexte de « la bonne cause » finit par étouffer tout scrupule, d’un côté et de l’autre.

Pour Priya et son époux, la bonne cause consiste à assurer la normalité, la pérennité et le désir d’enfant de leur couple tout en venant en aide, financièrement, à une famille pauvre du tiers-monde.

Pour Asha et son mari, la bonne cause réside dans le fait de procurer du bonheur à une famille étrangère tout en permettant à leur fils aîné de donner dans une bonne institution privée toute la mesure de la brillante intelligence dont il fait preuve à l’école villageoise.

L’entourage se ralliant peu à peu à ces justifications, tout le monde y trouve, ouvertement, son compte et les objections s’estompent.

L’auteure opère régulièrement dans le récit, à la fin de chaque chapitre, une ouverture sur la modernité en y intégrant la « copie d’écran » d’un forum où un certain nombre de femmes recourant à la GPA échangent sur leur expérience, leur vécu, leurs angoisses, leur fébrilité. Bien que Priya n’y apparaisse pas nommément, le lecteur la reconnaît derrière son pseudonyme. Voilà une façon intéressante d’exprimer indirectement la vision du personnage.

La gestation suivant son cours, le roman dévoile au passage les aspects mercantiles de l’opération, qui se révèlent peu à peu dans la description des conditions d’accueil et de fonctionnement de la pension-clinique, très emphatiquement appelée le « Foyer des mères heureuses », où les porteuses sont contraintes de vivre sous étroite surveillance leur dernier trimestre de grossesse…

Un roman qui questionne, donc un roman à lire.

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Amulya Malladi

Amulya Malladi

 

Amulya Malladi est née en Inde et y a fait ses études avant de partir vivre plusieurs années aux États-Unis, où elle a débuté sa carrière d’écrivain. Une bouffée d’air pur, son premier roman, a immédiatement connu un grand succès. Elle a ensuite écrit six autres romans dont le dernier, Le Foyer des mères heureuses, a été traduit en français en 2018. Elle vit aujourd’hui au Danemark, avec son mari danois et leurs deux fils.

 

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Le Ministère du Bonheur Suprême, Arundhati Roy

Le Ministère du Bonheur Suprême, Arundhati Roy

Ecrit par Patryck Froissart 12.06.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesAsieRomanGallimard

Le Ministère du Bonheur Suprême, janvier 2018, trad. anglais (Inde) Irène Margit, 536 pages, 24 €

Ecrivain(s): Arundhati Roy Edition: Gallimard

Le Ministère du Bonheur Suprême, Arundhati Roy

 

Qui se laissera emporter par ce roman torrentueux de l’amont à l’aval se souviendra longtemps, peut-être à jamais, d’Anjum, dont la vie mouvementée, depuis le jour de sa naissance, est le fil de trame sur lequel va courir une immense chaîne narrative.

Anjum est née Aftab.

« La nuit où Jahanara Bégum lui donna naissance fut la plus heureuse de sa vie. Le lendemain matin, au soleil déjà haut, dans la douce chaleur de la chambre, elle démaillota le petit Aftab. Elle explora son corps minuscule […]. C’est à ce moment qu’elle découvrit, niché sous ses parties masculines, un petit organe, à peine formé, mais indubitablement féminin ».

Jahanara Bégum cache cette particularité hermaphrodite à son mari Mulaqat Ali, lequel, bien que descendant « en droite ligne de l’empereur moghol Gengis Khan », exerce le modeste métier de hakim (soigneur par les plantes), jusqu’au jour où Aftab est contraint de quitter, à l’âge de neuf ans, l’école de musique, ne supportant plus les railleries des autres enfants :

« Lui, c’est une Elle. Un ni Lui ni Elle. En Lui et une Elle. Elle-Lui, Lui-Elle ! Hi hi ! Hé hé ! ».

Le couple tentera tout pour que leur fils reste Aftab, mais en Aftab c’est Anjum qui prend le dessus, et qui, échappant peu à peu à ses parents, finit par rejoindre la communauté des hijras dans un quartier proche.

A partir de ce moment, Anjum vit sa féminité, ou plutôt sa condition, reconnue en Inde, de hijra, en devenant disciple de Ustad Kulsoom Bi de la gharana de Delhi, une des sept gharana hijra du pays, non sans souffrances, non sans ressentir, malgré une opération chirurgicale à demi-réussie, dans sa chair et dans son âme, les mouvements schizophrènes d’une personne pas tout à fait femme ni tout à fait autre.

Gudiya tenta un jour de lui expliquer que les hijras occupaient une place particulière dans la mythologie hindoue où elles étaient aimées et respectées.

Cette fracture intérieure, ou cette sensation de manque, stigmate de son destin personnel, cristallise la profonde et sanglante fracture collective qui s’opère au même moment en Inde, celle de la partition du Pakistan au nord et du Bangladesh à l’est, ressentie par la nation indienne comme une double amputation nourrissant une haine qui se perpétue.

Les informations qui parvenaient du Gujerat étaient horribles. Un wagon de passagers avait été incendié par des personnes qualifiées de mécréants et soixante pèlerins hindous avaient brûlé vifs…

[…] La réaction ne fut ni égale ni symétrique. Le massacre en représailles se prolongea des semaines durant…

La vie d’Anjum connaît deux phases principales, en deux lieux, sur fond de montée du nationalisme hindou et des massacres que subissent les communautés musulmanes tantôt de la part de groupes d’extrémistes hindouistes sur de fallacieux prétextes religieux (accusations d’abattage et de consommation de vaches sacrées), tantôt de la part des forces armées gouvernementales au motif de réprimer les manifestations de protestation qui agitent les musulmans à la suite de ces quasi-pogroms. A la fin, dramatique, d’une longue période vécue dans la gharana, Anjum s’installe dans un cimetière où, après avoir vécu en anachorète, elle construit peu à peu un lieu d’accueil pour hijras en détresse et marginaux en tous genres, asile qui acquiert une notoriété certaine sous le nom de Jannat Guest House (maison d’hôtes Le Paradis).

Des mois durant, Anjum vécut au cimetière tel un spectre ravagé, sauvage, au pouvoir de hantise plus grand que les djinns et les esprits du lieu.

C’est dans ce cadre, et au hasard de ces rencontres, qu’Anjum se lie d’amitié avec Saddam Hussain, « manipulateur de cadavres » à la morgue du lieu, grand admirateur de l’ex-président irakien.

Cette liaison est le point de départ d’une vaste saga qui met en scène, avec Saddam Hussain et d’autres militants, toute l’Inde du Nord, du Gujarat et du Rajasthan au Cachemire où le lecteur assiste à la résistance armée clandestine des Cachemiris contre les troupes indiennes.

Sachant que la rencontre entre Anjum et Saddam se situe, alors qu’il s’est déjà passé une somme extraordinaire d’événements, à peine à l’entour de la centième page d’un roman qui en comprend 525, il est impossible de résumer le reste.

Arundhati Roy met en branle, avec un art narratif exceptionnel et dans un style incisif et caustique, voire sarcastique, une série de personnages et une succession de faits et de péripéties qui illustrent, tout en donnant au lecteur un tournis captivant :

– Le foisonnement politique, religieux, social d’une Inde au climat explosif où les actes des individus alternent ou se confondent avec les mouvements de foules.

– L’évolution négative d’une Inde où les nationalistes hindous, profitant du contexte international des attentats d’Al Qaïda, imposent de plus en plus violemment leur désir de revanche sur l’historique conquête moghole et la domination séculaire de la culture indo-musulmane qui s’est imposée dans une grande partie du sous-continent.

Les avions qui avaient été précipités dans les gratte-ciel d’Amérique servirent les intérêts d’un bon nombre d’individus…

– En face, la contagion de l’islamisme intégriste radical chez les Cachemiris.

L’idiotie intrinsèque, l’idée du Jihad, a infiltré le Cachemire à partir du Pakistan et de l’Afghanistan. A présent […] nous avons huit ou neuf versions de l’islam « authentique » qui se combattent. Chacune d’elle a sa propre écurie de mollahs et de maulana.

– Les manipulations troubles et les abus de pouvoir sans limite des autorités locales et des forces de police corrompues dans un climat d’absolue impunité.

La police lui tomba dessus pour l’interroger. Ils le bousculèrent un peu, juste quelques claques (simple routine).

[…]

Les policiers lui assénèrent quelques coups de pied (simple routine).

Mille cent quarante-six cas de disparitions dans la ville avaient déjà été enregistrées cette année-là. Et on n’était qu’en mai.

– Les sombres trépidations d’une Inde où les disparités sociales et les inégalités de castes provoquent des révoltes durement réprimées.

– Les fractures générationnelles d’une Inde où s’opposent douloureusement traditions et modernité.

Le roman est tout en turbulences, à l’image de cette société agitée de remous et de courants contradictoires.

Anjum finit par bâtir dans le cimetière une sorte de mini-société idéale, havre de paix, asile pour êtres humains et animaux, cependant que la nation verse dans la dictature (dictature que désigne par antiphrase le titre du roman ?) :

Tout bien considéré, avec une Piscine pour le Peuple, un Zoo pour le Peuple et une Ecole du Peuple, le cimetière se portait plutôt bien. On n’aurait pu en dire autant du Duniya.

Gujarat ka Lalla avait pris d’assaut les urnes et était devenu le Premier Ministre. Idolâtré, il était déjà, dans de petites villes, la divinité principale de certains temples…

Cette sombre et cruelle somme romanesque se termine sur une note d’optimisme forcé, amer, attribuée au bousier…

Tout le monde dormait. Tout le monde, sauf Guih Kyom le bousier. Il était pleinement éveillé, en service, couché sur le dos les pattes en l’air pour sauver le monde au cas où le ciel tomberait. Mais il savait, lui, que les choses s’arrangeraient. Elles s’arrangeraient, il le fallait.

Arundhati Roy, avec ce roman éblouissant et ses précédentes publications, se situe d’évidence en bonne place dans la galerie des représentants de génie d’une littérature indienne puissante, efficace, lucide, généralement contestataire, voire révolutionnaire, lesquels excellent à mettre en scène une « Comédie Humaine » régionale, passionnante et généralement expressivement réaliste, dont on connaît entre autres Vaikom Muhammad Basheer, Salman Rushdie, Rabindranath Tagore, Satyajit Ray, Tarun J. Tejpal,Yojana Sharma, Shashi Tharoor, Amitav Ghosh, Rohinton Mistry, Vikram Seth, Shumona Sinha, Taslima Nasreen, Zia Haider Rahman…

Une littérature aujourd’hui incontournable.

A noter, l’excellent travail de traduction d’Irène Margit.

 

Patryck Froissart

 

 

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Arundhati Roy

Arundhati Roy

 

Arundhati Roy est une essayiste et romancière indienne née en 1961 à Shillong, en Inde. Fruit de 4 ans de travail, son premier roman Le Dieu des Petits Riens remporte le Prix Booker en 1997. Devenue célèbre dans le monde entier, Arundhati Roy publie plusieurs essais et milite pour de nombreuses causes : écologie, féminisme, droits humains, tolérance religieuse… Il faut attendre 2018 pour découvrir son second roman, le très attendu Le Ministère du Bonheur Suprême, publié chez Gallimard.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Along the railroad tracks, Une histoire allemande, Roger Salloch

Along the railroad tracks, Une histoire allemande, Roger Salloch

Ecrit par Patryck Froissart 22.12.17 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanUSAEditions Maurice Nadeau

Along the railroad tracks, Une histoire allemande, octobre 2017, trad. anglais américain Olivier Maillart, 161 pages, 19 €

Ecrivain(s): Roger Salloch Edition: Editions Maurice Nadeau

Along the railroad tracks, Une histoire allemande, Roger Salloch

Berlin, 1935.

Le jeune peintre et professeur de dessin Reinhardt Korber vit douloureusement la déconsidération et la déchéance de sa discipline dont la direction du lycée réduit drastiquement le financement dans un système éducatif nazi qui a d’autres priorités et pour qui l’art est une expression décadente.

L’avant-veille on lui a dit que l’école n’était pas là pour former des barbouilleurs dégénérés. L’école, ça sert à former des esprits jeunes et des corps jeunes et au diable leur talent !

Parmi les rares élèves du lycée qui fréquentent encore les cours de Korber, Lotte, âgée de seize ans, et Rebecca, un peu plus jeune, deux amies inséparables depuis l’enfance, sont les préférées de l’enseignant.

Korber, Rebecca et Lotte sont les personnages principaux de ce roman sombre et passionnel, dont l’intrigue est construite sur leur trouble relation triangulaire qui évolue en étroite correspondance avec le contexte historique du lavage des cerveaux de la jeunesse allemande par le régime nazi et de la montée paroxystique de la haine des Juifs.

Car la famille de Lotte Schmidt est nationaliste.

Car la famille de Rebecca Wasserstein est juive.

Quand Korber croise le père de Lotte :

Ah ! Herr Schmidt. Une silhouette comme la sienne, si parfaitement à sa place dans un tel environnement…

Quand le même Korber rencontre les Wasserstein :

Tous les membres de la famille de Rebecca marchent serrés les uns contre les autres.

Par ces deux simples phrases traduisant la vision de Korber, le narrateur exprime dès les premières pages l’état d’esprit de chacune des deux familles, symptomatique de l’atmosphère qui règne dans les villes allemandes en 1935, symbolisée au regard du peintre par l’omniprésence de la couleur noire. Tout au long du roman, le narrateur voit, sent, juge, interprète ainsi le régime hitlérien par les yeux du professeur qui exècre le nazisme dans l’absolu secret de ses pensées.

Le quotidien de la dictature n’est pas ici décrit dans ses manifestations spectaculaires. Il se traduit par l’évocation ponctuelle, subtile, presque parfois subliminale d’un espionnage latent, de tracasseries administratives suspicieuses, de peurs individuelles, d’une censure tatillonne et d’une autocensure prudente, d’agressions personnelles (la scène au cours de laquelle Korber subit un tabassage en règle en pleine rue de la part de membres des jeunesses hitlériennes pour la simple raison qu’il enseigne les arts et, circonstance aggravante, à une élève juive, ce qui fait de lui un décadent et un ennemi de l’idéologie officielle, est simplement racontée par la victime dans le fil du récit comme un fait divers anodin). Cette banalisation dans la narration rend peut-être plus présente, plus prégnante l’emprise du système et la paranoïa qu’elle provoque que ne le feraient des mises en scènes théâtrales.

Il jette un œil par-dessus son épaule. Bien entendu. Pratiquement tout le monde jette un œil par-dessus son épaule.

L’intrigue se noue et s’étrangle brusquement, vers le milieu du roman, quand Lotte, amoureuse du professeur qui semble a priori ne guère s’en rendre compte, et persuadée que Korber lui préfère Rebecca, sous le coup d’une imagination passionnelle et morbide qui s’emballe et lui fait voir ce qui n’est pas, devient soudainement violemment jalouse de son amie de toujours, et effectue auprès de l’administration du lycée une dénonciation calomnieuse, exemple d’une démarche qui est devenue l’un des instruments de la dictature. Car Korber dérange. Korber n’est pas conforme à l’image idéale de l’homme viril du Troisième Reich. Korber échappe, par l’art, au conditionnement, à l’acculturation, à la mise en rangs, à la marche raide et rectiligne… Donc Korber est coupable de ce qu’il n’a pas fait. Pourtant Korber n’a rien d’un activiste, d’un opposant déclaré. Au contraire, Korber, à certains moments, bien que très lucide la plupart du temps sur l’absurde démence qui frappe l’Allemagne, est un personnage « ailleurs », décalé, « à côté de la plaque » d’après son unique ami, hors cadre, trans-contextuel ou, mieux, extra-contextuel que ne renierait peut-être pas Kafka. A d’autres moments, il n’est pas loin de ressembler à l’Etranger de Camus.

Parfois, la nuit […], Korber met en scène ses fantasmes […]. Il s’épie dans le miroir, rêve d’utiliser le pistolet de son père. De l’utiliser sur l’un d’eux…

[…] Il n’a jamais été un homme violent.

La sanction disciplinaire qui le frappe pour ce qu’il n’a pas fait le punit évidemment pour ce qu’il est, et pour ce qu’il n’est pas.

Suspension immédiate de tous ses cours du soir. En septembre, mutation pour une école dans les Sudètes […] Il aura intérêt à marcher droit. Et à commencer chaque leçon par une citation du Völkischer Beobachter. Et à se couper les cheveux…

Normalisation…

La suite du roman est sombrement éblouissante. Le rythme s’accélère. Les phrases sont plus brèves. Ce qu’il advient de Rebecca devait fatalement advenir dans ce contexte. L’amour fou qu’éprouve Lotte pour son professeur prend une tournure inattendue, qui emporte le peintre dans un dangereux tourbillon. Le personnage de Korber en plein désarroi y gagne une densité rare et dégage une aura émotionnelle si impressive qu’elle oblige le lecteur à une puissante empathie.

Il ramasse quelques pierres du ballast. Il les jette dans les ténèbres. Puis il se frappe avec les cailloux […]. Il frappe sa faible conscience. Il la frappe comme si c’était une lumière, et qu’il voulait la faire partir. Mais elle ne partira pas.

Un roman pénétrant, remarquablement bien servi par la traduction d’Olivier Maillart.

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Roger Salloch

Roger Salloch

 

Roger Salloch est américain, fils d’immigrés allemands de la première génération aux Etats-Unis. Il vit à Paris. Ses récits ont été publiés dans Paris Review, North American Review, Fiction, Ploughshares, Works on Paper, l’Atelier du Roman (Paris), Sud (Rome). Le roman Une histoire allemande a été publié pour la première fois en italien sous le titre Una storia tedesca par Miraggi Edizioni à Turin en 2016. Salloch est également photographe. Il a exposé à Zurich, Paris, New York, Vologda (Russie), Ost-Holstein, Delhi, Naples et Turin.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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L’Ombre des grenadiers, Tariq Ali

L’Ombre des grenadiers, Tariq Ali

Ecrit par Patryck Froissart 16.01.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesIles britanniquesRomanSabine Wespieser

L’Ombre des grenadiers, octobre 2017, trad. anglais Gabriel Buti et Shafiq Naz, 412 pages, 13 €

Ecrivain(s): Tariq Ali Edition: Sabine Wespieser

L’Ombre des grenadiers, Tariq Ali

 

L’ombre des grenadiers pour Tariq Ali, c’est celle de la Granada maure, le souvenir nostalgique des splendeurs de la Gharnata berbéro-musulmane, perle éclatante sur un riche collier de sept siècles de présence berbère sur la péninsule ibérique.

Le roman commence juste après la chute du royaume de Grenade, conquis par les troupes castillanes d’Isabelle la Catholique. Le Prince de l’Eglise Ximenez de Cisneros a reçu de sa souveraine mandat de rechristianiser la région, dont la plupart des habitants, citadins et ruraux, sont musulmans. Son premier acte est d’ordonner une gigantesque rafle, dans les bibliothèques publiques et privées, de tous les ouvrages savants écrits en arabe et d’en faire un autodafé géant sur une place de Grenade devant une masse représentative de musulmans de toutes conditions, amenés de force par l’armée pour assister au spectacle de l’anéantissement symbolique de leur culture andalouse séculaire, acte barbare préludant à l’éradication programmée, par le feu, le fer et la torture, de la religion musulmane sur le territoire redevenu espagnol, et la mise en œuvre macabre des tribunaux de l’Inquisition.

Les volumes somptueusement reliés et enluminés constituaient le témoignage des talents des Arabes de la Péninsule, qui dépassaient de loin les normes des monastères de la Chrétienté. Les compositions qu’ils contenaient avaient suscité l’envie des érudits de toute l’Europe.

[…]

Le signal fut transmis à tous les porteurs de torches et le feu allumé. Pendant une demi-seconde le silence fut total. Puis une lamentation assourdissante déchira la nuit de décembre…

Or dans les environs de Grenade est installée depuis des siècles une communauté paisible et prospère sur un vaste domaine agricole florissant, Al-Hudayl, que dirige, sur un mode patriarcal, la famille seigneuriale maure des Banu-Hudayl.

L’intrigue du roman repose entièrement sur les relations complexes entre ce clan puissant et les nouveaux maîtres de la cité qui, pour les habitants du château et des villages qui en dépendent, ne peut porter d’autre nom que Gharnata.

Très vite Ximenez de Cisneros affiche les exigences officielles des vainqueurs : les Maures, comme un peu plus tard les Juifs, ont le choix entre la conversion au catholicisme, l’exil, ou la mort, l’objectif non avoué étant la dépossession de tous les biens fonciers et autres appartenant aux musulmans au profit de catholiques, prioritairement castillans.

Les Banu-Hudayl, comme les autres grandes familles maures, se divisent, se déchirent, s’opposent entre eux, les uns acceptant immédiatement la conversion, au moins de façade, par intérêt opportuniste ou par résignation, d’autres optant pour un prompt départ vers Fès avec armes et bagages, d’autres se montrant prudemment attentistes, et d’autres encore, parmi les plus jeunes et les plus aguerris, s’organisant pour une résistance armée du type de la guérilla. Le dénouement, quel que soit le choix de chacun, sera, on le sait, l’anéantissement culturel, religieux, économique et physique de la communauté, car le devenir des Maures d’Espagne est écrit par les nouveaux souverains avant même que commence la rédaction des annales de la Reconquista.

Sur un laps de quelques années, les péripéties se succèdent à un rythme soutenu, mettant en scène centrale le jeune Yazid, le candide de l’histoire, et, gravitant autour de lui, son frère aîné Zuhayr, fougueux, combattif, rebelle, son père Umar bin Abdallah, l’héritier de la dynastie des Banu Hudayl, indécis sur la conduite à tenir, son grand-oncle Miguel el Malek, converti au christianisme et devenu évêque de Qurtuba, sa tante Zahra, qui vit dans un couvent à Grenade, la vieille servante Ama… La vie tourmentée de ces deux derniers personnages constituant pour chacune un récit dans le récit.

Autres personnages remarquables :

– L’ermite Al-Zindiq qui vit dans une grotte non loin du village et dont on apprendra les liens occultes qui rattachent sa propre histoire à celle des membres de la famille d’Umar, au cours des visites régulières que lui rend Zuhayr devenu son confident. Par la bouche du « vieux de la montagne », dont le discours rappelle souvent celui d’Averroès, le narrateur exprime une vision laïque de l’Islam qui va toutefois beaucoup plus loin que les thèses d’Ibn Rushd, jusqu’à l’agnosticisme affirmé.

Je vais te poser une autre question. Est-il légitime de lier les choses que nous donne la raison et celles que nous dicte la tradition ?

[…]

Ibn Rushd n’était pas suffisamment hérétique. Il acceptait l’idée d’un Univers complètement sous l’emprise de Dieu…

– L’étudiant égyptien en théologie Ibn Daud al-Misri, venu de Balansiya (Valencia), se prétendant descendant d’Ibn Khaldun, personnage trouble qui pousse au djihad.

– Le bandit de grand chemin Abu Zaïd, anarchiste érudit disciple du poète philosophe syrien Abu’l Ala al-Maari, dont le destin croisera puis rejoindra celui du jeune Zuhayr.

Tout à la fois roman d’aventures, de chevalerie, de cape et d’épée, aux rebondissements rocambolesques, roman d’amour(s), roman historique, ce livre foisonne de détails d’époque sur la vie quotidienne des communautés d’Al-Andalus, sur l’émergence de la folie totalitaire et meurtrière de l’Inquisition, sur l’extrême violence de la revanche espagnole, et comporte de passionnantes controverses, très actuelles, sur l’Islam et le monde musulman et, par comparaison, sur le Christianisme et le monde de la Chrétienté qui est alors à l’aube de son entreprise de conquêtes coloniales dévastatrices.

Un roman fort riche.

 

Patryck Froissart

 

 

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Tariq Ali

Tariq Ali

 

Tariq Ali est un historien, et commentateur politique britannique d’origine pakistanaise né à Lahore (Pakistan) en 1943. Son père, Mazhar Ali Khan, était journaliste. Sa mère, Tahira Mazhar Ali Khan est la fille de Sikandar Hayat Khan qui a dirigé la Ligue musulmane et administré la province du Pendjab en 1937. Installé en Grande-Bretagne depuis ses études à Oxford, Tariq Ali est un excellent connaisseur de l’Asie centrale. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages, en particulier sur l’Asie du Sud, le Moyen-Orient, l’histoire de l’Islam, l’empire américain et la résistance politique. Il a publié en 2001 un roman traduit en français aux Éditions Syllepses, La Peur des miroirs. Sa trilogie romanesque, Le Quintette islamique (L’Ombre des grenadiers, prix du meilleur roman étranger Saint-Jacques de Compostelle 1995, Le Livre de Saladin et La Femme de pierre), a paru en 2002 aux Éditions Complexe. Il est également membre du comité éditorial de la revue britannique New Left Review et membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. Il vit actuellement à Londres avec sa compagne Susan Watkins, rédactrice en chef de la New Left Review.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Ör, Auður Ava Ólafsdóttir

Ör, Auður Ava Ólafsdóttir

Ecrit par Patryck Froissart 22.01.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPays nordiquesRomanZulma

Ör, octobre 2017, trad. islandais Catherine Eyjólfsson, 236 pages, 19 €

Ecrivain(s): Auður Ava Ólafsdóttir Edition: Zulma

Ör, Auður Ava Ólafsdóttir

 

Le narrateur, Jonas Ebeneser, opère une rupture brutale, qu’il annonce définitive, avec sa vie, son travail, sa famille, ses amis, après avoir appris que sa fille Nymphéa n’est pas sa fille. Une ultime visite à sa mère, « ratatinée » dans sa maison de retraite, qui radote en faisant référence à ses connaissances d’historienne, ne fait que conforter sa décision.

Je n’ai pas l’intention de finir comme maman.

Il en a décidé : il veut, il doit mourir. Après avoir mis de l’ordre dans sa cave et retrouvé le journal de ses jeunes années, il part sans prévenir quiconque, avec sa caisse à outils et un vieux fusil emprunté à son meilleur ami Svanur, loin, de l’autre côté de la mer, dans un pays dévasté par une guerre qui vient tout juste de s’achever.

La question est de savoir quelle destination prendre. Je cherche sur Internet une destination adéquate en me concentrant sur les latitudes en zone de guerre.

Je choisis finalement un pays longtemps à la une des médias en raison des combats qui y ont fait rage et qui a disparu de l’horizon depuis la signature d’un cessez-le-feu… La situation passe cependant pour y être précaire […] Voilà qui paraît idéal, je pourrais être abattu à un coin de rue ou bien sauter sur une mine.

A l’Hôtel du Silence, dans une ville en ruines et presque déserte, il se donne huit jours de sursis avant le grand saut.

L’hôtel, où vit, avec son fils Adam et son frère Fifi, la jeune May qui gère l’établissement pour le compte d’une parente exilée, est vide de touristes et fort mal en point. Les premiers clients à y prendre pension à la fin des hostilités sont, en même temps que Jonas, une actrice de cinéma et un personnage louche du type charognard en quête de « bonnes affaires » dans un pays déstructuré.

Dès son arrivée, Jonas est amené à réparer la douche de sa chambre, ce qui lui vaut d’être sollicité par la suite par May pour des réparations similaires dans l’hôtel délabré.

Semblant avoir reporté momentanément la date de son suicide, Jonas est entraîné, à la demande de May, dans un programme global de rénovation de l’immeuble, puis dans la remise en état d’autres demeures, à la prière de femmes seules, ce qui déplaît de plus en plus aux hommes de la cité.

Le projet suicidaire de Jonas étant exprimé très tôt dans le roman, s’installe une tension dramatique que l’auteur a le talent d’entretenir jusqu’au dénouement. La relation qui se noue progressivement entre May et son client et, parallèlement, entre ce dernier et Adam, le tout jeune fils de May que le traumatisme de la guerre a rendu quasiment autiste, ajoute au suspense, le lecteur se demandant combien de temps cette liaison retardera le suicide programmé ou si elle aura le pouvoir d’y faire renoncer le personnage.

L’auteure brouille encore la perspective de l’accomplissement du dessein initial en incrustant dans le récit d’autres éléments narratifs. Ainsi Jonas se lance dans la recherche rocambolesque de mosaïques ayant constitué avant la guerre l’une des curiosités historiques de la région. Et une intrigue parallèle met en relation Jonas et le mystérieux trafiquant.

Le récit est ponctué de souvenirs du narrateur, les uns résurgents à la relecture de ses carnets de jeunesse :

En haut de la suivante est écrit : je ne crois plus en Dieu, et je crains qu’il ne croie plus en moi.

Les autres comme autant d’échos de la voix de sa mère, de réminiscences de gestes et de paroles de sa fille Nymphéa, de son ex-femme Guđrun, de son ami Svanur…

[May] a rassemblé ses cheveux mouillés en une sorte de chignon retenu par un élastique, comme le fait Nymphéa parfois.

C’est le genre de questions que posent les femmes, aurait dit Svanur.

Tandis que je suis là debout sur la plage, je me souviens tout à coup du banc de baleines devant lequel Guđrun et moi étions passés en voiture.

Ces mots de May me font penser à maman. Au cœur du mal naît le désir de vengeance, comme elle dit souvent.

On a l’impression que les tentacules du passé le rattrapent, l’embrouillent, le retiennent, alors que, dans le même temps, le présent souvent kafkaïen de situations ayant pour cadre le décor fantomatique d’une ville démolie par les bombes le réinsère dans un état qui pourrait être celui d’une nouvelle vie. Car les sollicitations toujours plus nombreuses et variées dont il est l’objet de la part des rescapés pour réparer, rénover ceci ou cela, lui confèrent peu à peu le statut de personnage providentiel, image renforcée par le fait qu’il réussit progressivement à sortir Adam de son mutisme traumatique.

Il recommence à parler, dit May. Il n’avait pas ouvert la bouche depuis un an.

L’auteure adopte une construction originale, faite de fragments relativement courts portant chacun un titre « phrase » qui en condense le thème.

Quelques exemples :

Partout dans la ville je suis enterré

Le temps est plein de chats morts

Trois seins

Parfois ces titres, si on les réunit, forment un ensemble narratif cohérent, comme ceux-ci, dont on reconnaît la référence (à rapprocher de celles qu’évoquent les noms de Jonas et du petit Adam) :

Et les ténèbres régnaient sur les profondeurs

La Terre était informe et vide

Et la lumière fut

Nous avons là un roman prenant, dont la situation initiale, sombre, pessimiste, est celle d’un homme qui se tient pour fini, qui a fait ses comptes et qui jette un regard désabusé sur le monde d’abondance et de confort où il a vécu, regard qui évolue dans le contexte où le personnage se déporte brusquement, où tout est à refaire, à reconstruire, à trouver.

Je ne sais pas qui je suis. Je ne suis rien et je n’ai rien.

A partir de ce constat de négation de soi, la rupture puis la transplantation dans un nouveau monde, où il se voue à cette étrange entreprise de reconstruction, aideront-elles Jonas à se « reconstruire » lui-même par le truchement symbolique de la caisse à outils qu’il trimballe partout ?

 

Patryck Froissart

 

 

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A propos de l'écrivain

Auður Ava Ólafsdóttir

Auður Ava Ólafsdóttir

 

Auður Ava Ólafsdóttir est née en 1958, et vit à Reykjavík. Elle a fait des études d’histoire de l’art à Paris ; est actuellement maître-assistante d’histoire de l’art à l’Université d’Islande. Directrice du Musée de l’Université d’Islande, elle est très active dans la promotion de l’art. À ce titre, elle a donné de nombreuses conférences et organisé plusieurs expositions d’artistes. Elle est l’auteure, entre autres œuvres remarquées, de Rosa candida, roman qui a reçu deux prix littéraires en Islande, le Prix culturel DV de littérature 2008 et le Prix littéraire des femmes (Fjöruverðlaun). Ce roman a été traduit de l’islandais en anglais, danois et allemand.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Du cloître à la place publique, présenté par Jacques Darras

Du cloître à la place publique, présenté par Jacques Darras

Ecrit par Patryck Froissart 09.02.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPoésieGallimard

Du cloître à la place publique, septembre 2017, 530 pages, 10 €

Ecrivain(s): Jacques Darras Edition: Gallimard

Du cloître à la place publique, présenté par Jacques Darras

 

Cet opus est entièrement consacré, comme l’indique son sous-titre, aux œuvres en langue d’oïl (picard) des Poètes médiévaux du nord de la France aux XIIe et XIIIe siècles, dont Jacques Darras présente ici sa propre traduction en français moderne.

Excellente initiative dont l’auteur de la compilation/traduction lui-même s’étonne qu’elle n’ait pas paru nécessaire jusqu’ici.

Pourquoi personne n’avait-il encore rassemblé les textes médiévaux en langue d’oïl les plus remarquables, dans un seul et même ouvrage ? Pourquoi nulle anthologie n’avait-elle conduit le lecteur d’aujourd’hui jusqu’à eux, par le biais d’une traduction sensible à la langue ancienne ?

Le corpus regroupe les compositions de poètes se répartissant géographiquement dans cette grande région définie administrativement en 2015 qui réunit le Nord et la Picardie, avec pour centre de rayonnement culturel, durant les siècles concernés, la ville d’Arras.

On découvre ici la grande variété des structures poétiques et narratives de cette époque, ainsi que les thématiques spécifiques du contexte socio-culturel.

De Philippe de Rémi, sieur de Beaumanoir, on lira avec intérêt les Oiseuses, ou Resveries, à la construction très particulière, « en trois segments, équivalant à un alexandrin disposé sous la forme d’un octosyllabe coupé en deux dont les moitiés riment entre elles et d’un tétramètre disposé au-dessous et rimant avec les deux segments suivants ».

 

Si ne faites garde,                               vous allez perdre

tout votre argent

 

Bien sais, l’argent                           meut maintes gens

en convoitise

 

Du même Philippe de Rémi, le curieux corpus des « Fatrasies d’Arras », pièces en vers (onzains composés de six pentasyllabes et de cinq heptasyllabes), poèmes absurdes préfigurant, avec quatre siècles d’avance, les textes en écriture automatique des surréalistes.

 

Tripe de moutarde

Sur le cul de sa tante

Faisait la musarde

Et un œuf se farde

Evitant qu’il n’arde

D’un pet de putain ;

Telle, la chanson d’Audain.

Lors surgit l’outarde,

La commère Berthain,

Et une truie gaillarde

Portant moustiers en son sein.

 

Plus lyriques, toujours de Philippe de Rémi, Les Saluts à refrains, dont l’émouvant Lai d’amour.

Cela me fait bien soupirer

qu’elle ne m’aime pas

 

Toujours fus-je en votre abandon

comme en prison

 

Après Philippe de Rémi, Jacques Darras présente Conon de Béthune et ses Chansons, strophes nostalgiques, sur le ton des regrets, que le poète adresse à sa belle Dame, douce et chère alors qu’il est engagé au Moyen-Orient, sans espoir de retour, dans les Croisades du début du 13e siècle.

Suit une longue pièce très étonnante intitulée Le Bestiaire d’Amour, dans laquelle l’auteur, Richard de Fourneval, compare successivement les comportements qu’il attribue à des dizaines d’animaux avec la manière dont sa Dame reçoit ses déclarations, ses soupirs, ses doux aveux. Dans une deuxième partie, parallèle, il imagine que l’amante lui répond en reprenant chacun des portraits animaliers pour les plaquer à son tour sur leurs relations. Outre la joute galante savoureuse à laquelle se livrent ainsi les deux protagonistes, on appréhende la connaissance qu’avaient les hommes de l’époque des comportements des animaux, de leurs habitudes alimentaires et sexuelles, un savoir empirique où se mêlaient croyances, superstitions, et certitudes figées issues de légendes populaires.

Je me rappelle à ce sujet avoir entendu dire que la belette enfantait par la bouche et concevait par l’oreille.

Autre important morceau de cette anthologie, L’Art d’aimer, de Jacques D’Amiens, est une réécriture absolument infidèle de l’œuvre d’Ovide. Le moins qu’on puisse dire, comme l’écrit Jacques Darras, est qu’on ne peut ici être plus éloigné du modèle de la chevalerie courtoise, tant cet « art d’amour » est traversé par l’expression d’un sexisme phallocrate qui ferait aujourd’hui hurler la gent féminine… Tout était bon, semble-t-il, au narrateur pour séduire et/ou soumettre la femme aimée.

 

Cependant m’est advenu

Qu’aucune fois j’ai frappé

Mon amie ou grand soufflet lui infligeai

Ou par les tresses l’ai traînée…

 

Plus « courtoisement corrects » sont les Congés, cette invention littéraire originale qui semble avoir été propre aux poètes arrageois. Trois Congés sont recueillis dans notre ouvrage, ceux des poètes connus que sont l’illustre Adam de la Halle et Jean Bodel, et celui du plus obscur Baude Fastoul. Cette poésie de l’adieu, adieu à la vie communautaire civile pour Jean Bodel et Baude Fastoul frappés par la lèpre et contraints d’aller s’enfermer dans une léproserie, adieu à la ville d’Arras pour Adam de la Halle en partance pour Paris, disparaîtra de l’histoire littéraire jusqu’à ressusciter sous la plume de Villon dans son Testament.

Dans une thématique voisine, le recueil donne à lire deux importantes compositions en douzains réguliers d’octosyllabes, d’abord le long et pessimiste Miserere du mystérieux Reclus de Molliens

 

Homme, entends-moi ! Tu dois ouïr

Qui tu es, sans t’en réjouir.

Qui es-tu donc ? Sac plein de fien…

 

puis Les Vers de la Mort du trouvère Hélinand de Froidmont, une adresse à la Mort en cinquante douzains

 

Oui, Mort, nous sommes tous en attente

Que tu nous fasses payer tes rentes,

Tu nous as mis sur ton registre…

 

Après l’introduction générale, claire et érudite, chaque œuvre de l’anthologie est introduite par Jacques Darras sous la forme d’un texte critique qui retrace sa genèse, son histoire et son inscription dans l’histoire littéraire et présente la biographie de leur auteur, du moins ce qu’on en sait.

Au cœur du livre, on aimera les 16 miniatures d’époque illustrant le Bestiaire.

Voilà un ouvrage que tout amateur de littérature, de poésie en particulier, et d’histoire littéraire sera heureux d’avoir entre ses mains, et qui ne peut manquer, bien que Jacques Darras ait opéré son impressionnant travail de traduction en français moderne en respectant de façon exemplaire la forme originale, de donner l’envie de se procurer les textes à lire dans la langue d’oïl de l’époque.

 

Patryck Froissart

 

Jacques Darras est né en 1939 à Bernay-en-Ponthieu (Somme). Fils d’instituteurs, il est admis à l’École Normale Supérieure en 1960 et obtient en 1966 l’agrégation d’anglais. Nommé au lycée Grandmont de Tours, il devient assistant à la toute nouvelle Université de Picardie où il fera toute sa carrière jusqu’en 2005.

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A propos de l'écrivain

Jacques Darras

Jacques Darras

 

L’auteur Jacques Darras est aussi, avec Chantal Delacroix pour les photographies, l’auteur de Voyage dans la couleur verte, Un parcours en Picardie, éd. Du Labyrinthe, 2014.

Jacques Darras est né en 1939 à Bernay-en-Ponthieu (Somme). Fils d’instituteurs, il fréquente le Lycée d’Abbeville puis est élève d’hypokhâgne et khâgne au lycée Henri IV à Paris. Il est admis à l’École Normale Supérieure en 1960 et obtient en 1966 l’agrégation d’anglais. Nommé au Lycée Grandmont de Tours, il devient assistant à la toute nouvelle Université de Picardie où il fera toute sa carrière jusqu’en 2005. Professeur en 1978 avec une thèse sur « Joseph Conrad et les signes de l’Empire », doyen de Faculté de 1984 à 1999, il crée plusieurs masters et départements de langue dont l’hébreu, l’arabe, le chinois, le néerlandais, le polonais etc… Parallèlement il lance la revue littéraire in’hui, relayée par la Maison de la Culture d’Amiens en 1985, puis éditée à Bruxelles (le Cri). Il publie en 1988 le volume inaugural de son grand cycle poétique sur La Maye qui comportera huit volumes. Il publie des essais, notamment Nous sommes tous des romantiques allemands (Calmann-Lévy, 2002) et Nous ne sommes pas faits pour la mort (Stock, 2006). Il reçoit le prix Apollinaire (2004) et le Grand Prix de Poésie de l’Académie française (2006). Depuis 2009, il préside le Marché de la Poésie de Paris. Il est l’un des administrateurs du CNL, de la Maison de la Poésie de Paris (depuis 1990). Il préside le jury du Prix Ganzo de poésie. Il préside le festival Marathon des Mots de Bruxelles depuis 2009. Il a organisé dix rencontres européennes de poésie à la Maison de la Poésie de Paris en 2009. Il vient de créer le festival de Poésie d’Achères (2010). Poète, essayiste et traducteur français, démocrate « whitmanien » d’Europe, son admiration va principalement à des poètes comme Apollinaire, Cendrars et Claudel, dont la tradition d’ouverture au monde s’est inexplicablement interrompue. Jacques Darras essaie d’engager la poésie française sur la voie d’une écoute plus attentive aux autres traditions (Source : le site de France-Culture, http://www.franceculture.fr)

Bibliographie : Je sors enfin du Bois de la Gruerie, Jacques Darras, éd. Arfuyen, 2014 ; À ciel ouvert, Jacques Darras, entretiens avec Yvon Le Men, éd. La passe au vent, 2009.

 

Quatrième de couverture Je sors enfin du Bois de la Gruerie :

Vos souvenirs deviennent mes souvenirs mémoire

unanime anonyme.

Vous moi entrons dans les allées d’un vaste cimetière

nécropole.

Appelez-le roman familial ou national.

J’arrive de mon côté avec l’outil-poème, il est tard, je suis

jardinier des vides.

Je mesure les intervalles.

Il m’aura d’abord fallu vivre ma propre vie, accompagner

mon père jusqu’au bout de la sienne.

Il m’aura fallu attendre la nuit pour lire au livre entr’ouvert

de ma propre lignée.

Dans les vides (Jacques Darras)

 

Murielle Compère-Demarcy (qui signe parfois avec le monogramme de son nom M©Dĕm) publie en revues de poésie et en anthologies (Poésie / première, Comme en poésieDéchargeTraction-Brabant, Verso…)

Recueil de poèmes en 2009 pour Atout-Cœur, aux éd. Flammes Vives

Recueil de nouvelles en août 2014 pour La F… du Logis

Recueils de poèmes en avril 2014 pour L’Eau-Vive des falaises et en septembre 2014 et pour Je marche… poème marché/compté à lire à voix haute et dédié à Jacques Darras, éd, Encres Vives / Michel Cosem, coll. Encres Blanches, 2, Allée des Allobroges 31770 Colomiers.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui

L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui 

Ecrit par Patryck Froissart 06.03.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesMaghrebRomanLe Serpent à plumes

L’Enfant de l’œuf, septembre 2017, 202 pages, 18 €

Ecrivain(s): Amin Zaoui Edition: Le Serpent à plumes

L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui (2ème article)

 

Cet ouvrage singulier est un roman à deux voix, celle du chien Harys et celle de son maître Moul, diminutif de Mouloud.

Il se présente sous la forme de courts textes narratifs pourvus chacun d’un titre, assimilables à des fragments d’un double journal intime écrit à la première personne, tantôt rêveries, tantôt chroniques prosaïques de la vie quotidienne, tantôt scènes amoureuses soit sentimentales soit puissamment sensuelles, tantôt satires aucunement voilées de la situation politico-religieuse de l’Algérie actuelle.

Au moment où débute le récit, Moul vit seul dans son appartement, dans son œuf, depuis le départ de sa femme Farida, qui l’a quitté pour aller « vivre sa vie » loin d’une Algérie dont elle ne supportait plus les contraintes.

Moul lui-même est une espèce d’anarchiste libertaire que l’auteur campe comme un résistant irrémissible à l’acculturation qui dénature un pays où l’intégrisme religieux impose de plus en plus, malgré la fin officielle des années noires du FIS et les lois d’amnistie, ses règles rétrogrades, morales, idéologiques, civiles, de manière insidieuse et pernicieuse, sur les moindres aspects de la vie quotidienne.

La révolte silencieuse et occulte de Moul s’exprime dans sa consommation quotidienne de vin, dans la langue qu’il utilise pour parler avec son chien (le français), dans le fait même de la présence (haram pour les fondamentalistes) d’un chien dans son appartement et à ses côtés lors de ses sorties en ville, dans son amour pour la musique qu’il écoute à longueur de journée, dans sa passion inconvenante des grandes œuvres profanes de la littérature mondiale, dans le plaisir qu’il prend à déposer dans le coin du balcon réservé aux mictions d’urine de Harys les journaux qu’il achète chaque jour, et dans une activité sexuelle anticonformiste.

Dans la vie du couple Moul/Harys interfèrent ponctuellement plusieurs femmes :

Lara la Damascène, syrienne chrétienne réfugiée, rayonnante, avide de vivre, hébergée chez la voisine du dessous, est une femme libre, qui ne supporte aucune entrave religieuse, ce qu’elle manifeste concrètement par son aversion symbolique et définitive à porter des dessous.

Cette réfugiée damascène essaye d’oublier la guerre atroce qui ravage sa ville en offrant son corps à Moul, se donne pour être dévorée dans une guerre de lit.

Elle oublie sa catastrophe par le sexe.

Myriam, la voisine du dessous, employée à Air Algérie, glisse lentement et sûrement dans l’intégrisme islamique, en total contraste avec sa co-locataire Lara.

Myriam s’est assombrie. Elle s’est renfermée sur elle. Une semaine après l’enterrement de son fiancé, elle a décidé de porter le voile, s’est adonnée à la lecture du Coran et s’est mise à consommer du haschich et de multiples somnifères.

Zouzou, vétérinaire, belle quadragénaire célibataire, entretient avec Moul une relation torride, purement charnelle, qui se traduit par une scène crûment libertine à chacune des visites auxquelles est régulièrement astreint le chien Harys qui est suivi médicalement par la doctoresse pour des défaillances cardiaques.

L’Enfant de l’œuf, c’est le roman de l’absence douloureuse, de la souffrance des personnes aimées qui manquent :

L’absente Farida, l’épouse fugueuse qui lui envoie, comme jeté de loin, de temps à autre, un bref message.

L’absente Tanila, la fille de Moul et de Farida, installée à Los Angeles, que Moul s’attend, vainement, surtout dans l’illusion du vin, à voir apparaître à sa porte à tout moment.

L’absente Mona, Madame Mona, professeure d’espagnol du Moul des années de lycée, de qui le jeune étudiant était amoureux, et qu’il croit reconnaître, peut-être, dans une mystérieuse dame tricoteuse qui partage son banc lors de séjours que le solitaire effectue au parc avec Harys

L’absente Sultana, la mère de Farida, dont on apprend, dans le cours du récit, en même temps la mort et la relation très particulière qu’elle entretenait avec son beau-fils.

J’ai décidé d’aller au cimetière Zadiq de Ben Aknoun pour fleurir la tombe de celle avec laquelle j’avais tiré pour la première fois sur une cigarette. J’ai appris à fumer de sa bouche. Elle me soufflait la fumée de sa clope, de sa bouche dans la mienne ! De ses souffles magiques, j’ai appris la cigarette.

L’Enfant de l’œuf, c’est le roman qui se veut un miroir de la société algérienne contemporaine, miroir à peine grossissant de ses dérives, de ses interdits, de l’emprise pesante d’un intégrisme islamique inquisiteur, personnifié par la voisine de palier de Moul qui surveille les allées et venues de Lara la Syrienne chrétienne, et d’un panarabisme oppressif, acculturant, particulièrement offensif contre la langue amazigh et le français, miroir d’une société du refoulement, de l’hypocrisie érigée en système, d’une société politiquement et socialement corrompue que l’auteur décortique et dénonce sans aucune concession, sans aucune autocensure, par le biais du regard critique et silencieusement révolté de Moul et par les yeux faussement candides de son chien.

J’aime la vie et j’adore uriner sur les unes des quotidiens nationaux, à grand tirage, avec des photos en couleurs bien relookées des grands décideurs politiques et économiques.

Je suis assez intelligent pour comprendre ces bêtises humaines. Les bêtises en couleurs.

J’ai commencé à uriner avec plaisir et grand intérêt sur les journaux pleins de fatwas religieuses émises par des fqihs obsédés par les femmes.

L’Enfant de l’œuf, c’est le roman d’un spectateur du théâtre du monde, impuissant, passif et résigné dans une société elle-même fataliste, d’un spectateur qui regarde avec écœurement les scènes de barbarie des sectateurs de Daesh en Syrie, avec pour conséquence directe, visible presque de sa fenêtre, la traite esclavagiste de jeunes femmes syriennes réfugiées en Algérie…

L’Enfant de l’œuf, c’est le roman d’un monde dramatiquement malade.

 

Patryck Froissart

 

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Amin Zaoui

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Amin Zaoui a enseigné la littérature, animé une émission littéraire à la télévision algérienne et fondé le palais des arts et de la culture d'Oran. Ecrivain bilingue, il est l'auteur de nombreux ouvrages en français et en arabe.

Il tient une chronique régulière "Souffles" dans le quotidien "Liberté" en Algérie.

 

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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