21/12/2022

Une arche de lumière, Dermot Bolger (par Patryck Froissart)

Une arche de lumière, Dermot Bolger (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 13.04.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesJoelle LosfeldIles britanniquesRoman

Une arche de lumière, Dermot Bolger, janvier 2022, trad. anglais (Irlande) Marie-Hélène Dumas, 460 pages, 23 €

Edition: Joelle Losfeld

Une arche de lumière, Dermot Bolger (par Patryck Froissart)

 

Eva Goold Verschoyle est née dans le comté de Donegal, l’un des trois comtés d’Ulster qui ont été intégrés dans la République d’Irlande lors de la proclamation d’indépendance. Elle épouse en 1927 Freddie Fitzgerald, héritier d’une dynastie de hobereaux locaux dont la perte de puissance et de richesse matérielle est symbolisée par la décrépitude de ce qui subsiste du domaine et de la grande demeure ancestrale, et par la claudication de son propriétaire.

Ayant dû renoncer à sa vocation de devenir une artiste peintre, elle s’oblige à mener pendant vingt-deux ans une existence de femme au foyer que seul l’amour qui la lie à ses deux enfants, Francis et Hazel, l’aide à supporter. Dès qu’ils partent de la maison pour aller vivre leur vie, elle quitte son mari pour ouvrir en ville une modeste école d’art pour enfants. C’est cette scène de rupture, sans cris, sans larmes, sans violence, qui constitue le premier chapitre proprement intitulé Le départ.

Ayant ainsi rompu les amarres, sans toutefois divorcer, ce qui est très mal vu dans l’Irlande catholique ultra-conservatrice du milieu de siècle, plus mal vu encore que le divorce lui-même qui est déjà en soi un acte antisocial, Eva commence à mener en femme libre une existence faite de multiples séquences d’un périple qui aura pour étapes différents lieux de son pays, mais aussi d’Angleterre, d’Espagne, du Maroc, du Kenya…

« Deux ans plus tôt, elle avait passé l’été comme femme de chambre sur l’île de Sark. Et l’année précédente à Tanger comme bonne d’enfants pour un riche couple d’Anglais, tout en étudiant dans la bibliothèque du British Council le philosophe marocain Sidi Ahmed Abu al-Abbas al Khazraji al-Sebti dont la simplicité la touchait ».

Le récit détaillé, pointilleux des faits et gestes d’Eva, la représentation au quotidien, au jour le jour, de ce que les autres personnages voient, entendent, croient savoir ou pensent comprendre d’elle, s’accompagne, bien que la narration se fasse à la troisième personne, d’une identification étroite, d’une coïncidence parfaite de ce qu’elle-même voit, pense, sent, ressent avec le point de vue du narrateur, en perpétuelle focalisation interne. L’art de l’intrusion, de l’introspection, de « se mettre à la place de », de la fusion entre le narrateur et son personnage est ici d’une maîtrise exceptionnelle, faisant de Dermot Bolger, s’il en était encore besoin avec cette œuvre monument, un romancier de premier plan.

Le choix parfaitement contrôlé de cet angle narratif a pour résultat immédiat une irrésistible attraction d’empathie exercée sur le lecteur qui entre très vite dans le Je : elle, c’est moi, c’est moi qui lis et qui, dès les premières pages, me bats, souffre, pense, me remets en cause, juge et me déjuge. Le personnage d’Eva s’insère étroitement dans un contexte social, historique, politique brossé avec un grand souci de réalisme modulé par la subjectivité inhérente à la perception qu’en a le personnage. L’inter-relation entre le cadre et l’héroïne, implicite, et toute en touches subtilement impressionnistes, est constante. Elle détermine la succession et le sens des actes de la vie d’Eva. C’est dans l’évocation de cet arrière-plan, dans l’inter-réaction entre les faits de société et les comportements individuels que le talent de Bolger prend toute son extraordinaire ampleur. Michel Zéraffa aurait certes pu ajouter Une arche de lumière à la liste des romans sur lesquels il a fondé son étude (Roman et société).

Tout au long d’une existence couvrant la quasi intégralité du XXe siècle (Eva meurt en 2000 à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans), la société irlandaise et son évolution, contextualisées dans celles du monde, sont vues par les yeux d’Eva, et « réalisées » par ses discours, ses pensées et ses actes : militantisme pacifiste périlleux dans une région meurtrie par la guerre civile, revendications indépendantistes, lutte ouvrière, liberté sexuelle, manifestations contre les discriminations sexuelles, violentes en ces lieux jusqu’à la décriminalisation de l’homosexualité décrétée seulement en 1993, dont est victime en particulier le propre fils d’Eva, combat pour l’émancipation sociale de la femme, anticolonialisme, antiracisme, accointances socialistes mais anti-stalinisme, assistance bénévole aux plus défavorisés, démocratisation de l’expression artistique, sympathie affirmée pour les adeptes du mouvement hippie, distribution de tracts à la sortie des gares, Eva est partout et tout le temps : son « activisme » est permanent, jusqu’à l’amener à l’indifférence souvent exprimée à l’endroit de son propre sort, de sa propre santé, de la précarité, voire à certains moments de son insouciance face au dénuement intégral dans lesquels l’entraîne son engagement, patient mais tenace.

« Elle s’intéressait à tous et n’enviait personne. Être pauvre semblait une bénédiction car, comprenait-elle maintenant, le secret de la sérénité était le renoncement à toute possession nuisant à la simplicité intrinsèque de la vie ». Si son frère, Art, communiste convaincu, « souhaitait changer le monde, Eva ne pouvait qu’y apporter quelques transformations, à son rythme de tortue ».

Attention ! On n’est pas dans l’hagiographie. Eva n’est pas Mère Teresa. Eva mène de front ses combats et sa vie de famille, ses relations amicales et amoureuses, ses ruptures, son appétit des voyages et son besoin ponctuel de dépaysement qui la conduit à séjourner par exemple dans de modestes pensions au Maroc ou ailleurs, ses expériences pédagogiques, ses doutes, ses révoltes, ses essais récurrents et ses échecs répétés quant à son aspiration à se faire connaître dans les domaines de la peinture et de la littérature, et, jalonnant de malheur son itinéraire chaotique, les décès successifs des êtres qu’elle chérit.

On coexiste donc avec un personnage qui accuse fort douloureusement les mauvais coups du sort, dont les souffrances, par le biais d’une écriture dont la puissante expressivité est parfaitement rendue par la traductrice Marie-Hélène Dumas, sont ressenties conjointement par le lecteur avec une extrême intensité, mais qu’une force intérieure anime, sans pareille, constamment renouvelée, qui lui permet de se relever après chaque culbute, de faire face, de repartir vers d’autres perspectives. Le dernier chapitre de cette vie passionnée, un lent cheminement de la vieillesse vers la mort, soutenu par les réflexions intimes qu’il provoque chez Eva faisant année après année le constat lucide de sa progressive décrépitude, se fait en grande partie dans une roulotte où, avec ses chats et son chien, elle accueille encore des artistes et des marginaux venus de partout. Cet habitat précaire est connu à la ronde comme étant « L’Arche de lumière », nom qui lui a été attribué par la petite-fille d’Eva et qui symbolise le rayonnement et l’hospitalité caractérisant l’héroïne. On sera ensuite immanquablement sensible à la façon dont Eva se perçoit, voit les autres et raconte la maison de retraite où ses amis se sont résignés à la placer, à la façon déformée et décousue dont elle « dit » encore, avec ses absences, ses oublis, sa mémoire défaillante, ses angoisses croissantes, la terrible et inéluctable dégénérescence ante-mortem. Ce qui ne l’empêche pas, dans les moments de plus en plus rares de lucidité, de poursuivre ses combats ! « Elle avait réussi à griffonner deux lettres de protestation, l’une adressée au ministre irlandais de l’Agriculture, contre l’exportation de bétail vivant, l’autre à la British Nuclear Fuels, contre l’usine de combustible MOX de Sellafield ». Jusqu’au bout.

La postface rédigée et signée par un Dermot Bolger s’exprimant à la première personne sous son propre patronyme constitue un joli coup de théâtre littéraire, Eva quittant de manière inattendue son statut de personnage de papier pour s’incarner en une dénommée Sheila que l’auteur affirme avoir bien connue. Là se joue une partie intéressante sur la relation entre fiction et réalité, sur les possibilités (évidemment infinies) de broder un personnage intra narratif à partir de l’existence (ici présumée réelle) d’une personne civilement référencée. Mais Bolger ne se livre-t-il pas en l’occurrence à une démultiplication des portraits, à un jeu espiègle et décalé avec le lecteur ? Sheila n’est-elle pas un avatar fictionnel d’Eva ? Les possibles sont infinis. C’est fort intéressant, et intellectuellement plaisant.

Indubitablement un très, très, grand roman. Autres œuvres du même auteur recensées dans ce magazine : Le ruisseau de cristal, et Une illusion passagère.

 

Patryck Froissart

 

Auteur irlandais prolifique, Dermot Bolger est né dans la banlieue ouvrière du nord de Dublin. Après avoir travaillé comme ouvrier d’usine, en particulier en Allemagne, puis comme assistant bibliothécaire, il se consacre exclusivement à l’écriture depuis 1984. Très célèbre en Irlande, il a à son actif sept romans, neuf pièces publiées et plusieurs volumes de poèmes. Sa première pièce, The Lament for Arthur Cleary (1989), a reçu plusieurs récompenses : le Prix Samuel Beckett, le Prix Stuart Parker de la B.B.C. et une distinction spéciale au Festival d’Edimbourg. En 1977, puis en 1999, il a l’idée d’écrire en collaboration avec six autres romanciers irlandais célèbres deux romans portant le même titre (Finbar’s Hotel), qui sont en fait chacun une suite de courts récits sur la gloire et la décadence de l’hôtel du même nom. La version française de Finbar’s Hotel est publiée en 2000 chez Joëlle Losfeld. Entre 1977 et 1992, il dirige une maison d’édition progressiste, la Raven Arts Press. En 2008 paraît Toute la famille sur la jetée du paradis, et en 2012, Une seconde vie, chez Joëlle Losfeld.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Ecritures carnassières, Ervé (par Patryck Froissart)

Ecritures carnassières, Ervé (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 21.04.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRécitsEditions Maurice Nadeau

Ecritures carnassières, Ervé, Editions Maurice Nadeau, Coll. A vif, avril 2022, 150 pages, 17 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Ecritures carnassières, Ervé (par Patryck Froissart)

 

Dans la droite ligne de cette nouvelle collection A vif dirigée par Adeline Alexandre et Delphine Chaume, les Editions Nadeau publient un ouvrage témoignage rendant compte d’un itinéraire asocial. L’auteur, pseudonyme Ervé, est une de ces ombres de la rue qu’on aperçoit à peine, qu’on croise avec une inattention répétée, dont on oublie ou dont on nie inconsciemment et immédiatement la réalité.

Retiré à sa mère à l’âge de six mois par décision de justice, Ervé enfant passe d’une famille d’accueil à un foyer de la DDASS aux règles de vie monacales, dans le département du Nord économiquement sinistré. Mais dans le temps de l’écriture, Ervé est un SDF (acronyme pour l’anonyme moderne qu’est ce marginal ne pouvant être localisé à une adresse « citoyenne »).

Entre ces deux époques, Ervé traîne une existence chaotique, fracturée.

Soit !

Ces brefs prolégomènes pourraient laisser accroire qu’on nous propose un docufiction (pourquoi diable Larousse classe-t-il ce néologisme barbare dans le genre masculin ?).

Il n’en est rien.

Ervé écrit, Ervé est un poète, un artiste aux multiples talents. Il a sa muse.

« Elle m’a encouragé, toujours, à écrire, dessiner, à coucher sur le papier ce qui m’habite… »

Le texte est constitué de bribes de vie, de courtes scènes n’ayant, et c’est très bien ainsi, entre elles aucune linéarité temporelle, entremêlant séquences heureuses (rares) et malheureuses (fréquentes) de son enfance en foyer, fugues, sanctions, privations, mauvaises fréquentations et belles rencontres (dont celle qui a préludé à un épisode de vie conjugale au cours de quoi sont nées ses deux filles, qu’il nomme « ses deux poumons » et à qui il rend de temps en temps de poignantes et exaltantes visites), errances solitaires commentées (principalement dans les rues de Paris), expériences sociales multiples et expression d’une vision de la société marquée par la lucidité crue que procure le fait d’en être sans que nul n’en atteste, d’être considéré constamment à proprement parler comme évoluant invisiblement « hors » ou plutôt « à côté » de ladite société.

Ervé poète, Ervé témoin.

« […] pour témoigner de la Rue, de sa violence, de ses excès, des peines et des joies, des colères insaisissables et des trop rares petits instants de grâce ».

La puissance, immédiate, de l’expression réside, non pas en le résultat d’un labeur délibéré et répété sur le langage, mais en sa spontanéité et en son caractère intact, indemne de retouches.

« Ecrire mais ne pas se relire trop. Quitte à y laisser des bleus ».

Oui, l’écriture d’Ervé est naturellement poétique. Elle coule de cœur, de bouche, de source, tantôt comme une de ces sources gazouillant dans la sérénité chatoyante d’un retrait de verdure, mais le plus souvent comme l’un de ces geysers jaillissant écumeux des sombres tréfonds d’un gouffre avec des grondements rageurs, et parfois aussi comme l’écume triste et froide d’une drache sur un canal de ce département du Nord où se sont cahotées son enfance et son adolescence.

« J’ai un tomahawk sur le cœur.

Je fais déborder la Seine à chacun de mes passages sur ses rives, rebords ou quais. Quand je sanglote, Paris croit qu’il pleut ».

Jusqu’au réalisme glaçant d’un constat définitif :

« […} D’aucuns pensent que vivre à la rue est une forme de liberté. Liberté d’y crever surtout. Il faut avoir du cuir ou une carapace en lieu et place de peau pour supporter cette vie de merde. Mais je ne me plains pas. Je suis quasi né dans la rue. Ça doit me coller aux basques ».

Ecritures carnassières est publié. Sa lecture serre le cœur. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : le dessein d’Ervé n’est absolument pas d’inspirer compassion. Il est ce qu’il est, point.

Après en avoir signé le bon à tirer, après en avoir signé le contrat d’édition avec Nadeau, le poète est reparti anonyme, chez lui, dans la rue.

Il a dit.

 

Patryck Froissart

 

Ervé vit dans la rue. Et celle-ci l’habite. Il traîne avec lui le fardeau d’une mal enfance et, entre colère, tristesse et mélancolie, il écrit. Ecritures carnassières est sa première publication (note biographique de l’éditeur).

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Patryck Froissart)

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 05.05.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanEditions Maurice Nadeau

Carnets secrets du Boischaut, mai 2022, 275 pages, 19 €

Ecrivain(s): Catherine Dutigny Edition: Editions Maurice Nadeau

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Patryck Froissart)

 

 

Sur un village rural ordinaire du Berry profond plane dans les années cinquante la menace diffuse et permanente de la révélation d’une vérité fort dérangeante pour les uns ou les autres du rôle qu’aurait joué un membre de la communauté villageoise quant à la dénonciation calomnieuse de collaboration avec les Allemands, au moment de l’épuration, du mari de Marthe, la propriétaire d’une exploitation agricole dont les terres sont avidement convoitées par certains de ses voisins. Ledit époux, dont l’innocence ne sera reconnue qu’après qu’il aura été fusillé, avait le tort, pour nombre de villageois, d’être Alsacien, donc étranger à la région, marqué comme proche des Teutons par son fort accent germanique, et d’avoir marié, à la place d’Untel qui ne l’aura pas digéré, la belle et riche Marthe.

L’auteure prend prétexte, de manière amusante, de la nature sensible de cette tragédie dont les l’identité des antagonistes ne doit pas être publiquement dévoilée pour mettre en place un jeu de tiroirs narratifs. Ainsi l’histoire aurait été portée à la connaissance de l’instituteur local par l’acteur principal, le cantonnier Jules. Le maître d’école l’aurait consignée, en changeant les noms, dans des carnets secrets (d’où le titre du livre) qu’il aurait confiés à sa sœur, libraire, avant de mourir, avec consigne de ne les céder qu’à une personne de confiance pour une éventuelle publication vingt ans après le propre décès de la libraire. Cette personne de confiance est la narratrice qui emprunte son JE à l’auteure.

Le sceau du secret est ainsi constitué de plusieurs couches.

La chappe de plomb imposée sur cette affaire nauséabonde est d’autant plus pesante que le nom du dénonciateur, ou de la dénonciatrice, est l’objet de supputations hasardeuses et contradictoires, et que des accusations réciproques circulent sous les jupes et les manteaux.

Certains cependant recherchent la lumière.

Parmi eux, Jules, le cantonnier…

Or, une nuit, au juste moment des douze coups, Jules, de retour du bistrot où il a ingurgité maintes goulées, se retrouve face à une scène fantastique : sur le faîte d’un toit, surgissant des cheminées voisines, apparaissent les silhouettes flottantes de la veuve et de personnalités locales qui vont devenir les principaux personnages du roman. L’apparition serait due, selon le narrateur primaire, à la décapitation, exécutée le jour même, d’un coq sans doute un peu démoniaque…

Encore sous le coup de l’ébahissement, revenant de l’évanouissement dans lequel il a plongé après avoir écouté involontairement la dispute à laquelle se sont livrés les acteurs fantomatiques avant de disparaître, voilà Jules nez à museau avec Arsène, le chat du vétérinaire, qui se met à… lui parler.

Jules et Arsène sympathisent, se causent. Jules raconte l’affaire à son nouvel ami.

Et puis, plus tard :

« Arsène, je te confie une mission difficile, voire impossible ! Tu vas devoir, toi aussi, mener une enquête…

Arsène bomba le poitrail. Son heure était venue ! Les premiers accords d’Arsenic blues retentirent dans ses oreilles et la trogne de l’inspecteur Bourrel envahit son cerveau ».

Et voilà notre Arsène promu co-enquêteur.

Une sacrée paire de détectives qui se met en piste !

Tout au long de l’enquête, Chat va, Chat vient, Chat fouine, Chat vire par-ci, Chat loupe un détail par-là, Chat rogne ailleurs un élément inopportun, Chat cale sur une fausse piste, Chat hue silencieusement tel protagoniste, Chat rit, varie dans ses hypothèses, têtu, Chat mêle et Chat maille les fils pouvant mener à la révélation, Chat rue dans les brancards, oui, Chat râle chaque fois que Jules se verse un verre de trop, et, tenez-vous bien, quand il le faut, pour faire avancer l’intrigue, Chat lit un petit message : ch’est tout Chat, l’Arsène.

Quant à Jules, s’il est convaincu d’être le maître du jeu, il doit le plus souvent au flair de Chat d’avancer dans ses investigations.

L’auteure, comme il se doit dans un polar, fantastique de surcroît, entretient la tension, retient l’attention, jusqu’à la chute finale, avec un remarquable sens du suspense, mêlant l’invraisemblable et le prétendu réel, le conte à la Marcel Aymé et un contexte historique dûment documenté, le comique et le tragique, la cocasserie et l’affirmation, sourcils de Chat froncés, du plus grand sérieux.

Le tout s’inscrit dans une atmosphère rurale du milieu du vingtième siècle, en un clos narratif où la modernité recouvre une survivance encore parfois vivace des superstitions ancestrales, où, au sein de communautés de villageois liés entre eux depuis des siècles par un destin commun, existent des rivalités, des jalousies, des détestations dominées par un sentiment majoritairement partagé : le rejet de l’étranger.

Ici, l’invraisemblable est vrai. L’étrange est banal. Tout est possible. Et on feint d’y croire. Et on finit par y croire.

Bizarre !

Vous avez dit « bizarre ? »

Et le fait que le prénom de l’auteure commence par « Cat » ? Simple coïncidence ? Allons, laissez-moi rire !

Et riez avec moi à la lecture de ce bon roman du terroir !

 

Patryck Froissart

 

Catherine Dutigny, née à Paris en 1949, est auteure de romans, contes et nouvelles. Elle rejoint en 2012 La Cause Littéraire dont elle devient rédactrice et membre du comité de direction. Elle anime un atelier d’écriture dans le Val-de-Marne.

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Catherine Dutigny

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Catherine Dutigny est auteure de romans, de nouvelles, de contes et rédactrice à La Cause Littéraire.

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Tout ce qui brûle, Lisa Harding (par Patryck Froissart)

Tout ce qui brûle, Lisa Harding (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 13.05.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesJoelle LosfeldIles britanniquesRoman

Tout ce qui brûle, mars 2022, trad. Irlandais, Christel Gaillard-Paris, 331 pages, 22 €

Ecrivain(s): Lisa Harding Edition: Joelle Losfeld

Tout ce qui brûle, Lisa Harding (par Patryck Froissart)

Tout ce qui brûle est le roman d’un personnage féminin en combustion dans le contexte volontairement flou d’une Irlande moralisatrice, socialement conservatrice et structurellement patriarcale.

Sonya, après des débuts prometteurs sous les feux des projecteurs dans une carrière de comédienne interrompue dans des circonstances qui ne sont pas communiquées de façon précise, vit seule avec ses deux « garçons » : son fils, Tommy, à qui elle voue un amour fusionnel, âgé d’un peu plus de quatre ans quand commence le récit, et le chien Herbie, qui est, de jour comme de nuit, compagnon de toutes les activités (jeux, promenades, sieste, repas, télévision). Mais Sonya est alcoolique. Son comportement de plus en plus anticonformiste, antisocial, épié par une voisine « qui lui veut du bien », ouvertement réprouvé par les bien-pensants du village, finit, estiment les quelques témoins de ses transes éthyliques, par mettre en danger tant sa propre vie que celles de son fils et de leur compagnon canin. Sur intervention de son père, avec qui elle a peu de contact mais qui semble la faire perpétuellement surveiller, Sonya est placée dans une institution religieuse spécialisée dans la désintoxication, et Tommy et Herbie sont envoyés séparément dans des lieux d’accueil dont on refuse de dévoiler la localisation à l’actrice privée momentanément, à son profond désespoir, de ses droits parentaux et de sa liberté de mouvements.

C’est à ce point du récit que vient la partie la plus importante, en volume, en contenu et en intensité, d’une narration des conditions de vie dans ce quasi-internement menée sans aucun temps mort par Sonya elle-même, exclusivement en focalisation interne. Le roman est en effet un dialogue permanent avec soi-même étroitement ancré dans le récit de ce que fait, voit, entend, dit, répond, subit, accepte, refuse ou fuit la narratrice. C’est un combat incessant, jour après jour, heure par heure, poignant, qui s’exprime à la fois dans la tête et par la bouche de la jeune femme et dans le tourbillonnement de quoi est happé le lecteur.

Combat extérieur contre la norme des conduites parentales, éducatives, en vigueur, contre les contraintes sociales exercées habituellement et généralement acceptées « par les autres » concernant les relations convenables à établir et à maintenir au sein de la cellule familiale, contre les obligations sociétales (ici par exemple la scolarisation/socialisation de Tommy, mal consentie et donc mal gérée par Sonya au grand dam des services sociaux), contre le fait de « manger des animaux » (Sonya est végétarienne), contre l’interdiction brutale et totale qui lui est faite de revoir « ses deux enfants » durant les terribles premiers mois de cure, contre la nature religieuse d’un certain nombre d’éléments psychologiques de la cure, contre l’autoritarisme distant d’un père apparemment dominé par sa nouvelle épouse qui s’acharne pour sa part à pourrir le lien père/fille.

Simultanément et a contrario, combat intérieur déchirant, avant l’internement contre la tentation de boire et contre des impulsions incontrôlables nées sous l’effet de l’alcool, puis, pendant le traitement, combat pour supporter la cruelle sensation de manque et les malaises concomitants, angoissantes poussées d’envie de se conformer à la règle tout en restant persuadée de ne pouvoir y réussir, douloureuses velléités de rétablir une relation apaisée avec son père entrecroisées avec des bouffées de détestation filiale, violentes pulsions de révolte péniblement contenues, montées d’agressivité entraînant des actes amèrement regrettés sitôt que perpétrés, et, de temps à autre, élans suicidaires désespérément réprimés, moments de panique à l’impression de tomber dans la démence.

« Je lève mon visage vers le ciel parsemé de nuages. Je tombe à genoux. Ce que j’ai failli faire. Secouer la tête pour essayer d’en déloger les pensées qui déboulent. L’impression de me noyer, d’être submergée. Essayer de retenir ma respiration, me balancer à genoux en récitant des incantations, aidez-moi, aidez-moi, s’il vous plaît, aidez-moi, sans savoir qui j’implore… ».

Ces mouvements contraires agitant un flux continu de pensées-paroles de toutes les tonalités entretiennent une tension extrême, qui ne laisse de répit au lecteur pris dans la tourmente qu’à l’occasion de rares et courts épisodes de décompression dans le cours cahoteux d’une liaison amoureuse avec un des psychologues intervenant dans le centre de soins et dans celui, non moins bringuebalant, de la vie de Sonya « d’après » le traitement.

On avait pu apprécier, dans Abattage, le précédent roman de Lisa Harding, recensé sur une autre page du magazine de la Cause Littéraire, comment l’auteure irlandaise, par la « technique » narrative de la vision interne qui autorise la liberté, et donc la crudité du langage, sait exprimer magistralement la violence faite aux femmes dans une société dominée par le mâle, ici doublement représenté par le père de Sonya et le psychologue, l’amant qui prétend « prendre en mains » le redressement, le retour de la jeune mère à « une vie normale ».

On ne sera pas déçu par ce nouveau grand, prenant, puissant roman.

 

Patryck Froissart

 

Lisa Harding, dramaturge et actrice, vit à Dublin. Abattage, son premier roman, a reçu le Kate O’Brien Award. L’auteure est engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

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Lisa Harding

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Lisa Harding est dramaturge et actrice. Elle vit à Dublin. Abattage, son premier roman, a reçu le Kate O’Brien Award. Elle-même est engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

 

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Tout ce qui est à toi brûlera, Will Dean (par Patryck Froissart)

Tout ce qui est à toi brûlera, Will Dean (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 20.05.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPolarsRomanBelfond

Tout ce qui est à toi brûlera (The last thing to burn), Will Dean, mars 2022, trad. anglais, Laurent Bury, 267 pages, 20 €

Edition: Belfond

Tout ce qui est à toi brûlera, Will Dean (par Patryck Froissart)

 

Un roman de l’horreur, qui semble tout droit sorti de la sinistre cave d’un Dutroux, ou inspiré par ce qu’a vécu la jeune autrichienne Natascha Kampusch pendant huit ans. Si l’auteur a eu le dessein de montrer un exemple de la monstruosité qui peut animer un individu dans son rapport à certains de ses semblables sur lesquels il lui est permis circonstanciellement de s’arroger un pouvoir absolu, il y a réussi.

La narratrice, Thanh Dao, qui parle à la première personne, obligeant ainsi le lecteur à ressentir conjointement les horreurs de sa captivité, est une jeune Vietnamienne, arrivée clandestinement dans un conteneur en Angleterre avec sa sœur Kim-Ly dans un « lot » de migrantes attirées par la promesse d’un travail correctement rémunéré leur permettant de poursuivre des études universitaires tout en faisant parvenir une aide financière à leur famille. A leur arrivée, les passeurs les louent puis les vendent en catimini à divers « patrons » – ici un propriétaire terrien vivant reculs dans une ferme isolée – qui ont tout loisir de les exploiter à leur gré de façon évidemment totalement occulte. Alors se met en place l’emprise, alors commence un long, un terrifiant calvaire.

Assujettissement psychologique : chaque « faute » est « punie » par la mise au poêle d’un des objets personnels que l’esclave, rebaptisée Jane et ayant interdiction de prononcer le moindre mot de vietnamien, a emportés dans son exil : ses quelques photos de famille, ses papiers d’identité, le roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, à quoi elle tient énormément, et les lettres de sa sœur, que le bourreau prétend être employée clandestine à Manchester et qu’il menace de dénoncer et de faire expulser si « Jane » réussissait à s’enfuir.

Tout ce qui est à toi brûlera.

L’obligation de soumission, déjà insoutenable, croît encore lorsque naît « accidentellement » une fille de cette union ignoble, dès lors que le persécuteur, s’octroyant droit de vie et de mort sur la petite, avertit la mère qu’il la noiera dans un fossé comme un chaton en cas de nouvelle velléité de fugue. Privation d’identité, perte totale d’intimité (la toilette et les besoins les plus intimes doivent se faire devant les yeux du maître), obéissance absolue, observation sans faille, sous peine de punition, des règles maniaquement imposées, des plus courantes (les œufs au plat doivent être cuits exactement comme les cuisait l’autre Jane, la défunte mère du tortionnaire) aux plus sordides (y compris, évidemment, celles d’ordre sexuel) : l’asservissement calculé dans ses moindres gradations aboutit à une telle dépendance, à une telle servilité forcée que se produisent de temps à autre des symptômes du syndrome de Stockholm, à l’occasion d’une petite « faveur » accordée à contre-cœur par le tyran, comme dans cette scène qui pourrait être celle, familière, du souper d’un couple « normal » :

« J’ai envie de l’embrasser. J’ai envie de lâcher cette poêle, cette cuisinière, pour me laisser tomber à ses pieds pointure 46.

– Merci, dis-je en faisant brunir les saucisses aussi régulièrement que je peux.

Nous mangeons en silence.

– Elles étaient bonnes, les saucisses.

Normalité affirmée régulièrement, avec une délectation morbide, par le martyriseur, au dessein de rendre encore plus cuisante, plus oppressante, plus humiliante pour la victime sa situation d’intégrale dépendance.

Assujettissement physique : après une première tentative de fuite, « Jane » subit une punition ressemblant à celle infligée aux esclaves marrons à qui les maîtres faisaient couper les jarrets pour empêcher la récidive : le fermier lui fracasse une cheville avec une lourde pince coupante.

Glaçante démonstration de l’abjection dont sont capables de faire montre certains êtres humains potentiellement ordinaires lorsque leur est donné le pouvoir sur leurs semblables, illustration « modèle réduit » en un lieu clos « familial » de l’ignominie de masse des tortionnaires qui ont marqué l’Histoire de l’Homme du sceau de leur infâmie, de ceux qui ressurgissent hélas dans une actualité internationale préoccupante en ces premiers mois de 2022, de ceux qui attendent embusqués, drapés dans leur idéologie nauséabonde, que les aléas des régimes pourtant les plus démocratiques leur permettent de s’emparer du pouvoir et de mettre à exécution leurs projets immondes.

 

Patryck Froissart

 

Will Dean a grandi dans les East Midlands en Angleterre, mais c’est en Suède, au cœur d’une forêt reculée, qu’il s’est installé pour s’adonner à ses deux passions, l’écriture et la lecture.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Quand le merle blanc…, Anne Letoré (par Patryck Froissart)

Quand le merle blanc…, Anne Letoré (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart le 03.02.22 dans La Une CEDLes ChroniquesLes Livres

Quand le merle blanc…, Anne Letoré, Editions de L’Âne qui butine, Coll. Xylophage, 2011, 164 pages, 22 €

Quand le merle blanc…, Anne Letoré (par Patryck Froissart)

 

Cette édition comprend 317 exemplaires numérotés et abondamment illustrés, sous couverture cartonnée ornée d’un dessin en incrustation. Un beau livre, dans la tradition de parfaite finition qui caractérise L’Âne qui butine, maison qu’a co-créée et que dirige Anne Letoré, par ailleurs auteure du présent ouvrage.

Marin, à divers âges de sa vie, est le personnage principal, très anti-héros, ballotté dans les flots aléatoires d’une existence passée à tourner en rond à la recherche du bateau Cassiopée, en référence à l’épouse de Céphée condamnée à tourner sans fin autour du pôle la tête en bas pour avoir osé affirmer que sa fille Andromède était, ô hérésie, plus belle que les Néréides.

C’est à bord de la Cassiopée que le jeune Marin tombe sous l’emprise définitivement implacable de Maîtresse, qui a ordonné à Capitaine, son amant défaillant, de lui dénicher dans un port d’escale un partenaire plus performant. « Pour Elle, j’étais aussi l’homme qui parcourait les bas-fonds des ports où nous accostions, à la recherche de chair fraîche […]. Elle était parfois d’une insatiabilité inouïe », se remémore Capitaine lors de ses ultimes retrouvailles avec Marin.

Venise, Hambourg, Istanbul, île tropicale indéterminée… autant d’étapes extravagantes d’une odyssée passionnelle.

Maîtresse, constamment accompagnée de son merle blanc, hante Marin (et accessoirement Capitaine) tout au long de sa vie, une vie dont on ne nous dévoile que quelques péripéties éparses. Son souvenir et son fantôme l’obsèdent après qu’il a mis fin à un séjour initiatique sur le navire, caractérisé par un dérèglement libidineux époustouflant. Le spectre lui en réapparaît ici et là dans ce qui s’apparente à un délire hallucinatoire mais qui est présenté par la narratrice auteure comme un épisode « normal » de l’itinéraire amoureux du matelot au long cours.

Tout cela ne serait-il que la logorrhée obsessionnelle d’un dément, que la voix intérieure libérée d’un rêveur, que l’incantation erratique d’un poète qui laisse libre flux à son imagination ? Qu’importe ! Qu’on accepte l’invitation au voyage, qu’on se donne le loisir de monter à bord de ce bateau ivre, de cette nef des fous, et de s’abandonner à cette violente dérive, et de se laisser prendre aux chants lancinants et aux étreintes torrides de femmes cougars de hasard, d’une infirmière décomplexée, d’une « authentique » sirène !

C’est par une des apparitions fantastiques, face à Marin et à Capitaine qui viennent de se retrouver dans un dédale de leur vie, du succube et de son merle blanc, dans le cadre irréel, de réminiscence vampirique, d’un château qu’on se complaît à situer dans les Carpates, que débute ce roman poético-fantastique qui se déroule ensuite par va-et-vient narratifs entre retours sur passé et sauts en avant dans l’existence de Marin.

Entrelacs de longs couloirs sombres et bleus. Capitaine et Marin, l’un derrière l’autre, marchent. Un sol de pierres discordantes, noirâtres, où souvenirs et illusions s’incrustent, un jazz syncopé sur les pas d’amoureux éperdus…

Violette, la servante de Maîtresse, le quatrième personnage du récit, tient dans la trame un rôle d’importance croissante, jusqu’à jouer un rôle de premier plan dans quelques divagations d’une truculente impudicité qui agrémentent les rencontres entre les trois autres.

Parenthèse : intertextualité. « Quand le merle blanc ». Ce titre pourrait évoquer « Lorsque le pélican » de Musset, mais la présence du nom de Violette est propice à déclencher plutôt la référence au poème d’Eluard commençant par les mêmes mots et consacré à… Violette Nozières dont les quatre premières lettres du prénom semblent annoncer le présumé viol subi dans l’enfance. C’est à son corps défendant que Marin jeune et vieux se retrouve récurremment « livré et soumis » par Capitaine aux caprices dépravés de la dominatrice et de sa servante.

Coïncidence ?

L’écriture d’Anne Letoré est fluide, tumultueuse, voire torrentueuse lorsque l’auteure se lâche, ce qui n’est pas pour déplaire. La fonction poétique toutefois sous-tend la narration, ponctuée en clôture de chaque épisode de poèmes de forme régulière mais à la prosodie allégrement autant irrespectueuse des règles classiques que le contenu global du roman l’est des normes de la morale en vigueur. Chacun de ces textes toujours constitués de tercets condense la violence des scènes qui les précédent, tout en offrant au lecteur un instant de pause dans le cours effréné d’un récit qui enchaîne les situations les plus inattendues : on reste en effet continûment dans le registre de l’aventure onirique, de l’imaginaire débridé, des comportements fantasques, des décors fantasmagoriques, de la transgression verbale, le tout baignant dans une atmosphère érotique diffuse qui explose ponctuellement en quelques séquences sexuelles foutrement déchaînées.

Chaque épisode est judicieusement illustré d’une gravure en noir et blanc, collage de Philippe Lemaire, dont l’insertion confère à l’ouvrage le charme désuet des éditions d’autrefois.

 

Qui a l’audace de geler nos sirènes,

Musiciennes de nos longues âmes perdues,

Au détour d’un récif qu’il apprenne,

 

Ce marin égaré, cette fétide murène,

Que les notes blanches de givre aveuglées

Soupirent de vagues et mornes rengaines.

[…]

 

Patryck Froissart

 

En 1999, Anne Letoré crée une maison d’édition tournée essentiellement vers le livre d’artiste et la reliure de création, Editions de L’Âne qui butine. En 2000, sa rencontre avec Christoph Bruneel, relieur et restaurateur de livres, a été déterminante quant à la poursuite de cette activité qui, de loisir occasionnel, est devenue une ligne de vie personnelle. Cette microédition transfrontalière (France-Belgique) aux recettes BIO (Bel Imaginaire d’Origine) a publié jusqu’à ce jour plus de 150 auteurs (France, Belgique wallonne et flamande, Québec, Suisse…) et publié plus de 200 ouvrages. À cette activité d’édition s’ajoute celle de romancière poétesse et l’organisation d’expos, de lectures à thèmes, d’ateliers d’écriture, de reliure, de présentations de la microédition…

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 17.02.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésie

Jésus kill Juliette Eloïse, Editions Douro, juillet 2021, 80 pages, 15 €

Ecrivain(s): Jacques Cauda

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

 

Jacques Cauda est un créateur étonnant et détonnant, un poly-artiste foisonnant, intarissable, ubique et unique, écrivain, peintre, illustrateur, directeur de collection chez Douro, omniprésent sur les réseaux sociaux, jouant la provocation à tire-larigot, ce qui n’est assurément pas pour déplaire en cette époque où la bienséance et son corollaire la biendisance sont de plus en plus d’âcre rigueur avec pour conséquences immédiates les levées récurrentes d’étendards d’une morale archaïque, les accusations de blasphème et l’instauration insidieuse de l’autocensure.

Dans le présent ouvrage au titre énigmatique, le personnage narrateur raconte avec la verve truculente qui caractérise l’auteur son histoire avec Juliette, professeure d’anglais et d’autres moyens d’expression. Le prénom Juliette, rencontré récemment en relation intertextuelle explicite avec l’héroïne des Prospérités du Vice dans la recension pour La Cause Littéraire de Moby Dark, autre œuvre décalée de Cauda, semble être iconique chez notre auteur qui multiplie d’ailleurs malicieusement les références littéraires et philosophiques au Divin Marquis.

« J’ai rêvé que j’avais épousé une héroïne de roman, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la Juliette de Sade, la Juliette des Prospérités du Vice. Nous sommes en 1990 soit dix ans après mon mariage. J’écris ».

Voilà qui fait prétexte au déferlement d’une écriture baroque, entremêlant récit, commentaire, autofiction, autobiographie, compositions poétiques, billets collés dans la salle de bain en forme de dialogue avec Juliette, réflexions sur l’art d’écrire, sur l’art de peindre, sur la relation que l’auteur noue entre ces deux expressions artistiques et, élément qu’on peut considérer comme central dans ce livre, l’interview de Cauda lui-même par une journaliste qui n’intéresse pas l’artiste par ses seules questions.

« Peindrécrire a toujours été mon verbe.

[…]

Pourquoi la peinture a-t-elle cédé sa place, son espace, peu à peu à l’image, jusqu’à devenir abstraite (de toute figuration) et déclarée morte par beaucoup d’artistes ? me demanda-t-elle en croisant deux fois les jambes. Les cuisses ! La culotte… ».

Evidemment ! Cauda étant Cauda, le sexe, avec l’infinité de ses variations scéniques, la diversité de ses possibilités narratives, et la multiplicité de ses références textuelles (Cauda en appelle à Catherine Millet, à l’Histoire d’Ô et bien sûr à Sade), occupe dans ce « roman » la place qui semble lui être récurremment impartie dans l’œuvre de cet auteur allègrement hors norme.

Mais, hors du domaine de la fiction érotique, Cauda, situant son écriture dans une perspective pantextuelle, y invite une multitude de personnages du panthéon littéraire, historique et cinématographique, d’écrivains, de philosophes, d’acteurs, dont, en vrac et non exhaustivement : Colette, Deleuze, Swift, Mme de Maintenon, Mlle de Scudéry, Kierkegaard, Rimbaud, Michel Simon et Boudu, Lolita et Nabokov, Démocrite, Dom Juan et Molière, Barthes, Dante…

Quelle richesse !

Juliette est ici l’initiatrice, ou plutôt l’entraîneuse, qui, après les conjonctions charnelles en tout genre et en toutes positions qui marquent les commencements de leur liaison, introduit son partenaire dans ce qui est simplement nommé « le Réseau », dont la répétition des bambochades intéresse peu le personnage narrateur qui paraît pourtant naturellement fort friand d’expériences intersexuelles.

« Ces partouses m’avaient tout de suite ennuyé. A mon imagination enflammée à l’idée de s’enchevêtrer les uns les autres, la triste réalité des corps avait répondu par l’impossible. Aussi ne me reste-t-il aujourd’hui de ces moments que l’amer souvenir des gueules de bois du lendemain. Et, plus heureusement, les photographies des amies de Juliette que je prenais, l’ennui passé, une à une dans l’atelier, et qui finirent toutes en peinture ».

Photographie et peinture. C’est un des sujets « sérieux » qu’insère l’auteur, avec entre autres la description de la technique du pastel à l’huile, une présentation diététique du pâtisson, des escalopes de saumon à l’oseille, du cresson de fontaine et du Délice de Saint-Cyr, dans la trame d’une intrigue volontairement décousue, empreinte tantôt de sensuelle fantaisie tantôt de douloureuse amertume dont Juliette est l’héroïne.

« Une invention est venue à manger peu à peu le monde et sa représentation, jusqu’alors dévolue à la seule peinture : cette invention c’est la photographie. La peinture va alors disparaître dans l’indifférence générale ».

Face à quoi le peintre devra, selon Cauda, faire de la « surfiguration ». On lira avec intérêt le développement de cette thèse.

Quid de l’étrange titre de cette œuvre ?

Quelques clés, peut-être, ici et là :

– Jésus

Ma souffrance est telle que je me vois en Christ crucifié par l’alcool.

La mise en croix de ma vie d’écrivain rédimée par la figure de Jésus.

J’ai fait des études de théologie puis j’ai réalisé des films porno. La peinture a été une manière pour moi de poursuivre la théologie et le porno.

- Juliette : on en a parlé ci-dessus

– Eloïse : le lecteur découvrira pourquoi l’auteur fait référence explicite à la chanson de Barry Ryan

– kill : les interprétations sont ouvertes

Reste à illustrer par l’extrait suivant les ornementations poétiques du roman, en respectant la typographie, la disposition et l’invention lexicale voulues par le poète :

 

Il suffit d’un moment Elle cache

De la main & se découvre vivement Est-

Ce qu’ils veulent tout voir ? Ou juste un

Bout 1 morceau d’

Elle est aussi belle qu’étonnée

Vertigieuse a dit l’un deux un

Peu ivre

Ils sont autour d’Elle assis tous

En cercle

 

Patryck Froissart

 

Jacques Cauda, peintre, dessinateur, écrivain, cinéaste, a reçu le Prix spécial du jury Joseph Delteil en 2017 pour Ici, le temps va à pied (Editions Souffles).

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Jacques Cauda

Jacques Cauda

 

Jacques Cauda, né à Saint-Mandé le 9 juillet 1955, est un peintre, écrivain, photographe, documentariste français.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 07.03.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesHistoirePays de l'EstRécitsFayard

Disputes au sommet, janvier 2022, trad. albanais, Tedi Papavrami, 216 pages, 19 €

Ecrivain(s): Ismail Kadaré Edition: Fayard

Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

 

Le sous-titre Investigations définit précisément le contenu et le dessein de cet ouvrage de l’écrivain albanais pressenti à plusieurs reprises pour le Nobel de littérature, ce à quoi il est fait allusion de façon récurrente dans le fil de ce récit, cette potentialité, qui lui a valu quelques tracasseries de la part des autorités de son pays, ayant un rapport étroit avec « l’affaire ».

« L’affaire » en question, sujet passionnant, présenté comme unique préoccupation de cette œuvre singulière de Kadaré, n’est autre qu’un entretien téléphonique de trois minutes ayant eu lieu en juin 1934 entre Staline et Pasternak à propos de l’arrestation de Mandelstam.

L’auteur analyse l’une après l’autre pas moins de treize versions peu ou prou connues de cette conversation, chacune rapportée tantôt par des témoins directs ou présupposés, ou se prétendant tels, tantôt par des protagonistes évoluant dans la sphère politico-littéraire entourant Pasternak et Mandelstam.

« Des treize versions que je possédais, chacune tentait, solitaire et butée, de livrer la vérité ».

Selon ce qui ressort de la majorité de ces versions, Staline aurait appelé abruptement Pasternak pour lui demander ce qu’il pensait de l’arrestation de Mandelstam, par le canal d’une ligne téléphonique qui aurait été détruite immédiatement après que le dirigeant aurait sèchement raccroché au nez de l’écrivain, manifestant ainsi sa désapprobation de la réponse de ce dernier, lequel en aurait manifesté, selon certains témoins, un fort sentiment de panique, ce qui se comprendrait aisément dans le contexte du régime soviétique de l’affaire.

D’une version à l’autre, Pasternak soit aurait répondu qu’il connaissait trop peu Mandelstam pour pouvoir émettre un avis, soit aurait osé suggérer que son terrifiant interlocuteur devait savoir mieux que lui quoi penser de l’arrestation, soit aurait proposé au dictateur de parler d’autre chose, en l’occurrence de poésie ou de philosophie, soit aurait formellement rétorqué que Mandelstam n’était pas son ami, soit au contraire aurait demandé à Staline d’alléger la condamnation infligée au poète, et cetera.

Le lecteur se laisse vite volontiers engluer dans cette toile d’araignée où se débat l’enquêteur.

La nature exacte du bref échange historique qui a fait grand bruit en son temps restera quoi qu’il en soit une énigme. En l’occurrence, l’enquête a posteriori que mène ici Kadaré, bien que présentée comme le seul sujet du livre, permet parallèlement (et non subsidiairement) à l’auteur de plonger les protagonistes que sont Pasternak et Mandelstam et une kyrielle de romanciers et poètes de l’époque dans une atmosphère absolument kafkaïenne, dans la mesure où l’intention du tyran, du destinateur, n’est pas et ne sera jamais connue, ce qui donne lieu à un comportement « à l’aveugle » des individus concernés et de leurs proches*, saisis subitement, à des degrés divers, de crainte, de peur, de terreur, voire de panique. On se retrouve alors avec eux dans ce système de paranoïa individuelle et collective que met en place méticuleusement tout pouvoir totalitaire, que décrivent et dénoncent par ailleurs nombre de livres et de films.

« Nous ignorons le but de ce théâtre cruel, épié certainement par plusieurs juges (visibles ou cachés) ».

A l’origine de l’arrestation de Mandelstam, son poème violemment anti-Staline, dont une traduction est reproduite ci-dessous.

On appréciera les rappels historiques concernant la relation entre Gorki et le pouvoir tsariste, ou les circonstances de l’ascension de Lénine, les écrits de Marx, la narration des longs séjours de notre auteur en URSS, et les références littéraires (Dante, Shakespeare, Pouchkine, Homère, Robert Littell, des poètes albanais).

Un parallèle subtil et constant court en filigrane tout le long du texte entre l’ambiance politique dans laquelle évoluaient, tantôt glorifiés, tantôt humiliés ou éliminés par le régime soviétique et le contexte tout autant totalitaire dans lequel a vécu Kadaré en Albanie, dont il a été victime bien plus tard, pendant la période de « fraternité » soviéto-albanaise et après la brutale rupture idéologique entre les deux systèmes. Pour illustration, on suivra un entretien (à proprement parler un interrogatoire politique dangereux pour l’intéressé) entre l’auteur et un employé du « service éditorial » albanais chargé de dénicher dans le présent ouvrage, avant délivrance du permis de publication, tout ce qui pouvait être considéré comme hostile au pouvoir, en particulier ici les éléments narratifs se rapportant à… Pasternak !

 

Le poème de Mandelstam (Le Montagnard du Kremlin)

 

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,

Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,

Et là où s’engage un début d’entretien, –

Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

 

Ses gros doigts sont gras comme des vers,

Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,

Et tout le haut de ses bottes luit.

 

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,

Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,

Il n’y a que lui qui désigne et punit.

 

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge –

À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.

Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète ».

(Traduction d’Élisabeth Mouradian et Serge Venturini)

 

Patryck Froissart

 

NB : On ne peut que déplorer la fréquence, dans la traduction d’un ouvrage de cette portée, de fautes d’orthographe, ainsi que la présence de quelques cruels manquements à la grammaire textuelle.

 

* Parmi les personnalités, témoins et acteurs de l’affaire Mandelstam et du coup de fil de Staline, et de leurs suites immédiates, outre le tandem Pasternak-Mandelstam, Zinaïda Nikolaïevna (l’épouse de Pasternak), Irina Emelianova (sa belle-fille, écrivaine), Anna Akhmatova, Nadejda Mandelstam (l’épouse du poète), Galina von Meck (nièce de Tchaïkovski, écrivaine et présumée maîtresse dudit poète), l’actrice Zinaïda Zaitseva-Antonova (autre probable maîtresse du même), Nicolaï Vilmont, ami de Pasternak, présent lors de l’appel.

 

 

Ismail Kadare (souvent orthographié Kadaré en français) est un écrivain albanais, né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, dans le Sud de l’Albanie. Il étudie les lettres à l’Université de Tirana puis à l’Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture de l’Albanie avec l’Union soviétique l’oblige à revenir dans son pays où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps. En 1963, la parution de son premier roman Le Général de l’armée morte lui apporte la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger grâce à la traduction française de Jusuf Vrioni. Dès lors, son œuvre est vendue dans le monde entier et traduite dans plus de trente langues. Il reçoit le Prix international Man Booker en 2005 et le Prix Prince des Asturies de littérature en 2009. En 1972, nommé député albanais sans même l’avoir demandé, il est contraint d’adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n’en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d’écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature. Son œuvre est publiée et accueillie très favorablement à l’étranger. Kadare finit par être qualifié d’« ennemi » lors du Plénum des écrivains en 1982 mais aucune sanction n’est prise à son encontre. Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, conçus comme une critique détournée du régime, il est finalement contraint d’éditer ses romans à l’étranger. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l’asile politique en octobre 1990. Aujourd’hui, il partage sa vie entre la France et l’Albanie.

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A propos de l'écrivain

Ismail Kadaré

Ismail Kadaré

 

Ismail Kadare (souvent orthographié Kadaré en français) est un écrivain albanais, né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, dans le Sud de l’Albanie. Il étudie les lettres à l’Université de Tirana puis à l’Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture de l’Albanie avec l’Union soviétique l’oblige à revenir dans son pays où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps. En 1963, la parution de son premier roman Le Général de l’armée morte lui apporte la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger grâce à la traduction française de Jusuf Vrioni. Dès lors, son œuvre est vendue dans le monde entier et traduite dans plus de trente langues. Il reçoit le Prix international Man Booker en 2005 et le Prix Prince des Asturies de littérature en 2009. En 1972, nommé député albanais sans même l’avoir demandé, il est contraint d’adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n’en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d’écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature. Son œuvre est publiée et accueillie très favorablement à l’étranger. Kadare finit par être qualifié d’« ennemi » lors du Plénum des écrivains en 1982 mais aucune sanction n’est prise à son encontre. Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, conçus comme une critique détournée du régime, il est finalement contraint d’éditer ses romans à l’étranger. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l’asile politique en octobre 1990. Aujourd’hui, il partage sa vie entre la France et l’Albanie.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 31.03.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Roman

Paula ou personne, Patrick Lapeyre, janvier 2022, 411 pages, 22 €

Edition: Folio (Gallimard)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

 

Paula ou personne est une histoire d’amour.

A priori, ce thème n’a rien d’original.

Jean Cosmo et Paula se rencontrent parmi les nombreux invités d’un mariage. Jean prend d’abord Paula pour sa sœur Alicia, un « amour d’enfance » datant d’une époque où les deux familles étaient voisines.

Jean est postier, préposé au tri de nuit, depuis qu’il a abandonné ses études de lettres. Paula est l’épouse d’un riche Allemand, souvent absent de Paris pour des raisons professionnelles. Jean est athée, anarchiste, chevelu. Paula est croyante, catholique, elle enseigne l’allemand dans une institution privée et donne par ailleurs des cours de catéchèse pour meubler sa solitude et l’ennui qui pèse sur une vie conjugale uniforme et un environnement social sans relief.

Les deux personnages sympathisent, se revoient de temps en temps, puis plus régulièrement, ici et là dans Paris. Promenades en les rues, dans les parcs, rendez-vous dans tel café, dans tel salon de thé, dans tel restaurant. Le rythme est paisible. L’intrigue se noue, lentement, camarade, amicale, faite de conversations de plus en plus confiantes, d’échanges de plus en plus intimes, de tentatives de reconstitution des souvenirs d’enfance, du vécu commun des années collège et lycée, sur le parcours respectif des protagonistes depuis qu’ils se sont perdus de vue, sur les goûts et les couleurs de chacun dans la vie quotidienne actuelle.

L’auteur retient le cours du temps, maîtrise la transformation progressive de l’amitié en affection, puis en une liaison amoureuse qui reste platonique jusqu’au jour où, l’attraction physique croissant, Jean manifestant, timidement mais récurremment, son envie d’une fusion plus charnelle, Paula lui révèle qu’elle possède près de son lieu de travail un studio qu’elle occupe périodiquement lorsque son époux est en déplacement.

Ils deviennent amants, se voient de plus en plus souvent, en ce nid caché et, bientôt, lors de courts séjours en province en divers endroits, à l’insu de tous.

La majeure partie du texte est faite, entre les scènes d’amour charnel écrites avec une relative retenue, de dialogues dans lesquels s’insèrent des échanges philosophico-politiques centrés de plus en plus souvent, à mesure que la liaison évolue, singulièrement sur la pensée d’Heidegger, sur sa posture (ou son imposture) historique, sur la mesure de son implication face à la montée puis à l’installation institutionnelle du nazisme.

Parallèlement, s’intercalent des épisodes de la vie professionnelle du postier. L’auteur anime de manière réaliste des réunions syndicales agitées au cours desquelles s’expriment les contradictions militantes, les relations hiérarchiques, les compromissions entre direction et certains syndicalistes, l’ensemble étant vu et vécu avec une distanciation affirmée par Jean qui, tout en ayant mais en taisant son opinion,  le considère comme une sorte de comédie dénuée de sens, comme sont pour lui sans grande importance les convocations dans le bureau d’une directrice autoritariste qui n’apprécie guère sa désinvolture, comme sont aussi pour lui sans grand intérêt les rares moments de convivialité qu’il accepte de partager hors de son lieu de travail avec quelques collègues dont on découvre le mal de vivre spécifique, comme lui sont encore indifférentes les lestes avances d’une collègue de travail mythomane, voire nymphomane.

Ces situations étoffent le caractère de Cosmo, qui apparaît de plus en plus comme un personnage désabusé, ne croyant à rien, ne désirant rien, ne s’engageant en rien sauf, et c’est ce qui crée la tension romanesque, en cette relation unique avec Paula, Paula ou personne, relation dont il pressent toutefois très tôt le devenir.

Quant à Paula, son portrait se précise également tout au long des conversations du couple à propos d’Heidegger, à propos du manque d’ambition qu’elle reproche, quelque peu maternellement, à son amant, à propos de ce qu’elle lui dévoile de sa vie maritale, et à propos du dilemme qui la travaille de plus en plus crucialement, reposant sur la contradiction entre d’un côté sa morale catholique, la bienséance civile fondée sur son statut de femme mariée, la fidélité et la loyauté qu’elle estime devoir à un mari qui l’aime et qui lui offre le confort matériel dont elle a besoin, et de l’autre côté l’amour qu’elle éprouve sincèrement pour Jean et les séances récurrentes de galipettes sexuelles lors de leurs cinq-à-sept parisiens puis d’escapades de quelques jours en des lieux de plus en plus éloignés qu’elle choisit elle-même et dont elle assure la programmation.

Deux personnages somme toute attachants, aux portraits intimes bien brossés par un narrateur omniscient, une atmosphère qui évolue lentement de l’amitié à l’amour puis à la passion dévorante puis, la liaison ayant atteint son pic amoureux, qui se fait douce-amère et se dégrade avec un retour progressif à une sorte de lucidité face à ce qui est vu comme étant la réalité, et, que le lecteur le déplore ou s’en satisfasse, à la norme et aux convenances que véhicule foncièrement Paula.

Ce qui amènera assurément le lecteur à une mise en parallèle avec des romans qui lui sont familiers, en particulier des œuvres du XIXe siècle, bien que les contextes narratifs socio-culturels soient différents et que les gestes d’amour soient ici bien plus explicites.

 

Patryck Froissart

 

Patrick Lapeyre, né en juin 1949 à Paris, est auteur de huit romans, tous publiés aux Éditions POL. L’Homme-sœur a obtenu le Prix du Livre Inter, en 2004. La vie est brève et le désir sans fin a obtenu le prix Femina en 2010.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 04.04.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésieEditions du Cygne

Fulgurances, Poésie minimaliste, février 2020, 50 pages, 10 €

Ecrivain(s): Marcel Peltier Edition: Editions du Cygne

Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Dans la collection Poésie francophone/Wallonie, ce recueil de Marcel Peltier est une illustration intéressante de ce qui semble être son art singulier : le poème minimaliste. Dans leur quasi-totalité, les textes brefs présentés ici se réduisent à deux vers. Certains même ne sont constitués que d’une courte ligne. Le titre en définit précisément l’impact attendu : chaque composition apparaît en effet, tant visuellement que sonorement, comme un éclair, une étincelle, une détonation, un immédiat crépitement, une vision éphémère.

« les sentiers

marchent comme des flambeaux »

Paradoxalement, il convient qu’à chaque jet, aussi prompt qu’il soit de prime lecture, le lecteur s’arrête, ou revienne ultérieurement, et goûte l’escarboucle, qu’il en fasse rouler dans sa tête, ou oralement, dans sa gorge et sur sa langue, à la fois l’éclat et la sonorité, et qu’il en soupèse, devine, invente, s’approprie les sens, qu’il en distingue et dégage l’essence, dans ses multiples fragrances.

« lanternes

nuits des mystères »

Chaque mini poème ainsi comprimé à la plus simple expression est potentiellement déclencheur des plus amples impressions.

« tremblements

son corps étendu offert »

Au lecteur de se mettre en état de maximale suggestibilité pour saisir, appréhender, ou extrapoler tout ce qui est instantanément suggéré.

« engrenages

machines féroces en tête »

Thématiquement, les évocations portent principalement sur les éléments naturels, minéraux, végétaux, animaux, aux moindres frémissements, à la plus minime apparition/révélation de quoi on comprend que le poète, tous les sens perpétuellement en éveil, est sensible à fleur de peau, de vue, d’ouïe, voire de toucher et de goût.

« paysage

l’arthrose blanche du matin »

De temps en temps cependant le poète s’extrait du domaine de la sensation, du tangible, du visuel, de l’auditif, du matériel, pour pénétrer dans celui, intérieur, intimiste, du sentiment, de la pensée. On touche alors au souvenir, à la nostalgie de l’enfance, au temps qui passe, à l’absence, aux questions existentielles…

« longue attente

le couloir sans fin »

Fulgurances s’inscrit dans une œuvre vaste et riche consacrée à une recherche expérimentale passionnée, chez Peltier comme chez tout poète digne de ce titre, des pouvoirs du langage, de l’impressivité de l’écriture, œuvre fortement marquée, ce qui se ressent d’évidence dans le présent recueil, par une pratique assidue du haïku. Quand on sait qu’il est par ailleurs considéré comme un éminent chercheur en « méthodologie des mathématiques », on comprend d’où lui vient ce souci permanent de la précision, de la concision, presque du théorème poétique.

« prairie

les cow-boys absents »

 

A découvrir.

 

Patryck Froissart

 

Marcel Peltier habite le Pays Vert en Wallonie Picarde. Ses travaux de recherche en méthodologie des mathématiques ont été récompensés par le Prix de pédagogie de l’Académie royale des Sciences, des Arts et des Lettres de Belgique, classe des Lettres, en 1992. Il est également l’auteur de plusieurs recueils de poésie sans oublier une participation à D’un ciel à l’autre, une anthologie de haïku de l’Union Européenne éditée par l’Association Française de Haïku. Il a obtenu le Prix de la Communauté Wallonie/Bruxelles au Concours de poésie Pyramide.

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A propos de l'écrivain

Marcel Peltier

Marcel Peltier

 

Marcel Peltier est né et vit dans le Pays Vert, en Belgique, près de la forêt de Beloeil. On peut dire qu'il a mal tourné, puisqu'il aimait la poésie, la musique, la peinture, et qu'il est devenu professeur de mathématiques.

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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