12/10/2025

Mon lexique chti, par Patryck Froissart

 

Lexique des parlers de ch'coin-là

 

 

Abanner (s'): s'abandonner, se laisser aller, se prostituer

Abéqui: bouche bée (bec ouvert)

Abille, abile : vite, dépêche-toi, dépêchez-vous !

Abusieux: séducteur

Acali : plein de cals

Acater : acheter

Achitoter (s'): se parer avec affectation

Accorchu, écourcheux : tablier

Accourché : raccourci

Acoitir (s'): se tapir

Acruir : mouiller

Affiert : adroit, habile

Affique: épingle

Aflatter : caresser, câliner

Affuter (s'): se débrouiller

Affutiaux : petits ornements ; parties naturelles de l’homme

Afolure: contusion, blessure

Agache : pie

Agaïant: salamandre

Agarchonner (s'): fréquenter les garçons

Agazoulier un enfant: le pousser à babiller

Agligner (s'): s'agenouiller

Agobiles: objets qui n'ont ni usage ni valeur

Agneuse: acariâtre

Agriner(s’) : devenir mauvais, en parlant du temps

Agripard : patron avare

Agroulier : griffer, égratigner

Agroyer: agripper

Aheuré : dont les horaires sont strictement réglés

Ahoquer : accrocher, faire un accroc

Aïon : échoppe non couverte

Ajouque : jeune effrontée

Ajouquer (s’) : s’accroupir

Alboidier : insulter, injurier violemment

Albran : voyou, vaurien

Allourder: séduire

Amelle : grosse armoire

Amicloter : langer, dorloter, pouponner

Amitieux: affectueux

Anaine : chenille

Ancher : respirer mal, avoir le souffle court

Antipane: voile, rideau qui habille l'autel

Anusse: médaille pieuse qu'on porte au cou

Aplaidier: vanter les qualités de ses marchandises

Apotager: salir, abîmer

Applommé : épuisé, accablé de fatigue

Arambiles : vieilles choses sans valeur

Arménaches : gravats, décombres

Arbotter (s’) : se rhabiller

Arbraquette : binette

Arche-noé: salle de cabaret

Archelles : baguettes de saule, ou d’osier

Archiner (substantif) : goûter (substantif)

Archiner : manger son goûter

Arlander: lambiner, s'attarder

Arlaque : enfant bruyant, tapageur

Arlicotter: secouer, branler, agiter

Arlocher : secouer, branler, agiter

Armontière : début d’après-midi, moment où on reprend le travail après le dîner

Arnitoiles : toiles d’araignées

Arnu : orage

Arpassure : café de deuxième ou troisième passage

Arpillant: cupide, âpre au gain

Arsaquache ou rassaquache : ce qu’on retire de la soupe pour une préparation à part

Arsaquer : retirer

Arsarcir : raccommoder

Arsoule : ivrogne

Artau: grand repas

Artoils : orteils

Arvoyure(à l’) : au revoir

Arwétier : regarder

Atapir (s'): se cacher, se tapir

Atargète: cabaret où on s'attarde

Attriau, atériau: gorge, poitrine

Aveule : aveugle

Avitin: legs, héritage

Babeluttes :bonbons tendres au goût de caramel et de cannelle.

Babotte : petite lucarne de pignon

Bacatiau: voir basse-campe

Badine(à l’) : bras dessus, bras dessous

Badoulette : femme qui a beaucoup d’embonpoint

Bafiousse : baveuse

Bager: embrasser

Baiou: qui regarde bouche bée, autant avec les yeux qu'avec la bouche

Baisse : baiser de salutation sur la joue (il convient d’en échanger quatre dans le Nord)

Balon: bonbon commun

Balouffes : grosses joues, bajoues

Baquetée:os et déchets de viande que le boucher vend à bas prix

Baraquins : forains, gens du voyage, habitants d’une caravane

Barlicot: sexe masculin

Barou : tombereau

Barziner : bruiner

Basse-campe : cabinet, lieu d’aisances

Basse-danse : jeu amoureux

Batinse : poutre

Baudelée: charge que porte un baudet

Baudesse: féminin de baudet

Béfeler : baver

Bébelle: (faire bébelle): caresser le visage d'un enfant en disant « fais belle » ou « fais bébelle » pour le faire sourire.

Béber: sein

Bénache : heureux, content

Berdéler : marmonner

Berdouille : boue du Nord

Berlaffe : claque, gifle

Berlière: lambeau d'étoffe – à berlières: en lambeaux

Berlinque : fille facile

Berloquer : baller, balancer

Berquinné: contrefait, qui a les jambes tournées

Bertonner : rouspéter

Bèrziner : se remuer

Beubeux : frères de la Miséricorde qui consolaient et encourageaient les suppliciés

Beuter : regarder sans être vu

Biblot : sexe masculin

Biecquebos : pivert

Biéquer: se dresser naturellement, bander

Bigorgner : regarder en louchant

Bilonbaines : testicules

Bilteux : joueur, passionné des jeux de hasard

Binuber : se marier en secondes noces

Birlongeoire : balançoire

Bisbisse : conflit

Biscaïen : grosse bille en fer

Bistoque : cadeau, récompense

Bistouille : café très chaud auquel on a ajouté une dose d’alcool de genièvre

Blache : pâle, blafard, blême

Blandir: flatter, caresser (ancien français)

Blèfer: baver (de plaisir, de gourmandise)

Bleusse: histoire sans fondement, carabistoule

Bofe : cave

Bondi : pli fait au bas d’un vêtement pour le raccourcir

Boquet : écureuil

Borègne : habitant du Borinage

Boreine : pipe grossière

Boudaine : nombril

Boudinette, boutinette : ventre, nombril

Bouleusse : grande bassine à lessive, qui servait aussi pour le bain du samedi soir

Bourlotte, ou bourbotte : jeune fille grasse

Bouriauder: torturer

Bouserer: couvrir de bouse

Bowète : galerie, trou, boyau de mine

Bradé : gâté, dorloté

Brain : merde

Brayette: braguette

Brayou, brayousse : pleureur, pleureuse

Brèle : bon, bonne à rien

Briquet : désigne deux tranches de pain collées l’une sur l’autre et fourrées de divers composants. Terme beaucoup plus beau que l’horrible anglicisme « sandwich »...

Brissaudage, brissodage : gaspillage - Brissoder : gaspiller, perdre – Brissodeux, brissodeuse

Broquer :beugler

Broudier : derrière, cul

Brousé : sale, sali

Buot: buisson

Buresse: lessiveuse, laveuse

Burne: excroissance, nodosité sur les branches d'un arbre

Busette: bec de bouilloire, ou de cafetière

Busier : penser, réfléchir, méditer

Caberdouche: cabaret louche

Cachaloques : terme chti pour désigner des collecteurs de vieux chiffons

Cache : chasse

Cachifs : chassies matinales

Cado : chaise pour bébés

Cafotin: partie naturelle de la femme

Cahuler: criailler

Calauder: bavarder, caqueter

Calo : bille

Camanette: cancanière

Camoufliache: restes de viandes qu'on fricasse

Camousser : moisir

Campe : pétard – camper : exploser

Campernouille: salope, putain

Camuche : niche à chien

Candroule: chandelle

Cantiaux : fesses

Capageoire: femme dépensière

Carabistoules : histoires à dormir debout, fadaises, mensonges

Carée: grande quantité

Carmène: viande de basse qualité

Carnasse: cartable

Carrette : charrette, voiture, automobile

Cartoufles : pommes de terre

Catibés :mûres (baies)

Catimurons: baies du roncier

Catoulles : chatouilles

Caudron: renoncule

Caufourer:s'échauffer, fermenter, démanger

Cazéye : asticot, larve servant d’appât pour la pêche

Chanonesse : débauchée

Chenique : alcool fort

Chicklet : chewing-gum

Chiler: siffler (vapeur)

Chine: grimace

Chirloute : mauvais café

Choler: bousculer

Cholette : boule en bois

Chouiner: fesser

Chuchette : boire sin jus al chuchette : boire son café à petites gorgées en laissant fondre le morceau de sucre le plus lentement possible sur la langue. C’est un art difficile.

Cinsier : fermier

Claquart: pétard

Codin : jeune coq

Comodieux: riche

Convers: retraite, abri. Commerce amoureux (ancien français)

Cotron : cotillon, jupe

Cotronner : avoir une relation charnelle avec une femme

Cougnolles ou coquiles : brioches traditionnelles de la Saint Nicolas ou de Noël

Coule : couille

Coulonneux : terme chti désignant un éleveur de pigeons voyageurs à concours

Counette : sexe de la femme

Courtil : jardin

Coyette (être à s’): être bien

Crane : beau, bien arrangé, bien habillé

Crape : salissure; femme malpropre

Crapé : sale, terreux, crasseux

Craque: mensonge

Cras-nez : morveux

Cron, cronque : contrefait, contrefaite

Croupette (à) : accroupi

Cru, crute : mouillé(e)

Cruauder : arracher les cruaux, les mauvaises herbes ; sarcler

Cufarte : grosse femme paresseuse qui aime s’avachir au coin du feu

Cul païelle (à): à la gredindelle

Cutourniaux :culbutes, pirouettes

Dache, dachette : clou

Dal : cochon, verrat

Dallache : désordre – Queu dallache ! Quel désordre ! Quel gâchis !

Débauché: attristé, malheureux

Décafoter : fouiller, gratter

Décampe: étage

Décarocher : raconter n’importe quoi, délirer

Déconcané : décontenancé

Défiquier: décolleter, découvrir la gorge

Déflinquée : maigre

Défunquer : mourir

Dégavarlé : qui a la poitrine découverte

Déglaminter (se) : se lamenter

Dégrivaler: dégringoler

Déguène: allure, comportement

Dékerquer: décharger

Délaque(cha quéiot al) : il pleuvait des trombes

Déloufer : vomir

Démaflié: mal en point, en particulier un lendemain de fête trop arrosée

Démandibuler : casser la mâchoire

Démaquache: vomissure

Démousquinage: démolition, destruction

Dénorter : changer d’avis

Desbotter (se) : se déshabiller

Desgoncé: déçu, désappointé

Destriver : nier

Détricher: séparer, trier

Dévérinner (se) : se déhancher, comme si on est monté sur un vérin

Dévirouler: dégringoler

Déwanner : sortir qqch d’un orifice étroit, dégainer

Djèter: bourgeonner

Drache : pluie

Dringuelle : pourboire, étrenne

Drisse : diarrhée

Droule : femme de mauvaise vie

Droulion : servante sale, souillon

Ducasse : fête foraine communale annuelle

Eauffe (ou auffe, hauffe, wauffe): gaufre

Ebeulé : ahuri

Escafiotte: cosse des pois, fèves, haricots...

Ecafure : pourboire – Voir aussi dringuelle

Echuché d’Bermerain : avare

Eclette : éclat d’ail

Eclites : éclairs

Ecloi: urine

Ecour : entrecuisse

Ehancé : hors d’haleine, essoufflé

Ehure, hayure ou haïure: haie

Emberdouiller, imberdouller : couvrir de boue, de berdouille

Embroquer (s'): s'endormir

Enfunquer : empuantir, s’agissant particulièrement de fumées

Erloqueter: wassinguer

Ennoeiller: regarder une chose avec l'envie de se l'approprier

Ensacquer: mettre en un sac

Epardre: répandre, épandre

Epautrer : écraser, aplatir

Epoquer: acculer contre un mur

Epoufer (s'): s'étouffer (de rire)

Equette : copeau

Escafoter : gratter, tisonner, tripoter

Escamiau: partie surélevée d'une grange

Esclachoire: lanière

Espiture : éclaboussure

Esquinté : fatigué, fourbu

Estabrique: partie naturelle de la femme

Estoquer(s’) : s’étrangler, s’étouffer

Etole, étolette : petite construction annexe, en jardin ou attenante au corps de logis, débarras, pièce à charbon. Pouvait être l’abri nocturne d’une chèvre, ou d’un mouton

Fache : couche, lange

Fafiéler : bredouiller, en bavant ; parler avec difficulté

Farcé : en retard, pour ne s’être pas réveillé à l’heure

Fiche: suppositoire

Fième: mucosité

Flatte : bouse de vache

Fonc, foque, foncques : seulement, rien que…

Fouan : taupe

Fricadelles : boulettes frites de pain (trempé dans le lait et la bière) et de hachis de bœuf et de porc

Frimaire : homme grand et maigre au caractère flegmatique

Frioler: frémir (eau sur le point de bouillir)

Fronchiner: tortiller

Froucheler: tripoter, peloter (une femme)

Fucheau : putois

Gadroulier: toucher, caresser

Gadrouliète: mijaurée, précieuse

Gaïette, ou gaillette : morceau de minerai de houille, qui se ramassait sur les terrils

Gailler, gaille: noyer, noix

Gaiole : cage

Galatasse : cabinet de verdure

Gardin: jardin

Gaudinette: jeune fille vive, qui aime le plaisir

Glaine : poule

Godain: braises sous la cendre

Gogue: noix

Grisir : devenir gris

Groéte : petite fille méchante, qui se conduit comme une furie

Grognou, grognousse : grognon, pleurnichard, pleurnicharde

Grolle : espèce de corneille qui a un cri fort désagréable

Gruger : avoir froid

Guernoter: grelotter

Guerziller: grelotter

Guerzin: grésil, petite grêle

Gueulette : petite bouche

Guife : figure, visage

Guignette: œillade

Guiler: avoir peur, fuir le combat

Guince : cuite, ivresse – Queune guince ! Quelle cuite !

Guinse (faire el) : faire la noce

Halau : saule

Hogéneries : violences sexuelles contre femme

Hoguiner: se livrer à des hogéneries

Huche : porte, huis – Va-t-in à l’huche : sors d’ici ! Prends la porte !

Huchelet: petite porte qui s'ouvre dans une plus grande

Hurion: hanneton

Imberner: enduire

Infliquer(s’) : se faufiler

Infuter: enfoncer

Ingrinquer (s’) : se coincer

Inquenne: échine

Inraquer : embourber

Inrasasiape : insatiable

Joquer : s'arrêter, stopper

Laitison : pissenlit blanchi dans une taupinière

Lamplumu : compote de pommes repassée au four

Langreux, langreuse : squelettique

Leu : loup

Libouli : sorte de crème pâtissière

Louchet : bêche rectangulaire

Louppe : lèvre – Faire s’louppe : faire la grosse lèvre, bouder

Loute, biloute, louloute : termes pour désigner le sexe masculin; apostrophes affectueuses : viens chi, m’loute : viens ici, mon enfant…

Lumechon : limace

Machuqué : abîmé, piqué

Maclotes : grumeaux

Magonion : soufflet, gifle, claque

Maguet : bouc

Malo : taon

Malotter : disputer, corriger

Mangoniser:donner bonne apparence à ses marchandises

Manoque : panier dans lequel on fait nicher les pigeons

Manoqueux : paresseux, pédant

Mappe : bille

Maquée: fromage blanc

Marale : gamin sans expérience

Margnoufe : coup

Marie-madou : femme obèse

Marmouser: marmonner

Marouner: courir les filles (ou les garçons)

Matte : fatiguée

Mayète : menu bois pour allumer le poêle

Méquène : servante; jeune fille

Michorelle : pince-oreille, forficule

Miler : guetter, épier

Miroulle : richard

Misseron : moineau

Miue ! Mange ! du verbe mier, manger

Mofler: recaler (à un examen)

Molettes (faire des): faire des manières

Mordreux : méchant, prêt à mordre

Mouflu: synonyme de auflu

Moulon : asticot

Mouser : faire la moue

Moussoile : belette

Moute-li : montre-lui

Mouter : traire

Mouviar : merle

Muchette : cache-cache – se mucher : se cacher

Muterne : motte de terre couvrant une taupinière

Nactieux : qui fait le difficile, le dégoûté

Naquer : renifler, humer – Substantif : naque : malpropre

Naquetout : mêle-tout

Nasse : morve

Négresse : poêle à charbon

Niflette : nez qui coule

Nique doule : couillon

Noirglache: verglas

Noncalieux: paresseux

Nonuches : choses sans valeur

Noulle : nouille

Osielle: femme qui n'a pas très bonne presse

Ossiaux : os

Pallée : pelletée

Panchelot : ventru, pansu

Pane: tuile

Patacons :rondelles frites de pommes de terre

Paterliqueux: dévot qui perd son temps à prier

Paterliquier: réciter (des prières)

Patiau : 1- boue 2- emmerdement – Queu patiau ! Quel ennui, quelle merde !

Patriquer: patauger

Peineux: honteux

Pennetières, peimes-tierre, pétotes : pommes de terre

Péoule : coureuse

Pépette : derrière, cucul (enfantin)

Perchèle : bleuet, barbeau

Pertéloir: anus

Perziais : nom rouchi de Préseau (près de Valenciennes)

Pétote : pomme de terre

Pétrole: conte, mensonge

Pévèle: pâture

Piessinte : petit sentier

Pipioter: piailler comme un oisillon

Pis : puis

Pleumer: éplucher

Plousse: coureuse

Pluquer: manger lentement, à petites bouchées, sans appétit

Polir: repasser (le linge)

Polissage: action de polir (cf ci-dessus)

Poquettes volantes : varicelle

Pourcheau de mur : cloporte

Pourrisse: féminin chti de pourri

Praute: blague

Prone ( avoir s’) : être soûl

Prones : prunes

Pureler : épandre sur un jardin le contenu de la fosse d’aisances

Purière : fosse à purin

Quéière : chaise

Quéïr : tomber, choir

Quénèque : bille

Querpillon : trottoir

Querre : chercher

Quervé (être): être soûl

Queuette (faire) : faire l’école buissonnière

Queule : chiendent

Queveau d'l'apocalisse: le cheval de l'Apocalypse (femme grande et maigre)

Quier : chier

Racoufter (se) : se rhabiller

Rafantir: retomber en enfance

Ragrigner (se): se ratatiner

Ramoncheler (se) : se recroqueviller

Randouiller : frapper fort

Rapiat : avare, grippe-sou

Raquion : crachat

Rasiner : racler un plat, une casserole..., y ramasser ce qui y reste, avec un morceau de pain, par exemple.

Raton : gifle

Ratons : crêpes

Rébulé : son de blé

Reculot : dernier-né d’une fratrie

Réhu : fatigué

Renculoter : pousser, acculer dans un coin

Répamer, rispamer : rincer

Rhabillures : habits neufs

Rigaudaine : rossée

Rigodée : averse abondante

Rimée : gelée blanche

Rinflinquer : répliquer vertement

Robiner : glaner

Roïette : petit sillon

Romatiques : rhumatismes

Roupieux: honteux

Rouselant: rougissant, rouge de bonne santé

Ruque: motte

Russes (avoir des): avoir des difficultés, des problèmes

S’agriner : devenir mauvais, en parlant du temps

Saint Quertophe: saint Christophe

Saisissure: frayeur vive

Saquer : tirer, prendre – Expression : « Saque d’dins, ch’est du bège » : Sers-toi, prends-en, c’est du belge (ce n’est pas cher, c’est du produit de contrebande)

Sauret d’étalache : personne très maigre

Sauret : hareng saur

Sécral : personne très maigre

Seille, seilleau : seau

Souglou  ou seglou : hoquet

Sourite: souris

Taïon : bisaïeul

Tape-daches : pied de cordonnier

Taques d’antile : taches de rousseur

Taudion : logement étroit et sale

Tchier : chier

Tertousses : tous

Tianbernant (daller in) : marcher les jambes écartées, comme si on a quelque chose qui pèse dans la culotte

Tignon : chiendent

Tioire: femme ayant la mine pâle

Tiot, tiotte : petit, petite

Tiot bite: s'emploie pour apostropher un jeune garçon à qui on veut signifier qu'il n'est encore qu'un enfant

Tirlibibis : jeux de hasard dans les ducasses

Torsélion: trognon

Tortiner : perdre du temps, traîner

Tototes : seins – Synonyme : gougouttes

Toubac: tabac

Toudis : toujours

Tourbisions: vertige

Tourpiner: mijoter, comploter

Toutoule : fofolle

Toutoute: chienne de compagnie

Tranenne : luzerne

Trottement: tout de suite, vite

Troule : femme de mauvaise vie

Troussepète: fillette dont le jupon est retroussé à l'arrière, pour éviter qu'il se salisse

Truches : pommes de terre

Truiette : petite cochonne

Tubin : petit seau

Tuter : sucer

Vingt diousses : vingt dieux (juron)

Vir (verbe) : voir

Vitrot: grand-mère vitrot (dont on attend la mort et l'héritage)

Warlouque : qui regarde de travers (au propre et au figuré)

Wandroule : coureuse, prostituée

Wiche : biloute

Yard: liard, sou

Yoïche : visqueux

Yoyotte : ingénue

Zièpe: savon mou

 

11:43 Écrit par Patryck Froissart dans Chti, Mes ouvrages publiés | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

31/07/2025

La mémoire délavée, Nathacha Appanah, par Patryck Froissart

La mémoire délavée, Nathacha Appanah (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 02.07.25 dans La Une LivresLes LivresCritiquesMercure de FranceRoman

La mémoire délavée, Nathacha Appanah, Mercure de France, collection Folio, 6 février 2025, 150 pages, 7,60 €

Ecrivain(s): Nathacha Appanah Edition: Mercure de France

La mémoire délavée, Nathacha Appanah (par Patryck Froissart)

 

La République de Maurice se qualifie de « nation arc-en-ciel » en référence à la pluralité, à la diversité des composantes de sa population, officiellement classée en quatre catégories de citoyens : les Sino-Mauriciens, les Musulmans, la Population Générale (dont les Cafres descendants des esclaves africains et les Franco-Mauriciens issus des colons), et les Indo-Mauriciens, catégorie à laquelle appartient Nathacha Appanah, journaliste et  romancière bien installée dans le paysage littéraire francophone.

C’est à l’occasion de l’observation des complexes, inextricables, inexplicables circonvolutions du vol migratoire d’une nuée d’étourneaux que l’autrice est saisie par la résurgence de la blessure plus ou moins refoulée, néanmoins toujours latente, de l’angoissante présence de larges zones d’ombre contrastant avec des bribes ténues, fragiles, de rares faits connus dans la chaîne nébuleuse de la migration familiale dont elle constitue l’un des maillons actuels.

« Trente-neuf ans séparent l’arrivée des premiers coolies et la naissance de mon grand-père. Si ces trente-neuf ans ressemblaient à un vide noir et opaque, j’aurais pu écrire qu’il n’y a rien et ça aurait été facile. […] Mais il existe quelques traces… ».

 

Le roman se construit dès lors dans la difficile et douloureuse tentative de raccorder entre eux les chaînons indiciels permettant de reconstituer, au mieux possible, par un subtil jeu de yo-yo, le fil ascendant/descendant des générations dont la genèse est le débarquement à Maurice en 1872 du couple ancêtre, accompagné d’un fils âgé de onze ans, dans le cadre de l’engagisme massif d’Indiens mis en oeuvre par les autorités suite à l’émancipation des esclaves africains.

 

« Je ne veux pas simplement raconter mes grands-parents, je veux dépasser le récit, de la complexité à l’envers mais de la simplicité à l’endroit. Je rêve d’un livre qui dirait le passé, le présent et tout ce qu’il y a entre ».

 

Foncièrement, logiquement, naturellement, thérapeutiquement, pour la narratrice, une meilleure connaissance du « d’où viens-je ? » devient la condition nécessaire à la construction du « qui suis-je ? ».

 

La quête, pluridirectionnelle, vise à réunir, comparer, confronter les traces administratives clairsemées de l’existence misérable des premières strates générationnelles dans les plantations coloniales

- avec la transmission mémorielle éparse, transmise des uns aux autres dans un branchage généalogique confus, de faits divers, de fragments d’histoires, d’événements plus ou moins avérés, peut-être, pour certains, fantasmés

- avec de bienvenues révélations, par l’un ou l’autre, sur un passé dont on a occulté, consciemment ou non, tel ou tel détail, par souci d’oublier l’indigence, jusqu’à la sordidité parfois d’un quasi-esclavage

 

L’autrice entretient, avec talent, un suspense efficace dans un schéma narratif, souvent poétique, empreint d’émotion, de nostalgie, d’un désir (d’un besoin) puissamment exprimé d’aboutir à un renouement satisfaisant des fils de ce canevas familial enchevêtré, troué et fragmenté, ponctué de découvertes de pistes nouvelles aboutissant tantôt à de décevantes impasses, tantôt à de réconfortantes trouvailles constituant autant de modestes pièces s’ajustant au puzzle.

Parallèlement à cette quête essentielle, la romancière se livre à une intéressante analyse rétrospective de ses œuvres, au cours de quoi se révèlent à elle, a posteriori, les empreintes, sur ses écrits, de la confusion affligeante des branches d’un arbre généalogique somme toute pas très ancien et de ce désir rémanent d’en combler l’intermittente lacune.

 

« Je me demande si on peut être étreint par une croyance ancienne qui n’est pas à proprement parler la vôtre. Je me demande si les peurs peuvent rester tapies pendant plusieurs générations et resurgir. C’est un sentiment, une incapacité, un tabou qui seraient transmis comme on transmet un trait, une manière de tenir sa cuiller, une façon de marcher ».

 

On participe sans se forcer.

 

Patryck Froissart

Jeudi 12 juin 2025

Plateau Caillou (Réunion)

 

 

 

L’autrice :

 

Nathacha Devi Pathareddy Appanah, née à Mahébourg en 1973 est une journaliste et romancière mauricienne qui vit en France.

Elle descend d'une famille d'engagés indiens de la fin du XIXe siècle, les Pathareddy-Appanah. Elle travaille d'abord à l'île Maurice comme journaliste puis, en 1998, elle vient s'installer en France, à Grenoble, puis à Lyon, où elle termine sa formation dans le domaine du journalisme et de l'édition.

Bibliographie :

Les Rochers de Poudre d'Or, sur l'histoire des engagés indiens, récompensé par le prix RFO du Livre 2003

Blue Bay Palace

Le Dernier Frère (2007) a reçu le prix du roman Fnac 2007, le prix des lecteurs de L'Express 2008, le prix de la Fondation France-Israël.

En 2016, Tropique de la violence  reçoit le Prix Femina des lycéens 2016 ainsi que le prix France Télévisions 2017.



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A propos de l'écrivain

Nathacha Appanah

Nathacha Appanah

 

Auteur d’une dizaine de titres, dont cinq sont disponibles en Folio, Nathacha Appanah est née le 24 mai 1973 à Mahébourg ; elle passe les cinq premières années de son enfance dans le Nord de l’île Maurice, à Piton. Elle descend d’une famille d’engagés indiens de la fin du XIXe siècle, les Pathareddy-Appanah. Après de premiers essais littéraires à l’île Maurice, elle vient s’installer en France fin 1998, à Grenoble, puis à Lyon où elle termine sa formation dans le domaine du journalisme et de l’édition. C’est alors qu’elle écrit son premier roman, Les Rochers de Poudre d’Or, précisément sur l’histoire des engagés indiens, qui lui vaut le prix RFO du Livre 2003. En 2007, elle reçoit le prix du roman Fnac pour Le dernier frère.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre permanent des jurys des concours nationaux de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France)

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL (Société des Gens De Lettres)

Membre de la SPF (Société des Poètes Français)

Il a publié :

- Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

- Li Ann ou Le Tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

- L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)

- Contredanses macabres, poésie (Editions Constellations)

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En ménage - A Vau-l'zau JK Huysmans, par Patryck Froissart

En ménage suivi de A vau-l’eau, J.K. Huysmans (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 15.06.25 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Roman

En ménage suivi de A vau-l’eau, J.K. Huysmans Folio Classique février 2025 519 p. 10 €

Ecrivain(s): Joris-Karl Huysmans Edition: Folio (Gallimard)

En ménage suivi de A vau-l’eau, J.K. Huysmans (par Patryck Froissart)

 

Gallimard présente en un volume cette réédition de deux œuvres de Huysmans, agrémentée de sept gravures d’époque, d’une préface érudite signée Pierre Jourde, d’un riche dossier constitué en première partie de la biobibliographie de l’auteur et en deuxième partie d’une fort intéressante notice sur « la genèse et la réception » des deux textes, de notes précieuses sur les éléments lexicaux de ce registre de langue propre au romancier et d’informations sur les variantes connues.

 

En ménage :

 

Ce premier texte, long, couvre 300 pages du livre.

L’un des deux anti-héros du roman, le journaleux André, critique littéraire obscur et aléatoire, est un écrivaillon velléitaire ne parvenant guère à mettre en œuvre le « début du commencement » de l’écriture du grand roman qui lui assurerait la reconnaissance d’un talent peinant à se révéler.

Il a pour ami intime un protagoniste de premier plan du roman Les sœurs Vatard. Cet ex-amant tourmenté de Céline Vatard est un artiste peintre médiocre dont les toiles sont toujours aussi peu appréciées et dont la relation avec la gent féminine est devenue totalement atone après nombre d’expériences ratées.

« Je n’ai qu’à évoquer le souvenir de mes anciennes maîtresses, de Céline Vatard entre autres, et me voilà servi ! »

Tous deux vivotent, ressassant l’amertume de n’avoir pas réalisé leurs rêves de célébrité, dans un état pécuniaire insatisfaisant, tout en déplorant amèrement que l’état d’artiste dont ils se réclament soit objet de mépris pour la petite bourgeoisie bien-pensante.

Le thème obsédant se révèle tantôt en leurs multiples dialogues, tantôt en des monologues intérieurs respectifs, véritables « tempêtes sous un crâne », tantôt en les commentaires intrusifs du narrateur à propos des avantages et des inconvénients, des conforts et inconforts d’une vie de couple et, par constante opposition, des bons et mauvais côtés de l’état de célibataire.

Le parcours individuel d’André, dont la narration commence par une scène vaudevillesque lorsque, rentrant un soir inopinément plus tôt que prévu, il découvre un homme en pleine action adultérine avec Berthe, civilement son épouse, est une parfaite illustration du thème par la mise en récit d’une alternance de périodes de strict célibat volontaire ou subi, de ménage contraint partagé avec une servante chapardeuse, acariâtre, autoritaire, d’épisodes de concubinage, de parenthèses d’amours clandestines avec des femmes adultères, de brefs interludes de relations tarifées avec des ouvrières vénales ou des prostituées, et d’entretemps, malgré tout, d’intenses besoins de renouer des relations avec des femmes.

« Alors la crise juponnière vint ».

Quant à Cyprien, après avoir farouchement milité en faveur du célibat, après en avoir longtemps âprement disputé avec André, a contrario las de la solitude et désireux d’avoir une compagne le déchargeant de l’entretien du domicile, de la cuisine, du débourbage de ses bottines, du reprisage de ses chaussettes (sic), il se met en concubinage, au sortir d’une sérieuse maladie, avec Mélie, une femme quelconque qui lui a prodigué les soins nécessaires.

« Par pudeur, il résolut d’attendre qu’il fût complètement rétabli pour lui soumettre ses propositions ».

De ces dialogues, monologues intérieurs, commentaires du narrateur, se dégagent des constantes évidentes reflétant, tout en s’inscrivant dans le cadre d’une immersion affirmée dans le courant naturaliste, la vision caricaturale, foncièrement misogyne de Huismans et le regard dépréciateur, voire méprisant, qu’il porte sur la société en général et sur « la populace » en particulier.

« Du fond de la salle […], une voix convaincue dit simplement :

_ Les femmes, c’est des bien pas grand-chose :

André ferma la porte, songeant […] que cette pensée était peut-être la seule qui fût profonde, qui fût vraie. »

Tout cela fournit à l’auteur, à l’occasion des déambulations, accompagnées d’échanges de vue et de discussions socio-philosophiques,  des deux amis et de leurs séjours en divers quartiers de la banlieue parisienne (places, commerces, restaurants) de multiples occasions de décrire avec une profusion de détails et une précision de sociologue, voire d’anthropologue, les décors dans le cadre de quoi sont commentés, presque toujours sur une tonalité péjorative, par les protagonistes en mouvement et par le narrateur qui les escorte, les comportements, les us, les vices, la médiocrité ambiante des populations.

Mais ce qui confère à la narration une succulence qui ne peut que ravir le lecteur est la truculence de l’expression. Pardi ! Quoi de plus adéquat, quoi de plus expressif que de parler du peuple en usant de la langue dudit peuple ?  En cela Huysmans excelle, et ça fonctionne, même si, selon toute probabilité, il s’agit d’une langue artificiellement reconstituée.

 

A vau-l’eau :

 

Ce second récit, court d’une cinquantaine de pages, a pour unique personnage M. Jean Folantin, obscur commis interminablement affecté à des fonctions de copiste dans le même bureau depuis vingt ans. Son maigre salaire de 237 fr.40 c. ne lui permettant plus de payer sa femme de ménage, Madame Fontanel, « une sorte de vivandière qui bâfrait comme un roulier et buvait comme quatre, il la congédie avant que « cette femme ne le pille complètement ». M. Folantin s’ennuie, se traîne, déprime, regrettant ses amours passées, déplorant que son âge et ses moyens financiers ne lui permettent pas d’en nouer de nouvelles, ne s’animant éphémèrement que lorsque le saisit l’angoissante interrogation de savoir où il pourrait prendre son repas.

« Trop tard… plus de virilité, le mariage est impossible. Décidément, j’ai raté ma vie… ».

Il essaie tour à tour toutes les gargotes bon marché, les bouchons et bouillons compatibles avec sa bourse, en élargissant progressivement le cercle de ses expériences, sans trouver une seule cambuse à son goût, tournée des popotes qui est prétexte pour l’auteur à nouvelles scènes de rue, à minutieux tableaux de nouveaux décors, à descriptions poussées d’établissements de bouche et à étalages détaillés de multiples ragougnasses.

« Le bouillon où il stationnait depuis l’automne le lassa et il recommença à brouter, au hasard… ».

Impressionnante mise en narration d’une existence qui dérive tragiquement à vau-l’eau, marquée par les ravages de la solitude, par la lente mais irréversible descente en le gouffre d’une désespérance consécutive au dégoût de soi et des autres, résumée dans cette dernière phrase du récit qui pourrait être l’annonce d’un terrible et définitif renoncement à vivre :

 

« Allons, décidément, le mieux n’existe pas pour les gens sans le sou ; seul, le pire arrive ».

 

Patryck Froissart

Plateau Caillou (Réunion) le jeudi 29 mai 2025

 

Joris-Karl Huysmans est un auteur et critique d'art français. Huysmans fit toute sa carrière au ministère de l'Intérieur, où il entra en 1866. En tant que romancier et critique d'art, il prit une part active à la vie littéraire et artistique française dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu'à sa mort.



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A propos de l'écrivain

Joris-Karl Huysmans

Joris-Karl Huysmans

 

Joris-Karl Huysmans, de son vrai nom Charles Marie Georges Huysmans, est un écrivain et critique d'art français, né le 5 février 1848 à Paris et décédé le 12 mai 1907 à Paris.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre permanent des jurys des concours nationaux de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France)

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Il a publié :

- Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

- Li Ann ou Le Tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

- L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)

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Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi, par Patryck Froissart

Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 13.06.25 dans La Une LivresLes LivresRecensionsEspagneRomanVerdier

Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi, Verdier (6 février 2025), Traduit du catalan par Dominique Blanc, 256 pages, 23 €

Edition: Verdier

Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi (par Patryck Froissart)

 

Najat El Hachmi se livre, se dévoile, se met à nu, ne faisant qu’une, corps, cœur et âme avec la narratrice, laquelle s’exprime à la première personne. Ce long récit intimiste s’adresse, par un TU omniprésent, à une amie avec qui elle partage son adolescence compliquée et les débuts de sa vie d’adulte. Un troisième personnage s’inscrit dans leur parcours jumeau, une amie commune, prénommée Sam.

Née au Maroc, la narratrice est transplantée en son enfance à Barcelone, où son père a pu obtenir un permis de travail. La famille s’installe à la périphérie de la ville catalane, en un espace désigné tout au long du texte comme étant « le quartier », où se structure une communauté de coreligionnaires de même origine géographique relativement repliée sur elle-même en un microcosme oppressant, régi par des règles normatives auxquelles chacun et surtout chacune doivent se soumettre sous peine de mise à l’index.

Outre les regards des inquisiteurs, appréciateurs ou dépréciateurs barbus du quartier, circulent les rumeurs en tous genres, fondées ou non, sur les comportements des uns, des unes et des autres dans les espaces publics. La narratrice et ses amies, comme tous les habitants du quartier, sont ainsi ciblées régulièrement par les bruits colportés par la commère/mégère « officielle » surnommée La Parabole.

A mesure que la narratrice grandit, la surveillance se renforce, d’autant plus que le père, à l’instar de la plupart des membres de la communauté, se radicalise progressivement, devenant de plus en plus soucieux du qu’en dira-t-on et de la préservation de sa réputation de bon musulman fondée sur sa capacité à maintenir épouse et enfants dans « le droit chemin » en ayant recours aux coups et privations en cas de désobéissance ou de comportements estimés contrevenir aux préceptes religieux.

« C’est l’obscurantisme qui a pénétré sans résistance l’esprit des habitants. De nombreuses femmes voilées que tu verrais dans le quartier aujourd’hui – il y en a beaucoup plus qu’à l’arrivée de ta famille – disent qu’elles renoncent au soleil et à la brise, à l’eau de mer et aux piscines, à l’amour et au sexe par convenance… »

La tension narrative est talentueusement entretenue, faite de révoltes intimes dont la contrainte familiale et sociale ne permet pas l’expression verbale ouverte, d’interrogations sur la pertinence et le bien-fondé des règles imposées.

Contradictoirement la jeune fille traverse des phases douloureuses de désir de « bonne conduite », voire de soumission, et se promet de devenir, en tentant d’étouffer les élans de la chair, « une bonne musulmane » bien intégrée dans la communauté. Ce désir n’est finalement que vœu pieux.

« Pour ne plus me percevoir moi-même comme un amas confus et angoissant de chemins interdits qui s’entrecroisent dans mon corps, lundi je serais de nouveau la bonne fille que j’avais été, sans ce battement insistant qui s’insinuait au plus profond de ma chair, sans désir. Ainsi, et seulement ainsi, je serais acceptée, et aimée ».

D’où le titre du roman.

Néanmoins peu à peu l’émancipation se réalise, les trois amies s’encouragent mutuellement, par l’exemple, à s’affranchir, en multipliant les infractions à la norme, sous la forme d’activités clandestines de plus en plus osées, y compris dans le cadre de fréquentations, puis de liaisons amoureuses, où l’assouvissement des pulsions sexuelles va croissant.

C’est donc par cette progression, entrecoupée de transgressions de plus en plus audacieuses, de rébellions de plus en plus assumées, de cette lente métamorphose que l’autrice tient le lecteur, jusqu’à l’évasion définitive hors du « quartier », suivie hélas de déceptions, puis de désillusions dans une vie de couple où l’époux, musulman affichant initialement un libéralisme de bon augure  débarrassé de tout dogmatisme quant aux droits de son épouse, réadopte les principes masculinistes d’un traditionalisme religieux qui le rattrape…

« Dans un quartier où les garçons devenaient trafiquants dès la sortie de l’école, lui, c’était une vraie perle ».

Hélas !

La libération définitive viendra par l’écriture.

Suspense garanti.

 

Patryck Froissart

 

 

Najat El Hachmi, née le 2 juin 1979 à Beni Sidel Jbel (Maroc) est une écrivaine maroco-espagnole basée en Catalogne. Elle est titulaire d'un diplôme en études arabes de l'Université de Barcelone.

Distinctions : Prix Nadal, prix de la ville de Barcelone pour la littérature en langue catalane



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Membre permanent des jurys des concours nationaux de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France)

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

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- Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

- Li Ann ou Le Tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

- L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)

- Contredanses macabres, poésie (Editions Constellations)

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06/06/2025

Contredanses macabres: synopscènes

On peut d'ores et déjà le commander directement chez l'éditrice:
Un souffle noir traverse ce recueil comme un vent de fin du monde. Poète en rupture, en colère, en verve, Patryck Froissart orchestre une sarabande de visions, de cris, de satires et de prières païennes. Un éclat – de chair, de verre, d’étoile – projeté par un verbe incandescent. Ici, les dieux tombent de leur piédestal, les peuples s’égarent dans les ruines de Babel, les amours se consument dans le fiel. Et pourtant, entre les lignes fauves, un désir d’humanité affleure, indocile, tenace. Avec cette fresque lyrique et caustique, le poète nous tend un miroir sans complaisance. Il y a de la démesure, de l’outrance, de l’irrévérence, mais aussi une vibrante espérance : que le verbe, encore, sauve ce qui peut l’être.
(Note de l'éditrice, Amalia Achard.

Contredanses macabres

 

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''L'homme est naturellement bon.'' Merci, Rousseau! Voilà un postulat qui m'a fait, lorsque je l'ai lu, une sacrée belle jambe!

Admettons.

Si Dieu existe, si l'homme est sa créature, si cet homme est naturellement bon, on en déduirait tout aussi naturellement que c'est Dieu qui l'a fait bon.

Or l'homme n'est pas bon, on le constate à longueur de temps.

''C'est la société qui le pervertit.'' Merci, Rousseau! Voilà un autre postulat qui m'a fait, lorsque je l'ai lu, une seconde sacrée belle jambe.

Fort de mes deux belles jambes rousseauistes, je me suis mis debout et j'ai voulu regarder Dieu en face, pour en savoir davantage, comme ont tenté de le faire en leur temps les personnages psychédéliques de Michel Lancelot.[1]

Je ne l'ai pas plus vu que Guy Béart ne l'a vu à Amsterdam.[2]

Alors je me le suis créé.

Je l'ai fait poétiquement, en usant, en abusant, certains diront en mésusant du Verbe, ce Verbe qui se serait fait Dieu (ou inversement) juste avant de créer le monde et de faire en sorte que la lumière fût.

Un Dieu-Verbe ne peut pas ne pas apprécier la poésie. Je lui dédie la mienne.

Ma poésie...

Pour me donner un genre.

Quelle poésie?

Classique?

A forme fixe?

Libérée?

Avec ou sans rimes?

Prose poétique?

Poésie prosaïque?

Je n'ai que faire de ces taxinomies. Je « fais » comme « ça » vient, en donnant du sens au son, et du son au sens.

Le verbe grec poïen qui est la racine étymologique de notre poésie, on le sait, se traduit en français par « faire ».

Or Aragon précise, avec raison, car le poète a toujours raison, que faire signifie chier.

Je verbifie. Je poétifie. Je « fais », à la va-comme-je-pousse. Je tartis mes pages.

Je « fais » le monde, tel que je le vois, tel que je le sens, pouah, tel que nous sommes tous en train de nous le pourrir, de nous le massacrer…

 

C'est, pour moi, une démarche de déconstipation mentale.

 

[1]             Michel Lancelot – Je veux regarder Dieu en face – Ed. J'ai Lu (1972)

[2]             Guy Béart – A Amsterdam - 1976

Patryck Froissart
Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire. Membre permanent des jurys des concours nationaux de poésie de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France), rédacteur de chroniques littéraires pour La Cause Littéraire, membre du Comité de Lecture de la revue Art et Poésie, membre de la Société des Gens de Lettres, de la Société des Poètes Français…

12:10 Écrit par Patryck Froissart dans Mes ouvrages publiés | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

31/05/2025

Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert (par Patryck Froissart)

Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 22.05.25 dans La Une LivresLes LivresCritiquesBiographieFlammarion

Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert, Flammarion, février 2025, 176 pages, 22 €

Edition: Flammarion

Olympe de Gouges, Une femme dans la Révolution, Florence Lotterie, Elise Pavy-Guilbert (par Patryck Froissart)

La vie mouvementée d’une « femme dans la Révolution » est reconstituée par les autrices qui ont manifestement effectué pour ce faire un maximum de recherches sur ce qu’il est possible de retrouver et de recoller des éléments biographiques de ce personnage d’exception et qui en ont comblé les trous en présumant, en levant des hypothèses, en faisant parfois aller librement leur imagination, procédé littéraire qu’elles « avouent », dont elles revendiquent même la nécessité, et qui leur permet de nous offrir une histoire cohérente, qui se tient, qu’on pourrait assimiler ici et là à une biographie juste autant romancée qu’il en est besoin.

Car non seulement les autrices ont tenu à combler au possible, tout en maintenant au mieux la nécessaire vraisemblance, les manques de l’histoire officielle de notre révolutionnaire, à mettre un peu de liant, souvent en se référant aux propres écrits du personnage, dans les ellipses biographiques, à se glisser dans la peau de l’héroïne pour nous faire ressentir ses souffrances physiques, entrer dans ce qu’ont pu, ou dû, être ses pensées, ses affres, ses colères, ses pulsions de rébellion, mais encore reconstituer les circonstances de ses rencontres marquantes avec les plus grands acteurs de la Révolution et les dialogues auxquels elles ont donné cours.

Née Marie Gouze, non reconnue par son marquis de père « biologique », la future Olympe de Gouges est mariée contre son gré à dix-sept ans à Louis-Yves Aubry, officier de bouche de l’Intendant de Montauban. La contrainte de cette union non voulue est peut-être une des sources de la défense des droits des femmes dont elle va être ardente militante, dans la lignée de Marie de Gournay, autrice dès 1622 de l’Egalité des hommes et des femmes.

« L’on me maria à un homme que je n’aimais point, et qui n’était ni riche ni bien né. Je fus sacrifiée sans aucunes raisons qui pussent balancer la répugnance que j’avais pour cet homme… ».

Jeune veuve âgée de dix-huit ans, avant même les Etats Généraux (1789), Marie Gouges, devenue Olympe de Gouges, publie un Projet utile et salutaire par lequel elle sollicite « la création d’ateliers publics et d’une maison de charité particulière où il ne soit reçu que des femmes ». En 1791 ce seront la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont elle soumet les dix-sept articles à l’Assemblée, puis la Forme du Contrat social de l’homme et de la femme.

« Femme, réveille-toi : le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstitions et de mensonges. Le flambeau de la liberté a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation ».

De plus en plus activiste, elle s’en prend tour à tour à Marat :

« Fameux agitateur, destructeur des Lois, ennemi mortel de l’ordre, de l’humanité, de sa patrie, atteint en convaincu de vouloir introduire en France une dictature… »

et à Robespierre, qu’elle provoquera un jour en duel :

« Dis-moi, Maximilien, pourquoi redoutais-tu si fort, à la Convention, les hommes de lettres ? Pourquoi t’a-t-on vu tonner à l’Assemblée électorale contre les philosophes, à qui nous devons la destruction des tyrans […] ?

Entre ses attaques, accusations, et provocations personnalisées, Olympe rédige maints pamphlets qu’elle fait imprimer et placarder dans tout Paris. C’est l’un d’entre eux, Les trois Urnes ou le salut de la patrie, par un voyageur aérien, dans lequel elle affirme le droit du peuple à choisir le régime qui lui convient le mieux, y compris, suprême hérésie, la monarchie, qui est prétexte à son arrestation en 1793. C’est devant Fouquier-Tinville, le plus féroce des accusateurs publics, qu’elle est déférée. C’en est fait. Elle est décapitée le 3 novembre 1793, après avoir lancé à la foule un vibrant : « Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort ».

Les autrices ont su de façon pertinente alterner d’une part les faits historiques, publics, avérés et les constructions supposées les relier et d’autre part ce que les écrits d’Olympe permettent d’entrevoir ou laissent deviner (à la discrétion des narratrices) de sa vie privée quotidienne, de ses angoisses, de ses difficultés pécuniaires, de ses problèmes de santé, de sa liaison avec l’homme de lettres Michel de Cubières, de sa relation avec son fils Pierre, à qui elle adresse sa dernière lettre. « Je meurs, mon cher fils, victime de mon idolâtrie pour la Patrie et pour le Peuple ».

L’ouvrage est complété par le récit des circonstances de la réalisation du film Olympe, une femme dans la Révolution (2024), par Julie Gayet et Mathieu Busson, coréalisateurs, dans lequel Julie Gayet incarne Olympe.

 

Patryck Froissart

 

Florence Lotterie est professeure de littérature du XVIIIe siècle à l’Université Paris Cité, et s’intéresse plus spécifiquement aux imaginaires de la Révolution française et à des auteurs et autrices de la période. Elle est secrétaire générale de la Société des études staëliennes.

Élise Pavy-Guilbert, maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne et membre de l’Institut Universitaire de France, est l’auteure de la préface de Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (GF Flammarion, 2021).



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Coco perdu, Louis Guilloux (par Patryck Froissart)

Coco perdu, Louis Guilloux (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 08.04.25 dans La Une LivresLes LivresCritiquesFolio (Gallimard)Roman

Coco perdu, Louis Guilloux, Folio, janvier 2025, 128 pages, 8 €

Ecrivain(s): Louis Guilloux Edition: Folio (Gallimard)

Coco perdu, Louis Guilloux (par Patryck Froissart)

 

Louis Guilloux est connu, en France et ailleurs, à juste titre, principalement pour son roman Le Sang noir. Mais l’ensemble de sa volumineuse œuvre littéraire recèle, entre autres talentueux écrits, ce court et curieux roman, qui a été initialement publié chez Gallimard en 1978, soit deux ans avant la mort de l’écrivain, et que Gallimard vient de republier en format Poche.

Le personnage et le narrateur ne font qu’un : Coco, un vieil homme. L’action est minimale : Coco accompagne à la gare, un samedi, comme le ferait banalement un mari, sa femme Fafa qui, avant de prendre le train pour Paris, où elle est supposée effectuer un séjour dont la durée n’est pas prédéterminée, jette dans une boite postale une lettre dont elle a caché à son compagnon le destinataire. Toute la tension narrative repose sur cette lettre que Coco pense lui être destinée, et qu’il s’attend à recevoir le lundi des mains du facteur local, dont il n’apprécie guère les fanfaronnades.

Durant tout le temps qui le sépare du passage du préposé, Coco se traîne, désœuvré, tantôt dans l’espace réduit de la maison vide, tantôt dans les quartiers environnant le domicile conjugal. Dans le même temps, ses pensées vagabondent en une rêverie éveillée, décousue, associant bribes de souvenirs et réflexions immédiates amenées par les rencontres fortuites dans les lieux privés et publics visités ou provoquées par la simple vision ou par l’évocation soudaine d’un décor, d’un meuble, d’un objet.

Ces deux errances simultanées, parallèles, coïncidentes constituent la matière du roman. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Il ne se passe pas grand-chose, péripéties et coups de théâtre sont absents, mais la mise en scène des pérégrinations mentales et spatio-temporelles du personnage, bien que diffuse, bien que l’auteur semble s’être laissé aller sans plan, est paradoxalement empreinte d’une poignante théâtralité, tant dans les monologues intérieurs que dans les dialogues intimes auxquels il se livre avec soi-même.

« On s’est toujours bien entendus nous deux Fafa, on a eu nos petites engueulades c’est forcé en plus de vingt ans de mariage mais on était depuis longtemps faits l’un à l’autre. Je sais pas… Depuis quelque temps je voyais bien… Oh, arrête ! Laisse tomber ».

Le cours de cette double déambulation, intime, intimiste, eût pu vite se révéler ennuyeux pour le lecteur. Mais Guilloux a eu l’idée géniale et le remarquable talent, comme l’illustre l’extrait ci-dessus, d’exprimer le tout dans la langue du personnage, dans une oralité réaliste faisant fi des règles du bon usage lexical, syntaxique de la narration littéraire (à la façon d’un Louis Ferdinand Céline), de s’émanciper des normes académiques de registre de langue et de composition romanesque.

« Qu’est-ce qu’elle allait foutre à Paris ? Avec un mec. C’est le mec qui a fauché la valise. Tiens ! V’là le coup. Il lui a foutu une trempe et puis il a fauché la valise. Il lui a tapé sur la gueule, quoi ».

Le procédé est efficace. Il traduit implicitement mais parfaitement, s’inscrivant dans la volubilité, la crudité, voire la grossièreté du discours intérieur, dans les brusques sautes d’une pensée qui va du coq à l’âne, le dramatique désarroi de Coco, son regard en arrière sur la vanité et la viduité de son existence, sa peur de cette solitude qui pourrait advenir, l’angoisse qui sous-tend l’attente de la lettre de Fafa, l’incertitude quant au caractère, définitif ou temporaire, de la rupture, la nécessité, non-dite, mais évidente, de combler le vide installé par la séparation, de tuer un temps qui s’alentit, qui s’étire, qui s’éternise.

« Qu’est-ce que je veux, moi, hein ? Voulez-vous me le dire ? Voilà des années que je vais, que je viens, qu’est-ce que je cherche, qu’est-ce que j’attends, qu’est-ce qu’il faut faire ? mais faire ci ou ça, c’est toujours du pareil au même et ça compte pas, ça n’avance pas. On peut pas non plus ne rien faire. Alors ? Fafa me plaque ? Eh bien bon ! Qu’elle me plaque si ça lui chante. J’ai beau me dire tout ce qu’on voudra au fond ça m’est bien égal. A mon âge je vais pas me monter le cou. Oh, merde ! ».

On se laisse aisément embarquer dans la dérive de la rêverie. On prend part aux petites scènes banales, communes, triviales auxquelles assiste ou participe Coco, on a l’impression immédiate de connaître ou de reconnaître les endroits (de Saint-Brieuc ?) où l’amène sa déambulation, de humer le fumet, de sentir le goût, dans un restaurant qui paraît familier, d’un ris de veau autour de quoi se joue une scène prosaïque avec des serveuses ordinaires qu’on appelle par leur prénom…

« J’ai commencé à déplier ma serviette, Bernadette, qui avait disparu à la cuisine, est revenue en disant qu’il restait plus que du ris de veau. Je sais pas pourquoi ça a encore fait rigoler les deux autres filles. Le ris de veau, moi, je voulais bien. Je m’en foutais ».

On est dans le texte, dans l’action-inaction, dans la tête et dans tous les sens du personnage. C’est magique.

On a peut-être un peu trop vite oublié les multiples facettes de l’œuvre de ce grand écrivain.

 

A noter : cette édition est préfacée par Annie Ernaux.

 

Patryck Froissart

 

D’origine modeste, Louis Guilloux (1899-1980), né à Saint-Brieuc où il situe plusieurs intrigues de ses romans, est l’auteur d’une œuvre foisonnante dont : La Maison du peuple (1927), Le Sang noir (1935), Le Pain des rêves (1942). Il a été proche de Camus, Malraux et Paulhan avec lesquels il a entretenu une riche correspondance. Traduite en une quinzaine de langues, son œuvre a été couronnée par le Grand Prix National des Lettres en 1967.



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Cœur berbère, Habiba Benhayoune (par Patryck Froissart)

Cœur berbère, Habiba Benhayoune (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 27.03.25 dans La Une LivresLes LivresRecensionsMaghrebRoman

Cœur berbère, Habiba Benhayoune, Editions Ardemment, 2022, 210 pages, 19 €

Cœur berbère, Habiba Benhayoune (par Patryck Froissart)

 

Cette autobiographie empreinte d’une profonde sincérité constitue une lecture aussi prenante que celle d’un roman sous bonne tension narrative, tant la vie que raconte l’autrice se compose d’une succession de péripéties, de petits et de grands drames, et de dévoilements d’intimités familiales propres à susciter la compassion, la colère, l’empathie.

Aouïcha, la narratrice, plusieurs fois arrachée, plusieurs fois déracinée, plusieurs fois transplantée, inscrit son existence personnelle aux épisodes instables dans le destin collectif de tribus amazighes rifaines plus ou moins contraintes au nomadisme par les aléas de contextes historiques chaotiques dans une Afrique du Nord coloniale et post-coloniale.

Les parents ont quitté leur Rif natal sous protectorat pour rejoindre en exil en Algérie « française » d’autres membres, nombreux, de la communauté berbère du Maroc. Aouïcha naît donc à Mers-El-Kébir en pleine guerre d’indépendance puis grandit dans un coin isolé de la côte méditerranéenne algérienne où le père s’est installé en se donnant la profession de pêcheur.

Deux figures dominantes tout au long du récit :

La mère, illettrée, aimante, protectrice, sage, est soumise aux contraintes socio-culturelles des traditions coutumières et aux règles dogmatiques de la religion musulmane.

Le père a fait de l’océan, outre la source de la sobre manne qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille, son univers, son refuge, l’environnement qui l’aide à oublier momentanément le remords lancinant d’avoir échoué, jadis, à devenir citoyen d’une Espagne où il s’imagine toujours qu’il aurait eu une vie meilleure.

La narratrice nomme affectueusement « Baabaïnou » (mon papa) ce personnage à plusieurs visages avec lequel elle entretient une relation filiale complexe qui constitue l’un des nœuds dramatiques du récit. Il est pour elle l’aventurier téméraire qui met sa barque à l’eau, qui affronte l’immensité marine dans laquelle il disparaît durant de longues périodes au cours desquelles sa fille vit dans l’angoisse d’apprendre qu’il s’y est définitivement englouti, et qui reparaît en héros porteur triomphal des trophées de la pêche.

Aouïcha très tôt partage avec lui l’attraction exercée par l’océan, cet appel du large, cet attrait pour le risque, l’inconnu, le hasard que représente chaque sortie en mer de son père, qui l’emmène parfois dans l’aventure.

Mais le bon père de famille attentif à répondre généreusement aux besoins de chacun, mais le héros des mers se transforme épisodiquement en ce monstre qui, de retour de beuverie, bat sauvagement la mère, sans motif, devant les enfants. La narration des scènes de tabassage est crue, révoltante, insoutenable, exprimant sans ambages la violence interminablement répétitive des coups et, en terrible simultanéité, la totale résignation de la victime.

« Comment cet ingénieur du bonheur pouvait-il saccager ce qu’il avait construit d’un coup de vent ? Où puisait-il cette énergie destructrice ? ».

Pour Aouïcha, la haine alors se superpose alors pour un temps à l’amour.

Cependant la vie suit son cours. L’autrice dépeint de manière fort expressive les tableaux, et c’est là un autre atout de cette œuvre, d’une existence quotidienne simple, humble, généralement paisible, comportant même des épisodes bucoliques, invitant le lecteur à (re)découvrir les éléments socio-culturels caractéristiques de la grande civilisation berbéro-amazigh, jusqu’à la nouvelle rupture provoquée par l’expulsion brutale, immédiate, sans préavis, des Marocains, décrétée par les nouvelles autorités algériennes.

« J’observai le visage tatoué de Yemma. Ma mère portait ses tatouages indélébiles sur le front et sur le menton depuis son plus jeune âge. Cet ornement relevait de l’artisanat féminin, dont les origines sont antérieures à l’arrivée de l’islam ».

Après un bref retour dans le Rif, la famille obtient le visa pour la France où il faut se trouver de nouveaux repères, ce qui contraint la petite Aouïcha, qui découvre l’école, à se forger une nouvelle personnalité, dont un des traits essentiels sera la révolte féministe, devenue possible par la révélation de l’inadéquation de certaines règles coutumières dans ce nouveau contexte, de la jeune fille qui réussit peu à peu à convaincre sa propre mère de la nécessité et de la légitimité à se dresser contre les violences d’un régime conjugal machiste aux fondements religieux phallocratiques.

C’est le récit du long cours de cette métamorphose culturelle, d’une intégration qui ne renie certes pas les racines ethniques, de l’éveil d’une conscience politique dégagée de la gangue religieuse, du combat idéologique dans lequel s’engage Aouïcha qui constitue la seconde partie, la seconde thématique de ce texte aux multiples itinéraires narratifs.

 

Patryck Froissart

 

Habiba Benhayoune est née en Algérie, de parents marocains amazighes, natifs du Rif, au Nord du Maroc. Élevée par un père marin-pêcheur et une mère au foyer, Habiba parlera la langue maternelle, le tamazight, avant l’espagnol et le français. Après l’Indépendance de l’Algérie, elle part, dans un premier temps, avec sa famille au Maroc espagnol avant de regagner la France en 1969. Aujourd’hui, Habiba Benhayoune est ergonome et psychologue du travail.



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L’étreinte Amicale, Marie de Gournay et Michel de Montaigne, Claire Tencin (par Patryck Froissart)

L’étreinte Amicale, Marie de Gournay et Michel de Montaigne, Claire Tencin (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 13.03.25 dans La Une LivresLes LivresCritiquesBiographieEssais

L’étreinte Amicale, Marie de Gournay et Michel de Montaigne, Claire Tencin, Editions Infimes, janvier 2025, 200 pages, 15 €

Ecrivain(s): Claire Tencin

L’étreinte Amicale, Marie de Gournay et Michel de Montaigne, Claire Tencin (par Patryck Froissart)

Claire Tencin remet ici en lumière la vie de Marie de Gournay, une femme d’exception, une femme de lettres à l’œuvre quelque peu injustement occultée, autrice de Egalité des hommes et des femmes, un traité d’une grande audace publié au début du XVIIe siècle, à une époque où une femme déterminée à se consacrer aux études et à l’écriture littéraires était immanquablement la cible de gausseries, de mépris, d’ostracisation de la part des écrivains mâles, voire des dames de la haute s’intéressant un tant soit peu à la littérature…

Cette biographie détaillée, documentée, émaillée de références bibliographiques, de citations, d’extraits, met principalement en exergue le rôle de Marie de Gournay dans la rédaction définitive des Essais de Montaigne, et rapporte les efforts incessants, obstinés, voire acharnés qu’elle n’a eu de cesse, durant toute sa vie, de les faire connaître, de les corriger, de les annoter, de les classer, de les préfacer, de les faire apprécier, de les défendre envers et contre tout, de les faire éditer et rééditer par devant et pour les lettrés de son époque, du vivant de l’auteur et de manière posthume jusqu’à sa propre mort.

Pour Claire Tencin, il ne fait nul doute que la notoriété acquise par Montaigne à son époque doit tout ou presque à la lucidité de Marie quant à l’importance philosophico-littéraire des Essais et à son obstination à en faire partager la reconnaissance par ses contemporains.

Il convient de préciser que Marie de Gournay se présente partout et tout le temps comme étant « la fille par alliance de Monsieur Michel de Montaigne », ce qui n’est pas faux, et qu’elle s’en targue.

Claire Tencin part de ce lien civil pour reconstituer la relation intellectuelle, philosophique, littéraire entre ces deux personnages. Evidemment, bien que se fondant sur des recherches érudites, l’autrice n’aboutit qu’à une vision rétrospective très partielle, en pointillés, morcelée, des moments qu’ils ont partagés. Ce qui ressort de cette étude est l’interaction littéraire entre les deux célèbres protagonistes, l’influence réciproque de leurs échanges philosophiques sur leurs propres écrits. Relativement hypothétique est la nature des sentiments qu’ils ont éprouvés l’un pour l’autre, à quoi Marie fait références allusives dans son ouvrage intitulé Le promenoir de Monsieur de Montaigne, et à propos de quoi Montaigne lui-même s’exprime publiquement, de manière à peine équivoque, dans le Livre II :

« J’ai pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’espérance que j’ai de Marie de Gournay le Jars, ma fille par alliance et certes aimée de moi beaucoup plus que paternellement… ».

Qu’à cela ne tienne ! Claire de Tencin suppute, et ne s’interdit pas de mettre un liant imaginaire entre les divers détails biographiques attestés. Elle en revendique le droit et le fait avec bonheur. En effet l’insertion, plus ou moins forcée, de ces fragments fictionnels procure à sa reconstitution une importante « valeur ajoutée » pour le lecteur, faisant du texte un roman biographique prenant.

« Michel de Montaigne est installé [en 1588] au château de Gournay […] La fiction reprend ses droits dans cet intermède où le temps s’est arrêté. De son séjour de trois mois chez Marie, l’Histoire n’a rien retenu, elle a perdu la trace de l’écrivain diplomate entre son arrivée en juillet 1588 et son départ en novembre […] Donc je repars de l’origine, là où tout a commencé au château de Gournay en 1588 sans aucun matériel factuel sur la nature de leur lien, si ce n’est les rares paroles inscrites dans leurs écrits respectifs : l’éloge de Montaigne dans le livre II et la préface de 1995 de Marie… ».

Quoi qu’il en soit, le questionnement, dans une grande partie du texte, sur la nature affective (et la suggestion clairement évoquée qu’elle ait pu être amoureuse et plus) de cette relation donne à la lecture une tension bienvenue, sous-jacente dans ce titre bien trouvé, cette « étreinte amicale » en quoi on entrevoit a posteriori tous les possibles.

Bien que part importante du livre de Claire Tencin, la mise en scène de cette liaison partiellement romancée, propre à susciter la curiosité du lecteur, ne doit pas occulter ce qui constitue le dessein substantiel de l’autrice : la remarquable carrière littéraire de Marie de Gournay, qui certes a pris naissance, force et beauté dans l’ombre du mentor mais qui s’est poursuivie et pleinement épanouie après la mort de ce dernier.

On suit avec grand intérêt le cours fluctuant de la vie de Marie de Gournay, faite de réussites littéraires et de luttes éditoriales marquées par l’audacieuse expression d’un féminisme précurseur, en particulier dans l’ouvrage titré Egalité des hommes et des femmes, cité en introduction de cet article, et on partage avec empathie son existence de célibataire ponctuée de tracas économiques, et l’exégèse de son œuvre, souvent déprisée par ses confrères masculins, d’écrivaine, philosophe, éditrice, traductrice émérite, à contre-courant des normes de la traduction de l’époque, de textes latins classiques, et autrice, entre autres ouvrages importants, d’un Traité sur la Poésie injustement mal reçu par la critique :

« Elle condamne la “nouvelle poésie” de Malherbe au service d’une idéologie aseptisante de la langue et fait l’apologie de son cher Ronsard au risque d’être considérée comme retardataire », ce qui lui vaut « cohorte de quolibets injurieux ». La postérité lui donnera-t-elle raison ?

Ce livre est vraiment de la belle ouvrage.

Merci, madame Claire Tencin.

 

Patryck Froissart

 

Professeure de Lettres et de Français Langue Étrangère, Claire Tencin vit aujourd’hui à Paris après avoir vécu des années en Inde dans le cadre de son travail de recherche en littérature. Elle a écrit des recensions pour L’Atelier du roman et Art Press, et poursuit aujourd’hui sa lecture critique dans la revue Diacritik. Depuis 2021, elle collabore à la toute jeune maison d’édition ardemment où elle crée la Collection Les Ardentes, engagée dans la republication des autrices effacées de l’Histoire.



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Sade, l’insurrection permanente, Maurice Nadeau (par Patryck Froissart)

Sade, l’insurrection permanente, Maurice Nadeau (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 17.02.25 dans La Une LivresLes LivresCritiquesEssaisEditions Maurice Nadeau

Sade, l’insurrection permanente, suivi de Français, encore un effort si vous voulez être républicains, Maurice Nadeau, Ed. Maurice Nadeau, février 2025, 224 pages, 10,90 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Sade, l’insurrection permanente, Maurice Nadeau (par Patryck Froissart)

 

Sade

L’insurrection permanente

Cet important essai de Maurice Nadeau, primitivement publié aux Editions de La Jeune Parque en 1947, réédité sans modification – sauf pour ce qui est du titre reproduit ci-dessus – en 2002 par Maurice Nadeau lui-même dans le cadre de la société d’édition qu’il avait créée entre temps (Les Editions Maurice Nadeau-Les Lettres Nouvelles), est aujourd’hui republié (février 2025) en format Poche par les conservateurs et continuateurs de l’œuvre d’un des plus grands critiques littéraires du 20ème siècle, administrateurs de ladite maison qui poursuit un parcours éditorial dynamique sous le même label : « Les Editions Maurice Nadeau-Les Lettres Nouvelles ».

Maurice Nadeau avait dédié l’édition de 2002 à Annie Le Brun, qui nous a quittés en juillet dernier.

Nadeau expose clairement son dessein initial dès les premières lignes de sa préface : « Il me sembla, en publiant au grand jour des extraits choisis de La Philosophie dans le boudoir, de Juliette ou des 120 Journées, prendre fait et cause pour un écrivain – fût-il mort depuis deux siècles –, et contre la censure ».

Sade est donc « un écrivain », victime de la censure, en faveur de qui il était de nécessité, de devoir, et de droit de « prendre fait et cause ».

Une telle affirmation, bien qu’exprimée à une époque où l’œuvre de Sade a commencé, grâce à Maurice Heine, à Paulhan, à Klossowski et à Blanchot, entre autres, à émerger des oubliettes littéraires et de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale au fond de quoi elle était fermement maintenue par la censure catholico-bourgeoise, au moyen de la mise systématique à l’index, voire au pilon, des volumes dont des exemplaires continuaient bienheureusement à circuler sous le manteau, est en soi, encore aujourd’hui, une sacrée provocation.

Sade nie le dieu créateur omniscient, moraliste, qui pèse et juge nos pensées et nos actes, et lui oppose une nature qui n’est ni faite spécialement pour l’homme ni soucieuse de son existence. L’homme est une espèce lancée au hasard par la nature à qui son destin est indifférent ; une autre espèce lui succédera et ainsi de suite sans que cela change quoi que ce soit à l’ordre cosmique.

La cruauté, la destruction permanente et la (re)construction continue étant des traits essentiels de la nature, qui ne connaît ni le mal ni le bien, et dont Sade affirme éprouver « une sorte de plaisir à copier les noirceurs », l’homme, élément de cette nature au même titre que tout animal et tout végétal, ne commet aucun « crime » quand il participe au chaos universel en se livrant à des actes que la morale sociale, religieuse, politique considère comme aberrants mais qui sont de simples imitations, de banales répétitions de ce qui est de l’ordre « naturel ».

Tout au long d’un brillant, parfois d’un explosif discours argumenté s’appuyant à la fois sur l’analyse des textes les plus importants, sur la dialectique qui les soutient, et sur des éléments biographiques, Maurice Nadeau décortique le système sadien, ses fondements narratifs (« Tout le bonheur de l’homme est dans son imagination ») et nous explique que Sade :

– se complaît à être récurremment, quels que soient les régimes politiques qui se succèdent de son vivant, sujet/objet d’esclandre, animé par une propension irrépressible à la provocation, par une volonté évidente de perturber, de bousculer les normes, de « dérégler » ;

« Tous les moyens sont bons pour faire naître le scandale » ;

– que Sade, à l’opposé de ce que se sont acharnés à faire croire ses détracteurs, est « un être hypersensible » aux malheurs d’autrui, ce que prouvent assurément nombre d’éléments de sa biographie ;

« Quand il se laisse aller, il devient victime d’une pitié incompréhensible, pardonnant à ses ennemis les plus féroces… »

– que Sade est contre les sadiques (sic) que peuvent être les tyrans, les dictateurs, les potentats, grands et petits, qui usent d’une autorité institutionnelle, qui leur a été donnée ou qu’ils ont usurpée, pour arrêter, incarcérer, réduire au silence, soumettre, humilier, torturer, massacrer. Sade se fût élevé sans aucun doute contre les atrocités perpétrées par nos nations depuis le milieu du dix-neuvième siècle (crimes coloniaux, pogroms et Shoah entre autres horreurs) ;

« Sade, c’est le paradoxe »

« Sade, c’est Justine, mais c’est aussi Juliette »

– que Sade en vérité a campé, dans un monde nouveau « qui fait brèche dans le nôtre », la figure qui doit être celle de l’homme moderne, lequel ne peut être ni chrétien, ni fasciste, ni nazi mais REVOLUTIONNAIRE au sens le plus positif du terme.

Pour soutenir sa thèse, Nadeau l’accompagne, en deuxième partie de ce livre, d’un long et essentiel extrait du tome II de La Philosophie dans le boudoir intitulé Français, encore un effort si vous voulez être républicains, véritable manifeste politique hors normes dans lequel Sade-Dolmancé dévoile sa vision d’une société idéale où la religion (y compris le théisme cher à Robespierre) n’a pas place, dans laquelle, ceux et celles qui ont lu ce monument le savent, doivent s’établir des mœurs nouvelles, lesquelles constituent, telles qu’exposées, un bouleversement, un renversement, voire une totale inversion des règles en vigueur dans nos civilisations modernes. Il faut (re)lire La Philosophie dans le boudoir, pour en saisir la portée littérairement subversive.

« Français, je vous le répète, l’Europe attend de vous d’être à la fois délivrée du sceptre et de l’encensoir » (La Philosophie dans le boudoir).

Dans une troisième partie, Maurice Nadeau déroule une biographie extrêmement détaillée d’après la chronologie établie par Maurice Heine. Les épisodes peu ou pas ou mal connus de l’existence du marquis qui a jeté aux orties ses lettres de noblesse pour devenir de son plein gré le citoyen Sade pleinement engagé dans le déroulement de la Révolution, affirmant, au risque, encouru à plusieurs reprises, de finir guillotiné, qu’elle ne va pas assez loin dans la remise en question des règles politiques et morales « d’avant », constituent de flagrantes illustrations du personnage dont Nadeau reconstruit une image humaniste dépouillée des faux procès, des accusations débiles, des dénigrements injustifiés, des anathèmes dont les bien-pensants, ne prenant pour arguments au premier degré que l’aspect pornographique des textes, ont accablé Donatien de son vivant et depuis sa mort.

On comprend que ce n’est pas ce qu’ils qualifient de monstruosité qui leur faisait, qui leur fait toujours, peur, dans les écrits sadiens, mais cette « insurrection permanente » que Maurice Nadeau met en valeur en se référant à la fois à l’activisme antisocial et à l’œuvre littéraire perturbatrice du marquis.

« Sade, qu’on s’obstine à traiter de pessimiste et de contempteur du genre humain figure en fait l’optimisme total et l’ami vrai de l’humanité. Il a été le premier à répondre à la définition que donnera Marx de toute activité révolutionnaire : obliger l’homme à se comporter envers lui-même comme envers un être universel ».

L’ouvrage se termine par la reproduction d’un extrait du Testament rédigé par Sade le 30 janvier 1806. Ultime atteinte à son idéal de Liberté, même sa volonté d’être inhumé sans cérémonie, ni surtout sans nul signe religieux, dans un bois de sa propriété, sera profanée.

« Au mépris de ses dispositions testamentaires, Sade est inhumé religieusement dans le cimetière de Saint-Maurice. Il en coûte 65 livres, dont 20 pour la croix imposée à la sépulture anonyme ».

Merci à Maurice Nadeau pour avoir, avec d’autres, rendu à Sade honneur et statut d’immense écrivain.

 

Patryck Froissart

 

Maurice Nadeau, né à Paris en 1911 et mort dans la même ville en 2013, est un instituteur, écrivain, critique littéraire, directeur littéraire de collections, directeur de revues et éditeur français. Il est le père de l’actrice Claire Nadeau et du réalisateur et éditeur Gilles Nadeau.



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