21/12/2022

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 17.02.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésie

Jésus kill Juliette Eloïse, Editions Douro, juillet 2021, 80 pages, 15 €

Ecrivain(s): Jacques Cauda

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

 

Jacques Cauda est un créateur étonnant et détonnant, un poly-artiste foisonnant, intarissable, ubique et unique, écrivain, peintre, illustrateur, directeur de collection chez Douro, omniprésent sur les réseaux sociaux, jouant la provocation à tire-larigot, ce qui n’est assurément pas pour déplaire en cette époque où la bienséance et son corollaire la biendisance sont de plus en plus d’âcre rigueur avec pour conséquences immédiates les levées récurrentes d’étendards d’une morale archaïque, les accusations de blasphème et l’instauration insidieuse de l’autocensure.

Dans le présent ouvrage au titre énigmatique, le personnage narrateur raconte avec la verve truculente qui caractérise l’auteur son histoire avec Juliette, professeure d’anglais et d’autres moyens d’expression. Le prénom Juliette, rencontré récemment en relation intertextuelle explicite avec l’héroïne des Prospérités du Vice dans la recension pour La Cause Littéraire de Moby Dark, autre œuvre décalée de Cauda, semble être iconique chez notre auteur qui multiplie d’ailleurs malicieusement les références littéraires et philosophiques au Divin Marquis.

« J’ai rêvé que j’avais épousé une héroïne de roman, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la Juliette de Sade, la Juliette des Prospérités du Vice. Nous sommes en 1990 soit dix ans après mon mariage. J’écris ».

Voilà qui fait prétexte au déferlement d’une écriture baroque, entremêlant récit, commentaire, autofiction, autobiographie, compositions poétiques, billets collés dans la salle de bain en forme de dialogue avec Juliette, réflexions sur l’art d’écrire, sur l’art de peindre, sur la relation que l’auteur noue entre ces deux expressions artistiques et, élément qu’on peut considérer comme central dans ce livre, l’interview de Cauda lui-même par une journaliste qui n’intéresse pas l’artiste par ses seules questions.

« Peindrécrire a toujours été mon verbe.

[…]

Pourquoi la peinture a-t-elle cédé sa place, son espace, peu à peu à l’image, jusqu’à devenir abstraite (de toute figuration) et déclarée morte par beaucoup d’artistes ? me demanda-t-elle en croisant deux fois les jambes. Les cuisses ! La culotte… ».

Evidemment ! Cauda étant Cauda, le sexe, avec l’infinité de ses variations scéniques, la diversité de ses possibilités narratives, et la multiplicité de ses références textuelles (Cauda en appelle à Catherine Millet, à l’Histoire d’Ô et bien sûr à Sade), occupe dans ce « roman » la place qui semble lui être récurremment impartie dans l’œuvre de cet auteur allègrement hors norme.

Mais, hors du domaine de la fiction érotique, Cauda, situant son écriture dans une perspective pantextuelle, y invite une multitude de personnages du panthéon littéraire, historique et cinématographique, d’écrivains, de philosophes, d’acteurs, dont, en vrac et non exhaustivement : Colette, Deleuze, Swift, Mme de Maintenon, Mlle de Scudéry, Kierkegaard, Rimbaud, Michel Simon et Boudu, Lolita et Nabokov, Démocrite, Dom Juan et Molière, Barthes, Dante…

Quelle richesse !

Juliette est ici l’initiatrice, ou plutôt l’entraîneuse, qui, après les conjonctions charnelles en tout genre et en toutes positions qui marquent les commencements de leur liaison, introduit son partenaire dans ce qui est simplement nommé « le Réseau », dont la répétition des bambochades intéresse peu le personnage narrateur qui paraît pourtant naturellement fort friand d’expériences intersexuelles.

« Ces partouses m’avaient tout de suite ennuyé. A mon imagination enflammée à l’idée de s’enchevêtrer les uns les autres, la triste réalité des corps avait répondu par l’impossible. Aussi ne me reste-t-il aujourd’hui de ces moments que l’amer souvenir des gueules de bois du lendemain. Et, plus heureusement, les photographies des amies de Juliette que je prenais, l’ennui passé, une à une dans l’atelier, et qui finirent toutes en peinture ».

Photographie et peinture. C’est un des sujets « sérieux » qu’insère l’auteur, avec entre autres la description de la technique du pastel à l’huile, une présentation diététique du pâtisson, des escalopes de saumon à l’oseille, du cresson de fontaine et du Délice de Saint-Cyr, dans la trame d’une intrigue volontairement décousue, empreinte tantôt de sensuelle fantaisie tantôt de douloureuse amertume dont Juliette est l’héroïne.

« Une invention est venue à manger peu à peu le monde et sa représentation, jusqu’alors dévolue à la seule peinture : cette invention c’est la photographie. La peinture va alors disparaître dans l’indifférence générale ».

Face à quoi le peintre devra, selon Cauda, faire de la « surfiguration ». On lira avec intérêt le développement de cette thèse.

Quid de l’étrange titre de cette œuvre ?

Quelques clés, peut-être, ici et là :

– Jésus

Ma souffrance est telle que je me vois en Christ crucifié par l’alcool.

La mise en croix de ma vie d’écrivain rédimée par la figure de Jésus.

J’ai fait des études de théologie puis j’ai réalisé des films porno. La peinture a été une manière pour moi de poursuivre la théologie et le porno.

- Juliette : on en a parlé ci-dessus

– Eloïse : le lecteur découvrira pourquoi l’auteur fait référence explicite à la chanson de Barry Ryan

– kill : les interprétations sont ouvertes

Reste à illustrer par l’extrait suivant les ornementations poétiques du roman, en respectant la typographie, la disposition et l’invention lexicale voulues par le poète :

 

Il suffit d’un moment Elle cache

De la main & se découvre vivement Est-

Ce qu’ils veulent tout voir ? Ou juste un

Bout 1 morceau d’

Elle est aussi belle qu’étonnée

Vertigieuse a dit l’un deux un

Peu ivre

Ils sont autour d’Elle assis tous

En cercle

 

Patryck Froissart

 

Jacques Cauda, peintre, dessinateur, écrivain, cinéaste, a reçu le Prix spécial du jury Joseph Delteil en 2017 pour Ici, le temps va à pied (Editions Souffles).

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A propos de l'écrivain

Jacques Cauda

Jacques Cauda

 

Jacques Cauda, né à Saint-Mandé le 9 juillet 1955, est un peintre, écrivain, photographe, documentariste français.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 07.03.22 dans La Une LivresLes LivresCritiquesHistoirePays de l'EstRécitsFayard

Disputes au sommet, janvier 2022, trad. albanais, Tedi Papavrami, 216 pages, 19 €

Ecrivain(s): Ismail Kadaré Edition: Fayard

Disputes au sommet, Ismail Kadaré (par Patryck Froissart)

 

Le sous-titre Investigations définit précisément le contenu et le dessein de cet ouvrage de l’écrivain albanais pressenti à plusieurs reprises pour le Nobel de littérature, ce à quoi il est fait allusion de façon récurrente dans le fil de ce récit, cette potentialité, qui lui a valu quelques tracasseries de la part des autorités de son pays, ayant un rapport étroit avec « l’affaire ».

« L’affaire » en question, sujet passionnant, présenté comme unique préoccupation de cette œuvre singulière de Kadaré, n’est autre qu’un entretien téléphonique de trois minutes ayant eu lieu en juin 1934 entre Staline et Pasternak à propos de l’arrestation de Mandelstam.

L’auteur analyse l’une après l’autre pas moins de treize versions peu ou prou connues de cette conversation, chacune rapportée tantôt par des témoins directs ou présupposés, ou se prétendant tels, tantôt par des protagonistes évoluant dans la sphère politico-littéraire entourant Pasternak et Mandelstam.

« Des treize versions que je possédais, chacune tentait, solitaire et butée, de livrer la vérité ».

Selon ce qui ressort de la majorité de ces versions, Staline aurait appelé abruptement Pasternak pour lui demander ce qu’il pensait de l’arrestation de Mandelstam, par le canal d’une ligne téléphonique qui aurait été détruite immédiatement après que le dirigeant aurait sèchement raccroché au nez de l’écrivain, manifestant ainsi sa désapprobation de la réponse de ce dernier, lequel en aurait manifesté, selon certains témoins, un fort sentiment de panique, ce qui se comprendrait aisément dans le contexte du régime soviétique de l’affaire.

D’une version à l’autre, Pasternak soit aurait répondu qu’il connaissait trop peu Mandelstam pour pouvoir émettre un avis, soit aurait osé suggérer que son terrifiant interlocuteur devait savoir mieux que lui quoi penser de l’arrestation, soit aurait proposé au dictateur de parler d’autre chose, en l’occurrence de poésie ou de philosophie, soit aurait formellement rétorqué que Mandelstam n’était pas son ami, soit au contraire aurait demandé à Staline d’alléger la condamnation infligée au poète, et cetera.

Le lecteur se laisse vite volontiers engluer dans cette toile d’araignée où se débat l’enquêteur.

La nature exacte du bref échange historique qui a fait grand bruit en son temps restera quoi qu’il en soit une énigme. En l’occurrence, l’enquête a posteriori que mène ici Kadaré, bien que présentée comme le seul sujet du livre, permet parallèlement (et non subsidiairement) à l’auteur de plonger les protagonistes que sont Pasternak et Mandelstam et une kyrielle de romanciers et poètes de l’époque dans une atmosphère absolument kafkaïenne, dans la mesure où l’intention du tyran, du destinateur, n’est pas et ne sera jamais connue, ce qui donne lieu à un comportement « à l’aveugle » des individus concernés et de leurs proches*, saisis subitement, à des degrés divers, de crainte, de peur, de terreur, voire de panique. On se retrouve alors avec eux dans ce système de paranoïa individuelle et collective que met en place méticuleusement tout pouvoir totalitaire, que décrivent et dénoncent par ailleurs nombre de livres et de films.

« Nous ignorons le but de ce théâtre cruel, épié certainement par plusieurs juges (visibles ou cachés) ».

A l’origine de l’arrestation de Mandelstam, son poème violemment anti-Staline, dont une traduction est reproduite ci-dessous.

On appréciera les rappels historiques concernant la relation entre Gorki et le pouvoir tsariste, ou les circonstances de l’ascension de Lénine, les écrits de Marx, la narration des longs séjours de notre auteur en URSS, et les références littéraires (Dante, Shakespeare, Pouchkine, Homère, Robert Littell, des poètes albanais).

Un parallèle subtil et constant court en filigrane tout le long du texte entre l’ambiance politique dans laquelle évoluaient, tantôt glorifiés, tantôt humiliés ou éliminés par le régime soviétique et le contexte tout autant totalitaire dans lequel a vécu Kadaré en Albanie, dont il a été victime bien plus tard, pendant la période de « fraternité » soviéto-albanaise et après la brutale rupture idéologique entre les deux systèmes. Pour illustration, on suivra un entretien (à proprement parler un interrogatoire politique dangereux pour l’intéressé) entre l’auteur et un employé du « service éditorial » albanais chargé de dénicher dans le présent ouvrage, avant délivrance du permis de publication, tout ce qui pouvait être considéré comme hostile au pouvoir, en particulier ici les éléments narratifs se rapportant à… Pasternak !

 

Le poème de Mandelstam (Le Montagnard du Kremlin)

 

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,

Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,

Et là où s’engage un début d’entretien, –

Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

 

Ses gros doigts sont gras comme des vers,

Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,

Et tout le haut de ses bottes luit.

 

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,

Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,

Il n’y a que lui qui désigne et punit.

 

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge –

À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.

Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète ».

(Traduction d’Élisabeth Mouradian et Serge Venturini)

 

Patryck Froissart

 

NB : On ne peut que déplorer la fréquence, dans la traduction d’un ouvrage de cette portée, de fautes d’orthographe, ainsi que la présence de quelques cruels manquements à la grammaire textuelle.

 

* Parmi les personnalités, témoins et acteurs de l’affaire Mandelstam et du coup de fil de Staline, et de leurs suites immédiates, outre le tandem Pasternak-Mandelstam, Zinaïda Nikolaïevna (l’épouse de Pasternak), Irina Emelianova (sa belle-fille, écrivaine), Anna Akhmatova, Nadejda Mandelstam (l’épouse du poète), Galina von Meck (nièce de Tchaïkovski, écrivaine et présumée maîtresse dudit poète), l’actrice Zinaïda Zaitseva-Antonova (autre probable maîtresse du même), Nicolaï Vilmont, ami de Pasternak, présent lors de l’appel.

 

 

Ismail Kadare (souvent orthographié Kadaré en français) est un écrivain albanais, né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, dans le Sud de l’Albanie. Il étudie les lettres à l’Université de Tirana puis à l’Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture de l’Albanie avec l’Union soviétique l’oblige à revenir dans son pays où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps. En 1963, la parution de son premier roman Le Général de l’armée morte lui apporte la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger grâce à la traduction française de Jusuf Vrioni. Dès lors, son œuvre est vendue dans le monde entier et traduite dans plus de trente langues. Il reçoit le Prix international Man Booker en 2005 et le Prix Prince des Asturies de littérature en 2009. En 1972, nommé député albanais sans même l’avoir demandé, il est contraint d’adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n’en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d’écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature. Son œuvre est publiée et accueillie très favorablement à l’étranger. Kadare finit par être qualifié d’« ennemi » lors du Plénum des écrivains en 1982 mais aucune sanction n’est prise à son encontre. Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, conçus comme une critique détournée du régime, il est finalement contraint d’éditer ses romans à l’étranger. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l’asile politique en octobre 1990. Aujourd’hui, il partage sa vie entre la France et l’Albanie.

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Ismail Kadaré

Ismail Kadaré

 

Ismail Kadare (souvent orthographié Kadaré en français) est un écrivain albanais, né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, dans le Sud de l’Albanie. Il étudie les lettres à l’Université de Tirana puis à l’Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture de l’Albanie avec l’Union soviétique l’oblige à revenir dans son pays où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps. En 1963, la parution de son premier roman Le Général de l’armée morte lui apporte la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger grâce à la traduction française de Jusuf Vrioni. Dès lors, son œuvre est vendue dans le monde entier et traduite dans plus de trente langues. Il reçoit le Prix international Man Booker en 2005 et le Prix Prince des Asturies de littérature en 2009. En 1972, nommé député albanais sans même l’avoir demandé, il est contraint d’adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n’en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d’écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature. Son œuvre est publiée et accueillie très favorablement à l’étranger. Kadare finit par être qualifié d’« ennemi » lors du Plénum des écrivains en 1982 mais aucune sanction n’est prise à son encontre. Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, conçus comme une critique détournée du régime, il est finalement contraint d’éditer ses romans à l’étranger. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l’asile politique en octobre 1990. Aujourd’hui, il partage sa vie entre la France et l’Albanie.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 31.03.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsFolio (Gallimard)Roman

Paula ou personne, Patrick Lapeyre, janvier 2022, 411 pages, 22 €

Edition: Folio (Gallimard)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

 

Paula ou personne est une histoire d’amour.

A priori, ce thème n’a rien d’original.

Jean Cosmo et Paula se rencontrent parmi les nombreux invités d’un mariage. Jean prend d’abord Paula pour sa sœur Alicia, un « amour d’enfance » datant d’une époque où les deux familles étaient voisines.

Jean est postier, préposé au tri de nuit, depuis qu’il a abandonné ses études de lettres. Paula est l’épouse d’un riche Allemand, souvent absent de Paris pour des raisons professionnelles. Jean est athée, anarchiste, chevelu. Paula est croyante, catholique, elle enseigne l’allemand dans une institution privée et donne par ailleurs des cours de catéchèse pour meubler sa solitude et l’ennui qui pèse sur une vie conjugale uniforme et un environnement social sans relief.

Les deux personnages sympathisent, se revoient de temps en temps, puis plus régulièrement, ici et là dans Paris. Promenades en les rues, dans les parcs, rendez-vous dans tel café, dans tel salon de thé, dans tel restaurant. Le rythme est paisible. L’intrigue se noue, lentement, camarade, amicale, faite de conversations de plus en plus confiantes, d’échanges de plus en plus intimes, de tentatives de reconstitution des souvenirs d’enfance, du vécu commun des années collège et lycée, sur le parcours respectif des protagonistes depuis qu’ils se sont perdus de vue, sur les goûts et les couleurs de chacun dans la vie quotidienne actuelle.

L’auteur retient le cours du temps, maîtrise la transformation progressive de l’amitié en affection, puis en une liaison amoureuse qui reste platonique jusqu’au jour où, l’attraction physique croissant, Jean manifestant, timidement mais récurremment, son envie d’une fusion plus charnelle, Paula lui révèle qu’elle possède près de son lieu de travail un studio qu’elle occupe périodiquement lorsque son époux est en déplacement.

Ils deviennent amants, se voient de plus en plus souvent, en ce nid caché et, bientôt, lors de courts séjours en province en divers endroits, à l’insu de tous.

La majeure partie du texte est faite, entre les scènes d’amour charnel écrites avec une relative retenue, de dialogues dans lesquels s’insèrent des échanges philosophico-politiques centrés de plus en plus souvent, à mesure que la liaison évolue, singulièrement sur la pensée d’Heidegger, sur sa posture (ou son imposture) historique, sur la mesure de son implication face à la montée puis à l’installation institutionnelle du nazisme.

Parallèlement, s’intercalent des épisodes de la vie professionnelle du postier. L’auteur anime de manière réaliste des réunions syndicales agitées au cours desquelles s’expriment les contradictions militantes, les relations hiérarchiques, les compromissions entre direction et certains syndicalistes, l’ensemble étant vu et vécu avec une distanciation affirmée par Jean qui, tout en ayant mais en taisant son opinion,  le considère comme une sorte de comédie dénuée de sens, comme sont pour lui sans grande importance les convocations dans le bureau d’une directrice autoritariste qui n’apprécie guère sa désinvolture, comme sont aussi pour lui sans grand intérêt les rares moments de convivialité qu’il accepte de partager hors de son lieu de travail avec quelques collègues dont on découvre le mal de vivre spécifique, comme lui sont encore indifférentes les lestes avances d’une collègue de travail mythomane, voire nymphomane.

Ces situations étoffent le caractère de Cosmo, qui apparaît de plus en plus comme un personnage désabusé, ne croyant à rien, ne désirant rien, ne s’engageant en rien sauf, et c’est ce qui crée la tension romanesque, en cette relation unique avec Paula, Paula ou personne, relation dont il pressent toutefois très tôt le devenir.

Quant à Paula, son portrait se précise également tout au long des conversations du couple à propos d’Heidegger, à propos du manque d’ambition qu’elle reproche, quelque peu maternellement, à son amant, à propos de ce qu’elle lui dévoile de sa vie maritale, et à propos du dilemme qui la travaille de plus en plus crucialement, reposant sur la contradiction entre d’un côté sa morale catholique, la bienséance civile fondée sur son statut de femme mariée, la fidélité et la loyauté qu’elle estime devoir à un mari qui l’aime et qui lui offre le confort matériel dont elle a besoin, et de l’autre côté l’amour qu’elle éprouve sincèrement pour Jean et les séances récurrentes de galipettes sexuelles lors de leurs cinq-à-sept parisiens puis d’escapades de quelques jours en des lieux de plus en plus éloignés qu’elle choisit elle-même et dont elle assure la programmation.

Deux personnages somme toute attachants, aux portraits intimes bien brossés par un narrateur omniscient, une atmosphère qui évolue lentement de l’amitié à l’amour puis à la passion dévorante puis, la liaison ayant atteint son pic amoureux, qui se fait douce-amère et se dégrade avec un retour progressif à une sorte de lucidité face à ce qui est vu comme étant la réalité, et, que le lecteur le déplore ou s’en satisfasse, à la norme et aux convenances que véhicule foncièrement Paula.

Ce qui amènera assurément le lecteur à une mise en parallèle avec des romans qui lui sont familiers, en particulier des œuvres du XIXe siècle, bien que les contextes narratifs socio-culturels soient différents et que les gestes d’amour soient ici bien plus explicites.

 

Patryck Froissart

 

Patrick Lapeyre, né en juin 1949 à Paris, est auteur de huit romans, tous publiés aux Éditions POL. L’Homme-sœur a obtenu le Prix du Livre Inter, en 2004. La vie est brève et le désir sans fin a obtenu le prix Femina en 2010.

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 04.04.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsPoésieEditions du Cygne

Fulgurances, Poésie minimaliste, février 2020, 50 pages, 10 €

Ecrivain(s): Marcel Peltier Edition: Editions du Cygne

Fulgurances, Poésie minimaliste, Marcel Peltier (par Patryck Froissart)

Dans la collection Poésie francophone/Wallonie, ce recueil de Marcel Peltier est une illustration intéressante de ce qui semble être son art singulier : le poème minimaliste. Dans leur quasi-totalité, les textes brefs présentés ici se réduisent à deux vers. Certains même ne sont constitués que d’une courte ligne. Le titre en définit précisément l’impact attendu : chaque composition apparaît en effet, tant visuellement que sonorement, comme un éclair, une étincelle, une détonation, un immédiat crépitement, une vision éphémère.

« les sentiers

marchent comme des flambeaux »

Paradoxalement, il convient qu’à chaque jet, aussi prompt qu’il soit de prime lecture, le lecteur s’arrête, ou revienne ultérieurement, et goûte l’escarboucle, qu’il en fasse rouler dans sa tête, ou oralement, dans sa gorge et sur sa langue, à la fois l’éclat et la sonorité, et qu’il en soupèse, devine, invente, s’approprie les sens, qu’il en distingue et dégage l’essence, dans ses multiples fragrances.

« lanternes

nuits des mystères »

Chaque mini poème ainsi comprimé à la plus simple expression est potentiellement déclencheur des plus amples impressions.

« tremblements

son corps étendu offert »

Au lecteur de se mettre en état de maximale suggestibilité pour saisir, appréhender, ou extrapoler tout ce qui est instantanément suggéré.

« engrenages

machines féroces en tête »

Thématiquement, les évocations portent principalement sur les éléments naturels, minéraux, végétaux, animaux, aux moindres frémissements, à la plus minime apparition/révélation de quoi on comprend que le poète, tous les sens perpétuellement en éveil, est sensible à fleur de peau, de vue, d’ouïe, voire de toucher et de goût.

« paysage

l’arthrose blanche du matin »

De temps en temps cependant le poète s’extrait du domaine de la sensation, du tangible, du visuel, de l’auditif, du matériel, pour pénétrer dans celui, intérieur, intimiste, du sentiment, de la pensée. On touche alors au souvenir, à la nostalgie de l’enfance, au temps qui passe, à l’absence, aux questions existentielles…

« longue attente

le couloir sans fin »

Fulgurances s’inscrit dans une œuvre vaste et riche consacrée à une recherche expérimentale passionnée, chez Peltier comme chez tout poète digne de ce titre, des pouvoirs du langage, de l’impressivité de l’écriture, œuvre fortement marquée, ce qui se ressent d’évidence dans le présent recueil, par une pratique assidue du haïku. Quand on sait qu’il est par ailleurs considéré comme un éminent chercheur en « méthodologie des mathématiques », on comprend d’où lui vient ce souci permanent de la précision, de la concision, presque du théorème poétique.

« prairie

les cow-boys absents »

 

A découvrir.

 

Patryck Froissart

 

Marcel Peltier habite le Pays Vert en Wallonie Picarde. Ses travaux de recherche en méthodologie des mathématiques ont été récompensés par le Prix de pédagogie de l’Académie royale des Sciences, des Arts et des Lettres de Belgique, classe des Lettres, en 1992. Il est également l’auteur de plusieurs recueils de poésie sans oublier une participation à D’un ciel à l’autre, une anthologie de haïku de l’Union Européenne éditée par l’Association Française de Haïku. Il a obtenu le Prix de la Communauté Wallonie/Bruxelles au Concours de poésie Pyramide.

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A propos de l'écrivain

Marcel Peltier

Marcel Peltier

 

Marcel Peltier est né et vit dans le Pays Vert, en Belgique, près de la forêt de Beloeil. On peut dire qu'il a mal tourné, puisqu'il aimait la poésie, la musique, la peinture, et qu'il est devenu professeur de mathématiques.

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Point de fuite, Hee-Jai Kim (par Patryck Froissart)

Point de fuite, Hee-Jai Kim (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 19.11.21 dans La Une LivresLes LivresAsieRecensionsPolars

Point de fuite, Hee-Jai Kim, Editions du Matin Calme, août 2021, trad. coréen, Lee Hyeonhee, Isabelle Ribadeau Dumas, 215 pages, 18,90 €

Point de fuite, Hee-Jai Kim (par Patryck Froissart)

 

Le projet des Editions du Matin Calme est fort original et a priori digne d’intérêt :

« Ce que nous vous proposerons, à partir de janvier 2020, c’est de plonger avec nous dans l’univers si particulier, sanglant, social, paradoxal, hallucinant, dantesque et drôle, du Polar Coréen, avec une petite dizaine de pépites par an, auteurs et autrices issus de la nouvelle génération littéraire coréenne ».

Point de fuite s’inscrit dans ce jeune catalogue alléchant de publications de polars coréens.

Le roman démarre sur l’entrée en scène de la procureure Ju-hee, dont la narratrice brosse à grands traits le portrait, l’itinéraire, la situation, le statut social et familial, et sur la découverte, dans la demeure du peintre renommé Seo In-ha, du cadavre dénudé de Choi Sun-Woo, « la personne la plus célèbre de Corée après le président et le comédien Yoo Jae-Suk », décédée selon les premières constatations de strangulation au cours d’un violent rapport sexuel.

L’intrigue se concentre progressivement sur la relation qui se noue entre Ju-hee, chargée de l’enquête, et l’artiste, suspect puis vite présumé coupable. Au centre de la confrontation ambiguë qui oppose ces deux personnages, fluctue la personnalité aux multiples, troubles et occultes facettes de la victime. Publiquement riche, belle, mariée, figure médiatique de la haute société locale, Choi Sun-Woo apparaît en effet, dans le cours des investigations d’une part, dans la succession des interrogatoires mettant en scène le peintre d’autre part, comme une personne menant des vies parallèles sur fond de tendances sadomasochistes. A l’injonction expresse du père de la jeune femme, notable influent qui tient à ce que rien n’entache la réputation de la famille, ces fâcheux traits de conduite de Choi Sun-Woo ne doivent surtout pas fuiter. La famille use en conséquence de son statut pour que le peintre soit promptement condamné à mort et exécuté.

L’affaire éclatant dans l’actualité crue d’incendies criminels dont on recherche activement, en parallèle, le pyromane psychopathe qui les déclenche tout en provoquant publiquement la police, il serait politiquement stratégique pour le pouvoir de les mettre sur le dos de Seo In-ha afin de le condamner à mort illico pour ces actes qui révoltent la population. C’est ce qui est officieusement « conseillé » à la procureure, sachant que l’exécution du peintre aux motifs de viol et de meurtre, peine qui n’est guère usuelle lorsque les victimes appartiennent au vulgum pecus, serait vue par l’opinion publique comme le verdict contestable d’une justice de classe appliquée spécialement à l’assassin d’une personnalité évoluant dans les hautes sphères.

« Seo In-ha doit être condamné à mort et cela ne doit susciter aucune réaction politique […]. Pour arriver à cette fin, il fallait absolument lier cette affaire aux incendies criminels ».

La tension narrative, s’inscrivant dans un contexte sud-coréen réaliste qui constitue en soi un intéressant dépaysement, est fort habilement entretenue tantôt par les pressions exercées verticalement sur la procureure, tantôt par la progression linéaire de l’enquête, marquée, comme il se doit pour un bon polar, par les découvertes théâtrales, qui la jalonnent régulièrement, d’indices mettant de plus en plus directement en cause le peintre, de fausses pistes, et, de façon de plus en plus récurrente, de douloureuses crises de doute pour l’enquêtrice, et conséquemment pour le lecteur qui, à mesure que s’accumulent les charges incriminant Seo In-ha, lequel d’ailleurs ne nie pas plus qu’il n’avoue, ont l’impression d’être manipulés, depuis le fond de sa cellule, par ce singulier suspect.

Toute l’intrigue court ainsi le long d’un fil de plus en plus tendu par les questions qui se posent quant au véritable rôle que joue l’artiste dans sa propre inculpation et par le malaise qui s’installe graduellement en Ju-hee au fur et à mesure de ses face-à-face avec Seo In-ha :

– que cache, ou ne cache pas, ce coupable parfait que désigne de manière exclusive l’accumulation systématique, quasiment idéale, se succédant à point nommé, suivant une logique implacable, des preuves matérielles qui surgissent sur les diverses pistes que suit la procureure et qui, l’une après l’autre, renforcent impérativement l’hypothèse primordiale de sa culpabilité ?

Voilà un  polar qui fonctionne, à contre-courant du roman policier commun puisque le lecteur, avançant de conserve avec l’enquêtrice, partage avec elle dès les premières pages de la narration l’intime conviction initiale de l’implication du peintre dans ce qui semble être un sordide assassinat doublé d’un acte sexuellement pervers et, par la suite, les doutes qui jaillissent de l’étrange comportement dudit criminel qui accueille sans sourciller, presque, croirait-on, avec amusement, l’enchaînement des présomptions le condamnant.

Se laisser prendre…

 

Patryck Froissart

 

Kim Hee-Jai est née en 1969 en Corée, où elle réside. Romancière, elle est également scénariste pour la télévision et le cinéma.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas (par Patryck Froissart)

La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 26.11.21 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRomanEditions Maurice Nadeau

La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas, octobre 2021, 242 pages, 19 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas (par Patryck Froissart)

 

Un tout jeune homme, Henri Montfort, brillant étudiant, fils « de bonne famille » au visage d’ange, est retrouvé mort, allongé dans un décor bucolique rappelant celui du Dormeur du Val, avec, détail intrigant, de la cendre d’origine mystérieuse dans la bouche et dans la main droite. L’autopsie révèle que le décès est dû à l’ingestion d’un mélange de curare et de matières hautement toxiques très rares. Suicide ? Crime ? Mise en scène macabre d’un rituel sectaire ?

Le roman commence, juste avant la découverte du corps, par le récit du cauchemar qui agite en son sommeil un des personnages principaux, Juliette, détentrice aléatoire de pouvoirs divinatoires intermittents. Réveillée par le malaise qu’a provoqué en elle son rêve inachevé, Juliette « sait » que son cauchemar contient « une annonce, un péril imminent ». Mais lequel ? Il se trouve que Juliette est l’amie fidèle du commissaire Louis Gardeur, à qui est confiée la mission d’enquêter sur l’affaire.

Les deux amis résidant loin l’un de l’autre, une collaboration, à distance dans un premier temps, se met en œuvre, transformant certaines parties de la narration en roman épistolaire. Ailleurs nous sont donnés à lire des extraits du journal de ladite Juliette où elle consigne dans le temps de l’intrigue ses réflexions et ses intuitions sur les détails que lui révèle le commissaire. La découverte du journal de la victime, la lecture de celui de sa mère, et alternativement, de celui de Raphaël, le condisciple et ami intime du défunt, contribuent à tisser une toile énigmatique. L’alternance bien pensée des procédés narratifs et des voix, et la variation régulière de la distance de focalisation, loin de casser le rythme, le soutiennent efficacement.

Journal de Raphaël – 6 mai

J’ai raté une après-midi de cours. Aucune importance. Au bahut, même présent, je suis absent. Absent partout. J’en viens à me foutre de tout. La mort d’Henri me hante…

Comme dans tous les bons polars, leurs recherches entraînent les enquêteurs, parfois chacun de son côté, parfois de conserve, sur diverses pistes, dont le lecteur est amené, bon gré mal gré, à essayer de deviner si celle-ci ou celle-là sera la voie d’investigation qu’il faudra continuer à suivre vers une vérité qui semble s’éloigner à mesure qu’on croit s’en approcher.

C’est bien en la nature spécifique des milieux que traversent ces pistes que résident essentiellement l’originalité et l’intérêt culturel du roman. En effet, les itinéraires empruntés passent tantôt par les milieux universitaires dont fait partie Germont, l’un des premiers suspects potentiels, un brillant professeur de philosophie dont la victime était l’un des disciples parmi les plus passionnés, tantôt par l’évocation de la société cathare et la survivance ou la renaissance de ses règles morales/religieuses lorsque Gardeur découvre que le défunt Henri Montfort (dont le nom est évidemment lié à celui de Simon de Montfort, responsable implacable de la répression sanguinaire du mouvement hérétique) a assisté à certaines conférences semi-confidentielles au cours desquelles certains aspects du catharisme auraient été abordés.

Ainsi sont rapportés, au fil des rencontres que Gardeur est amené à faire, sans que la tension narrative en souffre, plus que des interrogatoires classiques, des entretiens courtois entre le commissaire et le professeur qui sont l’occasion pour les auteures de rappeler à leurs lecteurs l’essence de quelques grandes thèses et théories philosophiques (le courant nihiliste en particulier). Avec un ami ex-inspecteur à qui Gardeur a demandé d’analyser certaines citations du journal d’Henri, on fait une intrusion dans l’univers poétique de Lautréamont, dans la pensée hermétique des alchimistes, dans Les Demeures philosophales de Fulcanelli… et cetera.

Ainsi sont exposés, pesés, soupesés, supposés lors de rendez-vous que consent à accorder à Gardeur une certaine Sarah Wilson, spécialiste franco-américaine de l’histoire cathare, les liens occultes qui pourraient avoir été noués entre des néo-adeptes de la secte des Albigeois et des membres de cercles clandestins fréquentés par le jeune Montfort.

Peu à peu les nœuds se font et se serrent, les fils s’emmêlent, les pistes se brouillent, jusqu’au dénouement théâtral, magistralement amené, qui dévoile de manière forcément inattendue la relation jusque-là inédite qui existe, à leur insu, entre tous les protagonistes cités ci-dessus, et dont les éléments, enfouis pour certains dans un chapitre refoulé de leur passé lointain qui brusquement ressurgit, constituent la clé de l’énigme.

C’est fort bien construit, et l’ensemble instruit sans nuire au suspense.

 

Patryck Froissart

 

Isabelle Caplet et Simone Soulas sont artistes-peintres. La Racine ombreuse du mal est leur premier roman, dont le titre est emprunté au grand médiéviste René Nelli. Chacune d’elles a contribué par des textes à l’album de photographie de Jean Labitrie, Vibrations du réel.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine (par Patryck Froissart)

Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart le 09.12.21 dans La Une CEDLes ChroniquesLes Livres

Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine, Coll. Xylophage, 2020, 174 pages, 22 €

Moby Dark, Jacques Cauda, Editions de l’Âne qui butine (par Patryck Froissart)

Les Editions de L’Âne qui butine !

Voilà un label qui a de quoi intriguer. Notre magazine se devant d’explorer tout ce qui peut relever du domaine des Lettres, se pencher sur l’anatomie de cet étrange animal littéraire et artistique franco-belge devenait, dès l’heureuse découverte de son existence, une nécessité et un devoir.

L’Âne qui butine est l’œuvre éditoriale bicéphale d’Anne Letoré, écriveuse d’histoires et maquettiste, et de Christoph Bruneel, relieur et restaurateur de livres, auteur et plasticien, qui en font eux-mêmes cette alléchante présentation :

« Créé en 1999, au croisement de la Picardie française et de la Flandre belge, L’Âne qui butine publie à compte d’éditeur. L’Âne qui butine papillonne d’une écriture minutieusement stricte à un débordement verbal, d’une histoire de Q à un récit de dame-π π, en passant par un conte boréal… d’une logorrhée amoureuse à une parole boueuse, du lexique à mi-mots à l’enfance à pleins maux, de l’humour de cour à la friction d’amour. Depuis 1999, de notre fret tout cru de grenouille de grenadier qui tire sur tout, L’Âne qui butine se meut sur l’autel du fantasque et du bigorneau réunis ».

Inscrit au catalogue d’une des collections de l’éditeur, intitulée Xylophage, Moby Dark est physiquement un beau livre édité précisément à 317 exemplaires numérotés. La couverture est en carton argenté incrusté d’un dessin créé par l’auteur lui-même, Jacques Cauda (pseudonyme signifiant ou patronyme prédestinant ?) qui en a inséré en ce volume une demi-douzaine d’autres, soit en noir et blanc, soit en couleurs, en illustrations des scènes les plus saillantes, ou les plus saignantes, parmi celles qui composent le roman et qui se succèdent à un rythme effréné.

Le rythme narratif n’est pas le seul élément à ne souffrir aucun frein. L’imagination de l’auteur ne s’est pas imposée de limite. Pas d’autocensure ici. Foutu disciple du divin marquis pour ce qui est de la variété des assemblages sadomasochistes, l’élève égale, dépasse presque le maître dans la crudité et la cruauté des bambochades et dans la mise en branle du dérèglement de tous les sens. On notera que deux des partenaires les plus dynamiques se nomment… Justine et Juliette.

Flagrante incontinence de stupre, dont il convient de ne surtout pas mettre les crues récurrentes sous des yeux innocents, débordements orgiaques qui s’inscrivent dans le prétexte d’une intrigue policière, d’un polar burlesque se déroulant dans un décor que l’auteur a choisi de planter au Japon, pays de sumos dont le principal représentant est portraituré et peinturluré en sombre baleine sanguinaire (d’où le titre), pays de geishas dont celles qui entrent ici en scène sont les pensionnaires très zélées d’un infernal bordel tenu de main de maîtresse par une pittoresque et démoniaque maquerelle, pays où le viol sanglant et mortel d’une de ces dames, « jolie […] gauloise déguisée en geisha », par un avatar de Moby Dark provoque le débarquement tonitruant d’un enquêteur français ityphallique, une caricature de Bond priapique qui mène des investigations débridées en payant sans lésiner de sa personne pour aller au plus profond de l’intimité des protagonistes féminins et masculins liés de (très) près ou d’un peu plus loin au meurtre initial qui aurait été commandité par une mystérieuse Organisation préparant un complot mondial sous la forme de l’invention d’un virus « qui attaque les centres nerveux et qui transforme rapidement l’individu en monstre sexuel que rien ne contraint plus. […] Il suffit de contaminer toutes les sources […] pour déclencher une orgie générale, une bacchanale universelle ».

On suivra avec intérêt la stratégie que met en mouvement – et les armes licencieuses qu’il brandit pour la mener à bien ou à mal – l’inspecteur lancé à la poursuite de Moby Dark, l’insaisissable monstre derrière quoi se cachent les instigateurs de cet original complot criminel d’activer une furieuse copulation planétaire devant aboutir à la mort de l’humanité. C’est ce qu’on appelle « combattre le feu par le feu », ou le vice par le vice.

L’accumulation des parties orgiastiques et de leurs excès extrêmes eût pu se révéler choquante, eût pu lasser, eût pu être ressentie comme le pur et malsain dessein de faire œuvre de pornographie, mais l’évidente tonalité ambiante de pantalonnade permet d’éviter ces écueils. La muse a l’inspiration bouffonne, l’auteur s’amuse, provoque à plaisir, et l’énormité générale du récit devrait égayer le lecteur qui sait discerner le comique sous le grossier de surface. Provocation réussie !

Surprenant contraste : au beau milieu des crises aiguës de luxure chronique, l’auteur insère explication sur telle technique de plan cinématographique, références filmographiques (Mars Attack) et musicographiques (Julie London chantant Cry me a river), commentaires sur l’art de la photographie, pensée de Thérèse d’Avila (sic), analyse d’une phrase de Bataille, de Wilhelm Reich, allusions à Proust, à Joyce, à Swift, à Saint-Augustin, aux existences multiples et occultes du Comte de Saint-Germain, aux crimes des pionniers lancés à la conquête de l’ouest américain et aux actes de vengeance des Apaches à Geronimo, à Ben Laden, à la bombe atomique lâchée sur le Japon… i tutti quanti.

Le tournis n’est pas impossible.

L’histoire s’achève avec une reconstitution inversée, dans un délire poétiquement orgiaque, de la Genèse, dont les dernières pages sont étonnamment écrites en un mélange de français et de picard-wallon…

« O n’a jamouais bien seu. Moby Dark, achteure, il est comme la mort monte. Moby Dark i cirtchule où i veut, i navigue tout partout comme chès biètes éd mér au-dessus éd nos tétes, il est dins ch’monne entieu, ichi et leu, Moby Dark… ».

NB : L’auteur se décrit ainsi à la 3e personne :

Peintrécrivain, cinéaste jadis.

Artiste polymorphe, il écrit le corps comme le cyclo-stome élégant écrirait s’il écrivait. Autrement dit, il s’enroule autour des mots en tenant la vie par les lèvres. C’est d’ailleurs par les grandes lèvres qu’il regarde l’écriture. En voyant !

Tout un programme…

 

Patryck Froissart

 

Jacques Cauda, peintre, dessinateur, écrivain, cinéaste, a reçu le prix spécial du jury Joseph Delteil en 2017 pour Ici, le temps va à pied (Editions Souffles).

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)

Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 16.12.21 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRomanL'Harmattan

Si tu vas à Marrakech, mai 2021, 105 pages, 13 €

Ecrivain(s): Mustapha Nadi Edition: L'Harmattan

Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)

 

« Si tu vas à Marrakech, n’oublie pas l’envers du décor ! », prévient l’auteur.

Mustapha Nadi, né dans la cité impériale du sud marocain, vivant en Lorraine, dévoile la vision qu’il a de sa ville natale, dont il découvre et redécouvre, à chacun des séjours qu’il y effectue, les faces cachées, occultées derrière l’écran du panorama de carte postale qu’en fabriquent les faiseurs de documentaires destinés aux hordes de touristes qui aspirent à y débarquer en quête d’un exotisme devenu là parfaitement artificiel.

« Comme une cicatrice qui ravive son origine, une blessure. Naître à Marrakech et vivre en Lorraine. […] Bien des années plus tard, un lien irrationnel […]. Une sorte de cordon subliminal ».

Dans une double tonalité, l’une, diffuse, de nostalgie des origines et des scènes révolues d’un quotidien paisiblement affairé, l’autre, expressivement sensible à fleur de phrase, d’anxiété face au présent et à l’avenir, en seize courts récits, Nadi aborde un par un chacun des éléments d’un décor dont il présente alternativement la face visible et le revers.

« L’angoisse qui teint ces récits peut exaspérer ; elle est cependant un hommage inquiet, pessimiste, pour l’avenir d’une ville qui condense et diffuse à elle seule toute la schizophrénie marocaine. Car toujours, rampante, insidieuse, la bête immonde… ».

La bête, on l’aura compris, est celle du fondamentalisme islamique (cet homologue religieux fanatique du fascisme raciste tout aussi fanatique à l’occidentale) et de ses manifestations terroristes sanglantes dont l’ancienne et prestigieuse capitale almoravide a été l’une des cibles tragiques et reste le théâtre potentiel d’autres attentats.

Autre risque d’explosion qui mijote au feu du soleil marocain sous le couvercle de la marmite marrakchia, la coexistence, jusqu’ici demeurée précairement pacifique, de deux mondes aux antipodes l’un de l’autre : en haut, très haut, celui de la haute bourgeoisie du pays et des richissimes visiteurs, en bas, très bas, celui des innombrables petites gens qui s’échinent à recueillir quelques-unes des miettes retombant des nappes fastueuses que secouent à longueur de journée les personnels de service. Cette implantation de riches personnalités du spectacle, de la mode, de l’industrie, de la haute finance tient, pour l’auteur, d’un parasitisme (voire d’un vampirisme) dévastateur.

« Du ciel on aperçoit aussi une multitude de taches bleues et de rectangles émeraude : des piscines ! Comme autant de gouffres engloutissant la soif d’une ville. […] un pays de sécheresse aux urbanités léopardisées par des dizaines de golfs, vortex aquatiques ignorant des milliers de paysans priant pour qu’il pleuve… ».

L’itinéraire narratif ne pouvait évidemment pas éviter l’attraction mondialement connue de la perle du sud. Nadi décrit et analyse donc, avec talent, le spectacle permanent qui anime l’emblématique cirque à ciel ouvert et exprime fort bien les bruits, couleurs, saveurs, odeurs et mouvements qui en sont la marque unique et féerique. Mais, pour l’auteur qui y revient après 2011, l’ambiance festive est plombée par le souvenir du massacre sanglant des clients et du personnel du café Argana et par celui des deux jeunes touristes scandinaves égorgées dans la proche vallée d’Imlil en 2018.

Bien d’autres paradoxes nourrissent la rêverie solitaire du promeneur, au cours de laquelle les regrets liés à la séparation, au déracinement et à l’exil se mêlent d’une part à la tristesse et à la colère tenant au constat de ce qu’est devenue la ville ocre des caravansérails et à l’évidence de la disparition presque achevée de toute la richesse culturelle d’une tradition berbère millénaire, d’autre part à l’angoisse provoquée par la progression d’une idéologie intégriste qui ferait perdre inéluctablement et définitivement à la ville historique le peu qui reste de son âme ancestrale.

On adhère aisément.

 

Patryck Froissart

 

Mustapha Nadi est né à Marrakech en 1957. Lycée Lyautey à Casablanca, études scientifiques à Clermont-Ferrand et à Nancy, thèse de Doctorat en électronique sur le « traitement anticancéreux par champs électromagnétiques, radiofréquences », suivie d’une Habilitation à diriger des recherches. Professeur à l’Université de Lorraine, expert en électronique biomédicale auprès de plusieurs organismes nationaux (ANSES, AFSSAPS) et internationaux (CENELEC, OMS), il a dirigé de 1996 à 2006 le laboratoire de recherche en instrumentation électronique de Nancy. Il a dirigé de nombreuses thèses de l’Université de Lorraine. Ses recherches portent sur le bio électromagnétisme et la mesure électronique sur le vivant. Il est l’auteur de La face froide du soleil, roman (2015), et Le détroit : l’Occident barricadé, roman (2012), aux éditions Riveneuve.

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Mustapha Nadi

Mustapha Nadi

Mustapha Nadi né au Maroc en 1957. Fortes études scientifiques en France ; aujourd’hui, chercheur réputé, ce livre est son premier roman.

 

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Patryck Froissart

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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A la recherche d’Alfred Hayes, Daphné Tamage (par Patryck Froissart)

A la recherche d’Alfred Hayes, Daphné Tamage (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart le 27.01.22 dans La Une CEDLes ChroniquesLes LivresRomanEditions Maurice Nadeau

A la recherche d’Alfred Hayes, Daphné Tamage, Editions Les Lettres Nouvelles Maurice Nadeau, janvier 2022, 200 pages, 19 €

A la recherche d’Alfred Hayes, Daphné Tamage (par Patryck Froissart)

 

En ce roman plein d’humour et d’auto-dérision, la narratrice retrace son itinéraire personnel dont une des voies parallèles est cette quête qui donne son titre au livre : « A la recherche d’Alfred Hayes ».

Qui est donc Alfred Hayes ?

Alfred Hayes est un romancier, scénariste et poète.

Né à Londres en 1911, il arrive aux États-Unis avec ses parents à l’âge de 3 ans. Il fait ses études à New York au City College. Il devient ensuite journaliste pour le New York Journal-American et le New York Daily Mirror, en même temps il commence à publier ses poésies, notamment « Joe Hill », dont la version chantée (adapté en musique par Earl Robinson) a été rendue célèbre par Joan Baez.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il combat au sein des services spéciaux de l’armée américaine. Il s’installe par la suite à Rome et devient le scénariste du cinéma néoréaliste italien.

En 1945, il rencontre Roberto Rossellini pour qui il travaillera au scénario de « Païsa » (1946), nominé pour l’Oscar du meilleur scénario original en 1950.

« All Thy Conquests » (1946) est son premier roman. Il en publie sept entre 1946 et 1973.

Il meurt à Los Angeles en 1985.

Voilà tout ce qu’Apolline Avenarius (référence au théoricien de l’empiriocriticisme ?), la narratrice, aurait pu connaître initialement de ce créateur. Apolline est bruxelloise et rêve de devenir écrivaine. S’étant saisie par hasard d’un ouvrage poétique d’Alfred Hayes, dans la « pile fourre-tout d’une librairie » de « la ville-monstre » (sic), dans ce bac à vrac qui est « l’équivalent de la tringle des vêtements dont personne ne veut. Personne sauf moi… », elle éprouve un étrange et soudain pressentiment : « Hayes était fait pour moi ». Alors… « J’ai payé le livre sans l’ouvrir. Assise face au lac de la ville-monstre, j’ai lu d’une traite comme ma mère buvait son mezcal : rapide, efficace, bientôt ivre. J’étais tombée amoureuse ».

La rencontre et le coup de foudre s’inscrivent dans le parcours chaotique de projets avortés, d’ambitions déçues, de plans foireux d’une jeune femme dont le rêve moteur est d’écrire un ouvrage qui lui apportera la célébrité, la richesse et, surtout, la reconnaissance, attendue comme une revanche, de ses proches qui, à l’exception de son père, la considèrent comme une douce rêveuse velléitaire. Parmi eux, la propre mère d’Apolline qui s’évertue à la rabaisser, à l’agonir de railleries caustiques, à l’humilier en public, jusqu’à se comporter en rivale amoureuse en tentant de séduire Phil, le compagnon régulier de sa fille.

On suit avec empathie le récit d’une série d’essais et d’échecs, de périodes d’enthousiasme et d’espoir alternant avec des moments de découragement et de renoncement, de crises aiguës d’euphorie suivies de dépressions temporaires, de ruptures sentimentales et de riches rencontres amicales et solidaires, de phases de tension relationnelle et de péripéties malheureuses culminant en un événement tragique.

A cela s’ajoutent l’angoisse de l’écrivain, le doute de la possibilité de l’œuvre, l’incertitude quant à la capacité, ou à l’utilité, d’écrire. Il est remarquable que le projet d’écriture que poursuit le personnage coïncide avec cette écriture en œuvre qui est celle de l’auteure. Habile mise en simultanéité créatrice.

« J’étais souvent déprimée. Ce que j’écrivais me semblait puéril, vieux jeu parce que j’employais le passé simple, ou parfois simplement parce qu’écrire des actions banales me paraissait d’une complexité inouïe ».

En dépit de quoi la quête se poursuit, plusieurs fois abandonnée, autant de fois reprise, qui mènera Apolline de Rome à Los Angeles sur les traces d’un Hayes prétextuel, sur la tonalité narrative légère d’un récit à la première personne construit sur une incessante raillerie de soi, sur une volonté récurrente de pousser les poussières corrosives de l’échec sous le tapis de l’humour et de la dérision.

Que cherche Apolline en ce dessein forcené de romancer la vie de l’écrivain-cinéaste, en cette obsession de rassembler par écrit les éléments épars, connus et inédits, de l’existence d’un artiste peu ou prou oublié avec la conviction d’en faire le chef d’œuvre qu’elle rêve de voir publier ?

Elle donne au lecteur un début de réponse dans l’avion qui l’emmène à Los Angeles.

« Je n’étais pas une aventurière. […] J’étais une petite pleureuse qui cherchait ses limites, attirée par elles comme certains animaux le sont par la bouse ou la lumière. J’avais envie d’aller par-delà celle que j’étais. Je voulais me propulser… ».

La sortie de ce roman de l’écrivaine Daphné Tamage chez Nadeau est en fin de compte la réalisation du rêve d’Apolline Avenarius.

C’est fort bien conçu !

 

Patryck Froissart

 

Daphné Tamage est née à Bruxelles en 1992. Après avoir étudié la réalisation et le scénario à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), elle entre à l’Atelier des Écritures contemporaines de La Cambre. Passionnée de jazz et de littérature américaine, elle a posé ses valises à Big Sur, Veracruz, Rome et dans le Bairro Alto de Lisbonne, où elle vit actuellement. À la recherche d’Alfred Hayes est son premier roman.

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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Miraculum, Michael Marqui (par Patryck Froissart)

Miraculum, Michael Marqui (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 26.10.21 dans La Une LivresLes LivresRecensions

Miraculum, Michael Marqui, Editeur Independently published, mars 2021, 320 pages, 16 €

Miraculum, Michael Marqui (par Patryck Froissart)

Qu’il est bon de replonger inopinément dans l’univers de romans d’aventures qu’on a parcourus jadis en lisant Féval, Zévaco, Sue, Dumas et autres Théophile Gautier !

Michael Marqui, avec ce premier roman (il se dit qu’un second est en cours d’écriture), met en scène des personnages qui auraient pu croiser le chemin des D’Artagnan, Dantès, Pardaillan, Lagardère, Fracasse…

En rupture avec les précités, ici, toutefois, le héros est une héroïne, et les protagonistes se retrouvent ponctuellement, en lieu et place des fougueux chevaux qu’ils savent lancés à leur poursuite, face à un monstre hurlant, fumant, se déplaçant à une vitesse effarante : l’une des premières automobiles.

Anna incarne sous ce prénom fictionnel l’une des deux jeunes filles qui accompagnaient Bernadette Soubirous lorsque « la Dame » lui est apparue. Sans revenir précisément sur la destinée connue de celle qui a été canonisée, l’auteur imagine un singulier destin sacré pour Anna, qui aurait reçu de « la Dame » un objet qu’elle aurait pour sainte mission de poser sur un des multiples reliquaires christiques disséminés de par la France, ce qui aurait pour effet une divine réaction, miraculeuse, le « miraculum » qu’évoque le titre du livre.

Mais à Rome, le pape Léon XIII ne l’entend pas ainsi de sa papale ouïe. Le secret de cette sacrée mission ne doit surtout pas se répandre dans les milieux non-initiés du vulgum pecus, ce qui risquerait de déclencher, hors de tout contrôle épiscopal, des vagues de mysticisme populaire à la limite d’un paganisme de mauvais aloi. Il faut donc « protéger » Anna soit en l’enfermant ad vitam aeternam au fin fond d’un couvent, soit en l’enlevant promptement manu militari pour l’emmener au Vatican où elle pourra bénéficier de la protection éternelle des gardes suisses de sa Sainteté et échapper ainsi aux innombrables et occultes puissances qui la traquent pour lui extorquer l’objet ou pour la mettre définitivement hors d’état de mener à bien son mandat christique.

Car elle en a, des ennemis ! Aux ressorts du rocambolesque de cape et d’épée dont la chute de l’empire et l’accélération des technologies nouvelles marquent naturellement la fin prochaine, aux éléments du récit historique qui font la trame sur laquelle file l’intrigue, l’auteur mêle habilement les manœuvres fantasmatiques de forces obscures qui ont fait le succès, entre autres, des ouvrages de Dan Brown. Et Anna de fuir par monts, par vaux, par villes, de cachette en sombre asile, continuellement harcelée par ses poursuivants multiples, ceux qui lui veulent du bien, ceux qui veulent sa mort, ceux dont on se demande ce qu’ils lui veulent, sbires papaux, Illuminati, affidés de loges ésotériques, adeptes de sectes louches, et, surtout, parmi eux, le sinistre Otto qui la poursuit en… auto, véhicule apparaissant comme un des premiers monstres mécaniques se déplaçant avec de terrifiantes déflagrations.

Heureusement, Anna a un ange gardien, un protecteur sincère, avec qui elle va vivre, en opposition à sa foi profonde et en dépit de ses vœux pieux de chasteté, rongée périodiquement par ce douloureux dilemme, une liaison amoureuse brûlante qui constitue, marquée de scènes d’une sensualité sans équivoque, une passionnante intrigue dans l’intrigue. Gwendal, aidé tantôt par ses amis de la chouannerie (eh oui, les Chouans sont là, eux aussi), tantôt par ses compagnons d’un cercle parisien universitaire, révolutionnaire, ouvertement athée, réussit à soustraire Anna aux velléités de ses poursuivants jusqu’au jour où…

C’est dans la complémentarité contradictoire de ce couple que se révèle peut-être le dessein de l’auteur, consistant à faire d’Anna et de Gwendal une représentation romanesque du combat politique qui oppose, du début de la IIIe république à la loi de séparation des églises et de l’Etat, les mouvements laïques et les « bouffeurs de curés » aux forces rétrogrades des milieux catholiques de la noblesse décadente et d’une bourgeoisie bien-pensante.

Tout, dans le roman en effet, transpire la fin d’une époque et les tourbillons transitoires agitant la naissance d’une ère nouvelle, républicaine et laïque.

Michael Marqui ne s’est pas contenté de raconter une histoire. Il a inscrit sa narration dans un contexte sociologique, historique, spatial, gastronomique fondé sur une recherche documentaire minutieuse. Ainsi en est-il des toponymes urbains, de la description détaillée, pseudo-réaliste, des rues, quartiers, maisons et monuments célèbres, des itinéraires, des différents modes de transport qui coexistent encore en cette fin de siècle (calèches, fiacres, trains, l’automobile d’Otto), des vins et des mets que dégustent à longueur de récit les divers protagonistes (on devine que notre auteur est un œnologue averti et un fieffé gourmet), des habits, attributs et colifichets que portent les personnages, des cryptes et lieux sanctifiés abritant telle ou telle relique, des paysages variés traversés par les fuyards et par ceux qui les traquent, des intérieurs du palais du Vatican, et, par l’instauration d’un narrateur omniscient, des réflexions, pensées, extases et tourments des personnages tout autant que des « tempêtes sous un crâne », en particulier celles qui troublent à maintes reprises la bienheureuse sérénité du successeur de Saint-Pierre.

A consommer sans modération.

 

Patryck Froissart

 

Né à Ossun, petit village près de Lourdes, Michael Marqui a passé son enfance dans la cité mariale. Après des études au Lycée à Tarbes et à l’Université Paul Sabatier à Toulouse, il part faire son service militaire à La Réunion, en tant que professeur de mathématiques. Les voyages se multiplient et l’expatriation continue, l’Australie, La Guyane, Abidjan, Kinshasa, et enfin l’Afrique du Sud où il réside actuellement avec son épouse et son fils. Il passe des vacances en France régulièrement, pour retrouver sa famille à Lourdes.

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Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

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