23/11/2022

De l’amour et autres, Poésies et Notes, Alain Marc (par Patryck Froissart)

De l’amour et autres, Poésies et Notes, Alain Marc (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 05.09.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPoésie

De l’amour et autres, Poésies et Notes, Le Petit Véhicule, coll. L’or du temps, mars 2019, ill. Œuvres de Lawrence, 87 pages, 25 €

Ecrivain(s): Alain Marc

De l’amour et autres, Poésies et Notes, Alain Marc (par Patryck Froissart)

Alain Marc et les Editions du Petit Véhicule nous ont habitués à guetter la sortie de leurs superbes publications. Ce nouvel opus du poète amateur d’art, incrusté de magnifiques reproductions de tableaux du peintre picard Lawrence ne décevra pas les afficionados. L’ouvrage est luxueux.

La majeure partie de cette compilation est présentée par l’auteur comme une « recomposition d’une sélection issue d’un premier recueil qui contenait des poésies de facture plus classique », publié en 1989. On y reconnaît l’intention constante d’Alain Marc de se démarquer de toute forme de prosodie contraignante pour inventer une nouvelle expression poétique qui serait sienne exclusivement. Quel est l’aboutissement de ce qui, en fin de compte, constitue en soi, par force, une contrainte de substitution ?

Le recueil comprend deux parties, conformément au titre.

Première partie : De l’amour

Cette partie est précédée d’un texte incantatoire fondé sur la répétition lancinante, exacerbée, sur deux pages, des verbes « aimer » et « je voudrais », ce qui peut se comprendre comme un douloureux aveu de la difficulté d’aimer.

La récurrence multipliée à l’excès de ce cri d’impuissance et de souffrance (rappelons que le CRI est la manifestation obsédante de toute l’œuvre d’Alain Marc) devenant tellement insupportable à la lecture que le lecteur ne peut qu’en ressentir et en partager toute la violence. Si c’est bien là l’intention de tout artiste, le résultat est ici incontestable.

Les textes qui suivent sont à l’avenant de cette thématique. Un pointage rapide du champ lexical met en évidence ce mal d’aimer.

Les mots qui traduisent l’isolement, l’emmurement, l’ennui, le « marasme », la solitude… Les termes « cacher », « voile », « illusion », « rêves », « interdits », « se meurt », « s’en va », « chavire », « divague », « rude », « détour », etc.

La recherche de l’Autre (majuscule traduisant la distance jamais franchie).

La main qui s’est tendue puis qui s’est tue (belle transposition du geste à la parole).

Mon corps qui se dresse

Et qui prend froid

déçu

L’écriture est épurée, dépouillée, réduite à l’essentiel, à l’essence même, éthérisée par un passage forcé dans l’alambic du dessein poétique de l’auteur, débarrassée évidemment de toute descriptivité qui l’alourdirait, mais aussi dévêtue de tout habillage lyrique qui risquerait de brouiller la manifestation du cri.

A quoi bon, d’ailleurs, s’embarrasser d’une esthétique poétique autre que le cri frugal puisque :

Le ROMANTISME n’existe plus :

La société l’a ASSASSINÉ

Ce qui pourrait passer pour la réduction de la poésie à sa plus simple expression est ici une contraction à sa primitive (primordiale ?) et substantielle manifestation.

L’auteur se l’écrit ainsi, en opérant la transsubstantiation du cri de souffrance en matière dure et concrète :

Je ne suis pas peintre

de beauté imaginée

Mais plutôt sculpteur

d’instants de transes

 

Deuxième partie : Et autres

Cette partie se compose de deux textes plus longs.

Le premier est un hymne à la danse qui unit les corps, un chant à la fête qui fiance les âmes. C’est de la joie, c’est du bonheur qui s’exprime ici, même si les derniers mots resituent brutalement toute la scène dans un passé révolu et replongent le lecteur dans le thème nostalgique de l’amour non partagé et de la fugacité d’un plaisir qui fut et n’est plus :

Parce Que

je

T’aimais

Le second, intitulé Le fil à plume, est une réflexion originale, très réussie, sur l’acte d’autocréation poétique, sur la genèse de l’écriture, symboliquement représentée par l’utilisation tout au long du texte, à la place de la lettre « p », d’un idéogramme stylisant joliment l’image du spermatozoïde. Ainsi la génération fécondée du texte poétique devient-elle immédiatement, visuellement, dans le temps et l’espace de la page une activité perceptible…

Plaisante idée d’artiste en vérité…

Ce beau livre se termine par quelques pages de notes et de « préalables ». Le poète y retrace l’historique des textes, leurs reprises, leurs réécritures, leurs variantes et variations d’une publication à l’autre, les circonstances de leur génération. Voilà un exemple intéressant de métapoétique.

L’ensemble plaira sans aucun doute aux amateurs d’arts littéraire et pictural.

 

Patryck Froissart

 

Alain Marc est un poète, écrivain et essayiste français né en 1959 à Beauvais. Il effectue également des lectures publiques. Œuvres principales : Écrire le cri (L’Écarlate, 2000) ; Regards hallucinés (Lanore, 2005) ; La Poitrine étranglée (Le Temps des cerises, 2005) ; Méta/mor/phose ? (1ère impression 2006) ; En regard, sur Bertrand Créac’h (Bernard Dumerchez, 2007/2008) ; Le Monde la vie (Zaporogue, 2010) ; Chroniques pour une poésie publiqueprécédé de Mais où est la poésie ? (Zaporogue, 2014). Compléments : CD Alain Marc, Laurent Maza, Le Grand cycle de la vie ou l’odyssée humaine (1ère impression Artis Facta, 2014).

 

De 1991 à 1997, Lawrence fréquente les ateliers de la ville de Paris, l’atelier de dessin de Joël Trolliet, puis l’atelier de peinture d’Olivier Di Pizio et de Gonzalo Belmonte. Bourse d’aide à la création arts plastiques du Conseil régional de Picardie 2014. Atelier d’artiste de la Ville de Beauvais, sept. 2005 à oct. 2006 et juin 2014 à juin 2017. A écrit : Journal d’une peinture amoureuse, récit et poèmes (1èreimpression, 2013).

  • Vu : 1704

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Alain Marc

Alain Marc

 

Alain Marc est un poète, écrivain et essayiste français né en 1959 à Beauvais. Il effectue également des lectures publiques. Œuvres principales : Écrire le cri (l’Écarlate, 2000) ; Regards hallucinés (Lanore, 2005) ; La Poitrine étranglée (Le Temps des cerises, 2005) ; Méta / mor / phose ? (Première impression, 2006) ; En regard, sur Bertrand Créac’h (Bernard Dumerchez, 2007/2008) ; Le Monde la vie (Les Éditions du Zaporogue, 2010) ; Chroniques pour une poésie publique précédé de Mais où est la poésie ? (Les Éditions du Zaporogue, 2014). Compléments : CD Alain Marc, Laurent Maza, Le Grand cycle de la vie ou l’odyssée humaine (Première impression / Artis Facta, 2014)

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:42 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 12.09.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPoésie

Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Editions du Petit Véhicule, décembre 2018, 123 pages, 20 €

Ecrivain(s): Murielle Compère-Demarcy

Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)

 

Luc Vidal est un poète, écrivain et éditeur français originaire du Pays nantais, né le 6 juin 1950. Sur les pas de René Guy Cadou, il a pris de nombreuses initiatives au service de la poésie. Il est ainsi à l’origine de la Maison de la poésie de Nantes et il est le fondateur des éditions du Petit Véhicule dans le cadre desquelles il a créé de nombreuses collections et différentes revues. Citons parmi ces dernières : Signes, Incognita, Les Cahiers Léo Ferré, Les Cahiers Jules Paressant, Les Cahiers René Guy Cadou et de l’école de Rochefort, Chiendents.

Murielle Compère-Demarcy, poétesse elle-même, rédactrice à La Cause Littéraire, délivre une analyse approfondie de l’œuvre poétique de Luc Vidal, dans une superbe édition à quoi sont habitués les lecteurs des publications du Petit Véhicule.

Il est difficile de présenter dans une chronique ce qui est déjà en soi la présentation d’un auteur par une consœur sans en reprendre littéralement l’expression. Nous n’en éviterons pas l’écueil.

Murielle Compère-Demarcy entre dans la poésie de Luc Vidal comme on entre en communion. Il est évident qu’elle la partage, qu’elle la savoure, qu’elle la vit de toute son âme de poétesse, au point qu’elle se l’approprie quasiment, dans une sorte d’osmose permanente, comme si elle la ré-enfantait après en avoir repris la gestation. Il s’agit bien là, sans exagération, d’une ré-génération.

Trois études constituent cet ouvrage, soit autant, pour reprendre le titre, de fenêtres ouvertes sur trois grandes parties de l’œuvre de Luc Vidal, publiées sous le titre global « La Mémoire des Braises » : Orphée du Fleuve ; Le Chagrin et l’Oiseau perdu ; Les Yeux du Crépuscule. Ces trois exégèses sont complétées, en fin de livre, par une longue Lettre à Murielle sur la poésie et son âme, écrite évidemment par Luc Vidal lui-même. L’ensemble donne l’impression de deux poètes œuvrant dans une complicité poétique quasi-fusionnelle.

Luc Vidal, c’est le poète qui défend, tant par la nature de sa poésie que dans ses écrits sur la poésie et dans son projet d’éditeur de recueils et de revues, « une démocratie culturelle authentique […], déclarant son Verbe chair contre le Verbe-marchandise ».

Luc Vidal, c’est le poète qui marche, qui quête, qui traverse le fleuve, « croisant et même poursuivant le chemin d’Orphée et de ses muses – Orphée résolument plutôt que Narcisse ». Le titre Orphée du Fleuve est ainsi signifiant de la (dé)marche du poète.

Luc Vidal, c’est « une poésie au cœur du monde », un monde qu’il embrasse dans une errance orphique, une quête amoureuse de la toujours cherchée toujours trouvée toujours/recherchée, toujours présente absente, une odyssée délire au cours de laquelle les mots préservent l’amant de la folie. La poésie est à la fois la crise permanente et son remède, parce que l’Amour est à la fois désir et révolte contre le désir : l’Amour est risque et ferveur, toujours.

Luc Vidal, c’est le messager oiseau, un oiseau perdu dont le chagrin agite l’aile. La quête amoureuse est portée/transportée par celle des mots. « L’amour et le poème, la poésie et l’amour ne font qu’Un ».

Le Chagrin et l’Oiseau perdu, oui, mais oiseau-poète non plombé par le chagrin, au contraire animé toujours plus haut par le désir d’aimer, par le plaisir d’aimer, par la faculté de voler se perdre dans « la jouissance de la chair ».

Luc Vidal, c’est la Voix qui vient nous rappeler, dans Les Yeux du Crépuscule, « que la Poésie fait notre actualité, qu’Elle fait notre actualité éternelle ; et que nous en sommes si nous le souhaitons, contre vents et marées ».

Luc Vidal, c’est « le Poète crépusculaire », c’est la poésie du Voyage, […] d’un être frontière voyageant entre le monde des ténèbres et le monde de la lumière, entre le monde des Morts et celui des vivants, entre les rives de l’Imaginaire et du Réel… ».

Luc Vidal, c’est « le Poète sans nom [qui] se dépouille des fioritures et tergiversations de la superficialité pour se tourner, essentiellement, vers un Continent neuf, inlassablement refait, de l’Amour rencontré et de la Fraternité retrouvée ».

Luc Vidal, ce pourrait être aussi (car Murielle Compère-Demarcy connaît tellement bien l’œuvre déjà accomplie qu’elle anticipe, extrapole et ouvre plus largement la fenêtre sur celle à venir) « un quatrième volume » qui « répondrait à la question que le lecteur peut se poser en suivant l’itinéraire d’Orphée-Vidal ».

Luc Vidal, c’est le poète qui se définit lui-même, dans Lettre à Murielle sur la poésie et son âme, comme le jardinier du paraclet des mots. Paraclet des mots, para-clé des mots, voilà une sacrément forte définition de la poésie !

Luc Vidal, c’est le poète-peintre dont « certains textes font figure de poèmes-tableaux ».

Luc Vidal, c’est tout cela, c’est l’alchimiste poète-éditeur-chroniqueur qui fait fusionner dans son athanor la poésie (la sienne et celle des autres), la chanson, la musique, la peinture, la science pour en extraire l’or de son Grand Œuvre. C’est ainsi qu’en ouvrant la fenêtre sur la trilogie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy, sa commère en poésie, permet au lecteur de rencontrer les poètes René-Guy Cadou, Rimbaud, Nerval, Apollinaire, Vladimir Holan, André Breton, Peret, Desnos, les chanteurs Léo Ferré, Brassens, Julos Beaucarne, Morice Bénin, les peintres Chagall, les scientifiques Yves Coppens et Hubert Reeves, l’illustrateur-peintre-photographe-poète Gilles Bourgeade…

Luc Vidal, c’est bien d’autres choses encore. Mais, comme l’écrit Murielle Compère-Demarcy, dans un post-lude au chant infini des fenêtres, cette fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal « n’a pas la prétention d’en dresser un panorama exhaustif ».

Comme il se doit dans un ouvrage consacré à un poète-peintre, l’opus est magnifiquement illustré de tableaux de Nicolas Désiré-Frisque, de Gilles Bourgeade, d’Athali, de Claude Bugeon, de Jean Claude Kiarkk, de Werewere Liking, de Lucie Jack.

Au terme de cette lecture d’une infinie richesse, il ne reste plus au lecteur évidemment alléché qu’à se hâter de (re)découvrir l’œuvre de Luc Vidal.

 

Patryck Froissart

 

Murielle Compère-Demarcy est tombée dans la poésie addictive (ou l’addiction de la poésie), accidentellement. Ne tente plus d’en sortir, depuis. Est tombée dans l’envie sérieuse de publier, seulement à partir de 2014. Rédactrice à La Cause Littéraire, écrit des notes de lecture pour La Revue Littéraire (éd. Léo Scheer), Les Cahiers de Tinbad, Poezibao, Traversées, Sitaudis.fr, Revues en ligne Texture, Zone Critique, Levure Littéraire, Recours au Poème en tant que contributrice régulière.

 

 

  • Vu : 3011

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Murielle Compère-Demarcy

Murielle Compère-Demarcy

 

Murielle Compère-Demarcy - publiant aussi sous le nom de MCDem. - est une poétesse, nouvelliste et auteure de chroniques littéraires et d'articles critiques.

 

Poésie

• Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009

• Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection Encres Blanches, 2014

• Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection encres Blanches, 2014

• Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015

• La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature, Chiendants, n°78, 2015

• Trash fragilité, illustrations de Didier Mélique, éditions Le Citron gare, 2015

• Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015

• Je tu mon alterégoïste, couverture de Didier Mélique, préface d'Alain Marc, 2016

• Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016

• Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016

• Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017

• Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. Parole en liberté, 2017

• Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018

• ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, coll. Encres Blanches, n°718, 2018

• L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. La Main aux poètes, 2018

• Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019

• Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. L'Or du Temps, 2019

• Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019

• L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. Les 4 saisons, 2020

• Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020 [262 p.]

• Werner Lambersy, Editions les Vanneaux, 2020

• Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda ; 2021

• Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier, 2021

• L'ange du mascaret Murielle Compère-Demarcy (avec prologue de Laurent Boisselier) aux éditions Henry coll. grand format ; 2022.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:42 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Quand les ténèbres viendront, Isaac Asimov (par Patryck Froissart)

Quand les ténèbres viendront, Isaac Asimov (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 23.09.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesFolio (Gallimard)NouvellesScience-fiction

Quand les ténèbres viendront, trad. anglais (USA) Simone Hilling, 700 pages, 10,20 €

Ecrivain(s): Isaac Asimov Edition: Folio (Gallimard)

Quand les ténèbres viendront, Isaac Asimov (par Patryck Froissart)

 

Les amateurs de science-fiction en général et les lecteurs d’Isaac Asimov en particulier devraient fort goûter cette volumineuse anthologie des nouvelles d’un des maîtres du genre. L’ouvrage ne rassemble pas moins de vingt nouvelles publiées dans diverses revues et autres anthologies entre 1941 et 1967, choisies par l’auteur lui-même dans l’impressionnant corpus de ses œuvres, et présentées ici dans l’ordre chronologique de leur publication originale.

Outre l’intérêt que représente, pour les aficionados d’Asimov, l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des textes allant des plus connus pour les uns aux moins diffusés pour d’autres, ce florilège offre, en prologue à chaque récit, une présentation exceptionnelle, par l’auteur lui-même, de l’intrigue, de sa genèse, de l’historique et des circonstances de sa publication, des échanges circonstanciels avec les éditeurs des revues qui l’ont initialement accepté ou refusé. A ceci s’ajoute une auto-analyse de la création narrative souvent empreinte d’humour, parfois teintée d’autodérision, toujours pleine de saveur métalittéraire. Le procédé, rare quand il est appliqué de manière ainsi systématique, jette sur la pratique personnelle de l’écrivain un éclairage tout autant susceptible de plaire au lecteur lambda que de se révéler précieusement utile pour un éventuel exégète.

Illustration : Quand les ténèbres viendront, la nouvelle dont le titre est repris pour être celui de l’ensemble du recueil, est celle qui, révèle Asimov, l’a véritablement « lancé », et qui lui a valu, à l’âge de vingt-et-un ans, cependant qu’il se considérait déjà comme un écrivain professionnel, d’être soudain pris au sérieux, alors que ses deux douzaines d’écrits précédents, affirme-t-il avec agacement et humour, n’avaient guère fait sensation, la moitié d’entre eux ayant même purement et simplement été refusés.

Au fil des ans, je commençai à ressentir quelque irritation à m’entendre inlassablement dire et répéter que « Quand les ténèbres viendront » était ma meilleure nouvelle. Après tout, quoique je sois toujours aussi ignorant qu’alors en ce qui concerne l’Art d’Ecrire, il me semblait que la seule pratique aurait dû améliorer ma technique d’année en année…

D’évidence, l’auteur a eu le dessein de montrer, par la sélection qui a abouti à cette collection, toute la diversité de son inspiration qui, fondée sur ses connaissances scientifiques, s’inscrit d’abord en grande part dans le domaine de la science-fiction telle que la délimitent les puristes du genre. En ce cadre, pour la plupart, les histoires collectées ont pour décor multidimensionnel l’espace infini des univers inter et intra galactiques, pour contexte temporel l’anticipation sans bornes de futurs proches ou incommensurablement lointains, et pour acteurs tantôt des humains téléportés ou génétiquement modifiés, tantôt ou en même temps des êtres extraterrestres à qui l’imagination sans limite d’Asimov attribue des caractères physiques, philosophiques, sociologiques, sexuels, culturels, biologiques, robotiques des plus surprenants et des pouvoirs intellectuels, technologiques, expansionnistes des plus redoutables.

Ceci étant posé, tel récit paraît plutôt relever du surnaturel, comme l’angoissante nouvelle intitulée Et si…, tel autre du genre fantastique, c’est le cas de l’étrange texte Les mouches, tel autre de l’étude de caractère (Personne ici, sauf…), tel autre, paradoxe selon l’auteur lui-même qui avoue « avoir horreur du beau temps » et pour qui « la belle vie consiste à monter dans |son] grenier et à taper allégrement sur [sa] machine électrique », du militantisme écologique sous forme d’un hymne à la nature (Quelle belle journée !). L’une des plus belles surprises est probablement la présence de Introduisez la tête A dans le logement B, dont il convient de laisser au lecteur le plaisir de découvrir l’intrigue et les circonstances pour le moins originales de son écriture.

La parole est à l’auteur pour la conclusion de cette présentation, avec cet extrait, dans lequel il s’adresse au lecteur, et qui « donne le ton » de l’ensemble de ses commentaires :

Vous pourrez donc enfin vous rendre compte par vous-même comment mon style a évolué (ou comment il n’a pas évolué) au cours des ans.

Je suis trop ignorant en l’Art d’Ecrire pour être capable d’en décider moi-même.

Forcément savoureux…

 

Patryck Froissart

 

  • Vu : 1954

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Isaac Asimov

Isaac Asimov

 

Isaac Asimov, né à Petrovitch en 1920, mort en 1992 à New-York, est un écrivain américain d’origine russe, et a été professeur de biochimie à l’Université de Boston. Arrivé aux États-Unis en 1923, il travaille dans le magasin familial et vers l’âge de onze ans, il commence à écrire ses premières nouvelles. Il est surtout connu pour ses œuvres de science-fiction et ses livres de vulgarisation scientifique. Il a signé Paul French pour ses romans pour les jeunes. Il est le créateur de la robotique et une grande partie de son œuvre tourne autour de ce sujet.

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:41 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 01.10.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesMaghrebRoman

Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Editions Alfabarre, 2018, 160 pages, 19 €

Ecrivain(s): Intagrist el Ansari

Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

 

De Paris à Tombouctou, en passant par l’Andalousie, Tanger, Tan Tan, Kidal, Timiawen, Gao, Tamanrasset, Nouakchott, Ménaka, Bamako, la lente trajectoire d’un fils du désert quittant la terre d’exil après dix-huit ans de déracinement en deçà des Pyrénées pour marcher sur les traces de ses ancêtres, de sa tribu, de sa famille, de son passé.

Intagrist el Ansari, de la tribu touarègue des Kel Ansar comme son nom l’indique, met en mots ce long périple suivi d’une halte régénératrice d’une année à Tombouctou, le point central du rayonnement pérégrinatoire des Kel Ansar à travers les siècles sur une grande partie de l’ouest saharien.

Qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne s’agit pas d’un récit de voyage. Bien qu’il se réfère à maintes reprises à ces illustres prédécesseurs, Intagrist n’est ni l’explorateur René Caillé, ni l’historien géographe Ibn Battûta, ni le conteur voyageur sociologue Ibn Khaldoun.

Il s’agit ici tout à la fois d’un voyage en écriture et d’une écriture en mouvement. Il s’agit précisément tout autant d’une odyssée poétique que d’une poésie en itinérance. Il s’agit parallèlement d’une quête nostalgique génératrice de nouvelles vagues de nostalgie en un va-et-vient qui fait mal et qui fait baume. Il s’agit simultanément d’un cheminement intérieur qui s’opère au fur et à mesure du parcours de retour dans les extérieurs infinis du Sahara natal retrouvé.

Intagrist el Ansari est un poète érudit.

Sa (dé)marche poétique, tranquille et sûre comme celle des longues caravanes de dromadaires, est d’une tonalité toute lyrique, qui rappelle celle de JMG et Jemia Le Clezio dans Gens des Nuages, celle du même Le Clezio dans Voyage à l’île Rodrigues, celle de Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, celle de Nerval dans son Voyage en Orient

Inconsolable nostalgie

Le pèlerinage est ponctué d’émotion. La ressouvenance jaillit qui provoque le frisson (ré)créatif à chaque pas, à chaque geste, à chaque rencontre, à chaque point du parcours, à chaque manifestation de l’irrépressible écho saharien, lors du thé cérémonial, au contact, la nuit, du sable matriciel qui sert de lit au beau milieu du désert, à la vue des venelles de la ville d’étape, à la révélation de la beauté simple d’une théière, à la présence inquiétante des Djinns nocturnes qui s’animent au passage du voyageur et l’accompagnent sur un bout de piste, à l’évocation, en entrant dans Abelessa où se situe son mausolée, de l’une des plus célèbres héroïnes touarègues, la belle reine guerrière Tin Hinan, cette autre itinérante, et puis encore le saisissement qui l’envahit à chaque arrivée, à chacune des retrouvailles, à chaque départ, à chaque séparation, à chaque redéchirure…

Le poète ne peut se retenir d’exprimer par ailleurs, à maintes reprises, par une écriture emphatique empreinte de sensualité, l’exaltation, voire l’exultation qui le transportent lorsqu’il redécouvre, provoquant le ressouvenir de ses amours de jeunesse, au hasard des rencontres, parfois par la seule vision furtive des yeux de braise d’une touarègue enveloppée dans ses voiles bleu ciel, la beauté tant célébrée de ces femmes du désert.

Les légers voiles multicolores flottent au gré des mouvements gracieux, qui attisent les désirs et alimentent les tentations d’une nuit saharienne – un moment divin, sous un ciel bleu, de mille et une étoiles, une soirée de l’imaginaire, de mille et une histoires…

Son itinéraire géographique, se dévidant sur les pistes tracées par les migrations de sa parentèle au sein d’un immense territoire ayant Tombouctou pour centre nombrilique, est aussi une (ré)exploration historique, sociologique (vue de l’intérieur), politique des origines, de l’expansion, de l’épanouissement puis de l’éclatement, conséquence de la colonisation française et des frontières irrationnelles tracées au couteau par la puissance coloniale, des communautés touarègues à l’intérieur de plusieurs nations dont ils ne reconnaissent pas la souveraineté, et qui par ailleurs les considèrent parfois comme « étrangers ».

A noter en parenthèse qu’Intagrist reprend à son compte la thèse controversée de Jacques Hureïki (Essai sur les origines des Touaregs) selon qui les Touaregs seraient originaires du royaume de Saba et non, selon la théorie la plus communément admise, d’origine berbéro-libyenne… Ce qui ne l’empêche pas de se sentir en totale symbiose avec la culture berbéro-touarègue dans l’espace linguistique berbéro-tamasheq, et d’en faire découvrir au lecteur de multiples aspects, tous aussi attirants. Ce qui l’amène à déplorer la situation actuelle des populations touarègues écartelées, dont des centaines de milliers de membres vivent dans d’immenses camps de réfugiés en conséquence des conflits régionaux et de la mainmise des groupes terroristes djihadistes sur une partie de leurs territoires par ailleurs ravagés par les sécheresses successives.

Que sont révolus, hélas, ces temps fastes où « l’abondance du lait procurait vitalité et prospérité » et où « les femmes étaient si belles que l’on pouvait se voir en les regardant ». Toutefois, signe d’espoir, heureusement, « les sécheresses sont passées mais la beauté est restée intacte ».

A l’issue de ce riche itinéraire culturel, l’auteur offre au lecteur un florilège de ses compositions poétiques, un ensemble d’odes sensuelles constituant un savoureux hymne à la femme, symbole, point de mire, aboutissement sans cesse approché, sans cesse distancé, du voyage comme l’est le mirage que poursuit le voyageur à l’appel du désert.

Je traverse le silence, je l’entends murmurer en moi ses désirs,

La sensation du paysage égale l’invisible main qu’elle me passa furtivement sur le corps,

Comme un esprit errant, laissant une trace sensitive de son passage.

[…]

Je marcherai pieds nus sur cette dune, ondulation charnelle, évoquant parfaitement son corps…

 

Patryck Froissart

  • Vu : 2209

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Intagrist el Ansari

 

Intagrist el Ansari, natif de la région de Tombouctou, au Mali, réside en Mauritanie depuis 2012. Auteur indépendant, il est aussi réalisateur de documentaires et correspondant en Afrique du Nord-Ouest (Sahel-Sahara) pour des magazines et journaux internationaux.

 

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:40 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Touaregs L’exil pour patrie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

Touaregs L’exil pour patrie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 08.10.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesEssaisHistoireMaghrebPoésie

Touaregs L’exil pour patrie, Editions Alfabarre, 2018, 200 pages, 25 €

Ecrivain(s): Intagrist el Ansari

Touaregs L’exil pour patrie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)

 

Auteur de l’itinéraire poétique Echo saharien L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari est aussi journaliste et historien. C’est à ce titre qu’il a compilé sous le titre Touaregs L’exil pour patrie une sélection d’articles de presse et d’analyses géopolitiques et sociologiques qu’il a publiés dans divers magazines sur la situation de belligérance perpétuelle dans laquelle vivent les diverses populations du Sahel, et particulièrement les Touaregs du nord du Mali, depuis 2012. Cette somme est à la fois un ouvrage pédagogique et l’expression d’une révolte. Ouvrage pédagogique efficace par la redondance et la précision des éléments factuels de texte en texte et par la possibilité offerte au lecteur de suivre quasiment de mois en mois l’évolution des événements contemporains dans cette partie agitée du monde sahélien.

Ouvrage pédagogique nécessaire à qui veut tenter de démêler l’écheveau a priori inextricable des groupes armés et des forces politiques locales et externes impliqués dans l’histoire récente de ce vaste espace quasi-désertique englobant la moitié nord du Mali et les régions périphériques.

Ouvrage pédagogique indispensable pour comprendre le jeu tactique perpétuellement mouvant et trouble des alliances, des mésalliances, des désalliances, des réalliances militaires, des trahisons politiques, des défections, des regroupements stratégiques entre différentes tribus touarègues d’une part, entre certaines de ces tribus et des factions djihadistes, entre ces groupes djihadistes eux-mêmes…

Ouvrage pédagogique décisif pour appréhender les relations des uns et des autres d’une part avec les gouvernements centraux officiels du Mali, de l’Algérie, de la Lybie en plein chaos, de la Mauritanie, autonomistes, indépendantistes du MNLA (1), loyalistes ou ralliés, d’autre part avec la France, ex-puissance coloniale qui n’en finit pas de décoloniser, et ses troupes déployées dans le cadre de l’opération Serval puis dans celui de l’opération Berkhane à la demande du pouvoir malien pour stopper l’avancée fulgurante sur Bamako des islamistes d’Aqmi (2), d’Ançar Dine et du Mujao au début de l’année 2012.

Expression d’une révolte, celle d’Intagrist el Ansari en personne, Touareg né à Tombouctou, membre de la grande tribu des Kel Ansar dont le territoire est le théâtre central de ces mouvements alternatifs prenant en étau et en otage la population civile de la région.

Expression d’une révolte naturelle puisque l’auteur subit un exil forcé en Mauritanie, comme plusieurs centaines de milliers de Touaregs originaires de la zone de guerre civile déplacés depuis des années dans des camps de réfugiés au sud de la Mauritanie, en Algérie, au Niger et au Burkina Faso.

Expression d’une révolte douloureuse puisque ces exils récents font suite à des exodes successifs depuis plusieurs décennies, avec, dans le même temps, un nombre effarant de victimes (estimé à hauteur de 120.000 à 150.000 civils tués).

Expression d’une révolte légitime que le lecteur est amené à partager à la lecture des récits des réfugiés ayant échappé depuis 2012 à l’oppression, aux exactions et crimes perpétrés par l’application de la charia, aux exécutions sommaires et aux massacres commis à l’occasion de chacune des opérations de « libération » réussies à tour de rôle par les factions ennemies traquant dès leur arrivée ou dès leur retour sur zone ceux et celles ayant « collaboré » avec l’occupant précédent puis par des éléments revanchards de l’armée nationale malienne lors de la reconquête menée avec l’appui des troupes françaises bientôt renforcées par celles de la MINUSMA (3).

Expression d’une révolte, et d’un désespoir qui refuse, malgré la tragédie que vit le peuple touareg du Nord-Mali de génération en génération depuis l’époque coloniale, d’être définitif puisque le dernier chapitre s’intitule « L’espoir malgré tout ».

« Comment se relève-t-on quand on est brisé par la colonisation et ébranlé par les sécheresses, les rebellions, les exactions et l’incessant exil ? L’assombrissement des horizons ne permet pas, hélas, de voir les voies de sortie de sitôt.

Cependant un peuple qui subit les affres de l’extermination, quand la menace de l’extinction plane, est toujours capable d’un sursaut et d’une résurrection, parfois là où on ne l’attend pas… ».

Et le poète qu’est, aussi, Intagrist el Ansari comme le sont tous les hommes et toutes les femmes touarègues, conclut son œuvre de pédagogie, son témoignage, son analyse, ses réactions, sa révolte par un long poème, un hymne émouvant à la riche et indélébile culture millénaire de son peuple qui n’a plus, depuis des lustres, que « l’exil pour patrie ».

Je suis le tambourin résonnant dans les tréfonds de vos cœurs

Transe et vibrations séculaires de jadis à l’immuable

Respect !

 

Patryck Froissart

 

(1) Mouvement National de Libération de l’Azawad, dont les éléments armés, ex-militaires maliens de l’armée libyenne, sont rentrés au Mali après la chute de Kadhafi

(2) Al-Qaïda au Maghreb Islamique

(3) MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali

 

  • Vu : 2374

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Intagrist el Ansari

 

Intagrist el Ansari, natif de la région de Tombouctou, au Mali, réside en Mauritanie depuis 2012. Auteur indépendant, il est aussi réalisateur de documentaires et correspondant en Afrique du Nord-Ouest (Sahel-Sahara) pour des magazines et journaux internationaux.

 

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:39 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, Tareq Oubrou (par Patryck Froissart)

Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, Tareq Oubrou (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 20.08.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesEssaisPlon

Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, mai 2019, 347 pages, 19,90 €

Ecrivain(s): Tareq Oubrou Edition: Plon

Appel à la réconciliation, Foi musulmane et valeurs de la République Française, Tareq Oubrou (par Patryck Froissart)

Ne pas trop prendre, peut-être, à la lettre, a priori, avant même d’avoir parcouru l’ouvrage, un titre un peu alarmiste qui pourrait laisser à penser qu’il s’agit par cette publication de cibler une situation gravement conflictuelle entre communautés vivant en France. Le sous-titre circonscrit de façon plus précise le sujet, lequel pourrait être justement intitulé « Appel à la conciliation ». La thématique est certes de celles qui agitent et divisent notre société, et qui délimitent les sphères d’action idéologique de nos partis politiques. Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, franco-marocain cultivé, ne cache pas qu’il a été (mais dit qu’il n’est plus) membre de la confrérie des Frères Musulmans. Il s’interroge, et interroge, sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la République, et il donne sa réponse : la foi musulmane, fondamentalement (à condition que cet adverbe n’ait rien à voir avec ceux et celles qui s’affirment « fondamentalistes » dans une mouvance wahhabite militante, intégriste et provocatrice), n’est pas opposable aux valeurs, aux lois, aux traditions qui fondent la culture, évidemment plurielle, la vie quotidienne, incontestablement métissée, et le contrat social, constitutionnellement laïque, de la nation.

L’auteur affirme la faisabilité de la mise en forme, et de la mise en place d’un islam de France pensé, débattu, défini, établi par un consistoire de sages, théologiens éclairés, savants, laïcs, hommes et femmes de lois, personnalités politiques, croyants et non-croyants. Ainsi cadré, l’islam en France trouverait un statut similaire à celui des autres cultes pratiqués sur le territoire national dans le respect des lois démocratiques définissant la spécificité de la laïcité à la française. L’islam n’est pas du seul ressort des musulmans, n’hésite-t-il pas à écrire.

« Le non-musulman peut dire des choses pertinentes sur l’islam. […] Il est reconnu par tous les savants de l’islam que le statut de mujtahid est le grade intellectuel le plus élevé en matière de savoir religieux. Certains ouvrent ce statut à des non-musulmans, même à ceux qui renient Dieu… ».

Exposant sa propre conception de cette adaptation/intégration selon lui obligatoire et inéluctable sous peine de voir continuer à croître en notre pays des tendances partisanes extrémistes xénophobes et islamophobes, Tareq Oubrou développe les conditions selon lui préalables à l’instauration d’un islam spécifiquement français dont les pratiques cultuelles et les adeptes se fondraient dans la modération, la neutralité, la tolérance, la non-ostentation. Il n’hésite pas à intituler l’un des chapitres de sa thèse : « Tout dans le Coran n’est pas praticable », ce qui ne peut manquer, il en est conscient et il en assume les risques, de lui attirer les foudres des fondamentalistes intégristes.

En bon exégète du Coran, Tareq Oubrou met en évidence les erreurs de lecture, omissions, interprétations fallacieuses, dévoiements volontaires, applications rigoureuses totalement inadaptées aux modes de vie des sociétés contemporaines de commandements et recommandations coraniques historiquement explicables dans le seul contexte de la contemporanéité de sa genèse.

« Il y a en effet des prédicateurs qui doivent apprendre à se taire, car ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ils incitent les musulmans à témoigner de leur foi là où ils se trouvent, au lieu de les inciter à vivre intelligemment, pudiquement et sereinement celle-ci.

Se pensant antisystèmes, ils font de leur religion une arme de combat identitaire. Pour moi, c’est de l’inconscience… ».

Sans en passer sous silence les causes historiques (le passé colonial français par exemple) et sociologiques (les enclaves péri-urbaines où sont concentrées des communautés frappées particulièrement par la précarité et le chômage), il dénonce les comportements communautaristes générationnels actuels de repli, d’entre-soi, de fermeture à l’autre, de règlements de vie intrinsèques aux quartiers mais non conformes aux lois nationales, d’affichage ostentatoire d’appartenance religieuse, de manifestations cultuelles empiétant sur l’espace public au motif de la liberté d’expression et de culte, qui sont le fait de sécessionnistes communautaristes militant au sein de la société française trop laïque à leur goût.

« On parle beaucoup d’un réveil de l’islam. Il s’agit d’un tellement mauvais réveil que je lui préférerais un sommeil paisible ».

Il effectue sa mise au point à l’endroit, entre autres éléments sociétaux, de la loi interdisant le port de la burqa, du voile intégral : il la justifie sur le plan sécuritaire tout en souhaitant qu’elle n’apparaisse pas comme une décision anti-religieuse.

« Le droit des musulmans doit être le droit français ».

Il conseille à ses coreligionnaires d’être discrets, de se vêtir comme tout le monde dans un contexte occidental, de respecter les règles de vie commune propres au pays, et d’adopter une apparence physique normée. Ridiculisant par ailleurs, dans son désir de promouvoir une relation sereine de ses coreligionnaires avec les membres de la communauté juive française, les fondements conspirationnistes du fameux et fumeux « complot juif mondial », replaçant dans les limbes de l’affabulation raciste le puant « Protocole de Sion », Tareq Oubrou étaie ses propos pacifistes et fraternels en se référant à de multiples sources, islamiques, chrétiennes, hébraïques, philosophiques, métaphysiques, psychanalytiques, linguistiques, littéraires, sociologiques, scientifiques dont la diversité érudite confère à sa thèse une crédibilité certaine.

La conclusion est claire :

« Nous avons démontré tout au long de cet ouvrage que l’allégeance au politique et aux contrats moraux et politiques de la République prime […] sur l’appartenance religieuse musulmane ».

Lecture faite, on ne peut que souhaiter que ce livre soit un important élément de réflexion dans le débat sur la place de l’islam en France.

 

Patryck Froissart

  • Vu : 1358

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Tareq Oubrou

Tareq Oubrou

 

Né en 1959 à Taroudant (Maroc) d’une mère professeur de français et d’un père directeur d’école, Tareq Oubrou a vécu jusqu’à 19 ans dans la banlieue d’Agadir. Après un bac de sciences expérimentales, il s’inscrit à la faculté de médecine de Bordeaux en 1979. Devenu imam en 1991 à la mosquée de Bordeaux, affilié à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), il « rêve d’un islam qui cesserait d’être le vecteur des revendications identitaires ».

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:37 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Quatre saisons en enfance, Catherine de la Clergerie (par Patryck Froissart)

Quatre saisons en enfance, Catherine de la Clergerie (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart le 10.07.19 dans La Une CEDLes ChroniquesLes Livres

Quatre saisons en enfance, Catherine de la Clergerie, éd. Maurice Nadeau, mai 2019, 163 pages, 17 €

Quatre saisons en enfance, Catherine de la Clergerie (par Patryck Froissart)

Candide au féminin ?

La narratrice à la première personne de ce « roman éclaté » se campe en effet comme une ingénue qui, depuis l’enfance, découvre et subit l’autre et le monde au hasard des circonstances, au gré des rencontres, au cours des transformations de son corps et de l’évolution de sa psyché.

 

Première saison : Née en 51

Candide au féminin ?

Oui et non, puisque tout au long de la première de ces quatre saisons, intitulée Née en 51, Catherine, alias Cathou, de sexe féminin pour l’état civil et l’entourage familial, agitée par des pulsions antagonistes, éprouve une sourde et puissante inclination pour les filles qu’elle fréquente, développe de la répulsion à l’encontre des garçons après qu’un « grand » a tenté de l’embrasser de force, et connaît son premier grand amour lors de vacances partagées avec son cousin Sylvain.

La narratrice traduit ce vertige non seulement en mettant en scène ses réactions, ses sentiments, sa relation avec les uns et les unes mais encore, par le truchement d’une confusion subtile des genres grammaticaux en passant ici et là brusquement en parlant d’elle/de lui du… féminin au masculin et inversement, plongeant ainsi dans le trouble lecteurs et lectrices.

Mademoiselle Le Quéret […] a serré ses doigts sur mon bras en hochant la tête tellement elle en était certaine :

– C’est un garçon manqué.

J’ai tout de suite su qu’elle avait raison ; maman a même souri, donc c’est vrai […], bon, mais alors elle ne peut pas continuer à me parler comme si j’étais une fille…

 

Deuxième saison : Près du Loing

Sous ce titre amusant, alternant allers et retours de Châlette, lieu de naissance et résidence familiale, à Montargis, l’auteure revit ses années d’école, de collège et de lycée, sous formes successives d’anecdotes villageoises, de portraits de personnages locaux, de figures et de propos d’enseignants l’ayant marquée, de commentaires critiques sur tel ou tel contenu d’enseignement, de déambulations contemplatives de promeneuse solitaire dans les rues d’une ville présentée comme figée, et figeant ses résidents de façon oppressante dans le passé, et de récits expressifs de ses relations complexes et épisodiques avec ses condisciples.

Vision intérieure, personnelle, subjective du déroulement de cette seconde période, que l’auteure inscrit dans un cercle sociocentrique qui s’élargit peu et qui s’achève au moment où, son cursus scolaire terminé, elle quitte Montargis et l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte.

Nous quitterions Montargis et ses vestiges qui tentaient une dernière fois de nous attirer dans le gouffre du temps, nous irions à Paris, la ville éternelle qui ne parle que de l’esprit…

 

Troisième saison : Un amour en 74

D’Avignon à Paris, Auteuil, la chambre sous les toits, les boulots précaires, mal payés, peu attractifs et éphémères, la dèche, mais un livre, la rencontre, l’amour, le partage, l’insouciance… Un tableau qui peut faire penser à La Bohème d’Aznavour…

La narration, non linéaire, est alerte, toute de petites touches, en pointillés ; un patchwork de prises de vues sur le vif, un kaléidoscope de souvenirs, un puzzle d’impressions et d’émotions. Cela pourrait paraître décousu, mais tout se tient, l’ensemble reconstituant une nouvelle tranche de vie à la tonalité globalement harmonieuse, toute de tendre dérision et de douce mélancolie. Transition heureuse en dépit de la précarité.

Il n’y a pas de travail pour Théo. Mais Théo travaille. Son lieu privilégié est le café. La main tournant la petite cuiller dans l’expresso, les yeux dans la rue, il travaille.

Nous nous rendons à son lieu de travail préféré. Je commande un chocolat.

 

Quatrième saison : Un squelette lumineux

Les années passent… Révélations mal vécues de secrets de famille… La mort d’un frère, la mort du père, la mort de la mère… D’âcres remontées de bile contre les petites et grandes injustices vécues à diverses périodes de la vie… Ici le temps du récit rejoint le présent de l’auteure, alors que survient la maladie, ultime injustice… qui fait ressurgir celles du passé.

Beaucoup de colère en vous… Votre foie chargé de toxines.

[…]

Je ne supporte pas l’injustice. Ça pourrait être ça, la colère dans mon foie ?

Dans cette dernière saison, le ton change. La narratrice, sexagénaire, porte sur les années écoulées un regard rétroactif qui a gagné en lucidité dans sa vision du monde dégagée en partie du filtre d’ingénuité des saisons antérieures bien que comportant toujours une bonne dose d’étonnement et de candeur face au comportement d’autrui, et l’écriture se charge en conséquence d’un goût d’amertume.

 

Et l’auteure boucle la boucle avec ironie dans un épilogue intitulé Après-tout :

Je ne suis pas devenue un homme. Je suis resté un garçon pour qui le « e » était absent.

[…]

Mais à ce qu’il paraît, je suis devenue une autrice. Je n’arrive pas à m’y faire.

 

Roman éclaté, donc, dont la composition non linéaire, fragmentée, correspond bien à ce qui se passe chez celui/celle qui laisse son esprit librement vaquer dans les méandres d’un passé d’où ressurgissent plus ou moins aléatoirement écueils de souffrance et îlots de bonheur.

Une belle lecture.

 

Patryck Froissart

 

Catherine de la Clergerie a écrit de nombreuses pièces pour la jeunesse, diffusées dans l’émission « Les Histoires du Pince-Oreille » sur France Culture. Son plus grand succès, Padipado, la Sorcière du TGV, a été créé en 1997 au théâtre Le Sémaphore à Nantes par Janick Fiévet et sa troupe d’enfants. Cette pièce, éditée chez Retz, est disponible en CD Radio France. Elle a animé durant une dizaine d’années en région parisienne des ateliers d’écriture et de jeu théâtral avec des enfants de classes primaires.

 

 

  • Vu: 1415
 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

14:35 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

07/10/2022

Poèmes en prose, et autres poèmes inédits, Ivan Tourgueniev (par Patryck Froissart)

Poèmes en prose, et autres poèmes inédits, Ivan Tourgueniev (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 08.04.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesPoésieRussieEditions Maurice Nadeau

Poèmes en prose, et autres poèmes inédits, novembre 2018, trad. russe Christian Mouze, 150 pages, 22 €

Ecrivain(s): Ivan Tourgueniev Edition: Editions Maurice Nadeau

Poèmes en prose, et autres poèmes inédits, Ivan Tourgueniev (par Patryck Froissart)

Un beau livre aux pages de belle texture d’avorio 90g sous couverture cartonnée : on ne pouvait guère faire moins pour cette traduction française originale des Poèmes en prose et autres poèmes inédits d’Ivan Tourgueniev, considéré comme « le plus français des poètes russes ».

Il s’agit de courts textes qui, pour la plupart, consistent en la saisie sur le vif d’un élément naturel, ou en l’attrapage au vol d’une pensée de passage, ou en la capture d’une scène anodine, à partir de quoi l’auteur développe un point de vue ou confie une émotion, un sentiment, un aveu, une vision, une hypothèse, une interrogation. Sauf quelques très rares exceptions de pièces versifiées, ces morceaux de ce qui s’apparente à d’ultimes propos ante mortem, pour certains quasiment testamentaires, sont donc écrits en prose.

Le dernier texte du volume, plus long, appartient spécifiquement au genre du récit. Intitulé La Caille, il met en scène un souvenir d’enfance de Tourgueniev ayant pour action une partie de chasse avec son père, au cours de laquelle se produit un événement qui lui fait perdre définitivement le goût de chasser.

Tous les textes réunis ici sont d’un Tourgueniev malade qui se sait proche de sa fin. Le thème de la vieillesse et la vision corollaire de la mort qui guette omniprésente en constituent les champs sémantiques récurrents.

Le poète exprime non seulement, sans fausse retenue, son angoisse croissante face à l’inexorabilité de sa propre disparition, mais encore, en tant qu’élément constitutif de ce qui l’environne, sa perception douloureusement solidaire de la mort des êtres et des choses qui l’entourent jusqu’à, par cercles concentriques de plus en plus larges, ressentir cruellement la crainte de l’extinction de la culture russe dont il se sent particule élémentaire.

Tourgueniev, socialiste, progressiste, grand militant des libertés, de l’égalité, des droits de l’homme, vit mal la dictature tsariste d’Alexandre III qui marque la résurgence d’un conservatisme rétrograde après une période libérale d’émancipation des serfs et de progrès social. A quoi, s’interroge l’auteur, risque d’aboutir cet obscurantisme social, ce repli sur des structures sociétales archaïques ? Dans une perspective pessimiste, la langue russe, matrice de cette grande nation qu’il chérit, peut-elle décliner et mourir ?

« Ô grande, puissante, honnête et libre langue russe ! Sans toi, comment ne pas tomber dans le désespoir à la vue de tout ce qui se trame chez nous ? Mais il m’est impossible de croire qu’une telle langue n’ait pas été donnée à un grand peuple ! ».

Les textes sont d’une densité remarquable. Ainsi, dans La Prière, s’impose au crépuscule du poète le doute sur l’existence d’un dieu omniscient, s’opposent en réflexion la croyance et la raison, se pose la question de la nature de la Vérité, trois sujets qui s’entrecroisent en un cheminement que l’auteur conclut par une sacrée pirouette :

« Mais si on lui oppose la Vérité, qu’il répète alors la question fameuse : Qu’est-ce que la Vérité ?

Aussi il faut boire, festoyer – et prier ».

Dans Vérité et Justice, l’immortalité de l’âme permettrait-elle de posséder la Vérité « éternelle et indubitable » ? Tenir la Vérité procurerait-il la félicité ?

« Sur la recherche de la vérité, toute notre vie repose. Mais la posséder ? Et y trouver la félicité ? ».

La beauté marmoréenne, instantanément saisie, fixée, figée, d’une femme, sans doute aimée, étendue sur son lit de mort n’est-elle pas le symbole paradoxal de l’immortalité ?

Imaginant un oiseau qui vole jusqu’à l’épuisement au-dessus de l’océan, jusqu’à y tomber et y disparaître (Sans nid), Tourgueniev y voit la représentation de la futilité de sa propre trajectoire, du néant absurde dans lequel elle s’achève et se dissout dans la nature qui poursuit, quant à elle, indifférente, sa marche.

« La vague l’a englouti… et roule comme d’habitude, dans un tapage sans but.

Que vais-je devenir ? ».

Emerge parfois quelque révolte dans le thème, récurrent, de cette éphémérité de l’homme face à la pérennité de la nature symbolisée par exemple par l’immuabilité du chant du merle…

Révolte aussi, plus prosaïque, politique, à la pensée des frères qui « par milliers sont jetés dans la gueule de la mort à cause de l’impéritie de leurs chefs », ou à l’évocation de la situation politique de la Russie en régression :

 

Il y a beau temps que je n’avais pas revu mon pays natal

Mais je ne retrouvai pas en lui de changement sensible.

C’était la même stagnation livide, prostrée,

Des bâtiments sans toit, des murs en ruine,

Et la même boue, la même puanteur et la misère et l’ennui !

 

Ici, ce sont des regards rétrospectifs douloureux sur le temps où le cœur, « de tous côtés assailli de jeunes cœurs de femmes, sous leurs caresses s’empourprait ».

Là, le poète se fait lyrique en voyant tomber les « étoiles légères d’une première neige ».

Ailleurs le vieil homme repousse rudement la main que lui tend innocemment une enfant (A qui la faute ?) :

 

Quelle est ma faute ? Chuchotent ses lèvres.

Voici : tu es la jeunesse ; je suis la vieillesse.

 

Là, les montagnes de la Jungfrau et du Finsteraarhorn commentent le spectacle que leur offrent, dans la vallée, millénaire après millénaire, l’apparition de l’homme, sa multiplication, son appropriation de l’espace, ses activités dévastatrices puis son extinction définitive et le retour de la paix sur la terre (Conversation).

Ici est la vision macabre des crânes décharnés de danseurs et danseuses dans une salle de bal.

Là l’auteur essaie d’imaginer à quoi il pensera « au moment de mourir ».

Ainsi, de façon lancinante reviennent, de texte en texte, le tourment provoqué par les images de ce qui fut et l’obsession effrayante de la mort.

 

Mais j’ai peur.

Je cède à une vision : debout, près de mon lit, cette figure immobile… Le sablier dans une main, l’autre elle l’a posée sur mon cœur…

Et dans ma poitrine il tressaille, s’agite, comme s’il avait hâte de parvenir à ses derniers coups.

 

En somme, c’est tout à la fois le livre ultime d’un écrivain qui milite, qui s’engage, qui se rebelle contre la décadence politique de son pays, celui d’un sage philosophe chenu à la pensée profonde et aux interrogations propices à la réflexion du lecteur, celui surtout d’un homme qui ne craint pas de mettre à nu et à vif ses faiblesses, sa vulnérabilité, sa peur, ses doutes devant la fatalité de l’existence humaine. Expression littéraire, certes, poétique, souvent, de combat, parfois, expression toujours sincère d’un homme qui se présente comme étant un humble mortel parmi tous les autres.

Un homme, donc, de qui on se sent immanquablement et immédiatement le semblable.

Il convient de saluer la qualité de la traduction et des commentaires de Christian Mouze.

 

Patryck Froissart

 

 

  • Vu : 2345

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Ivan Tourgueniev

Ivan Tourgueniev

 

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev est un écrivain, romancier, nouvelliste et dramaturge russe. Né en 1818, dans une famille aisée, il s’illustre en défendant des idées progressistes dans ses romans et provoque la censure des autorités russes. Il part pour la France en 1847 mais doit retourner en Russie en 1852. II partage ses terres avec ses paysans en 1860 avant l’abolition du servage l’année suivante. Son roman le plus célèbre est Pères et Fils (1862). Il finit par s’établir en France où il se lie d’amitié avec Flaubert, Zola, Hugo, Maupassant, Daudet, Sand. Il meurt en 1883 à Bougival où il s’était fait construire une datcha.

 

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

15:47 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

Mandela et moi, Lewis Nkosi (par Patryck Froissart)

Mandela et moi, Lewis Nkosi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 21.05.19 dans La Une LivresActes SudAfriqueLes LivresCritiquesRoman

Mandela et moi, trad. anglais (Afrique du Sud) Charlotte Woillez, 256 pages, 21,30 €

Ecrivain(s): Lewis Nkosi Edition: Actes Sud

Mandela et moi, Lewis Nkosi (par Patryck Froissart)

 

La collection Terres solidaires, créée en 2007, repose sur un principe de « restitution » au Sud de textes littéraires écrits par des auteurs africains, publiés initialement au Nord. Par le biais de la coédition solidaire et grâce à l’appui d’éditeurs français, des éditeurs en Afrique publient ainsi à des prix les plus accessibles possibles pour le lectorat des textes majeurs d’auteurs africains.

Date de publication de la version panafricaine : 2011, 360 pages

Prix au Rwanda : 3.300 RWF

Belle découverte que ce roman aussi succulent que truculent, offert par une collègue lors d’une mission au Rwanda !

Tout en se laissant aller au rythme soutenu des aventures et mésaventures de Dumisani Gumede, le héros, depuis son enfance jusqu’à un âge avancé, le lecteur assiste à une succession de scènes pittoresques de la vie quotidienne d’une famille zoulou et de son entourage rural et tribal de la région de Mondi.

Dumisani, fils de chef, est un admirateur inconditionnel de Nelson Mandela, dont il suit, durant toute son enfance et adolescence, avec une passion sans réserve, dans les colonnes du journal I-Qinizo, d’abord les discours militants de lutte contre l’apartheid puis le jeu de chat et souris entre le grand homme entré dans la clandestinité et la police lancée à sa poursuite. C’est ainsi qu’après avoir terminé ses études dans le collège local, Dumisani crée un club de football local sous l’appellation « Club Nelson Mandela ».

La fascination qu’exerce le personnage de Madiba sur Dumisani n’est pas seulement d’ordre idéologique. Elle tient aussi à la réputation de séducteur infatigable du guide politique sur qui, en ce domaine également, notre héros s’efforce de prendre exemple en multipliant les conquêtes féminines dans toute la région, ce qui est vu traditionnellement ici comme trait de haute valeur, mis en avant par les chants sans équivoque des femmes lors de l’initiation rituelle qui marque, pour un adolescent, la sortie de l’enfance et l’entrée dans le cercle des hommes capables d’enfanter.

 

Dumisani, fils du lion Gumede, était à présent libre de se mêler à la foule au vu et au su de tous. Les filles du clan Mandeni se mirent à chanter :

Faites entrer le taureau dans l’arène !

Faites entrer le taureau dans l’esibayeni,

Et amenez-lui la vache la plus accueillante

Aux flancs larges

Et à l’arrière-train haut,

Que le taureau puisse la flageller.

 

La suite du chant est tellement crue qu’on ne la reproduit pas ici…

Son activisme politique et son tableau de chasse sexuel lui valent l’attention de plus en plus vigilante de la police régionale et la vindicte de plus en plus agressive des pères de famille dont les filles lui ont abandonné leur virginité dans les plus sublimes extases, à l’exception de Nobuhle, celle de qui il est passionnément amoureux et qui repousse dédaigneusement, orgueilleusement, ses parades et ses avances.

Qu’importe ? Dans l’un et l’autre registres, l’ardeur d’un Dumisani grisé à la fois par les succès et par l’aura politique grandissante de son icone et par ses propres conquêtes de séducteur local, loin de décroître malgré les menaces et les risques, transgresse toutes les bornes jusqu’au jour funeste de l’arrestation de Mandela et de son incarcération à Robben Island.

Coup de théâtre dans la « carrière » de Dumisani, aux conséquences tragiques qu’il appartient au lecteur de découvrir.

La prégnance du récit tient d’une part au suspense que produisent l’ascension locale de Dumisani, sa relation complexe avec la belle Nobuhle, l’attraction mimétique exercée sur le héros par le personnage de Mandela, la mise en parallèle du destin de notre coq de village avec celui du grand résistant, et d’autre part et simultanément à l’expressivité des scènes sur lesquelles toute cette trame narrative prend appui et fond pour impliquer le lecteur dans la vie ordinaire, les mœurs, les relations sociales, la culture, les traditions, les rites, les rituels initiatiques de cette communauté zouloue.

Un délice !

 

Patryck Froissart

 

 

  • Vu : 1475

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Lewis Nkosi

Lewis Nkosi

 

Lewis Nkosi, né à Durban le 5 décembre 1936 et mort à Johannesburg le 5 septembre 2010, est un écrivain sud-africain. Né dans une famille zoulou, il étudie au M. L. Sultan Technical College de Durban et travaille en tant que journaliste pour des publications comme Ilanga lase Natal ou Drum. Ses critiques sur l’apartheid l’obligent à s’exiler. Il quitte l’Afrique du Sud en 1961 et reçoit une bourse d’études à Harvard. Par la suite, il enseigne la littérature dans plusieurs universités aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Pologne ou en Zambie. Il ne rentre en Afrique du Sud qu’en 1991.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

15:46 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |

L’île aux enfants, Ariane Bois (par Patryck Froissart)

L’île aux enfants, Ariane Bois (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 29.05.19 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanBelfond

L’île aux enfants, mars 2019, 228 pages, 19 €

Ecrivain(s): Ariane Bois Edition: Belfond

L’île aux enfants, Ariane Bois (par Patryck Froissart)

 

A l’origine de ce roman, dont le titre fait référence, de manière antinomique, à l’île heureuse de Casimir, cette terrible réalité :

Entre 1962 et 1984, plus de deux mille enfants réunionnais ont été arrachés à leur île natale et envoyés de force dans la Creuse. Cette pratique a continué jusque tard dans le XXe siècle puisque c’est seulement sous François Mitterrand qu’on suspendra enfin ce transfert. Entre temps, 2150 mineurs réunionnais ont été répartis dans quatre-vingt trois départements français. Ce sont les chiffres irréfutables minimaux sur lesquels sont tombés d’accord les experts qui ont planché deux années durant au sein de la commission nationale d’information et de recherche historique, lancée en 2016 par George Pau-Langevin sous le quinquennat Hollande. L’Assemblée nationale venait de reconnaître solennellement la responsabilité morale de l’Etat.

Le travail de cette commission a permis d’établir également que la pratique avait duré 22 ans au total, c’est-à-dire plus longtemps que ce qu’avaient longtemps cru les rares à s’intéresser à ce sujet resté tabou. Et aussi, qu’elle avait eu une ampleur plus large qu’on ne l’imaginait, finissant par concerner presque la totalité du territoire français.

Si cet épisode méconnu s’appelle aujourd’hui communément « Les enfants de la Creuse », c’est parce qu’à lui seul, le département creusois a accueilli au moins 215 enfants. Parce qu’il était très peu peuplé et parce que les autorités locales regardaient l’accueil d’enfants en difficulté d’un bon œil. Une aubaine qui allait leur permettre de créer un centre d’accueil, et un nouveau souffle. Le partenariat fonctionne si bien entre La Réunion et la Creuse qu’un « directeur de la population » réunionnais est carrément muté en 1966 dans la Creuse. Lorsqu’il arrive, plusieurs contingents d’enfants ont déjà transité par le foyer de Guéret. De nombreuses autres vagues suivront. Trente pour cent d’entre eux avaient moins de cinq ans…

Ariane Bois, après s’être manifestement abondamment, consciencieusement documentée sur les tenants et aboutissants de ce scandale d’état, met en scène l’enlèvement brutal au bord d’un chemin et la déportation arbitraire de deux fillettes des hauts de La Réunion, deux petites cafrines, Pauline, six ans, et sa petite sœur Clémence, quatre ans

Peu de temps après leur transfert en France s’effectue le « triage ». Les deux sœurs, sans qu’il soit tenu compte de l’impact de ce traumatisme supplémentaire, sont cruellement séparées, lors d’une scène de grande violence.

Pauline sent qu’on la ceinture, le corps palpitant de sa sœur lâche prise, se détache d’elle, disparaît de son champ de vision, s’estompe déjà comme un fantôme entre les murs de l’établissement. Paniquée, la grande tourne sur elle-même comme une toupie en poussant un cri de bête. L’éducateur la traîne par la robe jusqu’à la douche.

– Arrête un peu ton cirque. Ça devrait te calmer…

Pauline se retrouve dans la Creuse et n’a plus aucune nouvelle de Clémence ni de ses parents, à qui il a été conté entretemps par les services sociaux réunionnais que leurs enfants leur ont été soustraites pour leur bien, que de toutes façons elles auraient été mises en foyer compte tenu de la situation matérielle précaire de la famille, qu’elles seront élevées dans des familles aisées, qu’elles y seront choyées, bien nourries, qu’elles feront de bonnes études, et cetera.

D’abord « placée » dans une ferme creusoise où elle assiste à la tentative de suicide d’un jeune garçon, placé lui aussi et réduit à l’état d’esclave agricole victime des pires sévices, Pauline est « affectée » dans une famille bourgeoise de Guéret. Une encéphalite aiguë la rend brusquement amnésique. Officiellement adoptée, devenue Isabelle Gervais, sans plus aucun souvenir de son passé d’enfant déportée, elle mène une enfance et une adolescence heureuses jusqu’au moment où le fils Gervais, Aymeric, qu’elle croit être son frère aîné, se met à la harceler sexuellement. La découverte, sur ces entrefaites, de sa véritable origine et de son nom de naissance l’amène à fuir sa famille adoptive pour une période d’errance chaotique qui connaît un dénouement heureux lorsqu’elle fait la rencontre de Marc, qu’elle épouse.

Ainsi se termine la première partie, dont l’intrigue à rebondissements est menée à la troisième personne par l’auteure-narratrice qui opère à ce point du récit une longue rupture elliptique.

Cette ellipse s’accompagne d’un changement de point de vue. L’histoire reprend une génération plus tard avec une narratrice à la première personne, Caroline, la fille de Pauline-Isabelle.

Caroline, portée par un impérieux besoin, quasiment vital, de recherche de ses origines, enquête opiniâtrement et retrace à rebours l’itinéraire de sa mère, ce qui la mène à La Réunion.

Le récit à la première personne donne une autre dimension à la narration, plus intimiste, plus vivante, qui provoque l’implication empathique du lecteur.

Cette seconde partie du livre constitue d’ailleurs à elle seule un deuxième roman tenant à nouveau le lecteur en haleine par la qualité des enchaînements narratifs et par la succession rapide des coups de théâtre.

L’auteure a su inscrire de façon réaliste, par le truchement de scènes de la vie courante « couleur locale » et par des intrusions linguistiques idiotiques, les épisodes de l’ensemble de l’ouvrage dans les contextes spatio-historiques de La Réunion et de la Creuse.

Elle réussit ainsi une double gageure littéraire, d’une part en offrant ce qu’il convient d’appeler un « bon roman », une histoire qui se tient et qui accroche, d’autre part en dénonçant un crime d’état trop longtemps volontairement occulté.

L’île aux enfants mérite en conséquence de figurer en bonne place dans la catégorie du roman social, cette démarche littéraire par laquelle l’écrivain acquiert dans la Cité le statut utile et nécessaire d’acteur critique.

A découvrir vite !

 

Patryck Froissart

 

Acheter le livre sur Amazon

 

Acheter ce livre sur Place des Libraires

 

 

  • Vu : 2456

Réseaux Sociaux

 

A propos de l'écrivain

Ariane Bois

Ariane Bois

 

Ariane Bois est grand reporter au sein du groupe Marie-Claire et critique littéraire pour le magazine Avantages. Elle a déjà publié deux romans : Et le jour pour eux sera comme la nuit, et Le monde d’Hannah, entre autres. Tous ont été salués par des prix littéraires et traduits en plusieurs langues.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart

 

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice.

Il a publié : en août 2013, Les bienheureux, un recueil de nouvelles (Ed. Ipagination), Prix Spécial Fondcombe 2014 ; en janvier 2015, La divine mascarade, un recueil de poèmes (Ed. iPagination); en septembre 2016, Le feu d'Orphée, un conte poétique (Ed. iPagination), troisième Prix Wilfrid Lucas 2017 de poésie décerné par la SPAF ; en février 2018, La More dans l'âme, un roman (Ed. Ipagination); en mars 2018, Frères sans le savoir, un récit trilingue (Editions CIPP); en avril 2019, Sans interdit (Ed. Ipagination), recueil de poésie finaliste du Grand Prix de Poésie Max-Firmin Leclerc ; en février 2020, La Fontaine, notre contemporain, réédition de l’intégrale des Fables, annotées, commentées, reclassées par thèmes (Ed. Ipagination) ; en mars 2020, Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. franco-canadiennes du tanka francophone) ; en avril 2020 : L’occulte poussée du désir, roman en 2 tomes (Ed. CIPP) ; en 2021 : Li Ann ou Le tropique des Chimères (Editions Maurice Nadeau)

15:45 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |