31/05/2022
Coup de sang, Enrique Serna
Coup de sang, Enrique Serna
Coup de sang (La sangre erguida), traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry, avril 2013, 335 pages, 20 €
Ecrivain(s): Enrique Serna Edition: Métailié

Bulmaro Diaz, alias Amador Bravo, a pour habitude de dialoguer avec son sexe. Le roman débute sur une période de relations tendues entre eux deux. Bulmaro en effet accuse son alter ego d’avoir fait preuve d’une concupiscence scandaleusement égocentrique lorsqu’il l’a obligé à quitter sa famille et à abandonner l’affaire prospère de mécanique générale qu’il possédait à Vera Cruz pour suivre à Barcelone Romalia, une chanteuse peu talentueuse mais fort voluptueuse :
« Ce que je ne te pardonne pas, c’est de m’avoir fait céder quand Romalia m’a annoncé à grand renfort de trompettes qu’on venait de lui proposer de chanter comme soliste dans un club de salsa à Barcelone ».
Juan Luis Kerlow a lâché ses études de biomédecine au grand dam de sa famille d’intellectuels pour faire une brillante carrière d’acteur du porno à Los Angeles. Il entre en scène en ce roman au moment où les producteurs, à la recherche de nouveaux talents, commencent à le laisser sur la touche. Par défaut, il accepte un contrat médiocre de cinq films sur un an à Barcelone.
« L’offre financière n’était pas très tentante : la moitié de ce qu’il gagnait pour un seul film pendant ses années de gloire… ».
Ferràn Miralles est cadre dans « une des agences immobilières les plus réputées de Barcelone ». Quadragénaire considéré comme très séduisant, il est impuissant depuis une première expérience sexuelle ratée avec une copine de lycée qui l’a dès le lendemain ridiculisé devant toute l’école.
« Je n’étais pas un petit vieux avec des problèmes de voies urinaires : j’étais un névrosé impuissant, c’est-à-dire une victime de ses propres démons ».
On l’aura compris, la vie sexuelle de ces trois hommes converge vers Barcelone, où ils vont se rencontrer et partager une triple descente en enfer.
La construction du roman alterne de façon régulière les épisodes de la vie de chacun des trois personnages, sous la forme de narration à la troisième personne pour ce qui concerne Bulmaro et Juan Luis alors que Ferràn se raconte, du fond d’une cellule de prison, à son médecin.
L’auteur entretenant soigneusement le suspense, ne donnant aucun indice qui permette de comprendre les raisons pour lesquelles ces trois destins se déroulent en parallèle, le lecteur, perplexe, persuadé que, par convention littéraire, l’intersection narrative finira par se produire, est captif, pris dans le courant, poussé en avant.
Sans dévoiler les ressorts de cette triple intrigue, on peut souligner que l’art de l’auteur se fonde sur un artifice astucieux : Juan Luis, le champion de la copulation à répétition, perd d’un coup toute capacité en la matière au moment où Ferràn, l’inhibé chronique, trouve tout aussi soudainement le moyen de se transformer à volonté en un fougueux étalon.
Toute construction en chiasme tourne autour d’un axe : ce rôle central de pivot est tenu par Bulmaro qui, pour subvenir aux besoins de sa chanteuse, est contraint de se livrer à des trafics illicites.
L’expression crue (sans obscénité), la récurrence et la précision des scènes d’accouplement (sans pornographie), l’humour omniprésent, décapant (sans vulgarité), la violence de nombreux dialogues (sans outrance), le vaudeville (réaliste) caractérisent en surface ce roman tragi-comique, et expriment en profondeur la piètre opinion que semble avoir l’auteur d’une société où la puissance est indissociable de l’argent, où la richesse matérielle est considérée comme unique condition au bonheur, où prime le souci, pour chaque individu, de satisfaire son SURMOI, ses instincts, ses pulsions, ses désirs, son envie d’assurer son pouvoir sur autrui.
Patryck Froissart
- Vu : 3923
16:16 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
29/05/2022
La première chose qu’on regarde, Grégoire Delacourt
La première chose qu’on regarde, Grégoire Delacourt
La première chose qu'on regarde, mars 2013, 264 pages, 17 €
Ecrivain(s): Grégoire Delacourt Edition: Jean-Claude Lattès

« Arthur Dreyfuss aimait les gros seins ». C’est par cette phrase déclarative et définitive que commence le roman, présentation on ne peut plus directe du personnage principal et du trait essentiel de son caractère.
Son attirance, depuis toujours, pour cette partie de l’anatomie féminine, « la première chose qu’on regarde », n’empêche pas Arthur de mener une scolarité normale, et de devenir bon mécanicien chez le garagiste Payen, après une enfance marquée par de terribles épreuves : la mort de sa sœur Noiya dévorée par le chien du voisin, l’absence de son père parti quelque temps après dans la forêt pour n’en plus jamais revenir, et la dégénérescence éthylique de sa mère jamais remise de la mort atroce de Noiya et de la disparition consécutive de son mari.
« Arthur Dreyfuss aimait les gros seins ».
Le sachant, on imagine dans quel état le met l’apparition, un soir, alors qu’il ouvre la porte de son humble maison à laquelle on a toqué, de Scarlett Johansson, la célèbre star « qui rapporta le titre de plus belle poitrine d’Hollywood, décerné par la chaîne américaine Access Hollywood (pour les curieux et les amateurs, Salma Hayek arriva en deuxième position, Halle Berry en troisième, Jessica Simpson en quatrième et Jennifer Love Hewitt en cinquième)… ».
Commence alors une prenante et surprenante histoire, un tendre et émouvant délire, une sorte de dérive fusionnelle, une espèce de fugue amoureuse, une fantaisie aussi passionnelle que touchante, souvent ingénue et poétique, sur fond de références filmographiques hollywoodiennes de ces vingt dernières années et d’extraits de poèmes de Jean Follain, dont Arthur a trouvé un recueil oublié au garage par une cliente.
La romance toutefois est hérissée, ici et là, de piques sur le monde épineux du cinéma, sur les jalousies latentes qui y règnent entre les stars, l’hypocrisie de leur entourage, le harcèlement des paparazzis. Ce monde-là est une jungle.
Les dialogues entre Arthur et son idole sont tantôt touchants, lorsque le narrateur rapporte les déclarations candides, voire naïves, que s’adressent les deux personnages qui s’enclosent dans leur bulle amoureuse, tantôt bouleversants, quand les protagonistes se racontent les épisodes douloureux de leurs passé de misère.
L’auteur crée le suspens, entretient le flou, mêle rêve, illusion, réalité, joue sur les ressemblances, installe la supercherie, superpose les sosies, met du cinéma, de la poésie et de la sensualité, introduit et enchevêtre songe et mensonge dans la vie d’Arthur et de sa compagne inespérée.
Emmené dans ce méli-mélo astucieusement construit, le lecteur ne s’ennuie guère.
« Le mensonge fait son nid partout », commente le narrateur.
Oui, mais le mensonge peut créer le bonheur.
Question : le bonheur, quel que soit l’événement qui le fonde, est-il durable ?
Grégoire Delacourt donne sa réponse, à la fin de ce livre étonnant et détonnant.
Patryck Froissart
- Vu : 3571
08:37 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
On s'embrasse pas ? Michel Monnereau
On s'embrasse pas ? Michel Monnereau
On s’embrasse pas ?, février 2013, 191 pages, 5 €
Ecrivain(s): Michel Monnereau Edition: J'ai lu (Flammarion)

Familles, je vous hais !
Le cri de Gide ne peut pas ne pas venir à l’esprit de qui pénètre en cet âpre roman !
Le narrateur, Bernard, revient dans la maison natale, dans un hameau de la France profonde, où, adolescent, il étouffait, d’où il est parti, quinze ans plus tôt, pour respirer, pour changer d’air, quasiment sans adieu, sans se retourner, laissant derrière lui désemparés puis désespérés son père, sa mère, et sa sœur.
Bernard revient après avoir roulé, sans but, dans l’esprit du mouvement hippie, sans s’être jamais arrêté nulle part, en ayant évité toute dérogation à la règle qu’il s’était fixée de n’accepter aucune contrainte, en ayant repoussé toute compromission avec le contrat travail-consommation du système capitaliste, « refusant d’être l’écureuil captif qui fait tourner l’économie ».
Bernard revient, comme il est parti, sur un coup de tête : « Ça m’a pris par quarante-huit degrés cinquante-deux de longitude et deux degrés vingt de latitude, vers minuit »…
Bernard revient dans le village morne où personne ne l’attend plus, où il retrouve d’abord sa sœur Fabienne qui l’accueille avec des reproches et une annonce : « Papa est mort », puis sa mère, terriblement vieillie, qui lui demande : « Pourquoi es-tu revenu ? », et qui l’accuse d’avoir tué son père : « Il est mort de t’attendre ».
Pris dans les mailles des souvenirs, dans la poix des regrets, et dans la pesanteur des reproches, replongé dans le quotidien étriqué qu’il partage péniblement avec une famille qui compte désormais un beau-frère, un beauf, un vrai, et deux nièces, Bernard déprime.
Seule sa nièce Chantal, une adolescente délurée fascinée par l’aventurier qu’il est à ses yeux, dissipe durant quelques jours par la fraîcheur de son jeune corps et par le soleil de son regard la morosité des lieux, jusqu’au moment où, sur le point de céder à la tentation de l’inceste, Bernard la rembarre et se replie dans la solitude de la chambre de son adolescence avec ses bières, ses cigarettes et ses livres.
On eût préféré qu’il ne revînt pas. On lui reproche d’être là, alors que le père n’y est plus. On lui en veut de s’incruster, comme un parasite. Mais on craint qu’il ne reparte, comme quinze ans plus tôt. Que diraient les gens ? Les relations sont tendues, les échanges verbaux sont vifs, acerbes, lourds de sous-entendus.
Et voici que la mère meurt, et que Fabienne prononce un nouvel acte d’accusation : « Sans toi, maman n’aurait pas eu cette attaque ».
Bernard s’isole dans la maison natale, dont il a tacitement hérité, désormais vide de toute présence humaine, mais pleine d’objets, témoins poussiéreux du passé. Chacune des rares rencontres avec sa parentèle, qui vit sa vie terne dans la maison voisine, est l’occasion de nouvelles disputes, de nouvelles accusations (la responsabilité de la fugue de Chantal, partie comme lui un matin sans un mot, lui est bien sûr imputée) jusqu’au jour où, ayant acquis la certitude que le choix qu’il a fait quinze ans plus tôt a été le bon, il ouvre la porte et s’en va droit devant sans la refermer.
La boucle est bouclée.
La narration à la première personne est intimiste, crue, terriblement amère bien qu’empreinte d’humour. On rit, mais on rit jaune. Le regard que porte Bernard sur le monde, sur les événements qui l’agitent, sur la famille, sur soi-même est sans concession. La seule façon de supporter la société est de la fuir, la seule possibilité de s’accommoder de l’existence des autres est de mettre fin à tout commencement d’attachement.
On pourrait conclure, en écho au cri de Gide cité ci-dessus, avec celui de Sartre : L’enfer, c’est les autres !
Patryck Froissart
- Vu : 3392
08:36 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Lila, Goethe
Lila, Goethe
Lila, La Cause des Livres (2013), Edition bilingue (allemand/français), trad. de l’allemand Annemarie Neffgen, préface Maud Duval, postface Pierre Bourdariat, 123 p. 16 €
Ecrivain(s): Goethe

Lila apprend par une lettre anonyme la mort de son mari le baron Sternthal. Elle tombe sans connaissance pour se réveiller folle, état qui empire lorsqu’on lui annonce que la nouvelle était dénuée de vérité et qu’elle voit réapparaître le baron. Elle le prend pour un spectre, assimile tous les membres de sa famille à des fantômes, et fuit dans les bois où elle erre en peine et en rond, épouvantée par toute tentative d’approche de la part de sa parentèle, plongée dans les ténèbres de nulle part (en donnant à son personnage le nom de Lila, Goethe savait probablement que ce mot, en arabe, désigne la nuit).
Pendant dix semaines se succèdent au château des charlatans qui lui appliquent sans succès les traitements courants à la fin du 18ème siècle (saignées, lavements, et autres thérapies bien plus douloureuses).
« Je frémis quand je pense aux cures que l’on a essayées sur elle, et je tremble à la pensée des autres cruautés qu’on voulait lui infliger avec mon accord », se lamente le baron, alors qu’on vient lui présenter un nouveau guérisseur, le médecin Verazio.
Mais voilà que Verazio, après avoir écouté avec attention les origines et les manifestations de la démence de Lila, propose un traitement inouï, consistant à entrer dans le délire de la jeune femme, mode thérapeutique qui, à l’époque de Goethe, anticipe d’un siècle Freud et ce qui deviendra par la suite la psychanalyse et, plus particulièrement, le psychodrame !
Tous les habitants du château, sous la férule de l’homme de science devenu dramaturge et metteur en scène, se déguisent et rejoignent Lila dans les bois où ils lui sont présentés par Verazio ayant endossé pour sa part le costume et le rôle de mage, comme des esprits bienveillants.
Alors commence une étrange sarabande avec chants, musiques et danses, dans cette atmosphère fantasmagorique qu’on retrouve de façon récurrente dans les pièces de Goethe.
le théâtre dans le théâtre
le rêve, l’illusion, le jeu, et la réalité qui s’entrelacent et se confondent
l’usage du masque trompeur pour démasquer la tromperie originelle
la puissance cathartique du verbe sur le public, et sa fonction d’auto-thérapie sur l’auteur lui-même
l’abolition, ou la transgression de la frontière entre l’ici et l’au-delà
l’amour qui vainc la maladie et la mort
une intrigue amoureuse qui vient s’intriquer dans la trame principale…
une telle richesse dans une pièce aussi courte (quatre actes brefs) procure au lecteur le vertige que seules provoquent les grandes œuvres et l’oblige à s’incliner devant l’éclatante évidence du génie.
Cerise sur le gâteau : cette édition comporte en préface une présentation érudite de la genèse de Lila, signée de Maud Duval, agrégée d’allemand, docteur en études germaniques, et offre en postface une intéressante réflexion de Pierre Bourdariat, psychanalyste et psychodramatiste, à propos de la relation qu’on est en droit d’établir entre cette œuvre de Goethe et les travaux du Docteur Jacob Levy Moreno (1892-1974) et de ses disciples contemporains sur la fonction thérapeutique du psychodrame.
Patryck Froissart
- Vu : 9002
08:34 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Libre livre, Jean Pérol
Libre livre, Jean Pérol
Libre livre, 2012, 157 pages, 18 €
Ecrivain(s): Jean Pérol Edition: Gallimard

Le titre dit : Liber ! Livre ! Liberté !
Tout livre délivre, on le sait, et l’étymologie est là, si besoin est, pour le confirmer.
Ce livre est, entre tant d’autres, œuvre de liberté.
Ecrire que toute poésie est liberté, que tout poète est homme libre, relève du sens commun.
Mais Jean Pérol s’affranchit de tout.
Il transgresse les règles prosodiques traditionnelles. Oui, c’est vrai, bien d’autres, depuis longtemps, l’ont fait. Lui n’est pas de parti pris : régulièrement il y revient, quand ça lui chante, et ses vers sont alors dignes des grands classiques, et ils nous chantent, tout autant que ceux qu’il ne vêt pas du costume académique.
« plus rien dans l’ombre un peu qui tente
rien dans les yeux qui ne te mente
la Seine joue de ses traîtrises
où la mort frappe par surprise »
Jean Pérol se joue de la typographie linéaire. D’accord, Apollinaire a ouvert, il y a un siècle, ce champ-là ! Mais Pérol ajoute, au milieu de ses lignes, de l’espace, du blanc, de la respiration. Et ces brefs silences font sens, et ces vides sont denses.
« tout la soupire cette fin
lents soleils blancs neiges qui tombent
et grises et rousses sur les monts
les feuilles mortes les colombes »
Jean Pérol contrevient avec, on le sent, une profonde jouissance, à l’unicité conventionnelle du registre de langue. Evidemment, les surréalistes, et, en son genre, notre Brassens, ont brisé ces barrières avec bonheur.
« à chacun son morceau
son bout de vie et salut
à chacun son cadeau
puis de l’avoir dans le cul »
Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que le titre de chaque poème se trouve, subversivement, au-dessous du texte, constitué par les deux ou trois derniers mots de la dernière ligne. Mais, quand même… renversant !
Ainsi Jean Pérol passe les bornes, celles de la composition, celles du langage, et celles de la vie, aussi !
On l’aura immédiatement remarqué dans les strophes citées : la mort est partout. C’est que Jean Pérol est déjà au-delà d’ici, au-delà de ça !
Des chaînes de l’être il s’est déjà désentravé.
Finalement, ce qui enchante (au sens ancien du terme), dans son écriture, c’est son désenchantement, permanent, à propos de tout, y compris de ce qui a été sa raison de vivre, la poésie :
« je pense pourtant de plus en plus avec un autre
que toute l’écriture est de la cochonnerie »
Quelle belle désespérance !
Des textes plus formellement prosaïques mais non moins essentiellement poétiques forment le dernier tiers du livre, et cristallisent, dans un discours fluide, les obsessions du poète.
« Plus d’un l’affirme : j’ai un petit quelque-chose à dire, j’ai. Les dieux s’occupent de moi, ils m’ont repéré. Bien sûr, orgueil venu des cellules obscures. Mais tout de même, pourquoi tant d’assurance et de mauvaise foi ? Et puis un jour devant soi, une bonne fois, on perçoit tous ses mots en poussière, et l’on n’a plus le même air ».
Qui osera dire que la poésie est moribonde, et qu’elle ne se lit plus ?
Patryck Froissart, Flic en Flac, 9 mars 2013
- Vu : 4582
08:33 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard
Memento du franc-maçon, Guy Chassagnard
Memento du Franc-Maçon, 2012, 590 p. 25 €
Ecrivain(s): Guy Chassagnard Edition: Pascal Galodé éditeurs

Le titre de cet imposant ouvrage de 590 pages pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un livre destiné aux seuls initiés, d’une sorte de catéchisme maçonnique qui ne serait pour les profanes qu’un texte occulte de plus sur les prétendus « mystères » de la franc-maçonnerie.
Il n’en est rien.
Le tour de force de Guy Chassagnard est d’avoir élaboré un document « tout public » sans tomber dans la vulgarisation sensationnelle de textes d’auteurs se vantant d’informer le lecteur, qu’ils présupposent naïf, sur la franc-maçonnerie tout en feignant d’en savoir beaucoup plus que ce qu’ils veulent ou peuvent en dire, et s’acharnant à envelopper d’une atmosphère d’occultisme des éléments qui ne sont secrets que de polichinelle.
La lecture de ce mémento sera sans aucun doute utile aux profanes qui ont la saine curiosité de s’informer sur les objectifs de la franc-maçonnerie, qui ont l’envie sans a priori de mieux connaître cette association d’hommes de bonnes mœurs, et qui souhaitent se défaire des préjugés, des clichés, de l’image volontairement fausse qu’en donnent régulièrement les médias.
La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique et progressive […] a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » (Article premier de la Constitution de 1877 du Grand Orient de France).
En feuilletant ce livre, ils auront l’opportunité d’apprendre de la franc-maçonnerie, de son histoire, de ses origines attestées ou mythiques, de ses rites, de ses rituels, de ses ornements, de son lexique, et, surtout, de ses principes fondamentaux… tout ce qu’il est possible d’en dévoiler sans contrevenir aux règlements maçonniques de nécessaire confidentialité. La gageure est noble : faire de la lumière sur ce qui est présenté généralement, et abusivement, comme hermétique, et qui a été ridiculement mis jadis à l’index par l’Eglise Catholique (bulles de Clément XII et de Benoît XIV en 1738 et 1751).
Pour autant la lecture de ce mémento ne sera pas inutile aux initiés. La présentation et l’explication, simples, sans ambages, des éléments fondamentaux, des (très nombreux) points communs et des différences (foncièrement, pour la plupart, insignifiantes) entre les rituels du degré d’Apprenti de chacun des trois grands rites pratiqués par les obédiences françaises (Le Rite français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Ecossais Rectifié) sont en effet d’une telle rigueur, témoignent d’une telle volonté de clarté, et sont formulées avec tellement de précision et de références que tout Franc-Maçon, quels que soient ses degrés, grades et qualités, pourrait (devrait) faire de ce volume son « dictionnaire » des fonctions, des offices, des symboles, des expressions, des multiples éléments de langage qui lui sont familiers mais dont il ne maîtrise pas toujours le sens profond, et devrait le garder, en guise d’outil, à portée de main sur sa table de chevet ou dans un coin du bureau sur lequel il trace ses planches.
Le lecteur, initié ou profane, ne peut manquer d’être intéressé par exemple par l’article sur le Nombre d’Or, connu et utilisé dès l’Antiquité par les bâtisseurs de temples, par l’éclairage porté sur la démarche d’initiation, par le sens symbolique des objets présents dans les ateliers au premier degré, par les statuts préfigurant, entre autres écrits, ceux de la Franc-Maçonnerie, inscrits dans la Legge del Paradiso promulguée à Bologne en 1256, loi qui supprime le servage et libère les esclaves six siècles avant la France !
L’organisation du livre autorise une lecture intermittente, non linéaire. Après une intéressante entrée générale dans l’histoire et la situation actuelle de la franc-maçonnerie française, viennent trois gros chapitres consacrés successivement au Rite Français, au Rite Ecossais Ancien et Accepté, et au Rite Ecossais Rectifié. Une bibliographie choisie puis un index alphabétique lexical précis complètent cet ouvrage qu’on peut mettre, sans réserve, entre toutes les mains et qui, il faut le souligner, n’a aucun objectif, ni affirmé, ni subliminal, de prosélytisme…
Patryck Froissart
- Vu : 4329
08:31 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab
Mauvaises passes, Mohamed Al-Azab
Mauvaises passes (Wuqûf mutakarrir), traduit de l’arabe égyptien par Emmanuel Varlet, Seuil, format kindle février 2013, 176 pages
Ecrivain(s): Mohamed Al-Azab Edition: Seuil

Nous est familier, dans le roman, l’usage de la troisième personne, qui instaure, entre le personnage « IL » et le narrateur, la distance maximale.
Nous sommes habitués, également, à l’emploi du JE, qui abolit cette distance pour donner l’illusion que le narrateur et le héros sont une seule et même personne.
Mohamed Al-Azab, pour ce roman court et dense, a fait le choix d’une autre perspective, beaucoup moins courante : le narrateur s’adresse au personnage principal en utilisant le TU.
Certes nous connaissons des exemples de romans à la deuxième personne (La Modification, de Michel Butor, ou Un homme qui dort, de George Pérec, pour ne citer que ceux-là). Dans ces exemples, le narrateur s’adresse au lecteur, et l’institue, de gré et de force, héros du récit.
Ce n’est pas le cas dans Mauvaises passes. La technique mise en œuvre ici conduit à une situation étrange en laquelle on a l’impression que le personnage se parle à lui-même, en miroir, se raconte sa vie comme s’il ne la connaissait pas. Il semble que le narrateur et le héros ne forment qu’un seul être qui se dédouble dans la mise en scène en un témoin et un acteur, le témoin étant le JE implicite qui désigne son double, l’acteur, par la deuxième personne, TU.
Le récit étant écrit, à l’exception de quelques extrusions dans un passé proche, entièrement au présent, la simultanéité entre la narration et l’action renforce encore la sensation de l’absence totale de distance entre les deux composantes.
L’intrigue a pour lieu symbolique une garçonnière, en ville, où se transplante Mohamed Ibrahim, un jeune égyptien que la concurrence d’une grande enseigne vient de contraindre à fermer sa petite entreprise de jeux électroniques. Toute sa famille quitte un matin la ville provinciale de Madinet El Salam (la Ville de la Paix : on comprend la portée symbolique du toponyme), y compris la cousine et fiancée du jeune homme, venue du douar de Aïn Shams (La Source de Lumière : autre toponyme évocateur), pour aider à son installation dans « sa chambre de célibataire », et manifeste son incompréhension, voire sa réprobation :
La chambre ne leur plaira pas du tout. Ta mère restera interdite devant la vulgarité des femmes assises devant l’immeuble. Ses yeux lanceront des éclairs. Sur le moment, elle se gardera de tout commentaire, mais éclatera au cours du repas : « Quel être sensé abandonnerait la maison de ses parents pour s’installer dans un cloaque pareil ?!! »
Ce paragraphe condense toute la thématique, la problématique, la dramatique du roman : le jeune homme, au prétexte que retrouver du travail et recréer une entreprise sera plus facile en ville, a foncièrement envie de vivre sa vie, celle qu’il n’a pu vivre jusqu’alors à cause des contraintes sociales et morales, et rêve de faire de la chambre, avec la complicité de son camarade Moneim, l’endroit où il pourra assouvir sa soif de rencontres amoureuses sans tabou (d’où le titre français) et surmonter ainsi la frustration qu’il partage avec des milliers d’hommes et de femmes de sa génération dans un pays sur lequel pèse de plus en plus la lourde chape morale des interdits religieux, en particulier sexuels.
C’est un roman d’initiation, un roman exprimant une violente volonté de rupture générationnelle, un roman qui clame un besoin crucial d’émancipation, de révolution, et… de printemps ! La relation avec ce qui se passe en Egypte depuis deux ans est évidente.
Par le tutoiement, l’écrivain s’adresse, sans aucun doute, à tous les jeunes Egyptiens, réunis dans un TU collectif.
Cette jeunesse s’en sortira-t-elle ?
Mauvaises passes est d’une certaine façon un roman militant, même si son dénouement n’incite pas vraiment à l’optimisme…
Patryck Froissart
- Vu : 3919
08:30 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson
Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson
Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers, traduit du suédois par Philippe Bouquet, 2012, 491 p. 22 €
Ecrivain(s): Björn Larsson Edition: Grasset

Il y a ordinairement autant de distance entre le roman policier et la poésie qu’entre le jeune Werther et Hercule Poirot… bien qu’il existe des lecteurs prisant tout autant chacun de ces deux genres.
Björn Larsson a osé réunir dans un même livre poésie, crime, enquête policière, réflexions sur la poésie…
Le héros : Jan Y Nilsson est un poète, un vrai, de ceux pour qui l’écriture poétique est « une vocation à laquelle on [voue] son existence, sans considération de modes ni de tendances ».
Et voici qu’il se met, le traître, sur commande de son éditeur, à écrire… un roman policier !
Et voilà qu’il se permet de mourir quelques heures à peine avant d’apprendre par ce même éditeur que son roman sera un best-seller et lui rapportera des millions d’euros par contrats signés sur épreuves avant même qu’en soit écrit le dernier chapitre…
Jan Y Nilsson, poète doublement assassiné, littérairement d’abord, puisque ses livres ne se sont pas vendus de son vivant, puis physiquement, ce qui constitue le crime fondateur du roman policier (il est vrai qu’assassiner des poètes est une des préoccupations préférées de certains régimes), est certes le héros du roman mais le personnage principal en est un policier amateur et lui-même auteur (en secret) de poésie, Barck, et tous les rôles secondaires évoluent dans cet univers déplorablement restreint des amoureux ou des éditeurs d’ouvrages poétiques et forment le cercle dramatiquement réduit des lecteurs de Jan Y Nilson.
Le résultat de cette combinaison a priori monstrueuse est que le lecteur se retrouve avec deux livres en un.
Le premier pourrait s’intituler : « Qu’est-ce que la poésie ? », question à quoi le narrateur répond, en porte-parole des dernières pensées du héros qu’il va faire tuer, en exécuteur testamentaire du personnage dont il est en train de mettre en mots la mise à mort : « Tout ce qui était connu, banal, routinier et prévisible était l’ennemi de la poésie… ».
Car, corollairement, le narrateur nous introduit dans la pensée, entre autres, du policier Barck qui, tout en menant l’enquête, développe sa propre conception de ce que doit être, par nature, le poète, et livre sa vision de la fonction de la poésie : « On ne devenait pas poète […], on l’était de corps, d’esprit, et d’âme ».
Barck « entendait que la littérature était faite pour contrarier la réalité, les préjugés, les idées préconçues, les généralisations, les stéréotypes ; qu’elle devait gêner, surprendre, irriter, susciter la polémique et la révolte… ».
Le deuxième pourrait avoir pour titre : « Qui a tué Jan Y Nilsson et pourquoi est-il mort ? ».
Exprime-t-il une volonté de l’auteur de tourner en dérision le genre du roman policier ?
Björn Larsson met ainsi en scène une demi-douzaine de protagonistes, plus ou moins suspects, plus ou moins impliqués dans la recherche de la vérité, tantôt considérés comme possibles auteurs du meurtre, tantôt ayant le statut d’adjuvants pour l’inspecteur Barck, chacun exposant, par le truchement du dialogue ou de l’introspection narrative, sa perception personnelle du genre poétique et de la place du poète dans la société contemporaine.
En effet, toute l’intrigue se situe à notre époque, en phase chronique avec des événements dont certains ont été médiatisés quelques mois à peine avant la parution du livre, sur toile de fond d’un contexte politique européen et mondial ultralibéral et ultrafinancier qu’analyse, critique, et dénonce ouvertement et lucidement l’auteur, ce qui représente une raison de plus pour se lancer sans plus attendre dans la lecture de cet intelligent roman aux multiples facettes.
Patryck Froissart
- Vu : 4475
08:29 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
28/05/2022
Homo erectus - Tonino Benacquista
Homo erectus, Tonino Benacquista
Homo erectus, Folio 2012, 305 pages
Ecrivain(s): Tonino Benacquista Edition: Folio (Gallimard)

Chaque jeudi, à Paris, dans un endroit secret qui n’est jamais le même, des hommes racontent devant d’autres hommes la nature et l’évolution des rapports qu’ils entretiennent ou ont entretenus avec une ou plusieurs femmes, puis cette assemblée extraordinaire se sépare, sans un commentaire autorisé sur aucune des « confessions », sur l’annonce de l’adresse de la session suivante.
Ce pourrait être la scène d’un nouvel Heptaméron qui aurait pour règles singulières que les participants ne se connaissent pas, ne déclinent pas leur identité, ne cherchent pas à en savoir plus que ce qui est narré, ne se parlent pas, ne se rencontrent point hors de l’étrange atelier qu’ils cessent de fréquenter quand ils en ont envie.
Or dans Homo erectus, trois des personnages qui se sont trouvés un même soir en ce cercle mystérieux enfreignent ce règlement : tout en assistant épisodiquement aux soirées occultes, ils se retrouvent ponctuellement à la terrasse d’un café, confrontent le bilan négatif qu’ils se font de leur relation passée avec le deuxième sexe, puis en tirent leçon, chacun à sa façon, chacun avec la morale qu’il prend la décision d’adopter dorénavant, pour se tracer, délibérément, obstinément, une vie nouvelle fondée sur un changement radical de conduite vis-à-vis de la gent féminine.
Yves Lehaleur, poseur de double-vitrage, a divorcé cinq ans auparavant de sa femme Pauline qu’il aimait pourtant passionnément, après avoir appris qu’elle avait passé une nuit au lit avec un strip-teaseur. Il se présente comme « l’homme qui ne pardonne pas aux femmes ».
Denis Benitez, serveur en brasserie, tombeur, séducteur invétéré jusqu’à trente ans, ne réussit plus, brusquement, à attirer l’attention féminine. Il se définit comme « l’homme que les femmes fuient ».
Philippe Saint-Jean, philosophe médiatique, est en manque de Juliette, qui l’a quitté « à cause de ce qu’il était devenu : un type tout prêt à accepter, sans plus se poser de question, l’image du brillant intellectuel que d’aucuns lui renvoyaient ».
Quel comportement adoptera chacun d’eux à partir de cette rencontre ? Quel sens le maillage de leurs nouvelles façons de vivre donnera-t-il au roman ?
L’auteur de cet Homo erectus a-t-il pour volonté de tourner en impitoyable dérision l’illusion de la puissance virile et de la supériorité masculine ? On pourrait le penser à la lecture de chacun des récits que font à chaque assemblée secrète des intervenants anonymes de leur vie conjugale ou amoureuse : sauf exception, en effet, ces pauvres mâles jouent les victimes…
La collection systématique de prostituées que Lehaleur se donne pour dessein vindicatif de constituer avec obstination semaine après semaine ne traduit-elle pas une vision catégoriquement misogyne en laquelle chaque femme n’est considérée qu’en fonction de la nature du plaisir et du sentiment de domination qu’elle peut procurer à son partenaire ?
« Depuis qu’une femme avait bafoué le brave petit monsieur qu’il s’efforçait de devenir [pour elle], cent autres l’aidaient aujourd’hui à révéler un nouveau Lehaleur, insoupçonnable même dans ses rêves les plus permissifs ».
La liaison passionnée que noue Saint-Jean, le philosophe qui dénonce la vanité des vanités, avec un mannequin mondialement célèbre qui l’utilise comme faire-valoir intellectuel sous les feux des projecteurs dont elle ne peut se passer ne fait-elle pas de lui, a contrario de l’exemple précédent, et a contrario de ce que dénonce notre penseur dans ses écrits, l’homme-objet qu’on exhibe au gré des festivals, dans un tourbillon d’artifices, de luxe et de paillettes ?
« Tu es jeune, tu es belle, tu mènes une existence de rêve, mais tu représentes cette certaine idée de la décadence que j’essaie de formuler dans mon travail… »
La femme qui tombe un soir on ne sait d’où dans l’appartement de Denis, et qui squatte d’abord le canapé du salon puis le lit de la chambre à coucher, symbolise-t-elle l’insaisissable qui impose sa présence sans souffrir la moindre contestation mais qui dispose, à son seul gré, de l’heure qu’elle choisira pour sa disparition, aussi soudaine et immotivée qu’aura été son apparition ?
« Ils couchaient dans le même lit, partageaient leur pitance, échangeaient de bonne foi. Et pourtant, rien n’aidait Denis à percer l’éternel mystère d’une intruse qui comptait bien le rester, ni celui de son imminent départ ».
Homo erectus, dans le cours, qui s’entrecroise, de ces trois vies d’hommes, entre quoi s’interposent les récits des visiteurs du cercle, est un cocktail détonnant de fantaisie, d’humour, de drames, d’érotisme, de questions essentielles et existentielles.
En fin de lecture, on peut se dire que la femme n’y a pas le beau rôle. Mais l’intention de ce roman prenant est à la fois plus complexe et plus subtile.
Patryck Froissart
- Vu : 5541
18:35 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|
Dictionnaire érotique de l'argot - Georges Lebouc
Dictionnaire érotique de l'argot, Georges Lebouc
Dictionnaire érotique de l’argot, Editions Avant-propos, 2012, 16,95 €
Ecrivain(s): Georges Lebouc

J’ai eu le pépin pour ce livre aux pages de papier glacé agréables au toucher qui m’a séduit a priori par la qualité de son édition, par son titre, et par l’illustration suggestive de sa couverture.
La marchandise est indiscutablement racoleuse : dans toute librairie où elle se met en vitrine, elle vous joue son pousse-au-vice sans que le libraire ait besoin de se transformer en barbillon et d’envoyer sa caissière, qu’il a évidemment recrutée pour son physique de corvette gironde ballottée de première, faire son persil comme une vulgaire ambulante sur le macadam du trottoir de sa boutique pour y lever les clilles.
Une fois qu’il a sorti ses carrés de soie, n’importe quel micheton peut l’embarquer, et l’enflure alors a toute liberté de se la farcir à domicile ou sur un banc public sans pour autant passer pour un Mozart de la fourrette.
Et si c’est une bombasse qui l’emballe, rien ne l’oblige à se l’envoyer à la maison tire-bouton : ce n’est pas parce qu’elle en prendra son fade dans le métro ou dans la salle d’attente de son gynéco qu’on la soupçonnera d’être de la garde nationale !
Bon ! Ainsi présenté, ce cadeau, car c’en est un, ne semble pas fait pour les caves. Je vous détrompe : tout lecteur, ou toute lectrice, atteindra un haut degré de jouissance linguistique à le mater, à le toucher, à le manipuler, et à l’effeuiller, pardon, à le feuilleter.
Pourquoi ne peut-on manquer d’avoir les foies chauds pour le bouquin de Lebouc ?
D’abord pour sa construction.
En effet, sur dix chapitres thématiques, l’auteur disserte, de manière à la fois savante et légère, sur les mots et expressions qu’il a recueillis au fil de ses recherches. A la fin de chaque thème, il propose de petits exercices amusants de traduction de textes argotiques qui rappellent au lecteur lettré la jouissance qui fut la sienne chaque fois que son professeur de lettres lui donnait à travailler une version latine.
Suivent, pour la récréation, des chansons de Bruant, de Maurice Chevalier, de Mistinguett…
L’amateur de linguistique retrouve ensuite une série d’explications sur la façon dont se forment la plupart des unités lexicales argotiques.
La dernière partie du livre offre un lexique argot-français puis un lexique français-argot. Enfin, une bibliographie détaillée oriente vers les ouvrages complémentaires utiles.
Ensuite pour les références à ces auteurs qui vous ont certainement donné un jour ou l’autre du pur bonheur : Alphonse Boudard, Prévert, Gainsbourg, Allais, San Antonio, Perret…
Mais aussi pour tout ce qu’on y apprend, si on n’est pas déjà un spécialiste averti de la chose.
N’est-il pas amusant, à défaut d’être utile, de savoir ce qu’est un frigidaire à baisette, une épuiseuse, un soissonnet, un dos d’azur ?
N’est-il pas intéressant d’apprendre ce qui se passe habituellement rue de l’Avant-Bras numéro 5 ?
Dans quel but peut-il être nécessaire ou suffisant d’envoyer manu militari quatre hommes et un caporal à la viande ?
Ne convient-il pas de connaître l’attitude à adopter lorsqu’on rencontre les directrices de la grande poste, de savoir quel est l’intérêt de faire un shampoing à Charles le Chauve, ou d’être informé sur les pratiques des Chevaliers de la Tasse ?
En vérité je vous le dis : voilà un livre à garder à portée de main…
Patryck Froissart
- Vu : 4211
18:33 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook | | |
Imprimer |
|