08/06/2022

L’idiot du palais, Bruno Deniel-Laurent

L’idiot du palais, Bruno Deniel-Laurent

Ecrit par Patryck Froissart 01.10.14 dans La Une LivresLa rentrée littéraireLes LivresCritiquesRomanLa Table Ronde

L’idiot du palais, août 2014, 140 pages, 16 €

Ecrivain(s): Bruno Deniel-Laurent Edition: La Table Ronde

L’idiot du palais, Bruno Deniel-Laurent

 

Ce court roman traite de façon crue des rapports de force entre les nantis et ceux qui n’ont rien.

Certes la toute-puissance de l’argent n’est pas spécifique de notre époque, mais l’auteur nous introduit dans ces kystes modernes d’omnipotence qui ont tendance à s’incruster un peu partout, à se généraliser, à se mondialiser par-delà toute forme de frontière.

En l’occurrence, on dénonce ici, en usant évidemment du filtre fictionnel, l’installation en toute légalité, en France par exemple, de nababs venus d’ailleurs, qui rachètent de luxueux hôtels particuliers où ils entretiennent en permanence, pour les y accueillir dignement lors de leurs séjours plus ou moins brefs dans l’hexagone, un régiment de domestiques recrutés aux quatre coins du monde, sur lesquels règnent en maîtres absolus les régisseurs de ces maisons, closes aux regards et aux intrusions, dont l’auteur décrit les rouages d’une organisation et d’une vie quotidienne échappant aux lois de la République.

C’est dans cet univers impitoyable que pénètre un jour, au hasard de sa quête d’emploi, le jeune Dušan, fils d’immigrés serbes. On fait immédiatement comprendre à Dušan que la seule règle en vigueur est la soumission silencieuse, le secret, la prompte obéissance aveugle aux décisions, leurs tenants et aboutissants fussent-ils les plus incompréhensibles, des intendants, et aux caprices en tous genres des souverains eux-mêmes lorsqu’ils sont présents.

C’est ainsi que Dušan se retrouve un soir chargé par le factotum du Prince, venu assouvir quelques-uns de ses vices à Paris, de recruter parmi les péripatéticiennes parisiennes nocturnes une jeune fille répondant à des critères très précis, pour effectuer auprès de Sa Majesté un service de nuit très particulier.

« Son Altesse vous demande de bien vouloir apporter votre contribution à une petite mission. Voilà, il aimerait, cette nuit, aider une jeune fille en difficulté, lui apporter pour quelques heures un répit dans sa précaire existence, et faire montre de générosité. Aussi je vous demande de bien vouloir guider M. Saïd Saad vers les endroits où sont concentrées ces pauvres personnes… »

On devine la délectation turpide avec laquelle sont prononcés ces propos si policés…

C’est le début des ennuis pour Dušan, qui jusqu’à ce jour fatidique, s’était efforcé d’accomplir dans l’ombre et l’anonymat des étages inférieurs des fonctions kafkaïennes dont la rémunération lui paraissait absolument satisfaisante.

Car, faute impardonnable, insupportable crime de lèse-majesté, le Serbe tombe amoureux de la jeune et belle Khadija, la proie qu’il livre pourtant ce soir-là au Prince.

Son Altesse, que les plaisirs facilement procurés par des servantes sexuelles d’un soir, toujours achetables quel qu’en soit le prix, ne distraient que de manière éphémère et superficielle d’un ennui chronique, trouve une jouissance beaucoup plus intense à jouer au Shah et à la souris en tirant alors les ficelles d’une intrigue dont il est, sans que les acteurs s’en doutent, le démiurge machiavélique et pervers.

Il trouve en Dušan, que l’amour rend vulnérable, et en Khadija, qui est novice dans la prostitution des victimes de choix, qu’il peut humilier à loisir et dont il bave de déchirer à pleines dents l’ébauche d’une liaison, la possibilité d’une histoire commune.

L’auteur institue entre les personnages du palais tout un système, un entrelacs de relations fondées sur le caractère arbitraire d’une hiérarchie au sein de laquelle chacun, à son propre échelon, s’efforce de ne rien faire, de ne rien dire qui puisse offrir à son supérieur motif à exercer son pouvoir.

Toute liberté est laissée au lecteur d’opérer telle transposition dans la réalité, de se laisser aller à telle comparaison avec le système social dans lequel il occupe tel statut…

On appréciera l’amusante référence à Valéry que constitue la première phrase du roman :

« La Princesse sortit à cinq heures ».

 

Patryck Froissart

 

 

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Résister ne sert à rien, Walter Siti

Résister ne sert à rien, Walter Siti

Ecrit par Patryck Froissart 04.10.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesItalieRomanMétailié

Résister ne sert à rien (Resistere non serve a niente), traduit de l’italien par Serge Quadruppani, février 2014, 298 p. 21 €

Ecrivain(s): Walter Siti Edition: Métailié

Résister ne sert à rien, Walter Siti

 

L’auteur annonce d’entrée, en préambule, son parti-pris littéraire, en citant Graham Greene :

Le genre narratif est plus sûr : beaucoup d’éditeurs auraient peur de publier des essais sur ces thèmes.

Il a raison : ces thèmes, le lecteur s’en aperçoit très vite, sont explosifs, et la réalité à laquelle ils réfèrent est de la nature de la bombe à fragmentation.

Walter Siti, connaisseur averti des rouages occultes de la haute finance, aurait pu, c’est évident, tant paraît étendue sa science des mécanismes spéculatifs, choisir d’y consacrer un essai, voire une thèse, volumineuse, qui serait apparue comme un brûlot susceptible de réduire son auteur en cendres.

Il en a fait un roman incendiaire, dont l’acteur principal est Tommaso, le fils unique d’un mafioso italien minable, d’un fusible de l’Organisation qui passe une grande part du temps du récit en prison.

Tommaso, adolescent boulimique, obèse, mal dans sa peau, pris en charge, pistonné et orienté par l’Organisation qui a repéré son intelligence, fait de brillantes études dans le but de devenir l’un de ces « golden boys », un de ces marchands d’argent plus ou moins sale connus sous le nom de traders. L’objectif de l’Organisation est clair : il s’agit pour elle de s’assurer, en formant puis en plaçant là où il faut ses propres spécialistes, une part du contrôle des mouvements monétaires spéculatifs et spoliateurs que réalisent quotidiennement, aux dépens et au mépris des peuples, les banques, les multinationales et les politiciens pourris.

Le père, cependant, sert d’otage. En contrepartie des services que rend Tommaso, « on » prend soin de lui en prison, et « on » feint de tout faire pour obtenir sa libération.

La structure romanesque, originale, donne au livre la dynamique narrative qui permet au lecteur de s’initier sans jamais s’ennuyer aux processus complexes de spoliation des profits mis en œuvre par l’arantèle politico-financière supra-nationale.

Le prétexte du roman est construit sur la demande que fait un jour Tommaso à l’un de ses amis d’enfance de lui apprendre à se connaître soi-même en racontant ce qu’il lui confie de sa vie. Le narrateur ami, qui s’exprime subjectivement, à la première personne, ce qui permet au lecteur de voir par ses yeux, est à la fois le récepteur des « confessions » de Tommaso pour les faits auxquels il n’assiste pas personnellement, et le témoin immédiat d’autres épisodes, chaque fois que leurs chemins se croisent, ou coïncident pour un temps. Les dialogues entre les deux amis, directement rapportés, apportent d’autres éléments sur le fonctionnement de ce gigantesque détournement de richesses auquel se livrent ceux, plus ou moins visibles, qui tiennent les manettes de la scandaleuse machine à accumuler du capital par l’exploitation des masses.

Le tableau, en prise directe sur l’actualité (le temps narratif coïncide quasiment avec celui du contexte de l’écriture) de ces réseaux qui dirigent le monde du XXIe siècle, et qui imposent leur loi aux gouvernements de droite et de gauche, est d’une noirceur, d’un réalisme et d’un pessimisme effrayants. On y voit évoluer, dans un anonymat souvent transparent, les maîtres de notre époque, dans un univers crapuleux où se mêlent et s’imbriquent de manière obscène le cynisme, l’opulence, la politique, le sexe, l’affairisme, la drogue, la spéculation, la corruption, les assassinats commandités, les pots de vin et l’impunité. On y reconnaît, en particulier dans une conversation entre Tommaso et sa maîtresse, un dirigeant italien contemporain tristement connu pour son arrogance, sa dépravation, son manque absolu de sens moral…

« Tu as été avec lui ?

– D’après toi, je devrais te répondre ?

– Tu t’es trouvée bien ?

– Je ne suis pas son genre, pas assez de seins… il m’a même demandé pourquoi je ne me les suis pas fait refaire…

– Combien il t’a donné ?

– Ouh là là, ça suffit, quel droit as-tu de… Cinq mille ».

Dans ce monde-là, les valeurs sont inversées.

Corrompre, dominer, posséder, voler, et, si nécessaire, écraser, sont les premiers des Commandements.

« J’ai appris qu’opprimer est un plaisir, être dans les premiers un impératif, et que la possession est l’unique mesure de valeur ».

« Je ne suis pas assez pauvre pour me permettre d’avoir une conscience.

Spéculer dérive de specula, c’est-à-dire observatoire, et signifie prévoir avec intelligence ; argent dans un fonds de pension canadien, actions à Vaduz ; six pour cent d’une multinationale du caoutchouc, production en Malaisie et bureaux à Belgravia… »

Dans ces eaux fétides, Tommaso, bien que pris ponctuellement d’écœurement, nage comme un poisson, et devient rapidement un requin craint et respecté parmi ses congénères.

Le titre veut tout dire et peut servir à conclure : résister ne sert à rien, « ils » sont omnipotents.

Lecture déprimante ? Sans doute, mais lecture, quoi qu’il en soit, nécessaire, qui ouvre les yeux de ceux qui ne veulent pas rester aveugles à ce qui est en train de se passer.

Lecture à associer, pour ne pas perdre tout espoir, à celle des manifestes optimistes et tout aussi lucides d’un Stéphane Hessel…

 

Patryck Froissart

 

 

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Kif, Laurent Chalumeau

Kif, Laurent Chalumeau

Ecrit par Patryck Froissart 06.12.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanGrasset

Kif, octobre 2014, 457 pages, 22 €

Ecrivain(s): Laurent Chalumeau Edition: Grasset

Kif, Laurent Chalumeau

 

Certains parleront, après avoir lu ce roman, de langue littéraire évoluée, ou pour le moins évolutive. D’autres y verront d’intolérables, de scandaleuses atteintes à la « belle » langue française.

Kif n’échappera ni à l’une ni à l’autre de ces critiques.

Mais le lecteur qui ouvre un livre avec l’espoir d’y vivre quelques heures de pur plaisir aimera l’audace linguistique de l’auteur et la contextualisation réaliste que le langage utilisé procure à l’histoire.

L’histoire, c’est celle de petits malfaiteurs dont la nullité opératoire n’a d’égale que leur absence de scrupules et la médiocrité de leurs ambitions délictuelles. On croit revoir Les Pieds Nickelés. On a des réminiscences de San Antonio. On est dans le registre de la cinématographie du genre « Faut pas prendre les oiseaux du bon Dieu pour des canards sauvages ». Bref, on se marre.

La langue est d’une extrême succulence. La syntaxe, volontairement, joyeusement malmenée tant dans le discours narratif que dans les dialogues, donne le ton, inscrit les personnages dans un monde parallèle que le lecteur peut imaginer être celui des zones et des banlieues où la débrouille et l’embrouille semblent constituer le seul modus vivendi qui permette d’affronter la rude réalité de l’existence.

Morceau choisi :

En passant devant lui, Steeve fit exprès, lui dire même pas bonjour, et monta à l’arrière, à côté de l’autre frimeur, toujours avec des fringues super collées au torse, bien dessiner ses pecs et ses tablettes de mec qui passe sa vie en salle.

« Hey, Patrick ? Bien ? La forme ?

– Nickel. Juste, je me demandais, avec le mec, là, ça l’a fait ?

– Le mec ?

– Le mec associé avec Greg qu’on savait pas qu’il existait ? Tu m’as dit que t’inquiète, c’est un blaireau, je gère. Donc je voulais savoir, t’as géré ?

– Ah ben oui, j’ai géré. Grave !

– Je veux dire, t’as géré géré ? Ou t’as géré zéro, genre géré comme l’autre soir, que tu vas faire flipper Greg avec deux de mes gars et Greg, lui, il en meurt ? »

L’exotisme linguistique est le point commun des personnages pitoyables du roman. Le personnage pivot est Georges Clounet (sic), un CRS à la retraite ayant fait sa carrière dans la protection rapprochée des ambassades françaises, qui se retrouve sans l’avoir cherché, en conséquence de traficotages financiers véreux commis par son beauf à qui il avait confié ses économies, propriétaire du Kif, une boite de nuit rackettée à la fois par la pègre et les flics pourris.

C’est au moment où il prend possession, bien malgré lui, de son affaire que commence le chassé-croisé délirant d’une série de personnages dans une intrigue dont l’enjeu serait d’une part soit la fermeture du Kif réclamée par la droite catho soit son maintien contrôlé par le milieu personnifié par Steeve « avec deux e », petit malfrat ridicule, et d’autre part la construction d’une mosquée pour laquelle milite Kader-Kevin, un jeune Français à barbe, djellaba et babouches converti à l’islamisme le plus intégriste, et contre laquelle se bat Anne-Dominique, élue locale du FN, qui s’offre de secrets et ardents cinq à sept avec Hassan, le colocataire de Kader-Kevin qui est présumé avoir participé à des camps d’entraînement djihadiste.

La trame s’emmêle inextricablement quand entre en scène, sans l’avoir, lui non plus, voulu, le richissime Bineladan, alias Bin Laden, de son vrai nom Ben Laden, neveu arabo-suisse (plus suisse qu’arabo) de feu l’autre tristement célèbre. Kader-Kevin entend le taxer d’un million d’euros pour graisser la patte aux membres de la commission municipale chargée d’examiner la demande de construction de la mosquée.

C’est le mirage de ce million qui met le feu aux poudres et qui devient l’objet de tous les désirs, chacun des protagonistes élaborant d’ubuesques stratagèmes pour s’approprier le magot.

L’argent n’a pas d’odeur… mais celui-là attire la ribambelle des personnages mis au parfum de sa mise en circulation dans un carrousel de combines plus nulles les unes que les autres, dont le déroulement et le dénouement sont d’une extrême cocasserie.

Mine de rien, l’auteur s’amuse, tout en entrecroisant les projets, les espoirs et les échecs, à tourner en ridicule de la façon la plus caustique les idéologies intégristes, les partis-pris racistes, les millionnaires, les petits malfrats, et à mettre en évidence le fonctionnement des trafics d’influence et les méthodes usuelles, quotidiennes, banalisées de prévarication qui semblent corrompre de plus en plus banalement notre société.

Un vrai livre défouloir, propre à vous dérouiller le grand zygomatique.

 

Patryck Froissart

 
 
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06/06/2022

Kumudini, Rabindranath Tagore

Kumudini, Rabindranath Tagore

Ecrit par Patryck Froissart 04.07.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesAsieRomanZulma

Kumudini (Yogayog), traduit du bengali (Inde) et présenté par France Bhattacharya, 380 pages, 22 €

Ecrivain(s): Rabindranath Tagore Edition: Zulma

Kumudini, Rabindranath Tagore

 

Ô Kumudini, longtemps tu brilleras, indubitablement, dans le souvenir des lecteurs de ce chef-d’œuvre !

Les premières pages de ce roman condensent à grands traits la saga séculaire de deux grandes familles rivales, les Ghoshal et les Chatterji, chacune faisant à tour de rôle sa fortune et sa puissance en provoquant la ruine et l’humiliation de l’autre.

Au moment où apparaît le personnage de Kumudini, qui appartient au clan des Chatterji, c’est le parti des Ghoshal qui prend le dessus. Le chef des Ghoshal, Madhusudan, ne se contente pas de savourer la ruine des Chatterji. Il attend, avec la patience d’un fauve à l’affût, l’occasion de venger, par une extrême humiliation, les affronts portés à sa famille à l’époque où les Chatterji dominaient la région.

Au faîte de sa fortune et du respect qu’on porte aux nouveaux riches, il dévoile son plan machiavélique :

« Madhusudan déclara alors qu’il avait désormais le loisir de se marier. Sur le marché matrimonial, son crédit était très élevé. Il était assez puissant pour pouvoir satisfaire la fierté des plus grandes familles. De tous côtés, on lui fit connaître l’existence de jeunes vierges bien nées, belles, accomplies, riches et savantes. Madhu fit les gros yeux et déclara : “Je veux une fille Chatterji”. Un lignage qui a reçu des coups est aussi dangereux qu’un tigre blessé… »

Madhusudan, sur le point d’être nommé Maharaja, ayant désormais le pouvoir de précipiter la ruine et la déchéance des Chatterji, Kumudini, qui voue à son frère aîné, Vipradas, le chef de famille, un amour exclusif, se retrouve devant un choix cornélien : épouser un homme qu’elle n’aime pas et qui se prépare à l’humilier quotidiennement, ou plonger, par son refus, son clan, et son frère adoré, dans le déshonneur du déclassement social et de la misère.

Une fois posés ainsi tous les éléments initiaux, le dramaturge développe, au fil des événements, le caractère héroïque de son personnage principal.

Les projets de Madhusudan se heurtent, en effet, à peine achevées les cérémonies de leur mariage, à l’extraordinaire capacité de résistance que révèle Kumudini face à sa stratégie d’humiliation, et au mépris qu’elle lui manifeste en retour de ce qu’il tente de lui imposer, comportement inédit, impensable, totalement inattendu dans une Inde où la femme est traditionnellement asservie à son époux, assujettie à ses volontés, soumise à ses ordres et à ceux de sa famille.

« Madhusudan était à bout de patience… Jamais, à aucun moment de sa vie, il n’avait à ce point entamé son prestige. Il avait payé un prix exorbitant pour obtenir ce qu’il voulait et, dans sa langue à lui, il avait fait comprendre à Kumudini qu’il reconnaissait sa défaite sans réserve ».

Oui, chose inouïe, c’est le maître qui se sent rabaissé par celle qu’il voulait avilir, et qui, circonstance accablante pour un futur maharaja, apparaît comme un faible aux yeux des membres de sa propre famille.

Ce renversement de statut, et l’esprit d’indépendance dont fait montre, de façon croissante, Kumudini eu égard au poids des usages, font de ce roman, écrit en 1929, une anticipation remarquable des mouvements d’émancipation de la femme indienne et une puissante dénonciation de l’usage du mariage arrangé, et de Rabindranath Tagore un révolutionnaire et un visionnaire (mais tout visionnaire n’est-il pas un révolutionnaire, et réciproquement ?).

Certes, l’auteur, dans sa grande lucidité, ne permet pas à son héroïne, qui a l’audace de quitter son mari, de gagner en définitive son combat, gageure impossible dans le contexte des années trente, et le retour à l’ordre traditionnel prévaut à l’approche du dénouement.

« La société a inventé des milliers de moyens pour soumettre les femmes sans défense à leur mari et pour les faire souffrir… Les femmes ont si peu de prix, elles sont tellement insignifiantes… »

Mais le lecteur sait, en refermant le livre, que rien ne pourra plus être « comme avant » dans le couple qui se reconstitue sous la pression sociale.

Ainsi en est-il de tout mouvement contestataire ponctuel : même s’il échoue, il constitue une rupture et il fait évoluer les mentalités en signifiant que rien n’est intangible.

Ô Kumudini, fasse que ton image pénètre et dérange, et bouleverse, par la lecture de ton histoire, les esprits de ceux qui s’accrochent aux archaïsmes sociaux !

 

Patryck Froissart

 

 

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Dans la chambre obscure, R. K. Narayan

Dans la chambre obscure, R. K. Narayan

Ecrit par Patryck Froissart 27.08.14 dans La Une LivresLa rentrée littéraireLes LivresCritiquesAsieRomanZulma

Dans la chambre obscure, traduit de l’anglais (Inde) par Anne-Cécile Padoux, 28 août 2014, 186 pages, 8,95 €

Ecrivain(s): R. K. Narayan Edition: Zulma

Dans la chambre obscure, R. K. Narayan

 

 

Le hasard du calendrier éditorial permet parfois de bien heureuses correspondances.

Lire Dans la chambre obscure de Narayan quelques semaines après avoir savouré Kumudini de Rabindranath Tagore est une coïncidence plaisante dont il faut remercier les éditions Zulma.

Savitri, l’héroïne de ce roman, est, comme Kumudini, une épouse indienne qui subit douloureusement les contraintes de la tradition socio-culturelle locale de totale soumission au mari et qui est tenue de souffrir sans broncher les moindres fantaisies de son « maître ».

La mise en relation de ces deux héroïnes offre au lecteur deux visions différentes et complémentaires, sur une thématique assez similaire, de la condition de la femme indienne dans la première moitié du 20e siècle (le roman de Tagore est paru en 1929, celui de Narayan en 1938).

Kumudini est d’une famille bourgeoise quasiment ruinée mais respectée, de la caste des brahmanes, Savitri, modeste épouse de Ramani, cadre moyen dans une société d’assurances, est une mère de famille passablement conventionnelle qui houspille, dans sa maison de Malgudi (ville imaginaire, archétypale des villes moyennes de l’époque, créée par l’auteur), sa domesticité réduite et qui se fait un devoir de se hâter à remplir ses multiples obligations conjugales et de manifester sa soumission à l’endroit du seigneur de la maison, un homme autoritaire et acariâtre.

« A la vue de son mari, Savitri sentit sa gorge se serrer. Il faisait les cent pas sur la véranda devant la maison… Lorsqu’elle fut à la grille, il constata en la regardant fixement :

– Tu m’as fait attendre une demi-heure ».

Toutefois, quand les récriminations et les brimades de l’époux lui paraissent disproportionnées et trop injustes, Savitri se réfugie dans une minuscule pièce sans fenêtre et s’y enferme dans un mutisme qui peut durer plusieurs jours et s’accompagner d’une sorte de grève de la faim.

L’héroïne de Tagore utilise également, à plusieurs occasions, ce système de défense contre le joug socio-familial traditionnel.

Mais la ressemblance ne va pas plus loin. Kumudini exerce ce mode de retrait avec fierté, avec orgueil, en le mâtinant de dédain et de mépris, voire d’ostensible dégoût à l’encontre de son époux, tandis que chez Savitri la prise de distance se limite à une bouderie quelque peu enfantine, même si, à certains moments, s’y manifeste une tendance suicidaire qui se traduira dans le cours du récit par un dramatique passage à l’acte…

En effet, la coupe déborde lorsque Ramani fait affecter dans son service puis prend pour maîtresse Shanta Bai, une belle femme libérée qui a quitté son propre mari en dépit de la réprobation familiale. L’ayant appris par une amie qui lui veut du bien, Savitri se rebelle.

« Je suis un être humain, lança-t-elle en respirant bruyamment. Vous autres hommes, vous ne l’admettrez jamais. Pour vous, nous ne sommes que des jouets quand vous êtes d’humeur à caresser, et des esclaves le reste du temps. Ne croyez pas que vous pouvez nous cajoler quand ça vous chante et nous donner des coups de pied selon votre bon plaisir ».

La contestation atteint là son paroxysme… et retombe comme une baudruche dégonflée face à l’indifférence de Ramani, sûr de « son bon droit » d’entretenir une concubine sans avoir à en rendre compte à sa légitime.

Savitri tente alors le suicide, et le roman se poursuit avec son lot de péripéties jusqu’au moment où les règles sociales et la tradition reprennent inéluctablement le dessus.

Pour Savitri, comme pour Kumudini, la révolte échoue.

Après une période d’ébullition, le lourd couvercle de la coutume et de l’usage retombe sur Savitri… et l’ordre règne entre le mari, sa femme, et sa maîtresse.

Narayan situe l’histoire, explicitement, dans la narration, en 1935.

Quatre-vingts ans après, qu’en est-il de la condition féminine en Inde ?

Grâce aux éditions Zulma, qui viennent de republier successivement ces deux grands romans, le lecteur peut penser que Narayan et Tagore avaient prévu que la question se poserait aujourd’hui à lui, et que ces deux génies avaient anticipé la réponse…

La version française due à Anne-Cécile Padoux est d’une qualité d’écriture remarquable.

 

Patryck Froissart

 

 

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Désirable, Yann Queffélec

Désirable, Yann Queffélec

Ecrit par Patryck Froissart 05.09.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanLe Cherche-Midi

Désirable, juin 2014, 286 pages, 18,50 €

Ecrivain(s): Yann Queffélec Edition: Le Cherche-Midi

Désirable, Yann Queffélec

 

Désirable !

Le titre, éponyme du prénom d’une des héroïnes, peut s’appliquer à la qualité intrinsèque de ce roman d’amour, de bruit, de fureur, de violence, de souffrance et de dérision.

Désirable, en effet, c’est ce que devient immédiatement le texte, pour tout lecteur inévitablement pris de l’irrépressible faim dès qu’il a lu les premières lignes de lire les suivantes, de page en page, de chapitre en chapitre, jusqu’à la fin, jusqu’à cet instant frustrant où le cours s’arrête, où naît cette autre envie, prévisible, de replonger, de reprendre à la source, à l’amont du fleuve, et de se laisser à nouveau entraîner dans les tourbillons que connaît la vie de Nidivic en l’an 2015, temps du récit.

Nidivic et son épouse Yolanda trimballent un lancinant sentiment de culpabilité depuis que leur enfant a été emporté par une vague en 2004 alors qu’ils s’envoyaient en l’air derrière la dune…

Après onze années à traîner la savate et son boulet de remords dans une existence sans but, sans futur, sans saveur, emplie de brume, uniquement sous-tendue par des pulsions sexuelles ponctuelles et par les dessins du poisson parlant Chob’s, possible réincarnation de son fils avalé par l’océan, dont un éditeur peu connu publie des albums en série, Nidivic fait une drôle de rencontre au milieu des bois.

C’est à partir de là que sa putain de long fleuve de vie tranquillement douloureux va s’emballer et traverser de tumultueux et dangereux rapides.

En 2015…

Désirable et sa sœur Noëlle, une sacrément belle paire de jumelles nymphomanes, vont saccager ses jours, et compromettre abruptement le « plan cul » qu’il est sur le point de mener à bien avec Alison, la serveuse du Cygne d’Argent… Son copain Jef, un homosexuel qui voudrait bien connaître enfin la femme après avoir perdu son amant, se met en tête de cocufier notre Nidivic avec Yolanda, qui, à la réflexion, ne dirait pas non, puisque son couple fait chambre à part depuis la mort du petit… Le promoteur Krenn, au passé louche, au présent trouble et au futur fumeux, veut lui racheter Chob’s… mettre fin aux aventures du poisson à bulles, et obtenir de Nidivic une série d’albums faisant la promotion, par le jeu du personnage d’Eolia, de son projet grandiose d’installation près du village du plus grand parc d’éoliennes du monde. Du vent…

« Une bonne bouille d’éolienne, c’est ça dont le public a besoin… Ils ont aimé la locomotive à vapeur, cette machine de crasse et de boucan, ils aimeront la bonne mère Eolia. A vous d’en faire un totem bon enfant, un menhir de grâce aux ailes profuses, jamais lasses de tourner, de faire de l’or avec du vent ».

Les événements s’enchaînent, incroyables, dans la démesure. C’est rabelaisien puissance dix. On s’éberlue. On hallucine. On suffoque. Tous les acteurs, à un moment ou à un autre, ont leur heure de délire. L’enfant mort intervient à la première personne dans la narration, y jette son grain de sel, crée ou accroît, ici ou là, la confusion. Les autres personnages s’en mêlent à leur tour, confisquent la parole, se font narrateurs, se racontent, se confessent, accusent.

Telles scènes sont tout à la fois barbares et burlesques, telles autres se vivent acerbes par les dialogues et tendres par les actes, et inversement, d’autres encore mêlent fantômes et fantasmes, rêves, cauchemars, et, peut-être bien, quand même, quelquefois, mais on en est rarement sûr, quelque réalité. Intérieurement, le lecteur peut en même temps hurler d’effroi, avoir la nausée, et se tordre de rire. Il y a des quartiers d’Orange Mécanique là-dedans… L’auteur, c’est manifeste, s’est régalé, a joué, a joui à faire de chaque personnage le tourmenteur de l’autre.

La langue de Queffélec, une des plus ragoutantes qui soient, tantôt plaisante macédoine, tantôt aigre fricassée, tantôt zambrocal pimenté, toujours mélange abruptement inattendu d’éléments soutenus, poétiques, familiers, vulgaires, chambarde le lecteur, le chamboule, le précipite dans un mouvement narratif échevelé, l’affole… et le ravit, forcément.

« J’suis en manque d’homme, ça t’arrive jamais ? Il a fallu que je tombe sur toi, laideron, tu dis quoi ?

– Je…

– C’est quoi ton problème ? C’est les filles, ton problème ? T’es puceau ? T’as jamais vu une blonde à cheveux noirs ? Il te faut un poil témoin ?

– En fait, j’attends un ami, je…

Il n’eut pas le temps de finir.

– …Moi je pense que t’as un grain, dit la fille, t’as les cheveux sales, le teint gris, t’es rasé comme une merde et j’aime pas tes yeux tombants… Fais voir ton haleine de chacal ?… T’as évacué, ce matin ? »

Proprement succulent, n’est-ce pas ?

On en reveut, on en reprend, l’œil brillant de convoitise.

Désirable !

 

Patryck Froissart

 

 

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Du sexe, Boris Le Roy

Du sexe, Boris Le Roy

Ecrit par Patryck Froissart 12.09.14 dans La Une LivresActes SudLa rentrée littéraireLes LivresCritiquesRoman

Du sexe, août 2014, 235 pages, 20 €

Ecrivain(s): Boris Le Roy Edition: Actes Sud

Du sexe, Boris Le Roy

Boris Le Roy délivre ici un roman étonnant, voire détonnant.

La distribution des rôles est réduite : quatre personnages, Eliel et Simon (les frères Jacq !), leur mère, malade, qui idolâtre Simon et accorde peu d’importance à Eliel, et Hana Qabil, la fille bâtarde du Président de la République, initialement inconnue du grand public.

L’intrigue est relativement simple : Eliel et Simon rencontrent Hana dans une soirée mondaine, et projettent aussitôt, chacun pour soi, de nouer une relation intime avec la fille quasiment secrète du chef de l’état.

Leurs motivations sont toutefois totalement divergentes.

Simon, homme politique, élu récemment, déchu pour s’être livré à des malversations devenues ordinaires et banales dans un régime en voie accélérée de dégradation et de dépravation, ayant été déclaré par décision de justice inéligible pour cinq ans, cherche avec affairement le moyen de conserver un maximum de notoriété en attendant de pouvoir se représenter devant ses électeurs. Il voit immédiatement en Hana la personnalité à instrumentaliser pour se retrouver à nouveau dans la lumière des projecteurs médiatiques.

Eliel, son cadet, bientôt quadragénaire, sorte d’hypocondriaque moderne obsédé par l’hygiène corporelle et le maintien de sa ligne, pratique un hédonisme effréné (régimes en tous genres, exercices physiques à effets spécifiques sur la silhouette, multiples médications bio du dernier cri…). Il aime les femmes, toutes les femmes. Séducteur, il est facilement séduit. Il aime le sexe, tout le sexe. Il voit donc en Hana l’amante, l’amie, l’amour, peut-être un peu la mère qu’il a le sentiment de ne pas avoir eue.

« […] il ingère tous les soirs : vingt milligrammes d’ézoméprazole qui inhibe la pompe à protons pour que ses refoulements gastriques ne lui fragilisent pas les muqueuses internes […], cinq cents milligrammes de valaciclovir antiherpétique contre son bouton de fièvre (latent), cinq cents milligrammes d’un décongestionnant associé à un antihistaminique pour éviter que son écoulement nasal ne produise des infections curables à coups d’efficaces mais désagréables suppositoires […] A peine couché, il se relève souvent parce qu’il a oublié ses six injections de minoxydil qui ralentissent la chute de cheveux… ».

Simon convainc Hana de fonder un nouveau parti politique en vue de l’élection présidentielle à venir. Leur objectif est de se présenter au premier tour comme parti d’opposition à la réélection du père d’Hana, et de récolter suffisamment de voix pour que le président sortant soit contraint de contracter avec eux une alliance objective pour remporter le second tour.

Trois forces dynamiques se conjuguent donc, le temps d’une campagne électorale : celle qui résulte de la manipulation machiavélique à laquelle se livre Simon sur Hana, celle qui naît du désir inconscient, pour Hana, de tuer le père, et en même temps, paradoxalement, de se faire reconnaître par lui, et celle qui se dégage de l’amour qu’éprouve très vite Eliel pour Hana.

Le trio fonde son programme politique sur le projet de remplacer chaque poste individuel de travail, à tous les échelons du paysage professionnel et à tous les niveaux des corps étatiques jusqu’à la présidence de la République, par un binôme homme-femme constitué d’hétérosexuels, ou par une équipe duelle homme-homme ou femme-femme composée d’homosexuels. Le chômage serait ainsi d’un coup supprimé du paysage social, et, selon leur théorie, la complicité, et/ou la jalousie, et/ou la volonté de plaire à l’autre, et/ou tout autre de ces sentiments naturels qui ne pourraient manquer de s’installer au sein de ces « couples » accroîtraient mathématiquement la productivité nationale sur ce principe suffisant : un plus un ensemble feraient plus et mieux que deux séparément.

La partie se déroule, jeu complexe où se mêlent argent, machinations, coups médiatiques, réseaux d’influence, quête obsessionnelle du pouvoir socio-politique (mais aussi recherche subtile ou brutale de posséder l’adversaire ou le partenaire, ou de le déposséder de sa part congrue).

Sens du titre « Du sexe » ? Le « du » introductif peut être compris de deux façons : on peut y voir soit l’article partitif, ce qui donne un sens cru à l’expression, soit la préposition héritée du latin (à la manière du de natura rerum) induisant l’ablatif dit « de propos », ce qui est plus en accord avec le contenu du livre, qui, en arrière-plan de la trame romanesque, pose la question philosophique du rôle du sexe dans la vie socio-politique d’aujourd’hui.

« Sujet préféré d’Eliel ! […] Il est question de sexe et de sexualité. L’homme caresse le cerveau de la demoiselle avant de lui caresser les fesses. C’est une tradition respectable. Il n’y voit aucun inconvénient. Elle non plus, d’ailleurs ».

Le sexe, dans cette marche forcée qu’entreprennent Simon et Hana vers la conquête du pouvoir, est tout à la fois moteur et véhicule, fin et moyen, destinateur et adjuvant, l’auteur le pointant d’un index réaliste comme étant la substantifique moelle, le système nerveux, le fondement, oserait-on dire, de notre société.

L’auteur ne se prive pas d’illustrer son « De sexū » de quelques scènes de circonstance, offrant au lecteur qui ne devrait pas s’en plaindre quelques savoureux tableaux dont la crudité verbale et le réalisme juteux valent bien certains de ceux que nous a légués notre divin marquis national.

De cette société l’auteur analyse d’une plume lucide, savante et acerbe les modes visibles et invisibles de fonctionnement, dissèque d’un scalpel minutieux les travers des individus qui la composent et dont ses personnages représentent quelques archétypes, décortique méthodiquement les antivaleurs qui gangrènent notre république.

Car le récit, et c’est là un autre de ses points forts, s’inscrit intégralement et foncièrement dans une contemporanéité française dont Boris Le Roy, de toute évidence, connaît tous les tenants, dans une actualité dont il suit et observe attentivement tous les développements, dans un tissu événementiel dont il saisit avec acuité toutes les causes et tous les effets. On retrouve par exemple en filigrane dans le roman la controverse très actuelle autour de la « théorie du genre »…

Mais la cible principale, permanente, obsédée, obstinée de l’auteur est le capital, la finance, le scandale de l’emprise totale de l’argent sur le monde. La satire est directe, féroce, sans concession, et pourrait passer pour un véritable appel à la révolution.

« Ça fait partie de l’élite financière, mais ça bâillonne l’intellectuelle, qui pourrait lui faire de l’ombre […]Ça n’est que pulsion de posséder ou de détruire […] Ça se ruine souvent, mais ça n’est jamais pauvre […] Ça crée de l’emploi, mais ça le détruit aussi sec […] Ça aime la géopolitique : la guerre pour les armes, la reconstruction pour l’immobilier, et la paix pour la surconsommation […] Ça spécule sur l’alimentaire en faisant prendre des vessies chevalines pour des lanternes bobines […] Ça s’appelle “grande délinquance”, une jolie litote pour “bouchers de la finance” […] Ça oublie qu’une tête, ça se tranche, et que l’Histoire pourrait se répéter ».

Humour noir, rire jaune, sexe, rapports de force, violente critique sociale, diatribe incisive contre les mœurs politico-politiciennes du temps, originale beauté de la langue et du style… voilà quelques-uns des éléments essentiels de ce roman particulièrement percutant.

 

Patryck Froissart

 

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Les Ongles, Mikhaïl Elizarov

Les Ongles, Mikhaïl Elizarov

Ecrit par Patryck Froissart 17.09.14 dans La Une LivresLa rentrée littéraireLes LivresCritiquesRomanRussieSerge Safran éditeur

Les Ongles (Nogti), août 2014, traduit du russe par Stéphane A. Dudoignon, 170 pages, 16,50 €

Ecrivain(s): Mikhaïl Elizarov Edition: Serge Safran éditeur

Les Ongles, Mikhaïl Elizarov

 

Dans un orphelinat de l’Ukraine post-soviétique en plein délitement politique et social, où sont entassés des enfants nés difformes et atteints de troubles mentaux, grandissent vaille que vaille un bossu, de père et mère inconnus, à qui les nurses ont donné comme état civil le nom de Gloucester, et son étrange ami Bakatov, dont l’essentielle raison de vivre est de se laisser pousser les ongles des mains et des pieds jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille suffisante pour être rongés à l’occasion d’un cérémonial occulte très précis qui pourvoit pendant toute sa durée leur propriétaire de puissants et dangereux pouvoirs.

Le narrateur est Gloucester lui-même, la narration se faisant à la première personne, ce qui permet à Elizarov de décrire le monde tel que le voit le bossu, avec sa subjectivité d’innocent, à la manière des personnages de Faulkner.

La description du pensionnat et de l’abjection de sa vie quotidienne, sous cet angle de vue, est banalement terrifiante, puisque pour Gloucester il s’agit du monde normal. Les pratiques que le lecteur tiendrait comme éminemment horrifiantes sont rapportées sur une tonalité le plus souvent neutre, parfois avec une pointe d’amusement totalement déphasée par rapport à la réaction que pourrait, que devrait avoir un observateur « normal », ou teintée d’un soupçon d’autodérision, mais jamais sur le mode de la plainte, de la contestation, encore moins sur celui d’une inconcevable révolte.

« Moi, c’est Ignat Borissovitch, dit le principal. On fait amis ? Ici, je suis le directeur et tous, tous, tous les enfants doivent m’obéir, sinon, hop, c’est une petite piquouse dans le popotin ! »

La mortalité étant galopante chez les pensionnaires, la mort fait partie du paysage, et les enfants la considèrent avec indifférence.

« Ils mouraient en silence, sans se faire remarquer. […] Le cimetière, c’était la fierté domestique d’Ignat Borissovitch… »

Lorsque Gloucester raconte la « fête » du nouvel an, le sang du lecteur ne peut que se glacer.

« Cela dit, les jours où la mort faisait relâche, c’était plutôt joyeux chez nous, surtout au nouvel an. […] En fin d’après-midi, Ignat Borissovitch apportait de son bureau une télé, il l’allumait et la fête commençait. Avant le carillon de Moscou, nous avions le temps de faire une ronde autour du sapin, de nous distraire un peu nous-mêmes et le personnel médical avec des numéros de notre cru, y compris des jeux de rôle du genre : “Qui va porter le premier les courses de maman ?”, le jeu préféré d’Ignat Borissovitch. Il rigolait horriblement en nous regardant nous cogner le crâne… »

A mesure que les années passent, et jusqu’au jour où le gouvernement « émancipe » les deux amis et les considère comme définitivement aptes à se prendre en charge hors de l’institut, les événements déviants auxquels ils assistent et ceux auxquels ils sont mêlés dans ce milieu carcéral, où le directeur et ses sbires détiennent un pouvoir absolu sur leurs pensionnaires, deviennent plus horribles. Avec l’adolescence naissent et croissent chez Gloucester et chez Bakatov d’irrépressibles pulsions sexuelles alors que le bossu développe, sans se rendre compte de ses limites et des conséquences que son usage peut entraîner, une extraordinaire force physique, et, parallèlement, un talent inouï de pianiste autodidacte qui lui vaudra, quelque temps après sa sortie du pensionnat, une éphémère célébrité et une provisoire aisance matérielle.

Dénonciation acerbe des univers concentrationnaires où ont été reclus dans des conditions atroces des milliers d’enfants et d’adolescents handicapés physiques et mentaux dans les pays de l’Est, avant et longtemps après la chute de certains régimes totalitaires, le roman brosse, par le discours du bossu qu’on devine affreusement réaliste sous l’aspect fantastique que lui confère l’innocence du narrateur, un tableau précis, qui n’est pas sans rappeler ceux de Jérôme Bosch, d’institutions laissées scandaleusement à elles-mêmes où les geôliers, pour qui les ingénus qui leur sont abandonnés sont des monstruosités n’ayant aucune raison d’exister, se conduisent eux-mêmes avec leurs pensionnaires des deux sexes de façon monstrueuse et assouvissent impunément tous les vices et toutes les cruautés dont seule est capable l’espèce humaine.

Mais le monde « normal » dans lequel sont plongés ensuite les deux inséparables n’est guère plus amène. L’étrange don musical inné de Gloucester, sitôt repéré, est exploité d’autant plus facilement par un digne héritier des Barnum et autres montreurs de « monstres » que le bossu ne se rend pas compte des enjeux financiers dont il fait l’objet. L’auteur démonte simultanément les mécanismes de la mode et son caractère éphémère dans une société où on est tout aussi prompt à s’enthousiasmer pour le prodige du jour qu’à l’oublier totalement pour celui du lendemain.

Saluons l’excellence de la langue du traducteur Stéphane Dudoignon.

 

Patryck Froissart

 

 

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Rue des Syriens, Raphaël Confiant

Rue des Syriens, Raphaël Confiant

Ecrit par Patryck Froissart 19.04.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesFolio (Gallimard)Roman

Rue des Syriens, Octobre 2013 (pour lm'édition Folio) 384 pages

Ecrivain(s): Raphaël Confiant Edition: Folio (Gallimard)

Rue des Syriens, Raphaël Confiant

 

Chaque roman de Raphaël Confiant constitue un menu des plus goûteux.

Truculence et succulence sont deux termes qui s’imposent, une fois de plus, au lecteur amené à savourer celui-ci.

Car c’est bien de langue qu’il s’agit d’abord. De cette langue pimentée que Confiant manie d’une façon inimitable, de cette langue qui est celle de son peuple, de son île, de son pays, de cette langue qu’il partage et dont il revendique fièrement l’héritage, de cette langue qu’il s’approprie, qu’il pétrit, qu’il métisse, qu’il assaisonne de condiments culturels d’origines diverses, qu’il fait sienne, et qui se révèle sous sa plume une langue au goût exquis, une langue qui fait saliver de plaisir, une langue de grande et belle littérature.

Et puis il y a l’histoire.

Il y a cette histoire, méconnue, des immigrants proche-orientaux, débarqués par hasard, parfois à leur insu, alors qu’ils se croyaient en partance vers les rivages mirifiques de l’Amérique, dans la Martinique et la Guadeloupe françaises de la fin du XIXe et du début du XXe siècles.

Wadi est de ceux-là.

Né dans la grande Syrie passée sous contrôle français après le démantèlement de l’Empire Ottoman, Wadi Abdallah El-Charkawi, à peine âgé de vingt ans, est envoyé par sa famille, tombée dans la misère, en Amérique, avec mission d’y gagner de quoi faire vivre un jour dignement les siens.

« Tu pars en Amérique, que Dieu te bénisse ! » lui lançaient les vieillards sur son passage. Des jeunes filles qui, jusque-là l’avaient ignoré, le couvaient de leurs paupières serties de khôl.

Enregistré en tant que migrant volontaire par les autorités consulaires françaises, Wadi, après un voyage mouvementé dont le récit vaudrait à lui seul anthologie, se retrouve déboussolé, éberlué sur un quai de Martinique, où il est immédiatement pris en main, d’autorité, par Fanotte, une créole à la peau aussi noire que possible.

Une femme l’apostrophait maintenant. Une femme à la membrature phénoménale qui le dépassait d’une tête… Elle lui sourit. Le prit par le bras. L’abreuva d’un charivari de paroles dont il ne saisit miette… Wadi se laissa faire. L’Amérique était vraiment trop pleine d’étrangeté…

Fanotte, second personnage de ce roman… Fanotte qui, sous ses airs fanfarons, cache un cœur gros comme un morne, Fanotte qui, de femme de mœurs légères qu’elle a été, devient la concubine aimante, attentive, maternelle, protectrice du nouvel immigrant ahuri… Fanotte, une figure attachante, un caractère noble, une personnalité émouvante que le lecteur n’oubliera plus… Fanotte grâce à qui Wadi s’acclimate, prononce ses premiers mots en créole et en français, fait ses premiers pas dans le dédale des ruelles et des communautés… Fanotte, qui enfante en quelque sorte son amant en attendant que celui-ci à son tour lui fasse l’enfant métis dont elle a toujours rêvé, au grand dam de sa voisine et ennemie, sorcière et jalouse, qui tente en vain de détourner Wadi de sa rivale :

Tu crois qu’elle t’aime ? Ha-ha-ha ! Tire-toi ça de la tête, compère ! Tout ce que cette péronnelle veut de toi, c’est que tu lui fasses un enfant avec peau claire et cheveux lisses…

Rompant à intervalles l’itinéraire narratif de ce couple singulier, dont l’union durable a quelque chose, à l’époque, de révolutionnaire, l’auteur introduit des « cercles », des sauts dans le temps et dans l’espace, à l’intérieur de quoi il situe d’autres parcours, qui finiront, à un moment ou à un autre, par rencontrer celui de Wadi et Fanotte.

Ainsi en est-il de Bachar, lointain cousin du père de Wadi, arrivé dans les mêmes conditions sur l’île une génération plus tôt, qui a défrayé la chronique et a été banni de la communauté des « Syriens » musulmans pour avoir épousé une Indienne, une Coolee, après que tous deux se sont convertis au christianisme.

L’un après l’autre, les Levantins crachèrent à ses pieds et lui tournèrent le dos…

Wadi cherchera longtemps la trace de ce parent, exilé, bien avant sa propre arrivée, dans une ville distante.

L’auteur ménage en outre dans la linéarité narrative des pauses à la première personne qui interfèrent avec le récit du narrateur. Les personnages s’y livrent à leurs réflexions, racontent eux-mêmes, de leur point de vue, des chapitres de leur histoire.

Les tiroirs narratifs portant le titre imagé Sourcillements de Fanotte sont des morceaux de choix, où se révèle, dans une langue magnifique, la cruelle réalité de la vie quotidienne de l’époque, des relations humaines, des ladi-lafé comme on dit dans cette autre terre créole qu’est La Réunion, du cloisonnement et de la différenciation imposée des classes, fondée sur les différences ethniques, de l’injustice socio-économique qu’engendre et qu’entretient ce système de castes, et du rang qu’y occupent, tout en bas de l’échelle, les femmes afro et indo-antillaises.

Naître femelle dans ce pays-là est une sacrée déveine. Non seulement on doit se battre avec la misère qui ne vous lâche pas d’un pas, mais on doit aussi supporter la scélératesse des hommes. Qu’ils vous emmiellent avec du beau français appris par cœur ou vous séduisent avec du créole grosso-modo, le résultat est égal : vous vous retrouvez à pleurer toute l’eau de votre corps sur le pas de votre case désertée.

L’ensemble est textuellement riche et complexe. Les alternances linguistiques – créole, français, arabe – contribuent à exprimer le choc des cultures qui s’y confrontent, qui s’y mélangent, et qui tendent, inéluctablement, sur ce territoire exigu, à fusionner.

Roman social, roman historique, roman de la naissance d’un peuple… Wadi fera son chemin, d’un bout à l’autre de la rue des Syriens, avec Aïcha, son épouse « syrienne », et Fanotte, sa concubine créole « officielle », qui lui donneront deux enfants, lesquels, bien qu’élevés et éduqués dans des quartiers différents, dans des cultures différentes, finiront par se ressembler, dans le lent mijotement d’un métissage en mouvement, annoncé par Wadi, qu’ont abandonné peu à peu ses velléités de retour au pays natal, dans la belle phrase qui clôt le récit :

Après tout, c’est chez moi ici aussi. La Martinique est ma terre à moi désormais, oui…

 

Patryck Froissart

 

 

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La fille, Tupelo Hassman

La fille, Tupelo Hassman

Ecrit par Patryck Froissart 30.04.14 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanUSAChristian Bourgois

La fille (Girlchild), traduit de l’anglais (USA) par Laurence Kiefé, janvier 2014, 346 pages, 20 €

Ecrivain(s): Tupelo Hassman Edition: Christian Bourgois

La fille, Tupelo Hassman

 

La fille, c’est R.D., Rory Dawn

La mère, Johanna Hendrix, c’est Maman, dans le texte

La grand-mère, c’est Grandma

Ce sont là les trois personnages principaux de ce roman, dont la plus remarquable des multiples qualités consiste en le fait que la narration est faite à la première personne par La Fille elle-même.

Le lecteur découvre donc, du point de vue de l’enfant qu’est Rory Dawn puis de l’adolescente qu’elle devient, la vie quotidienne d’un quartier oublié, défavorisé, de Reno, cité poussiéreuse du Nevada, connue pour ses casinos et pour la facilité qu’elle offre à tout couple marié de promptement divorcer.

C’est pour ces deux raisons que vient s’y établir d’abord Grandma, joueuse invétérée qui ne supporte plus Grandpa. C’est là qu’un jour la rejoint, avec La Fille, Maman, la belle hippie, après y avoir elle aussi divorcé, laissant au loin les quatre demi-frères de Rory Dawn. Les deux femmes s’installent, chacune dans sa caravane, à proximité l’une de l’autre, dans la zone péri-urbaine miséreuse de La Calle, un monde qui a ses propres lois que les autorités locales feignent soigneusement d’ignorer.

Grandma travaille le jour et s’installe au casino le soir. Maman travaille dans un snack, se saoule assidûment, et collectionne les amants. Rory Dawn rêve de devenir scoute. Vite remarquée dans son école pour être douée en rédaction et en orthographe, elle observe, subit, commente en un long monologue, lucide et naïf, avec son regard d’enfant, ses mots d’enfants, ses opinions d’enfant.

« Maman a peut-être bien été une fille facile, mais ça ne me dérange pas trop parce que, n’importe quelle fille facile vous le dira, donner l’impression que c’est facile, c’est un sacré travail ».

Quand Grandma est trop occupée à jouer pour la garder pendant que Maman est de service de soirée, La Fille est confiée au Quincailler, le père de son amie Carol.

« Voilà comment le Quincailler s’arrange pour que les lumières s’éteignent. Je dis que j’ai besoin d’aller au petit coin et il dit qu’il va m’aider, il me prend par la main et nous allons au fond du magasin… »

Alors se produit l’indicible. Alors le récit s’emplit de non-dits, et des pages toutes noires apparaissent, parsemées çà et là de sections de phrases incohérentes, plus effroyablement suggestives peut-être qu’une suite locutoire ordonnée, plus terriblement réalistes certainement qu’une ordinaire linéarité narrative. Car dans ce monde-là, on se tait.

« Je n’ai jamais vraiment parlé du Quincailler à maman. Il avait ses menaces : putain, t’avise pas de jamais raconter ça. Elle avait les siennes : je tuerai celui qui essaie… »

Pourtant, tout se sait, et la loi du quartier s’appliquera au Quincailler, sans bruit, sans esclandre, de façon feutrée, sans qu’on y mêle les autorités. L’épisode (c’est par ce mot que Maman désigne ce qui est arrivé), bien que centralement crucial dans le roman, est tragiquement banalisé, comme faisant partie des choses qui arrivent.

L’auteure possède l’art de faire retomber opportunément la tension narrative par l’insertion régulière de documents administratifs, de rapports d’assistantes sociales, d’articles de presse, d’arrêtés de verdicts judiciaires, de lettres, en en respectant le style et parfois les fautes, ce qui contribue à conférer au récit le réalisme choquant qui en fait un roman de société intensément percutant.

« 14/10/69 – Visite à domicile – Hendrix Johanna n° 310.788 : Mrs Hendrix a téléphoné à l’assistante sociale un jour férié pour rapporter qu’un incendie s’est déclaré chez elle la nuit précédente et quand la police est arrivée pour enquêter sur l’origine de cet incendie, ils ont découvert de la marijuana et arrêté Mrs Hendrix… »

D’autres insertions reproduisent les jeux solitaires et les constructions intellectuelles de La Fille, et rappellent constamment, et cruellement, au lecteur, l’âge, l’intelligence brillante et la lucidité émouvante de la narratrice.

 

Patryck Froissart

 

 

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10:54 Écrit par Patryck Froissart dans Les chroniques de Froissart | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | | |  Imprimer | Pin it! |